• [Critique] Masaan

    Parmi la sélection toujours très éclectique de la section Un Certain Regard de Cannes, nous avons eu droit cette année encore à quelques belles choses. Outre le Cimetery of Splendour d'Apichatpong Weerasethakul ou Vers l'autre rive de Kiyoshi Kurosawa, c'est le jeune réalisateur indien Neeraj Ghaywan qui fut le candidat indien à la Caméra d'Or avec son second long-métrage : Masaan. Depuis quelques temps, on peut découvrir d'excellents films venus d'Inde dans les salles de cinéma. On se souvient par exemple du joli The Lunchbox ou du sublime documentaire Kumbh Mela. Drame et film social tout à la fois, Masaan prouve une nouvelle fois que le cinéma indien a encore beaucoup de choses à offrir.

    L'action de Masaan prend place à Bénarès au bord du Gange. Devi a pris une grande décision, celle de faire l'amour pour la première fois avec un jeune homme qu'elle a rencontré récemment. Pour que les choses se fassent discrètement, les deux amoureux se donnent rendez-vous à un petit hôtel. Malheureusement, la police débarque sans crier gare et menace de les humilier publiquement en révélant la relation à leurs parents respectifs. Désespéré, le jeune amant de Devi se suicide et l'inspecteur Mishra rencontre le père de Devi, Pathak. Il menace alors de tout dévoiler publiquement si Pathak ne lui paye pas une somme colossale, surtout par rapport au modeste emploi de vendeur sur les ghâts. Dans le même temps, Deepak tombe éperdument amoureux de Gupta, une fille appartenant malheureusement à une caste supérieure. Dans la cité sainte, les destins se croisent au milieu des bûchers funéraires et des célébrations entraînant Deepak, Pathak et Devi dans un tourbillon de drames et de joies. 

    Masaan pourrait facilement être qualifié de film-choral. Il expose en effet trois destins différents. Chaque fil narratif de Neeraj Ghaywan convoque une préoccupation moderne sur la société indienne. Dans le segment consacré au drame vécu par Dévi, Neeraj montre un visage sombre de son pays. Flics corrompus, poids des rumeurs et de la réputation, place de la femme dans la société, le réalisateur dépeint quelques-uns des problèmes majeurs accablant l'Inde et qui semblent, pour certains, presque anachroniques. Il décrit avec force et justesse le poids écrasant de l'honneur pour la famille indienne et comment, en quelques minutes, tout peut basculer dans le drame. Au-delà de cette peinture sociale au vitriol, Ghaywan fournit un aperçu convaincant des traditions indiennes et de l'organisation de ses classes.

    C'est d'ailleurs là l'élément majeur du second arc narratif, celui de Deepak, où le cinéaste construit une très belle histoire d'amour pour mieux pointer du doigt les difficultés qu'engendrent le principe des castes dans la société indienne moderne. Concept plus archaïque mais finalement très proche des classes sociétales occidentales, le système de castes semble enfermer les individus dans des cases où un plafond de verre les maintient prisonniers. L'histoire entre Deepak et Gupta prouve que rien n'est cependant immuable. Enfin, le cinéaste aborde une des caractéristiques les plus tristes et étonnantes de l'Inde, à savoir la pléthore d'orphelins livrés à eux-mêmes et qui, pour survivre, assument tous les menus travaux qu'ils peuvent trouver. La subtile relation qui se noue entre Pathak et son petit travailleur représente à ce sujet une belle réussite.

    Plus qu'une simple critique sociale, Masaan est un film-portrait. Un cliché instantané d'une heure quarante sur l'Inde d'aujourd'hui tiraillée entre modernisme et tradition, entre amour et haine. Le long-métrage impressionne à la fois par sa mise en scène flirtant parfois avec la plus belle des poésie (les ballons s'envolant un soir de fête) mais également par son casting impeccable où le plus vieux protagoniste, Sanjay Mishra, tire encore mieux son épingle du jeu que les autres, surement grâce à un rôle plus nuancé et plus profond. La force du long-métrage réside donc dans ce réalisme capturant l'âme indienne dans son ensemble avec ses bûchers funéraires, ses ghâts, ses castes, ses innombrables dieux et traditions... Sur ce point précis, plus encore que sur les autres, Masaan est une grande réussite. Cela malgré la prévisibilité d'une fin qui ne sonne nullement comme un twist mais comme une nouvelle chance redonnant espoir au spectateur comme aux protagonistes du récit. 

    Neeraj Ghaywan signe avec Masaan un film beau et touchant, où les personnages marquent et où les drames ne parviennent pas à éclipser la beauté d'un pays unique. Tout autant peinture sociale que critique acerbe des maux qui rongent l'Inde moderne, le long-métrage est une réussite.
    Une de plus parmi la nouvelle vague des films venus d'Asie.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Les bûchers funéraires sur les ghâts en pleine nuit.

