•  Troisième long-métrage de l’américain Jeremy Saulnier après Murder Party et Blue Ruin, Green Room a de nouveau offert un ticket d’entrée sur la Croisette à l’américain durant la Quinzaine des réalisateurs 2015. Si son dernier film parlait de vengeance, il montrait surtout une certaine conception de la violence, assez crue et finalement bien plus proche du réel que nombre de productions actuelles. Green Room ne déroge pas à cette règle et va plus loin encore. Le métrage, qui s’apparente à première vue à de la série B, a plus d’un tour dans son sac.

    Amérique, de nos jours.
    Un groupe de chanteurs punks anarchistes et fauchés, The Ain’t Rights, trouve une belle occasion pour se faire quelques billets verts en jouant dans une petite salle dans un coin perdu de l’Oregon. Petit problème à leur arrivée : le bar en question est tenu par un groupe de skinheads inquiétants. Décidant tout de même d’assurer le show entre jets de canettes et autres projectiles contondants, le groupe se retrouve par hasard devant un cadavre en plein milieu de leur Green Room (la chambre d’avant-concert) et bien vite, la situation dégénère…

    Avec sa mise en scène noire, le style de Jeremy Saulnier se reconnaît relativement facilement. L’introduction rapide mais précise de son groupe de personnages ainsi que de l’enjeu principal mène très vite à un petit jeu de massacre en huit-clos dans un endroit rêvé pour ce genre de choses : un bar glauque géré par des néo-nazis. En utilisant au mieux son décor qui devient aussi anxiogène que labyrinthique au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue, Saulnier ne commet pas l’erreur de Tarantino dans les Huit Salopards. Il donne quelques aperçus de l’extérieur de la Green Room pour suivre le groupe de nazis qui va tenter de déloger nos amis punks de leur loge de concert.

    L’intervention du personnage de Darcy, salaud en chef froid, calculateur et terrifiant, interprété de surcroit par un Patrick Stewart simplement parfait, donne au métrage une autre dimension. Exit la simple tuerie sauvage entre punks et skinheads, bienvenue au plan machiavélique dont aucun ne ressortira indemne. La violence, forcément, fait rapidement son apparition. Autant le dire tout de suite, Saulnier ne recule devant rien, entre le déchiquetage de trachée par des molosses surexcités ou des coups de fusil à pompe en pleine tête, Green Room n’est pas là pour faire dans le discret. Sauf qu’à l’instar de son Blue Ruin, on trouve à nouveau cette façon si particulière de filmer la violence et la mort. Contrairement à un film d’action ou un thriller lambda, les scènes chocs lorgnent davantage vers le film d’horreur. La violence n’est jamais attirante dans Green Room, elle met mal à l’aise, embarrasse presque.

    Elle s’avère d’autant plus percutante aux yeux du spectateur qu’elle s’applique à des individus lambda, les punks pris au piège n’étant que de pauvres loosers comme les autres qui réagissent avec un naturel salutaire pour la tenue du récit…c’est à dire qu’il passe une bonne partie du temps à mourir de trouille. La banalité de cette petite troupe donne une certaine empathie envers leur situation désespérée, notamment pour le personnage de Pat sous les traits d’un Anton Yelchin franchement convaincant. Outre son vernis de Série B claustrophique mis en scène de façon impeccable et souvent glauque, Green Room terrifie par sa façon de traiter les méchants de l’histoire. Les néo-nazis qui assiègent le bar ne sont pas totalement dépeints comme des monstres, Saulnier établit des liens d’amitié entre eux, de respect, appuie sur la tendresse d’un dresseur de chien de combat pourtant près à buter n’importe qui pour son boss, bref il les humanise par petites touches. Le cadre, les non-dits ou les quelques mentions signifiantes qui parsèment le film ont tendance à terrifier encore davantage. Green Room montre un univers où la violence s’est banalisée, où voir un groupe de skinheads organisé n’a rien d’extraordinaire. La banalisation du mal en somme. Heureusement pour le public, Saulnier ne manque pas d’un certain humour noir grinçant et discret qui permet de souffler entre deux mises à mort affreuses. Du coup, le long-métrage ne s’écroule jamais sur lui-même et parvient à nous scotcher jusqu’à sa scène finale abrupte mais surtout très drôle.

    Green Room s’extirpe de sa condition de simple série B pour devenir un thriller horrifique et claustrophobique tantôt glaçant tantôt grinçant. Emmené par un Patrick Stewart employé à contre-emploi, le dernier film de Jeremy Saulnier prouve qu’il peut véritablement compter dans le milieu du cinéma pour les années à venir.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : La négociation avec Darcy

     

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  • [Critique] High-Rise

     Ceux qui ont déjà eu l’occasion de voir l’un des films de l’anglais Ben Wheatley savent à quel point le réalisateur dispose d’une voix singulière dans le milieu. Si Kill List et Touristes sont très loin d’avoir fait l’unanimité, ils ont prouvé que le britannique avait un certain talent pour installer des ambiances étranges, tantôt glauque tantôt grinçante. C’est pourquoi il a hérité d’une adaptation (très) attendue, à savoir celle du roman I.G.H de James Ballard écrit en 1975 et faisant partie de la fameuse trilogie du béton. Considéré par beaucoup de lecteurs comme un ouvrage culte, I.G.H parle du monde moderne d’une façon tout à fait glaçante et décrit, près de 40 ans à l’avance, un grand nombre de travers de la société actuelle. Retrouvant son titre original, High Rise, pour son passage sur grand écran, le film plonge avec une jubilation non dissimulée dans un univers qui déraille. L’occasion pour Wheatley d’entrer dans la cours des grands.

