• [Critique] Primer
    Grand Prix du jury Sundance 2004

     

    Dans la (très) longue liste des films de science-fiction prenant pour sujet le voyage dans le temps, Primer fait office d'OFNI. Présenté à Sundance en 2004, le premier long-métrage de l'inconnu Shane Carruth se taille une solide réputation. Il reçoit même le grand prix du jury à cette occasion. Avec quelques sept mille dollars (soit un budget quasi-inexistant), Shane Carruth doit assumer tous les rôles : réalisateur, scénariste, compositeur, monteur, chef décorateur...jusqu'à être l'acteur principal. Seuls deux acteurs principaux à l'écran - et quelques protagonistes très secondaires - pour assurer durant une heure et quinze minutes. Malgré tout cela (ou peut-être grâce à cela justement), Primer constitue un des films de Hard Science-fiction les plus audacieux et les plus troublants de ces dix dernières années. Entièrement basé sur un scénario passionnant mais diablement retors, le métrage s'avère aussi difficile qu'épatant. 

    Comment construire un film avec sept mille malheureux dollars, surtout de nos jours ? Avec du talent et de l'intelligence, deux qualités dont Carruth ne manque pas. Deux personnages également, Abe et Aaron, jeunes scientifiques ambitieux travaillant dans leur garage (comme un certain Steve Jobs en son temps) pour révolutionner le monde. Leur objectif ? Arriver à diminuer le poids des objets en les faisant passer dans un engin de leur cru. Si au bout de quelques temps la chose semble fonctionner, elle s'avère décevante. Jusqu'au jour ou Abe découvre une étrange moisissure sur leur objet-test. Une moisissure qui met des années à se développer normalement. Sauf qu'elle n'a jamais passé même un seul mois enfermer dans l'engin. Sans le savoir, et comme de nombreux scientifiques avant eux, Abe et Aaron viennent de découvrir un moyen de voyager dans le temps. Et si ça marchait vraiment ?

    Primer diffère grandement des films traditionnels consacrés aux voyages dans le temps. A la fois à cause d'un budget anémique n'autorisant qu'une marge de manœuvre réduite, mais également grâce à un postulat tout simple : les deux personnages principaux sont des scientifiques, ils se comprennent et il ne vont pas vous expliquer les choses comme dans un Retour vers le Futur. De ce principe découle deux conséquences logiques. La première est forcément négative, puisque Primer devient rapidement un film complexe, voir extrêmement complexe, d'autant plus que Shane Carruth ne prend pas son spectateur par la main et lui laisse le soin de tout analyser lui-même.Ce talon d'Achille, en fait le seul défaut de taille du métrage, va en rebuter plus d'un. Il faut même avouer que la fin du film devient quasiment totalement obscure si l'on a pas été attentif au moindre petit détail. Pour apprécier entièrement Primer, il faudrait presque le voir deux fois d'affilée.

    Seulement voilà, l'autre conséquence, c'est que Primer impressionne par son sérieux et son scénario d'une grande intelligence. Carruth apparaît aussi remarquable pour réaliser un film d'une heure et quart avec trois bouts de ficelles que pour pondre un récit passionnant et regorgeant de surprises. Le long-métrage se réclame de la hard-SF, et l'on comprend pourquoi. On peut immédiatement saluer l'engin et son principe de voyage dans le temps, le principe en question étant tellement ingénieux et bien plus crédible que tout ce qui a été fait jusqu'ici. Dans Primer, il n'y a pas de voyage vers le futur, mais au contraire, dans le passé, seule dimension connue en réalité. Un principe limitatif ? Pas du tout. Si dans un premier temps nos deux héros utilisent la machine pour grappiller l'argent nécessaire afin de poursuivre leurs travaux, la futilité humaine d'Aaron va rapidement brouiller les cartes et venir tout remettre en question. 

    Carruth prend un soin immense à traiter son sujet le plus rigoureusement possible. Pour éviter les changements, les héros s'isolent de tout pour ne pas influencer le futur par exemple. Mais au-delà de la simple question du voyage dans le temps, ce sont les détours du scénario et ce qui en ressort qui paraissent à la fois géniaux et terriblement difficiles. Chaque dialogue, chaque mot, même une simple remarque à propos d'un rat dans le grenier, devient crucial. Accrochez votre ceinture, Carruth ne va pas vous épargner. On ressort avec une certaine incompréhension du final mais aussi une furieuse envie de comprendre. Lorsque l'on commence à appréhender l'intrigue à tiroirs (ou à boucles plutôt), Primer prend des allures de grand film. 

    Pourtant, aussi étonnant que cela semble, il y a autre chose qu'un scénario impressionnant dans Primer. A commencer par une réalisation minimaliste mais géniale, reniant à peu près tous les artifices usuels pour se consacrer sur une sorte de rendu documentaire inquiétant des plus fascinants. Carruth jongle tout autant avec son budget ridicule qu'avec son talent de metteur en scène. De même, il s’avère également être un excellent acteur, volant la vedette à un David Sullivan qui ne démérite pourtant jamais. Enfin, l'utilisation de la voix-off qui semble si souvent inutile ailleurs, prend ici tout son sens. Ajoutez-y une bande-originale minimaliste mais exactement dans le ton inquiétant du film et vous obtenez un tour de force, un vrai.