     

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  • [Critique] Difret
    Prix du Public Sundance 2014
    Prix du Jury Festival 2 Valenciennes 2015
    Prix du public Panorama Berlinale 2014

     

    Sélectionné pour le Panorama de la Berlinale 2014, récompensé par le Prix du public à Sundance la même année et Prix du Jury au dernier Festival 2 Valenciennes, le film éthiopien Difret, écrit et réalisé par Zeresenay Mehari, connaît enfin les honneurs d'une distribution grand public. Premier film de la jeune cinéaste, le long-métrage est également produit par une certaine Angelina Jolie, qui réaffirme encore son soutien aux causes humanitaires et féministes, après Au pays du sang et du miel. Engagé mais aussi historique dans un certain sens, Difret permet de jeter un regard d'une grande justesse sur l'Ethiopie, ainsi que de comprendre une culture tout à fait différente de la nôtre, tout en expliquant le combat authentique d'une femme, Meaza Ashenafi, pour sauver d'une mort certaine Aberash Bekele (renommée Hirut Assefa pour les besoins de l'histoire), une jeune fille de quatorze ans sans histoire.

    Retour en 1996. L'Ethiopie vit encore, pour une large partie, sous la tradition tribale, notamment dans le milieu rural. Hirut Assefa vient de réussir son passage en année supérieure, lorsqu'un groupe d'hommes l'enlève. Selon la coutume, l'homme qui désire prendre une épouse doit l'enlever de force pour consommer l'union le même jour. Seulement voilà, séquestrée puis violée, Hirut trouve la force de saisir l'arme de son tortionnaire pour s'enfuir. C'est ainsi qu'elle en vient à tuer l'un de ses kidnappeurs. Détenue par la police locale, la jeune fille encourt la peine de mort pour son crime. Heureusement, Meaza Ashenafi, une avocate bénévole d'une association d'aide aux femmes, se saisit de l'affaire. Envers et contre tous, elle va tenter de faire acquitter la jeune fille et de bouleverser l'ordre établi, changeant le visage de la loi éthiopienne par la même occasion. 

    Sans être épatant au niveau de sa mise en scène, le premier long-métrage de Zeresenay Mehari assure ce qu'il faut pour raconter l'histoire tragique de Hirut Assefa. De façon assez simpliste, on peut scinder Difret en deux axes de lecture. Le premier s'intéresse à la fillette victime d'une tradition barbare, tout en montrant de quelle façon les hommes du village en viennent à ce genre d'extrémités. Plus qu'une simple tragédie, l'histoire de Hirut permet à Mehari de raconter les traditions de son pays. Profondément enracinés et notamment dans les milieux les plus pauvres, les enlèvements font partie d'un système complexe de domination patriarcale solidement enraciné dans les origines tribales de ces populations. Ainsi, Difret n'est jamais aussi captivant que lorsqu'il s'intéresse aux us et coutumes de ce village perdu, Mehari filmant un tribunal tribal avec sérieux, sans forcément condamner ce que l'on voit ou ce que l'on entend. Du fait d'un endoctrinement dès le plus jeune âge, les hommes du village ne se perçoivent pas comme mauvais : ils font simplement ce qu'on leur a appris à faire. Avec une grande pertinence, Mehari évite la stigmatisation appuyée, pour mieux exposer l'état de l'Ethiopie en 1996. Elle attire l'attention du spectateur sur l'ignorance des fermiers et la pauvreté de ces villages, que seule l'installation d'écoles semble pouvoir sortir de l'ornière.

    Au-delà de cette peinture d'une Ethiopie traditionnelle, on retrouve un second axe de lecture. La cinéaste nous montre également L'Ethiopie moderne, celle des villes, où les femmes s'émancipent et où les lois s'appliquent tant bien que mal. C'est aussi l'occasion pour le long-métrage de brosser le portrait de personnages féminins forts et touchants, tels que celui de Meaza Ashenafi, interprétée par l'excellente Meron Getnet. Avocate tenace et audacieuse, Meaza incarne l'image de la femme moderne, une conception magnifique d'un féminisme souvent galvaudé aujourd'hui. Sa rencontre avec la jeune Hirut est l'occasion de comprendre ce qui sépare la fillette de cet autre monde aux allures irréelles. Un monde où la femme peut vivre seule sans pour autant être mauvaise, un monde où elle n'est pas obligée de savoir faire la cuisine et de se plier au diktat masculin. Evidemment, les choses ne sont pas entièrement manichéennes, il s'avère bien difficile de changer les habitudes, à commencer par se coucher dans un simple lit. Mais Difret ne renonce pas et persévère comme ses personnages féminins.

    Si l'on peut reprocher au long-métrage de tomber parfois dans l’écueil de la séquence tire-larmes - on pense notamment à la lourde scène de fin -, il parvient à trouver un équilibre intéressant entre film historique et drame. En opposant deux mondes différents, sans les juger, sans les condamner, Mehari réussit à ne pas tomber dans la caricature. Elle donne également une magnifique place à la femme éthiopienne, et milite pour des droits qui sembleraient évidents si de telles choses ne se produisaient pas. Elle démontre également que les traditions ne sont pas immuables, que les mentalités doivent changer. De gré ou de force, l'égalité doit être imposée pour toutes ces femmes démunies. Même si les enlèvements sont désormais interdits en Ethiopie, nul doute qu'un film comme Difret sera toujours nécessaire pour rappeler qu'il faut lutter contre toutes les injustices pouvant encore exister de par le monde. 