    C’est l’excellent Tom « Loki » Hiddleston qui nous guide dans High Rise. Sous les traits du Dr Laing, il accompagne le spectateur dans un immeuble ultra-moderne, la High Rise Tower, où les hommes se superposent comme autant de strates économiques. Pendant deux heures, nous allons suivre la lente déliquescence d’un monde de prime abord parfaitement ordonné et cloisonné qui va se terminer dans la pire des anarchies. On y croise une galerie de personnages étranges et inquiétants, incarnés par une pléiade d’acteurs franchement bluffants, à commencer par un Luke Ewans possédé et Jeremy Irons délicieux, formant tous ensemble un reflet déformé et malade d’une société utopique moderne qui n’a, en réalité, jamais réellement existé ailleurs que dans la tête de certains capitalistes imbéciles.

    High Rise ne déroge pas véritablement à l’étrangeté coutumière des films de Wheatley, les amateurs seront en terrain connu. Mais il ne s’agit pas non plus d’une resucée aussi radicale que pouvait l’être le glauquissime Kill List. Cette fois, l’anglais s’inspire d’une sorte de rétro-futurisme à la Brazil tout en faisant peu à peu s’écrouler la société en microcosme que représente l’immeuble de béton. Pendant la première heure, la chose marche très bien et l’on suit avec une jouissive curiosité les péripéties du Dr Laing, sa découverte d’un système inégal et détestable (le nôtre), les tourments qui peuvent l’assaillir ou encore les relations précaires qu’il tisse avec les autres locataires. En gros, l’immeuble de High Rise, c’est un peu le Transperceneige qu’on aurait empilé. Une métaphore puissante et sans concession aucune de l’odieuse réalité capitaliste qui met les petits tout en bas de l'échelle en les privant d'électricité, et les grands dans un jardin improbable où chevaux et dîners mondains font bon ménage.

    La mise en scène inspirée de Wheatley fascine d’autant plus qu’il retranscrit avec un talent jubilatoire les caricatures modernes. Seulement, loin d’être parfait, High Rise souffre d’un problème de rythme qui l’handicape grandement dans sa deuxième partie. Une fois la révolution en marche et l’auto-destruction de cette société absurde, le film fait du surplace et semble s’articuler entre les raids vengeurs des deux camps en présence. C’est d’autant plus dommage que l’on perd également dans la bataille le fascinant personnage d’Hiddleston au profit de quelques seconds rôles certainement très convaincants mais qui empêchent de se concentrer sur le changement moral radical que subit le Dr Laing. High Rise jubile toujours de la guerre des classes qu’il fait naître mais il ne se renouvelle pas et ne fait que trop peu avancer l’histoire.

    Dans cette science-fiction décapante et aiguisée comme une lame de rasoir, Ben Wheatley distille pourtant une ambiance psychédélique et dérangeante où l’enchaînement des choses devient si incroyable qu’on pense être en plein cauchemar. Il reste d’ailleurs extrêmement dommageable qu’au lieu de s’attarder sur les raids et contre-raids des uns et des autres, l’anglais n’ait pas prolongé le plaisir de sa séquence d’introduction dans un immeuble devenu aussi sauvage que l’univers d’un Mad Max. Reste que la virulence de la charge ainsi que le propos anarchiste joyeusement insolent qui se dégage du film ne peut empêcher de conserver une grande admiration pour le travail du cinéaste qui continue mine de rien à évoluer depuis le bancal mais fascinant Kill List. 

    Peut-être pas l’adaptation espérée de longue date, High Rise s’impose comme un objet filmique intriguant. Une peinture au vitriol d’une société moderne qui ne peut que finir par s’écrouler et où l’homme redeviendra un sauvage comme un autre…
    Bancal donc mais sacrément salutaire et fascinant.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Le supermarché en pleine débandade

     

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  • [Critique] Jodorowsky's Dune

     C'est l'histoire d'un film mythique. Un film plein de vaisseaux spatiaux, d'acteurs d'exceptions, de palais improbables, de vers géants et d'épice. Quelque chose de fou, de délirant, d'incroyable et qui a changé l'histoire du cinéma de façon radicale et définitive. Ce film c'est Dune d'Alejandro Jodorowsky, un réalisateur chilien cultissime à qui l'on doit déjà par exemple El Topo ou La Montagne Sacrée, deux métrages incroyablement barrés parmi la somme de son oeuvre délirante. Super-production pour l'époque, le Dune de Jodorowsky est l'adaptation du roman éponyme de Frank Herbert. Un monument de la science-fiction pour tout dire. Regroupant un casting hallucinant et une pléiade d'artistes tous plus géniaux les uns que les autres, Dune ne pouvait qu'être un film incroyable faisant date dans l'histoire du cinéma.
    Sauf que voilà, ce Dune-là n'a jamais existé en vrai. Le projet, malgré son état d'avancement, a été refusé par les studios Hollywoodiens pour finir entre les mains d'un David Lynch qui livrera le triste objet filmique que l'on connait aujourd'hui. Reste que le film d'Alejandro Jodorowsky a su construire un mythe autour de lui et influencer tout un pan de la science-fiction au cinéma. Frank Pavich se propose de nous faire découvrir comment un film qui n'a jamais existé s'est imposé avec les années comme une date dans l'histoire du cinéma.

    Déjà,  réglons la question que se pose tout le monde à propos de ce Jodorowsky's Dune : est-il visible si on ne connaît pas Dune ? Franchement, oui. Sachez au passage qu'il semble, d'après le documentaire, qu'aucune des personnes qui devaient participer au film n'avait lu le roman. On peut donc très bien regarder le documentaire de Frank Pavich sans rien connaître à l'oeuvre de Frank Herbert. Avoir lu Dune et vu le film de Lynch peut apporter un plus à la vision (et quelques ricanements complices en prime avec Jodorowsky), mais il ne s'agit pas du tout d'un impératif. De toute façon, Frank Pavich sait très bien décrire au spectateur de ce dont parle Dune (de façon succincte certes) et livre en réalité un documentaire sur tout autre chose : la passion. Jodorowsky's Dune est un métrage sur des passionnés. Sur des gens qui aiment le cinéma comme on aime une oeuvre d'art ou une discipline martiale. Il faut voir Alejandro Jodorowski nous parler à l'écran de son film mort-né pour le comprendre. 