    Primer se révèle aussi épatant que difficile. Réalisé avec rien (ou quasiment), porté par deux acteurs excellents et un scénario en béton armé, le premier long-métrage de Shane Carruth a quelque chose d'obsédant. De quoi se précipiter sur le second film de l'américain : Upstream Color.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Abe expliquant à Aaron sa découverte

    Meilleure réplique : "What happens if it actually works ?"

     

     

     

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  • [Critique] Loin de la foule déchaînée

     


    Trois ans après avoir créer l’événement à Cannes avec La Chasse, le danois Thomas Vinterberg revient sur le devant de scène avec un nouveau long-métrage adapté de Thomas Hardy : Loin de la foule déchaînée. Délaissant l'époque moderne pour l'ère victorienne, le réalisateur recrute un casting 5 étoiles composé de Carey Mulligan, Matthias Schoenaerts ou encore Michael Sheen. Bien plus sage et posé que son précédent film, le métrage met à l'honneur une certaine conception du féminisme et se propose d'axer son récit sur une romance à tiroirs. En près de deux heures, Vinterberg nous invite à découvrir la vie pastorale anglaise ainsi que le déchaînement des passions amoureuses, le tout en costumes et avec le plus grand sérieux. Peut-il réitérer le coup de maître de La Chasse ?

    Le verdict s'avère en fait assez complexe. Vinterberg nous entraîne dans l'existence mouvementée de Bathsheda Everdene, une simple fermière héritant de tout un domaine agricole suite au décès de son oncle. Belle comme le jour, elle attire nombre de prétendants dans son sillage, à commencer par l'infortuné Gabriel Oak qui devient berger au domaine d'Everdene. Alors que la jeune femme s'installe péniblement dans ses nouvelles fonctions, elle repousse également les avances d'un riche veuf, William Boldwood. Têtue et farouchement indépendante, Bathsheda va pourtant voir sa vie bouleversée par l'arrivée d'un certain soldat de sa majesté : le sergent Troy. Dès lors, tout est en place pour une grande tragédie Shakespearienne où les cœurs se brisent aussi facilement que les corps.

    Fresque romantique par excellence, Loin de la foule déchaîné semble partir à l'opposé de La Chasse. Pourtant, à y regarder de plus près, Vinterberg met encore une fois en scène un personnage en proie à toutes les peines du monde. Bathsheda Everdene incarne un féminisme avant l'heure, une femme forte ne reculant devant aucun regard ou aucune remarque. Inimaginable pour l'époque, elle repousse également ses prétendants successifs. Il n'empêche que le personnage devient rapidement antipathique à force de jouer avec les sentiments des uns et des autres (notamment ceux de Gabriel Oak). Carey Mulligan se révèle brillante de bout en bout, livrant une interprétation impeccable de l'effrontée Batheshda, mais il faut avouer qu'on a du mal à faire la part des choses entre le dégoût que peut inspirer le comportement de son personnage par moment et la volonté de Vinterberg d'ériger son héroïne en figure solitaire et rebelle. Heureusement (ou pas d'ailleurs), il reste toujours le personnage du sergent Troy, infiniment écœurant, qui va vite faire oublier ce dilemme.

    Au-delà de ces préoccupations purement empathiques, Loin de la foule déchaînée ne vient jamais démentir la talent de mise en scène du danois. L'ambiance comme les plans s'avèrent impressionnants, croquant l’Angleterre victorienne avec un grand raffinement. Même si l'on est loin du génie des Hauts de Hurlevent d'Andrea Arnold, le long-métrage est un ravissement pour les yeux. Le principal bémol qui vient freiner cet enthousiasme, c'est le côté longuet de l'histoire et cette répétition lassante du triangle amoureux, vu mille fois ailleurs et resservi sans trop d'originalités ici. L'autre grand personnage du film, c'est bien évidemment Gabriel Oak, interprété par l'omniprésent Matthias Schoenaerts. Celui-ci compose une figure digne et morale, bouillonnant de désirs contenus. A l'arrivée, c'est bien l'alchimie étrange entre Oak et Everdene qui porte le film sur ses épaules. Le reste s'avère parfois bien ennuyeux, tant les péripéties autour de ce couple tragique traînent en longueur.

    On peut tout de même saluer le risque pris par Thomas Vinterberg en adaptant le roman de Thomas Hardy. Toute la démesure sentimentale et le déchaînement des passions du récit sont parfaitement retranscrit à l'écran. Le message féministe ainsi que la vision nouvelle de la femme, à une époque où le monde est entièrement dominé par les hommes, fait du bien. D'autant plus qu'il laisse la place aux erreurs, n'érigeant pas la femme moderne en être humain infaillible. Comme dit plus haut, le personnage de Bethsheda s'avère souvent hautement énervant, mais reste finalement assez fidèle aux tumultueux revirements sentimentaux que l'on peut voir dans la réalité. Malgré toutes ces qualités cependant, Loin de la foule déchaînée s'avère bien moins convainquant que son illustre aîné.

    Rongé par le classicisme de son récit et par de multiples longueurs, Loin de la foule déchaîné déçoit. Une déception toute relative cependant puisque Thomas Vinterberg ne perd rien de son talent de mise en scène, il accouche simplement d'une histoire trop longue et parfois bien fade par rapport à l'ardeur des sentiments exposés à l'écran.
    A réserver aux amateurs.

    Note : 7/10

    Meilleure scène : Le tir au fusil de chasse de Boldwood

     

     

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