    Premier film important, à défaut d'être mémorable, la faute à une mise en scène banale, Difret délivre un message salutaire. A la fois peinture des différents visages de la société éthiopienne et hommage féministe au combat contre l'ignorance, le long-métrage de Zeresenay Mehari atteint ses objectifs haut la main.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Le tribunal tribal

     

     

     

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  • [Critique] Les Milles et Une Nuits : Volume 1 - L'inquiet

    Dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs de Cannes cette année, le portugais Miguel Gomes offrait à la presse sa dernière réalisation. Trois ans après Tabou, une des sensations de la Berlinale 2012, le cinéaste s'est fixé un défi : celui d'adapter à sa façon les fameux contes des Milles et Une Nuits. Divisée en trois volumes, cette expérience cinématographique dépasse les 6 heures, mise bout à bout... de quoi inquiéter n'importe quel cinéphile ! Précédée d'une réputation flatteuse, la première partie paraît au début du mois de juillet, les deux autres segments devant arriver fin juillet et fin août. Difficile, surtout avec la bande-annonce, de savoir à quoi s'attendre de la part du fantasque réalisateur portugais. Pétard mouillé ou véritable coup de maître ?

    Il est bien difficile de décrire ce qui se déroule pendant les deux heures de ce premier volume. Tout commence par un étrange prologue qui donne le ton. Trois fils narratifs s'y entrecroisent : d'un côté des ouvriers parlant de la fermeture prochaine du chantier naval, de l'autre l'inquiétante invasion des abeilles tueuses au Portugal... et à côté, l'équipe de tournage elle-même, avec le réalisateur Miguel Gomes qui tente de s'enfuir devant l'ampleur du projet monstrueux qu'il s'est fixé. Le tout sous forme de documentaire austère mais très réaliste. Immédiatement, le portugais signale au spectateur que son film ne sera peut-être pas facile à appréhender mais qu'il est le fruit d'une longue réflexion ne laissant rien au hasard. Ballotté entre le désir de dénoncer les désastres du capitalisme sur son pays et celui de trouver la voie de l'enchantement procurée par les fameuses Milles et Une Nuits, Gomez va faire quelque chose de dingue : il ne va rien choisir et va tenter d'intriquer les deux. Dès lors, comment arriver à conjuguer la poésie légendaire des contes arabes avec la désespérante société moderne ?

    Ce premier volume se poursuit alors par trois contes remaniés pour les besoins du scénario : Les hommes qui bandent, L'Histoire du coq et du feu et Le Bain des Magnifiques. Le tout précédé par une courte introduction inspirée de L'île des Jeunes Vierges de Bagdad. L'intégralité de l'histoire se situe donc dans un Portugal moderne rongé par la crise économique. Il fallait bien ces deux heures pour ce premier opus car, à la fin, on en ressort proprement lessivé. Non, Les Mille et Une Nuits revues et corrigées par Miguel Gomes ne sont pas faciles d'accès. Mais elles sont d'une beauté parfois à couper le souffle, d'un humour tantôt potache tantôt discret, et d'une intelligence sans fond. En reprenant à son compte les histoires de Schéhérazade, le cinéaste joue avec le connaisseur sans pour autant laisser le novice sur le bord du chemin. Une fois que le spectateur se laisse emporter par le délire de Gomez, le long-métrage se pare de mille feux. 

    Véritable fourre-tout, Les Mille et Une Nuits accueille les plus joyeux délires. On y croise les banquiers du FMI et les hommes politiques portugais à dos de dromadaires, un homme-médecin noir détenant le spray qui fait bander, un coq qui parle, une pyromane de douze ans, une baleine échouée qui explose pour révéler une sirène, un bain collectif dans un océan glacé... Bref, on y trouve à peu près tout ce qu'il est possible d'imaginer. Très bavard, le film regorge de trouvailles et Gomez ne recule devant rien, revendiquant une liberté de ton jouissive, où même les mauvaises idées se noient dans la générosité de l'histoire. Surprenant du début à la fin, Les Mille et Une Nuits arrive à faire quelque chose que l'on pensait impensable : réenchanter notre monde. C'est parfois loufoque et potache (tels ces hommes politiques bandant comme des taureaux), c'est souvent touchant (le triangle amoureux des enfants ou les biographies des Magnifiques), mais c'est surtout toujours intelligent.