    Principal atout du documentaire (qui tourne d'ailleurs parfois au Jodorowsky-show), le réalisateur chilien dégage une telle passion, une telle folie et une telle créativité que l'on est instantanément happé par le charme de ce personnage incroyable. Outre son aura de gourou (et il se plaira à s'imaginer comme tel), le cinéaste fait également une chose inattendue : il est heureux. Dune était son rêve, le film de toute une vie, un projet pour quoi il a tout sacrifié, et l'homme a le sourire aux lèvres quand il en parle. Parce que, justement, le documentaire raconte comment Dune a marqué au fer rouge le cinéma sans même que vous le sachiez et a fait peut-être plus pour la science-fiction qu'une somme hallucinante de films par la suite. Frank Pavich n'envisage jamais le Dune de Jodorowsky comme un échec, au contraire. En cela, il s'aligne sur le sentiment du Chilien et finit par donner au documentaire une euphorie contagieuse dans sa façon d'aborder son sujet.

    Mieux encore, jamais Pavich ne se borne à livrer un simple documentaire. Il tente constamment de jouer avec l'image, de parfois reconstruire des bouts du film fantôme avec quelques storyboards, d'intégrer des effets délirants à son enquête... bref, Pavich donne une âme à son métrage, chose assez rare dans le domaine. On en vient alors au cœur du sujet : l'histoire de la création de Dune. Ce qui fait le charme irrésistible de ce documentaire, c'est ça. Toute l'équipe que l'on retrouve derrière Alejandro Jodorowsky, à savoir H.R Giger, Dan O'Bannon, Mike Jagger, Michel Seydoux, Gary Kurtz, Chris Foss ou encore Dali (!!!!) sont aussi fous à lier que le chilien. Le projet apparaît tellement dingue, tellement monumental pour l'époque et tellement en avance sur son temps qu'y avoir ne serait-ce que penser tient du délire. Il faut entendre parler Jodorowsky de sa façon de recruter Orson Welles, Dali ou encore Amanda Lear pour son casting. La chose est à la fois totalement surréaliste et incroyablement séduisante. 

    La puissance de Jodorowky's Dune, c'est d'emmener le spectateur à l'intérieur du cinéma en tant qu'art et pas en tant que produit. C'est de ne pas parler pendant des heures de technique ou de paramètres assommants mais de laisser la parole à de doux-rêveurs qui feront par la suite le cinéma de demain. Ainsi, Dune, le film qui n'a jamais été, a permis Alien, a permis Blade Runner et Total Recall, même Star Wars...et tant d'autres encore. Frank Pavich prouve que la passion peut tout renverser, que les échecs peuvent parfois s'avérer plus fondateurs que les réussites. Si le Dune de Jodorowksy n'a pas existé, il n'a pas disparu pour autant, L'Incal et les Méta-Barons ont récupéré son ADN dérangé. C'est finalement le message de ce documentaire passionnant (et très drôle dans le fond) : Soyez audacieux et ne vous laissez jamais désarmer par vos échecs...il en sortira toujours quelque chose !

     Sur tous les plans, Jodorowsky's Dune frôle le chef d'oeuvre. Réalisé avec un soin minutieux qui force le respect, laissant la parole à des passionnés du cinéma comme on aimerait en voir plus souvent à l'heure actuelle et parlant tout simplement de la folie créatrice qui devrait nous animer tous, le documentaire de Frank Pavich laisse le spectateur avec un grand sourire sur le visage et une foule de visions incroyables à digérer.
    Précipitez-vous, Dune existe !

    Note : 9.5/10

    Meilleure scène : Alejandro Jodorowsky parlant de sa vision au cinéma de la version de Lynch

     

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  • [Critique] 10 Cloverfield Lane

     A l'heure actuelle, tenir un projet de film secret tient de la gageure. C'est pourtant ce qui est arrivé avec 10 Cloverfield Lane dévoilé seulement 1 mois avant sa sortie en salles. Huit ans après Cloverfield, le film de monstre en plein cœur de New-York qui avait révélé Matt Reeves (depuis parti explorer la Planète des Singes), le même Matt Reeves s'associe au célèbre J.J Abrams pour financer le premier long-métrage d'un illustre inconnu : Dan Trachtenberg. A l'exception d'un sympathique court-métrage sur le jeu Portal, cet américain de 34 ans issu du monde de la pub n'avait juste là guère eu l'occasion de briller. 10 Cloverfield Lane lui donne aujourd'hui cette chance.

    Prenez trois personnages, un abri en sous-sol et saupoudrez le tout d'une atmosphère paranoïaque et vous obtenez 10 Cloverfield Lane. Petit film au budget assez modeste, le long-métrage de Dan Trachtenberg constitue pourtant une petite surprise en soi. Il a d'abord la bonne idée de proposer quelque chose de radicalement différent de son supposé prédécesseur. Les liens avec Cloverfield s'avèrent en effet ténus, voir inexistants pendant la quasi-totalité du film. Ceux qui n'ont donc pas vu le film de Matt Reeves peuvent tenter l'expérience les yeux fermés. Il semble en effet que l'étiquette Cloverfield ait une intention publicitaire en tentant de raccrocher les wagons à une oeuvre connue du grand public. Une astuce qui permet à Trachtenberg de livrer son propre film sans se soucier pour une bonne part des contraintes inhérentes à une suite.

    Mais revenons à nos moutons. Dans 10 Cloverfield Lane, la belle Michelle se retrouve enfermée dans un abri souterrain après un accident de la route. Son sauveur-geôlier, Howard, affirme que le monde extérieur n'existe plus. Quelque chose est arrivé et il l'a recueilli, elle et un autre homme du nom d'Emmett, dans l'abri qu'il prépare soigneusement depuis des années maintenant. Intrigue minimaliste mais pleine d'opportunités, l'histoire de 10 Cloverfield va reposer sur les épaules d'un casting restreint. C'est là la première bonne surprise du film qui porte son dévolu sur l'excellente Mary Elizabeth Winstead et, surtout, sur un acteur formidable et inquiétant comme pas possible : John Goodman. S'il faut désigner un vainqueur parmi ce trio de comédiens, c'est certainement lui qui remporte la palme. Comme à l'accoutumée, il impressionne de bout en bout dans un rôle ambiguë et souvent terrifiant. Trachtenberg s'affirme déjà comme un excellent directeur d'acteurs. Seulement 10 Cloverfield Lane doit aussi trouver d'autres atouts.

    Parmi eux, le cadre du récit. Grâce à l'unicité de lieu de 10 Cloverfield Lane, le spectateur suit avec un sentiment claustrophobe de plus en plus intense les rebondissements de l'histoire. A la fois pour économiser sur un budget que l'on devine limité mais également pour donner une saveur particulière à son récit, Trachtenberg épouse le huit-clos entièrement, utilisant les possibilités offertes par le genre au mieux des possibilités. Le résultat s'avère réussi notamment grâce à cette constante question sur la réalité d'une apocalypse. Pour un peu, on pourrait voir dans ce 10 Cloverfield Lane un rejeton Hollywoodien de Take Shelter de Jeff Nichols avec John Goodman à la place de Michael Shannon. Mais la comparaison s'arrête là puisque la tension du film repose surtout sur la nature de ce qui se trouve au dehors. Trachtenberg prend un malin plaisir à nous faire douter et mène brillamment sa barque avec peu de choses au final. Tout tient dans le métrage grâce au doute insidieux entretenu par quelques séquences chocs (la femme à la porte de l'abri, le Help Me sur le hublot...). Une petite réussite qui finit par perdre en intensité avec la révélation finale.

    On n'en dira bien sûr pas plus sur la nature de ce qui attend Michelle en dehors de l'abri mais c'est ici que l'on peut retrouver une mince justification dans la filiation avec Cloverfield. Sauf que cette façon finalement bien artificielle de lier les deux peine un tantinet à convaincre. Pas que la fin soit mauvaise en soi mais plutôt qu'elle semble forcée. On se demande en réalité comment Dan Trachtenberg aurait terminé son film en ayant les mains totalement libres. En l'état, 10 Cloverfield Lane est une amusante expérience dans le sens où Abrams et Reeves sponsorisent un petit nouveau franchement plein de promesses en lui cédant la place sur un univers qu'ils ont eu même construit jadis. Si l'on aurait préféré qu'ils financent un projet totalement nouveau, le résultat obtenu n'a vraiment rien de honteux et ouvre même certaines perspectives pour la suite de la carrière du réalisateur. Cette fausse-suite a en effet des allures de véritable chance pour Dan Trachtenberg.

    Huit-Clos anxiogène et génialement hanté par l'imposante carrure d'un John Goodman impressionnant, 10 Cloverfield Lane surprend de façon agréable le public. Ce n'est certainement pas le thriller du siècle mais une série B efficace, bien réalisée et qui tient en haleine sur plus d'une heure quarante. Par les temps qui courent et la tendance agaçante à la surenchère pyrotechnique, voici un intermède bienvenu.
    Avis aux amateurs.

     

    Note : 7.5/10

    Meilleure scène : La rébellion de Michelle à table

     

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  • [Critique] Anomalisa
    Grand prix du jury Mostra de Venise 2015
    Nommé meilleur film d'animation Golden Globes 2016
    Nommé meilleur film d'animation Oscars 2016
    Nommé meilleur film d'animation Annie Awards 2016

     Sensation de la dernière Mostra de Venise où le film a remporté rien de moins que le prestigieux grand prix du jury, Anomalisa est également un film d'animation unique en son genre. Réalisé par deux scénaristes, Duke Johnson et Charlie Kaufman (oscarisé à deux reprises pour son travail sur Dans la peau de John Malkovich et Eternal Sunshine of the Spotless Mind), le long-métrage a depuis été nommé dans les plus prestigieuses cérémonies et notamment aux Oscars de cette année dans la catégorie animation. Encensé par la critique, ce curieux objet filmique à la technique aussi intrigante que son scénario a de quoi susciter l’intérêt. 

    Qu'est-ce qui fait d'Anomalisa un film aussi étrange ? Le choix radical opéré par les deux réalisateurs, à savoir une histoire racontée en stop-motion avec des figurines mixée avec de l'animation 3D. Le résultat s'avère pour le moins saisissant. Le spectateur se retrouve face à un univers qui semble aussi irréel et inquiétant qu'humain et familier. Le décalage constant entre ces deux sentiments a quelque chose de perturbant mais intrigue dès les premières secondes. Pour parfaire le tout, Kaufman et Johnson choisissent de nous emmener dans une histoire en total accord avec le paradoxe visuel de leur métrage. Michael Stone est devenu un écrivain célèbre grâce à son livre Comment puis-je vous aider à les aider ? qui aide les services clients à devenir toujours plus performant. Invité pour un congrès dans un hôtel de Cincinnatti, il fait la connaissance de Lisa, une femme banale à première vue mais qui va profondément bouleverser la monotonie de Michael. Dit ainsi, Anomalisa ne semble avoir que son apparence visuelle pour se démarquer. Sauf que les tenants et aboutissants du film ainsi que les myriades de détails ajoutés par les deux réalisateurs transcendent totalement la portée de cette histoire d'amour à priori banale.

    Le monde d'Anomalisa est terne. Enfin non...le monde de Michael Stone est terne. Rongé par la mélancolie, le personnage principal de cette aventure voit tout en gris. Tous les bâtiments se ressemblent, les gens qui l'entourent sont d'une affreuse banalité et pire que tout, ils ont tendance à se ressembler. Pour pousser au plus loin ce sentiment de lassitude, les réalisateurs emploient plusieurs éléments géniaux. Le premier, c'est évidement l'apparence semi-mécanique du long-métrage qui donne souvent des allures de robots aux êtres de l'histoire. Le second, plus subtil, c'est l'emploi d'un même acteur pour doubler tous les personnages que rencontre Michael durant son périple. Le dernier, c'est cette constante ambiance de mélancolie qui berce le film et enserre profondément le cœur du spectateur. Dans sa première partie, Anomalisa a tendance à devenir un doux cauchemar moderne, ce banal cauchemar de l'homme d'aujourd'hui englué dans la monotonie de son existence. Michael apparaît comme un être triste, constamment insatisfait et nostalgique d'une époque qu'il a laissé filer entre ses doigts.