    Gomez raconte le Portugal moderne. Il le fait avec une patience infinie et une sincérité sidérante. Véritable déclaration d'amour à son pays et à ses habitants, Les Mille et Une Nuits tente également de jeter un cri d'alarme, de désespoir pour ainsi dire. La crise, l'argent, ce capitalisme indécent, ces existences broyées par la machinerie impitoyable qu'est la mondialisation, la dette humiliante... tout se retrouve dans ce premier volet, s'entrechoque pour bousculer les idées préconçues. Gomez rabaisse et traîne dans la boue ces impuissants politiques et financiers qui détruisent le pays. Il nous montre le ridicule de ces politiciens locaux prêts à vendre leur âme pour le moindre vote. Il laisse la parole à des chômeurs, ces gens sur qui l'on crache à longueur de temps et qui vivent comme des moins que rien. Il montre la tristesse de voir la beauté du Portugal se flétrir sous les coups de boutoir du capitalisme. Le propos s'avère fort, beau et tellement juste. Le monstre capitaliste devient semblable à une insatiable grenouille dévorant l'argent de tous, en même temps que leurs existences. Sans jamais renier la poésie de ses récits, le cinéaste offre une charge violente contre une situation infamante et tellement d'actualité. Avouons que voir les membres du FMI ainsi ridiculisés dans le premier conte a quelque chose de totalement jubilatoire.

    Evidemment, tout n'est pas parfait. L'inquiet ne facilite pas la tâche au spectateur, il ne le laisse quasiment jamais en paix et demande une attention soutenue tant sa densité frôle l'apoplexie. On pourra aussi pointer du doigt l'introduction abrupte et nébuleuse entre ouvriers et abeilles tueuses. Ou reprocher la longueur du témoignage du premier Magnifique, bien moins fort de ce fait que le couple passant juste après. Pourtant, devant l'audace narrative de l'ensemble, le flot continuel d'idées qui irrigue le récit, la réalisation millimétrée et la lucidité salutaire de l'oeuvre, on pardonne facilement ces menus défauts. Gomez réussit quelque chose d'incroyable, il apporte une réelle bouffée d'air frais dans le monde du cinéma moderne.

    Cet impressionnant premier volet des Mille et Une Nuits ne laissera personne indifférent. D'une incroyable densité (on n'ose pas imaginer la suite), d'une liberté de ton réjouissante et d'une poésie saisissante, L'Inquiet réenchante notre terne société moderne, crachant sur cet argent du diable sans jamais perdre de sa lucidité morale.
    "Ô Roi bienheureux, on raconte qu'un modeste réalisateur portugais s'est mis en tête de déclarer sa flamme à tout un peuple, on raconte que son premier volume renferme l'âme de son pays."

    Une magnifique expérience.

    Note : 8.5/10

    Meilleure scène : Le second témoignage des Magnifiques

     


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  • [Critique] Valley of Love

    On trouve quelques curiosités lors du Festival de Cannes. L'édition 2015 n'a pas dérogé à cette règle. Que ce soit Tale of Tales de l'italien Matteo Garrone ou The Lobster du grec Yorgos Lanthimos, la Croisette a encore vu défiler quelques OFNIs. Parmi eux, le discret mais intriguant Valley of Love de Guillaume Nicloux. Réalisateur fantasque à qui l'on doit L'Enlèvement de Michel Houellebecq, Nicloux recrute deux acteurs français, Isabelle Hupert et le revenant Gérard Depardieu, et les emmène dans la Vallée de la Mort aux Etats-Unis. Malgré un certain désamour des festivaliers, le long-métrage intrigue. 

    Au milieu des paysages désertiques américains, on retrouve Isabelle et Gérard - les personnages portant les mêmes noms que les acteurs  - qui se retrouvent dans la Vallée de la Mort pour honorer le dernier souhait de leur fils. Celui-ci s'est en effet suicidé 6 mois auparavant et leur a écrit à chacun une lettre énigmatique au possible où il parle à cœur ouvert à ses parents avant de leur donner rendez-vous à une date précise. Ils doivent en outre se conformer à un itinéraire précis durant une semaine. Si Isabelle veut croire que son fils viendra les revoir une dernière fois envers et contre tout, Gérard lui n'a rien d'un homme spirituel. Forcément, les retrouvailles de ces deux-là vont faire des étincelles. Simple façon de faire le deuil ou réelle dernière chance de revoir leur défunt fils ?

    Film tout à fait singulier, Valley of Love repose intégralement sur ses deux acteurs. Evidemment, on n'oublie pas les superbes panoramas offerts par la Vallée de la Mort ainsi qu'un certain talent de Nicloux pour capturer l'intimité du couple, mais ce sont les prestations de Gérard Depardieu et d'Isabelle Hupert qui font tout. Du fait, et malgré un démarrage poussif, le récit est avant tout l’occasion de retrouver deux immenses légendes du cinéma français. Impeccable de bout en bout, la relation nostalgique qui s'installe progressivement entre les eux marche d'ailleurs très bien. Mais c'est surtout le deuil qui les rapproche donnant à ce couple improbable une saveur toute particulière.

    Lent et intimiste au possible, Valley of Love parle du deuil, forcément. Nicloux confronte la blessure profonde du couple à ces lettres-fleuve écrites par leur fils. Dans ces instants où tout passe par l'écrit et le visage torturé des acteurs, Valley of Love arrive à toucher de belle façon le spectateur. Il devient alors un film relativement dur et bouleversant sur la douleur de parents confrontés à l'impensable : la perte de leur enfant. Derrière les mots de Michael, on ressent également beaucoup de non-dits, de reproches et de cicatrices à peine refermées. Valley of Love n'est jamais aussi bon que lorsqu'il s'intéresse à cette sourde douleur et aux sentiments explosifs qu'elle engendre. Seulement voilà, Nicloux choisit étrangement de faire un film avec des acteurs pris au piège de leurs rôles. Plus que des doubles cinématographiques, les deux personnages portent le même nom que ceux qui sont censés les incarner à l'écran, exercent le même métier qu'eux dans la vie réelle. Pis encore, bien des éléments renvoient au passé de Gérard Depardieu, notamment la perte d'un fils qui n'appréciait guère son père. Ainsi, et sans vraiment savoir si cela dessert le récit ou non, difficile d'oublier qui se trouve devant nous. On gardera en mémoire quelques traits d'humour bien sentis et une certaine autodérision bienvenue de la part de Gérard Depardieu notamment. 

    En fait, Valley of Love semble hésiter constamment. D'une part entre choisir un abord totalement fictif ou faire une pseudo-biographie de ses deux acteurs, d'autre part entre l'approche fantastique ou réaliste. Même s'il devient clair que le film glisse doucement vers le fantastique, notamment avec cette fin un tantinet abrupte, il ne sait pas vraiment prendre les choses à bras le corps. Le métrage se retrouve à courir après une certaine identité à l'image de Gérard dans ce défilé à la fin du film. Michael est-il un fantôme ? Les personnages souffrent-ils d'une sorte d'hystérie ? Nicloux a bien du mal à trancher. Par son choix de ne rien montrer à part des stigmates douteux, le réalisateur nous laisse dans le flou, seul juge de ce qui est réel ou ne l'est pas. Ainsi, Valley of Love reste brumeux jusqu'à la dernière minute mais toujours avec cette sympathie étonnante vis-à-vis de ses deux personnages. Littéralement sauvé par ses acteurs et l'émotion parfois poignante de son histoire, le long-métrage aurait cependant pu viser bien plus haut.

    Hésitation fantastique par excellence, Valley of Love ne sait pas bien comment se positionner. Nicloux tâtonne, fait courir ses personnages derrière autant de chimères et oublie parfois le spectateur en route. Tentative méta ou non, le long-métrage vaut bien plus pour son message touchant sur le deuil et pour ses personnages en niveaux de gris que pour le reste de son récit parfois bien brumeux. 
    A réserver aux amateurs.

     

    Note : 6/10

    Meilleure scène : Isabelle et Gérard discutant au sommet d'une falaise

     

     

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  • [Critique] Les Minions



    Devenus en quelques années la coqueluche des enfants (et des autres), les séides de Gru débarquent au cinéma dans leur propre long-métrage. N'oublions pas qu'à l'origine, ces petites créatures jaunes au langage si particulier sont les bestioles à tout faire dans les deux films de la sympathique franchise Moi, Moche et Méchant de Chris Renaud et Pierre Coffin. A l'instar d'un Scrat ou des Pingouins de Madagascar, ce qui n'était à la base qu'une ribambelle de personnages comiques de second plan s'est vu propulsé sur le devant de la scène. Délicieusement stupides dans Moi, Moche et Méchant mais également diablement attachants, Les Minions ont également joui d'une campagne de pub démesurée, si bien qu'on trouve du Minion à toutes les sauces aujourd'hui. Leur consacrer un film entier n'était donc qu'une question de temps. Seulement voilà, comme toute entreprise de ce genre, motivée par des intérêts financiers purs et durs (qui ne plaisent pas tant que ça à Pierre Coffin, le co-créateur de l'univers), Les Minions peuvent-ils exister par eux-mêmes ?


    Voilà bien une question épineuse. On se souvient d'ailleurs encore de la déception engendrée par Les Pingouins de Madagascar. Pourtant, il faut avouer que ces petites créatures ont un sérieux potentiel comique qu'une histoire appropriée mais surtout audacieuse (donc basée sur un comique absurde par essence) pourrait exploiter de bonne façon. Le problème, c'est que Les Minions a justement le cul entre deux chaises. Le film s'ouvre sur une longue introduction avec une voix-off des plus sérieuses pour nous expliquer l'origine des créatures. Très vite, on se rend compte qu'elles n'existent que pour une seule chose : servir le maître le plus méchant (et le plus moche) qui soit. Un décalage toujours aussi étrange entre cette volonté forcenée des minions de servir un bad guy et leur apparence franchement adorable. C'est ainsi qu'après plusieurs essais infructueux, trois minions tentent d'enfin trouver le boss idéal. Bob, Stuart et Kévin partent à l'aventure de par le monde et vont rapidement faire la connaissance de la plus grande méchante de l'époque : Scarlet Overkill.

    Au départ, Les Minions marche très bien. Les toutes premières images sans paroles nous montrent l'évolution de proto-organismes minionnesques jusqu'à la forme définitive qu'on leur connaît. Puis, les péripéties s'enchaînent avec ce goût prononcé pour passer l'histoire à la moulinette. Les gags et les personnalités se succèdent et le film semble réellement avoir trouvé une excellente orientation. Seulement voilà, la chose ne dure qu'un temps. Pour se renouveler sans sombrer dans l'accumulation de scénettes humoristiques, les réalisateurs ébauchent une intrigue bien plus classique avec l'arrivée de Scarlett Overkill. A partir de ce moment, le métrage jongle entre deux aspects : celui des scènes-gags et une intrigue cousue de fil blanc, et donc banale. Du coup, Les Minions devient un film bancal.