    Puis arrive Lisa. Ici, les procédés employés par Johnson et Kaufman prennent tout leur sens. Lisa se démarque immédiatement des autres personnages, puisqu'elle est la seule à posséder une voix différente. Aux oreilles du spectateur comme à celles de Michael. Leur subite histoire d'amour remet des couleurs dans le long-métrage et permet aux deux réalisateurs de raconter une passion dévorante et inattendue qui tranche avec la grisaille de l'existence d'un Michael Stone dont le monde a de plus en plus tendance à ressemble au Brazil de Terry Gilliam, bouffé par son travail et l'aspect bureaucratique du mystérieux hôtel où il réside. Il faut alors mentionner cette extraordinaire scène d'amour entre Michael et Lisa, certainement la chose la plus osée et la plus belle que l'on ait vue sur grand écran depuis des lustres. Anomalisa en devient un film encore plus humain que sa première partie ne l'avait laissé supposer. L'exploit est d'autant plus grand que l'on rappelle que l'on a à faire à des marionnettes, des êtres totalement fictifs. Mais si l'amour ne connaissait pas de barrière ?

    Pourtant, Anomalisa nous réserve encore d'autres surprises et les réalisateurs poussent jusqu'au bout cette réflexion autour de la misère humaine et plus particulièrement son aspect sentimental. Profondément dépressif dans le fond comme dans la forme, le long-métrage touche à une humanité insoupçonnée lorsqu’il finit par détruire la beauté qu'il a lui-même créée de toute pièce. Tout se dissout, les masques tombent littéralement et l'infinie lassitude de Michael face à sa vie monotone finit par tout submerger lors de quelques scènes absurdes mais terriblement efficaces. Reste un brin d'espoir, une lettre de Lisa, cette anomalie qui aura traversé la vie de Michael l'espace d'un instant. Le film de Kaufman et Johnson a quelque chose d'infiniment triste et de terriblement beau à la fois. Constamment tiraillé entre ces deux aspects contradictoires, Anomalisa laisse une marque profonde dans le cœur du spectateur. Au fond, nous sommes tous des Michael Stone piégés dans une existence monotone que l'on est incapable d'apprécier à sa juste valeur. C'est surement ça le plus grand exploit de ce long-métrage unique : celui de trouver l'humanité de l'être dans l'endroit le plus gris et le plus mécanique qui soit.

    Outre l'exploit technique que représente l'animation du métrage, Anomalisa s'avère un film brillant où Brazil rencontre Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Pour leur premier film ensemble, Charlie Kaufman et Duke Johnson nous offrent un OFNI d'une sensibilité et d'une sombre poésie époustouflante, possédé par une humanité totalement inattendue. 
    Laissez-vous tenter par l'expérience !

    Note : 9/10

    Meilleure scène : Michael Stone faisant l'amour avec Lisa

     

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  • [Critique] Fatima
    César du meilleur film 2016
    César du meilleur espoir féminin 2016 pour Zita Hanrot
    César de la meilleur adaptation 2016
    Prix Louis Delluc 2015

    S'il y a bien eu un événement dans la morne cérémonie des césars de cette année 2016, c'est bien la vague d'amour pour le film de Philippe Faucon. Sobrement intitulé Fatima, ce drame intimiste adapté de Prière à la lune de Fatima Elayoubi nous parle d'une femme attachante en la personne de Fatima, une mère courage qui se débat avec sa condition sociale difficile pour tenter de donner le meilleur avenir possible à ses deux filles. La première, Souad, a 15 ans et vit la période de révolte que traverse la grande majorité des adolescents alors que sa sœur de 18 ans, Nesrine, entre en première année de médecine. Sauf que pour payer ces études extrêmement coûteuses et exigeantes, Fatima va devoir accumuler les petits boulots et notamment les ménages ici et là, au grand dam de Souad que même son père a du mal à calmer. Ce petit film au pitch minimaliste a non seulement été nommé à la cérémonie des césars mais, en plus, a été couronné du titre de meilleur film 2016 à la surprise générale. Un peu passé inaperçu lors de sa sortie sur grand écran, il était normal de se pencher sur ce long-métrage d'un réalisateur français discret mais aguerri.

    De très courte durée (une heure vingt minutes à peine), Fatima retrace le combat d'une mère divorcée pour donner la meilleure vie possible à ses deux filles. Dans cette optique, Philippe Faucon dessine un portrait tendre, sincère et poignant, d'autant plus poignant que la plupart du temps le personnage de Fatima reste humble et proche de ses filles envers et contre tout. Soria Zeroual, dont c'est ici le premier rôle, arrive à endosser avec succès le poids moral d'une Fatima tiraillée entre ses valeurs morales et son envie de briser son carcan social à travers le destin de sa fille Nesrine. Même si elle ne brille pas comme les césars voudraient nous le faire croire par sa nomination dans la catégorie meilleure actrice, le talent de Zeroual est pour beaucoup dans l'empathie que ressent le spectateur pour cette histoire familiale difficile. Car avant tout, Fatima est l'histoire d'une cellule familiale et de la difficulté de gérer deux enfants lorsque l'on est seule, quand on a pas l'autorité paternelle pour soi et que l'on passe pour une femme médiocre aux yeux de ses propres enfants. C'est ici que les problème se profilent pour le long-métrage de Faucon.

    On apprécie grandement sa peinture familiale ainsi que la complicité qu'il tente d'établir entre la mère et les deux filles mais on comprend rapidement que le fait que Fatima soit d'origine algérienne va jouer un grand rôle et politiser le film. Du coup, le récit dévie vers quelque chose de plus audacieux et qui se loupe à moitié. Si l'on est agréablement surpris par la charge violente de Philippe Faucon à l'encontre d'un certain climat qui règne dans les cités et qui empêche les jeunes filles d'origine maghrébine de vivre leur vie comme elles l'entendent, on est bien plus circonspect devant les autres sujets sociaux qu'il aborde. De façon malheureuse, le réalisateur français se risque à la critique socio-politique et tombe dans la caricature à plusieurs reprises. Ainsi, Fatima va travailler pour une famille de blancs forcément très riches, forcément très cons et forcément détestables. De même, après un malheureux accident, Fatima souffre de son épaule alors que tous les examens médicaux sont normaux. Il faudra l'intervention d'une médecin pas comme les autres (en fait d'origine maghrébine) pour vraiment la comprendre, les autres devant être de pauvres imbéciles. Cette tendance à la caricature grossière laisse perplexe, d'autant que le film a bien d'autres qualités.

    Le parcours de Nesrine, par exemple, est brillamment mis en valeur et illustre à la fois l'envie de modernité de ces jeunes filles de banlieue mais aussi les sacrifices consentis par la famille pour lui ouvrir les portes du succès. La jeune Zita Hanrot assure d'ailleurs très bien son rôle et apparaît comme bien supérieure aux autres acteurs du films, notamment Kenza Noah Aïche, juste imbuvable et (sur)jouant atrocement son rôle d'ado en révolte. Il faut dire qu'elle n'est pas non plus aidée par un arc scénaristique largement délaissé au final et qui aurait pu être fortement intéressant s'il avait été développé avec plus de soin. Le problème du film de Philippe Faucon, c'est qu'il cherche à ratisser large mais qu'il manque de profondeur et de réflexion sur un temps aussi congru et avec un casting finalement bien fragile. Fatima est l'exemple même du petit film qui veut trop en faire et qui finit par ne pas mener à bien ce qu'il lance. Sa récompense aux Césars confirme une nouvelle fois que la cérémonie est devenue purement politique et ne s'intéresse plus guère aux qualités cinématographiques des long-métrages. Une pratique tout à fait détestable. 

    En faisant abstraction de sa récompense imméritée attribuée par un jury imbécile, Fatima s'affirme comme un film agréable et touchant qui sait finalement rendre honneur au courage d'une mère et qui sait tirer des relations mère-filles le meilleur. On regrette juste que Philippe Faucon parte dans tous les sens et perde un peu trop vite de vue le principal point fort de son métrage pour verser dans la caricature grossière.

    Note : 6.5/10

    Meilleure scène : Fatima qui cherche le nom de sa fille sur le tableau des résultats.

     

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  • [Critique] The Leftovers, Saison 2

    Recommencer de nouveau. Difficile de trouver une phrase d'accroche plus adéquate pour cette seconde saison de The Leftovers. Très bien accueillie aux USA mais restée un tantinet confidentiel en France, la série HBO de Damon Lindelof et Tom Perrotta avait su surprendre son monde en évitant à peu près tous les écueils de son sujet principal : la disparition inexpliquée de 2% de la population mondiale. Avec une nouvelle fournée de dix épisodes pour cette seconde saison, The Leftovers était attendue au tournant, d'autant plus qu'elle devait s'éloigner cette fois du roman de base. C'est donc l'heure de tous les dangers pour nos héros mais également pour le showrunner Damon Lindelof.
    Comment faire mieux ?

    En changeant tout ou presque. Une des choses qui mine les séries actuelles, c'est le manque quasi-total de prise de risques d'une saison à l'autre. The Leftovers choisit le contre-pied de cette facilité et plaque tout pour installer son action dans une petite ville semblant avoir été épargnée par la catastrophe : Jarden. Surnommée Miracle (en fait le nom de la forêt qui l'entoure), la bourgade est devenue une gigantesque attraction pour touristes où les curieux et les pèlerins font la queue. C'est dans ce lieu que prend place l'intrigue de la saison 2 et que nos héros vont finir par se retrouver. Cependant, même si l'on retrouve les principaux personnages de la saison précédente, The Leftovers tente d'abord un coup de bluff bienvenu : faire table rase du passé. Franchement, les premières minutes de l'épisode 1 sont totalement déstabilisantes, retournant rien de moins qu'à l'âge de pierre (!!). Mais immédiatement, on retrouve à la fois le goût du mystère de la saison une ainsi que la beauté qui habite la série depuis ses origines. Le reste de cet épisode est à l'avenant, présentant une sorte de clone déformé de Mapleton. Un écho inversé.

    A Miracle, la communauté est majoritairement noire, la principale famille présentée l'est également. Pas de secte à Miracle mais une Eglise renforcée et confortée dans son pouvoir, pas de disparu, pas de peine, les bonimenteurs sont sévèrement corrigés et les secrets...bien gardés. Lorsque Kevin et Nora débarquent en ville, c'est un peu comme si la première saison qu'on avait laissée dans les cendres de Mapleton surgissait de façon dérangeante pour troubler la quiétude de Jarden. Puis, un incident a lieu, de nouvelles disparitions. Et les choses en sont relancées. C'est à ce moment précis que The Leftovers prend une décision encore plus audacieuse mais pas forcément payante en fin de compte. Si la première saison refusait d'explorer le mystère, la seconde accepte de résoudre l'énigme de la disparition des trois adolescentes. De même, dans une tentative à la Lost, Damon Lindelof revient sur la folie de Kevin (qui ne s'est guère arrangée entre temps) et en fait l'autre pilier de cette saison. Un choix qui va en repousser bon nombre (les spectateurs allergiques aux délires de Lindelof peuvent quitter la salle) et en attirer d'autres (les fans de Lost peuvent revenir...). C'est pour ces choix justement que cette seconde saison de The Leftovers est à la fois plus faible et plus brillante que la première.