    Scarlet Overkill, malgré toute l'extravagance technologique habituelle de l'univers, n'est pas à la hauteur d'un Gru. Sa présence gêne plutôt qu'autre chose l'humour délicieusement stupide de nos êtres jaunes adorés. On aime évidemment les innombrables clins d’œil du film aux années 60 ainsi qu'aux James Bond movies, mais l'intrigue en elle-même devient rébarbative dès que l'on essaye de coltiner Scarlet à la fine équipe de Bob, Kévin et Stuart. C'est d'autant plus dommage qu'un certain nombre de choses marche du tonnerre dans le long-métrage. A commencer par les délires linguistiques des minions qui parlent une langue savoureusement incompréhensible à base de moussaka, de puci ou de l'inévitable banana. De même, lorsque les trois compères explorent le monde par leurs propres moyens et enchaînent les pires bêtises qui soient, le film prend une toute autre saveur.

    Seulement voilà, Il manque quelque chose de fondamental aux Minions : Gru et les enfants. Conçues au départ comme éléments secondaires, les petites créatures jaunes ont cruellement besoin de la présence émotionnelle des autres personnages de la franchise pour exister. S'ils arrivent à nous faire mourir de rire à plusieurs occasions, Les Minions ne parviennent tout simplement jamais au-delà. On reste donc devant un spectacle malheureusement creux, agréable sur le moment, mais qui sera complètement oublié en quelques jours. Seuls quelques gags resteront car, qu'on le veuille ou non, Les Minions n'ont pas les épaules pour être des personnages principaux. Il ne se révèlent vraiment qu'en arrière-plan d'autres héros plus complexes et plus touchants. On se contentera donc d'un moment de détente délicieusement stupide en attendant les prochaines aventures de toute la famille de Moi, Moche et Méchant.

    Pas aussi décevant que Les Pingouins de Madagascar, Les Minions reste pourtant un film incomplet, en quelque sorte orphelin du reste de son univers. Malgré des clins d’œil excellents et de nombreux gags hilarants (le rat, les inventions, la torture, la séquence d'introduction, l'abeille, le chien), le film de Pierre Coffin et Kyle Balda prouve une nouvelle fois que le dessin-animé repose sur un équilibre fragile entre ses personnages. 

    Note : 6.5/10

    Meilleures scènes : L'introduction - le running-gag du rat


     

     

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  • [Critique] Spy


    Le nouveau réalisateur de comédie qui monte à Hollywood, c'est lui ! Paul Feig s'est fait connaitre grâce à son impertinent mais aussi drôlissime Bridesmaids (connu en France sous le titre Mes meilleures amies). Malgré un second long-métrage poussif et lourd avec Les Flingueuses, l'américain a le vent en poupe puisqu'il retrouve un casting de luxe pour son troisième film : Spy. Parodie de films d'espionnage type James Bond, il embarque à son bord l'actrice fétiche du réalisateur, la truculente Melissa McCarthy, ainsi que Jason Statham, Jude Law et Rose Byrne. Déjà à pied d'oeuvre pour S.O.S Fantômes 3 (qui a toutes les chances d'être une horreur, peu importe son réalisateur), Paul Feig arrive-t-il à redresser la barre ?

    Meilleur agent secret de la CIA, Bradley Fine ne redoute rien ni personne. Contrairement à l'illustre James Bond, l'homme a pourtant une botte secrète : Susan Cooper. Ancien grand espoir de l'espionnage, elle est devenue la plus dévouée des assistantes pour Bradley, qu'elle aime secrètement. Ce qui explique facilement que le jour où Bradley se fait tuer par l'infâme Raina Boyanov, Susan tente l'impossible : devenir un agent de terrain. Malgré les réticences d'espions plus expérimentés tels que le fameux Rick Ford, Susan peut compter sur l'aide de Nancy, une autre assistante de choc, pour la prévenir des pires dangers grâce à son oreillette. Pourra-t-elle empêcher la vente d'une arme nucléaire et sauver le monde ? Rien n'est moins sûr...

    Pour une fois, un des films de Paul Feig sort sans changement de titre en France (Champagne !). Il semblerait que le public français comprenne donc le mot Spy. Bref, Spy fait la part belle à la parodie de la saga James Bond. Dès le départ, Jude Law figure un pseudo agent secret plein d'élégance et extraordinairement talentueux (comme tout bon agent secret qui se respecte, il peut dégommer 30 types sans une seule égratignure). On s'aperçoit immédiatement que Paul Feig a envie de démonter le mythe, de jouer avec. Pour se faire, il a recours à diverses astuces. La première, évidente, c'est Susan. Cette assistance rondouillarde et tout sauf charismatique, devient contre toute attente un agent de terrain provoquant des cascades de situations improbables. On la retrouve ainsi à Paris ou à Rome, aux prises avec un univers qu'elle ne côtoyait que depuis l'autre côté d'une oreillette. Le décalage marche d'autant mieux que Melissa McCarthy colle parfaitement au personnage, devenant peu à peu irascible et plus vulgaire qu'un charretier. Bien évidemment, on pourra pointer du doigt le fait que, comme toujours, Melissa McCarthy fait du Melissa McCarthy. Mais bon, elle le fait bien.  

    L'autre astuce de déconstruction, ce sont les divers agents secrets que rencontre Susan au cours de ses aventures. Rick Ford d'abord, interprété par un Jason Statham qui n'a décidément pas peur de l'auto-dérision. Caricature poussée à l'extrême de l'agent invincible mais également macho et prétentieux, Ford est un délice d'exagération, d'autant plus savoureux que Statham a passé sa vie dans les films d'action outranciers. Ensuite, il y a Aldo, l'agent italien (ou pas ?) qui lui aussi incarne une caricature de l'agent mais en version purement méditerranéenne type obsédé ou gros pervers. Encore une fois, c'est tellement exagéré que la sauce prend, il restera d'ailleurs le personnage le plus drôle du film. Paul Feig cependant ne veut pas se contenter d'un film comique lambda. On peut lui reprocher un humour souvent trop gras/lourd, notamment son entêtement scatophile mal placé (là où il était génialement bien trouvé dans Bridesmaids), ainsi que certains running-gags vraiment chiants (les souris au bureau, drôle une fois mais pas dix) ou encore son histoire balisée avec un twist de fin tellement évident qu'il n'en est plus un. Ce que l'on ne peut par contre pas lui reprocher, c'est que Feig tente une nouvelle fois un film féministe. 

    Au-delà de ses gags en pagaille et de ses caricatures sur pattes, Spy véhicule un message délectable. Susan Cooper est une assistance parce que d'une part on l'a convaincue qu'elle n'était pas à la hauteur par rapport à un homme (le grand Bradley Fine !), et d'autre part parce qu'elle s'est volontairement mise en retrait pour rester proche de celui qu'elle aime bêtement. Feig dénonce autant un système purement machiste qu'est celui du cinéma hollywoodien d'action/espionnage, où seul l'homme viril peut sauver le monde, mais aussi cette propension des femmes à se rabaisser pour telle ou telle raison stupide, brisant de facto leur carrière et leur ambition. En contre-pied de cette résignation, on trouve le personnage d'Elaine Crooker, à la tête de la CIA, et la grande méchante Raina Boyanov, incarnée par une Rose Byrne délicieuse. Deux femmes fortes qui utilisent les hommes et pas l'inverse. L'affirmation progressive mais spectaculaire de Susan sera la preuve ultime de l'absurdité de cette domination masculine (d'autant plus absurde quand les représentants de la susnommée gente masculine se comportent en parfaits imbéciles misogynes). Le refus final de Susan de dîner avec un autre agent, préférant une soirée entre filles avec Nancy, acquiert une résonance toute particulière. En tant qu'exercice de style féministe, Spy s'avère une réussite quasi-totale.

    Malgré un certain nombre de défauts et une histoire prévisible au possible, Spy se révèle drôle, bourré de personnages désopilants et attachants mais surtout, joyeusement féministe.
    On espère juste beaucoup mieux pour Ghostbusters 3 de la part de Paul Feig.

    Note : 6.5/10

    Meilleure scène : Statham dans l'hôtel français qui raconte ses exploits à Susan



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  • [Critique TV] A Young Doctor's Notebook, Saison 1

    Décidément, la télévision française ferait bien de s'inspirer de nos voisins britanniques. Pendant que M6 accueille un énième couple dans l'affligeant Scènes de Ménages, la chaîne Sky Arts nous a mijoté l'adaptation de l'autobiographie d'un médecin russe du début du XXème siècle : Mikhail Bulgakov. Dans un format type mini-série en 4 épisodes de 22 minutes, A Young Doctor's Notebook bénéficie d'un casting de luxe. Pour interpréter le personnage principal, Vladimir Bormgard, pas un mais bien deux acteurs. D'un côté Vladimir jeune incarné par Daniel "Harry Potter" Radcliffe, de l'autre côté un Vladimir seize ans plus vieux joué par le géniallissime John Hamm (Mad Men, Black Mirror). En effet, la série va employer un postulat fantasque - pour ne pas dire fantastique - afin de raconter les mémoires de ce jeune docteur fraîchement diplômé de l'université médicale de Moscou et parachuté dans un hôpital de village perdu dans la neige à Muryevo. Remarqué par la critique, le show s'est rapidement exporté aux USA sur Ovation et bénéficie même d'une seconde saison sur le même modèle. Une énième série médicale ?