    Plus encore que pour la saison passée, The Leftovers fonctionne par des moments de fulgurances intenses entre deux situations plus contestables. En réalité, lorsque la série revient sur sa famille-star, à savoir celle recomposée de toutes pièces de Nora et Kévin, les choses deviennent rapidement captivantes et sublimes. En parlant de la difficulté de rebâtir, Lindelof a tout bon, que ce soit pour Kévin, Matt ou les Murphy. Il touche du doigt la sensibilité poignante de la précédente saison. Le problème, c'est que cette seconde saison met un temps fou à décoller, n'ayant pas cette fois le total mystère de la première. Si les deux premiers épisodes se complètent à merveille et se répondent en un sens, il faut attendre le quatrième épisode pour retrouver une intrigue qui fait du surplace. Disons-le clairement, pour élucider la disparition des filles, il faut attendre le dernier épisode (ou presque), du coup, dès que l'intrigue se met à ronronner autour de la question des disparues...on s’ennuie ferme.

    C'est d'autant plus dommage que les loners marchent toujours aussi bien. On pense notamment à l'épisode 3 "Off Ramp" qui revient avec bonheur sur le parcours de deux âmes brisées : Laurie et Tom. Damon Lindelof montre à nouveau qu'il a tout compris aux mécanismes des sectes et explore le besoin absolu d'un pouvoir supérieur chez l'être humain. En se penchant sur la nécessité de la foi, sur la faiblesse intrinsèque des individus, Lindelof approche quelque chose de très fort qu'il n'exploite malheureusement pas assez. Il faut attendre l'épisode 9, autre loner sur le personnage de Liv Tyler, pour reprendre cette idée. Entre deux, le scénariste a du mal à caser le personnage de Matt et finit par lui attribuer son loner dans l'épisode 5 "No Room at the Inn". Celui-ci souffle le chaud et le froid alternant entre l'absolue beauté du parcours de martyr de Matt et l'amour qu'il éprouve pour sa femme, et les multiples incohérences et facilités scénaristiques agaçantes qui en résultent. Il en va de même pour un grand nombre d'éléments de la saison de toute façon. On pense à la lenteur de l'épisode 4 qui finit pourtant sur une séquence magnifique bercée par la reprise de Lo-Fang du tube You're The One That I Want. Comme d'habitude, côté bande originale, The Lefovers assure méchamment (et peut remercier Maxence Cyrin).

    Pourtant en quittant la pure dimension du deuil, The Leftovers se diversifie. Il offre une plongée sans concession et très étrange sur la folie avec le personnage de Kévin, toujours aussi impérial et interprété à la perfection par un Justin Theroux bluffant. Cet axe qui fera débat parmi les fans même de la série apporte pourtant ce qui semble être la plus grosse prise de risque de la saison ainsi que la réussite la plus improbable dans le magistral épisode 8 "International Assassin". Piégé dans un hôtel-purgatoire, Kévin expie ses démons face à la remarquable Ann Dowd, toujours aussi impressionnante. Totalement tirée par les cheveux et absurde au possible, la fin de saison retrouve à la fois la dimension symbolique si chère à la série mais aussi son intense versant émotionnel. Car au milieu de cette saison 2, il y a la relation de Kévin avec Nora, celle-ci étant devenue au fil du temps le personnage le plus réussi et le plus poignant de l'univers de The Leftovers. Il faut saluer le jeu de Carrie Coon, remarquable de bout en bout à nouveau, et qui arrive encore un peu plus à magnifier l'arc scénaristique consacré à Nora. Dès que son personnage entre en jeu, elle sauve la scène à elle seule et donne quelques purs instants d'émotions. De même, parmi les petits nouveaux de la saison, on ne peut s'empêcher de relever l'arc d'Erika Murphy interprété par Regina King. Celle-ci déploie une telle énergie dans son jeu et une telle force dans l'explosion de ses sentiments qu'elle devient une sorte de double de Nora par son importance. Dommage qu'elle soit un tantinet abandonnée en fin de saison. 

    En assumant jusqu'au bout son parti-pris biblique et métaphysique, The Leftovers retrouve ses Guilty Remnants, parfaits opposés d'un Ku Klux Klan jusqu'ici, et qui se radicalisent devant l'insuffisance de la lutte pacifique. Du coup, le rôle de Miracle et sa situation tout à fait particulière en font un enjeu de choix pour tous, même eux. Toujours porté sur différents niveaux de lectures, Lindelof fait de sa nouvelle ville le lieu d'une nouvelle rédemption et d'une nouvelle apocalypse dans le même temps, tout ça pour magnifier le vrai héros de cette seconde saison : Kévin. Plus christique que jamais, il porte sur ses épaules le poids d'un nouveau départ pour tous les êtres qui lui sont chers. Dans un épisode final d'une maestria incontestable et qui gomme tous les défauts précédemment cités, The Leftovers touche du doigt son moment de grâce, nous tord le ventre le temps d'un karaoké totalement imprévu et finit par nous achever avec le retour de sa petite musique lancinante habituelle signée Max Richter. Le résultat global, aussi bancal soit-il, renoue avec l'émotion intense et les montagnes russes émotionnelles de la première saison. Si l'on ne peut s'empêcher de penser que l'on perd du dramatisme en cherchant à résoudre un mystère dont on se fout cordialement, on retrouve avec bonheur les ingrédients magiques qui faisaient le cœur de la série à ses débuts.

    Plus audacieuse mais aussi souvent moins pertinente, la seconde saison de The Leftovers confirme tout de même le bien que l'on pensait de la série. Sa force émotionnelle, ses personnages attachants comme pas possible, sa tristesse à nulle autre pareille et son intelligence permettent un nouveau régal pour le spectateur. La dernière née d'HBO aura droit à une troisième et ultime saison, qu'on souhaite aussi audacieuse que la précédente et aussi implacablement géniale qu'à ses débuts tant par son émotion que par son refus d'emprunter des chemins connus.
    Le genre de série que l'on regarde pour le meilleur et pour le pire. Monsieur Lindelof, réservez-nous le meilleur !