    En fait, pas du tout. A Young Doctor's Notebook se veut plutôt le témoignage d'une époque et de la vie d'un homme, le docteur Bormgard, qu'une série d'investigation type Dr House ou de cas médicaux sur fond de love-story à la Grey's Anatomy. Avant tout, la série adopte un ton très particulier que l'on n'imaginait pas retrouver ailleurs que dans une production anglaise. Très portés sur un certain humour souvent très noir, les quatre épisodes de cette première saison installent rapidement le contexte. Nous sommes en 1917, la Russie va basculer dans la révolution bolchévique et souffre affreusement de la guerre. Le jeune et brillant Vladimir Bormgard est envoyé au milieu de nul part dans un hôpital où il est l'unique médecin, épaulé par quelques infirmières et un assistant, Demyan Lukich. Comme vous l'imaginez, le changement s'avère rude... très rude même. Le jeune médecin doit notamment affronter le regard aigri des infirmières qui vouent un culte à Léopold Léopoldovicth, l'ancien médecin-chef. 

    Comme nous l'avons dit, le ton de la série se révèle très caustique. A Young Doctor's Notebook peut se concevoir comme une comédie noire virant ponctuellement au tragique. Le spectateur découvre un monde vraiment particulier, celui de la campagne russe, et surtout ses habitants (des paysans en majeure partie) à l'intelligence très limitée. Le décalage entre la personne cultivée qu'est Vladimir et ses patients se ressent immédiatement. Le gouffre s'avère tellement énorme que la chose en devient comique. Pourtant, le rire devient rapidement amer devant le sentiment d'impuissance du médecin face à la bêtise. Le récit nous emmène dans le véritable enfer psychologique vécu par Vladimir... et pas seulement du fait de l’imbécillité de ses patients. Il doit également gérer seul toute une région. Il se retrouve isolé au milieu de nulle part, sans quasi-aucune expérience pratique. Dès lors, la confrontation avec le réel fait mal. Les livres de médecine ne faisant pas tout, loin de là.

    Les innombrables maladresses du jeune médecin amènent une bonne dose d'humour dans la série. Un humour noir que ne reniera pas le monde médical d'ailleurs. On citera par exemple l'hilarante scène d'arrachage de dents ou l'interminable scène d'amputation. Ne reculant devant aucun détail (Ayez le cœur et l'estomac bien accrochés), A Young Doctor's Notebook surpasse la dimension horrible de ces deux séquences pour montrer à la fois toute l'ironie de la situation et les conséquences terribles pour ces patients. "Pourquoi ne veut-elle pas mourir ?", s'exclame le jeune Vladimir épuisé alors qu'il tente désespérément d'amputer la jambe d'une fillette... à la scie... A Young Doctor's Notebook ose l'humour noir, et surtout, il ose aller jusqu'au bout de sa démarche. Devant les difficultés, le jeune docteur perd pied, devient amer et cynique. Et pire encore. Le genre de sentiment d'impuissance que chaque médecin connaît un jour ou l'autre, multiplié par mille.

    Revenons également sur l'autre grosse trouvaille du show. Sans expliquer pourquoi, la série fait dialoguer les deux versions de Vladimir, à savoir le jeune et le plus expérimenté qui se remémore justement ses souvenirs après avoir retrouvé son vieux journal. Questionné par les militaires russes, pour des raisons évidentes puisqu'il est morphinomane, il redécouvre son passé en même temps que le spectateur. Mais, chose inattendue, le jeune Vladimir arrive à voir le vieux Vladimir et à discuter avec lui. Hallucinations ? Voyage temporel ? Peut-être un peu des deux. Cette pirouette fantastique donne de fabuleuses confrontations entre deux immenses acteurs. A Young Doctor's Notebook n'est pas qu'une série au scénario intelligent et au ton unique, c'est également la rencontre au sommet de deux excellents comédiens. On aurait d'ailleurs pu croire que le jeune Radcliffe se ferait totalement eclipsé par John Hamm, mais il n'en est rien. Malgré la prestation parfaite de celui-ci, c'est Radcliffe qui emporte l'adhésion, composant à merveille ce rôle de jeune médecin désespéré et au bord du gouffre. Une prestation du tonnerre, tout simplement. Bien sûr, on émettra quelques réserves sur l'emploi d'un casting purement britannique pour jouer des russes. La chose n'est peut-être pas crédible, mais elle permet de jouir de deux excellents interprètes, sans compter les seconds rôles. 

    Reste le sujet central du récit, l'addiction à la morphine de Vladimir, qui prend de l'ampleur au fur et à mesure des épisodes. Bien amenée, et même si elle a tendance à atténuer le versant purement médical de la série, elle permet de donner une ampleur dramatique bienvenue à la saison. Elle donne aussi l'occasion au personnage de Radcliffe de s'étoffer, d'acquérir une certaine profondeur et de le confronter à un adversaire plus formidable encore que son exercice quotidien. Même s'il reste pas mal de zones d'ombres à la fin de cette première saison, inutile de dire que c'est pour mieux les exploiter dans la suivante, que l'on espère, franchement, aussi réussie que celle-ci. 

    Délicieuse mini-série aussi drôle que noire, A Young Doctor's Notebook bénéficie d'une réalisation soignée, de deux acteurs formidables et d'un récit prenant qui n'hésite pas à s'affranchir des contraintes réalistes pour enrichir son propos. A consommer sans modération !

     

    Note : 8/10

    Meilleur épisode : Episode 2

     

     

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