     

    Note : 8,5/10

    Meilleur épisode :   Episode 10 - I live here now

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  • [Critique] The Revenant
     

    Golden Globes meilleur film dramatique 2016
    Golden Globes meilleur réalisateur 2016 pour Alejandro González Iñárritu
    Golden Globes meilleur acteur dans un drame 2016 pour Leonardo Di Caprio
    Directors Guild of America Awards 2016 meilleur réalisateur pour Alejandro González Iñárritu
    Screen Actors Guild Awards 2016 meilleur acteur pour Leonardo Di Caprio
    Producters Guild of America Awards 2016 meilleur film
    Oscar du meilleur réalisateur 2016 pour Alejandro González Iñárritu
    Oscar du meilleur acteur 2016 pour Leonardo Di Caprio
    Nommé Oscar meilleur film 2016
     
    Nommé Oscar meilleur acteur dans un second rôle 2016 pour Tom Hardy

     

    Qui n'a pas encore entendu parlé de The Revenant ? Accompagné par un buzz monstrueux à la fois critique et public, bien aidé par la nomination de Di Caprio à l'Oscar du meilleur acteur (encore !) et croulant littéralement sous les prix, le dernier film du mexicain Alejandro González Iñárritu a déjà pour lui une aura fantastique avant même sa sortie sous nos latitudes. Après son Birdman de l'année dernière, déjà suprêmement couronné, le réalisateur remet le couvert en proposant ce qui semble être un survival sans concession dans l'Amérique sauvage en l'année 1823. Librement adapté du roman éponyme de Michael Punke lui-même inspiré par l'histoire du trappeur Hugh Glass, The Revenant déroule pendant près de 2h36 un récit inattendu et ébouriffant. Seulement voilà, contrairement à ce que les bande-annonces annonçaient, le long-métrage n'est pas un survival conventionnel, loin de là même.

    Cela, le spectateur ne le comprend réellement qu'après la première demi-heure de film, même si l'introduction laissait présager des ambitions d'Iñárritu. Instantanément plongé dans un monde de neige où la nature est toute puissante et où les hommes doivent lutter pour leur survie, le spectateur contemple la première grande séquence du film avec la mâchoire pendante. Depuis le débarquement du Soldat Ryan, aucune autre scène de guerre n'avait autant scotché et marqué au fer rouge. Iñárritu impose sa patte dès les premiers instants, sa caméra virevolte entre les chevaux et les hommes, se colle à eux, se fond en eux, tournoie, tombe, s'élève. La fureur et la peur envahissent l'écran, tout est réglé au millimètre près avec une mise en scène divine, tout simplement. Ce point d'orgue initial ne pourra d'ailleurs guère être atteint à nouveau par la suite tant l'exploit technique s'avère monstrueux. Avec sa caméra et en utilisant la profondeur du champ comme peu en sont capables, Iñárritu n'a pas besoin d'une 3D putassière. Mieux, il prouve que celle-ci est totalement inutile. 

    Pourtant, par la suite, The Revenant dévoile un talon d’Achille : sa trame scénaristique. Tout ou presque est déjà connu du spectateur et l'on ne doute jamais de la tournure des événements. Cette facilité apparente pourrait engloutir le film et le condamner au rôle de survival de luxe dans les décors fantastiques et évocateurs du Canada, des Etats-Unis et de l'Argentine. Sauf qu'en s'attardant sur le spectacle offert et sur les péripéties endurées par Hugh Glass, on se rend compte que le scénario n'a en réalité aucune importance, qu'il s'agit là d'un prétexte pour disserter sur une densité proprement hallucinante d'autres sujets, métaphoriques ou non. Iñárritu embrasse un style Malickien en capturant le spirituel et le naturel. The Revenant est bien un survival, mais un survival quasi-religieux où la mort, le lien père-fils, la violence et le contexte historique se tirent la bourre. Opposant les éléments, le réalisateur mexicain accouche d'images d'une force cinématographique sans commune mesure cette année. Qui est Hugh Glass ? Quelle est son histoire ? Et quel est l'histoire de ce lieu ?

    Avec une intelligence rare, le metteur en scène filme sa version du martyr. Leonardo Di Caprio, quasi-muet pendant tout le film, souffre encore et encore, porte sa croix sur des kilomètres, traverse les épreuves pour émerger de la tombe en Christ ressuscité. Cette image religieuse pourtant ne verse pas tout à fait dans la métaphore catholique. Dans The Revenant, Dieu n'est pas qui l'on croit. Dieu est multiple et un à la fois. A travers l'épopée douloureuse de Glass, on porte le regard sur les éléments, sur les animaux, sur les montagnes et les plaines. Dieu est nature. Iñárritu semble endosser le regard de Malick à l'occasion des séquences oniriques portées par les murmures, ou des plans fixes sur les arbres vibrant dans le vent glacial. Le résultat lui, est beau à mourir. En s’intéressant davantage à la transformation spirituelle du héros qui renaît à travers les forces naturelles, le mexicain fait totalement oublier la trame linéaire du scénario. Il questionne sur la place de l'homme dans le cycle de la vie, le fait renaître dans une carcasse de cheval qui ressemble à s'y méprendre à l'utérus maternel. Cette force évocatrice imprègne chaque élément du film, un film bien plus taciturne qu'attendu où le héros le plus loquace s'avère aussi le plus nuisible, comme si la parole était mauvaise, par trop humaine. Tom Hardy assure d'ailleurs ici une prestation impeccable qui mérite autant de louanges que celle de Di Caprio.

    S'interrogeant sur la nature de Dieu, Iñárritu tente d'y replacer le contexte historique. En rêve ou dans le réel, Glass croise les peuples autochtones : les indiens Pawnee et Aris. Le mexicain montre frontalement les massacres de l'homme blanc, accuse et foudroie l'envahisseur qui mutile, tue et viole. Qu'il soit français ou anglais, aucun blanc ne trouve la grâce. Ils se terrent dans leur trou à ivrognes et accumulent de vaines richesses, souillant un continent vierge et fier. Aucun honneur, aucun respect, aucune dimension divine en eux, juste un tréfonds d'horreur et de violence. Pourtant, de façon assez énigmatique, on sent que les Indiens restent des hommes, qu'ils sont eux aussi sujet à la violence. Serait-ce un phénomène naturel ? Ou un simple mécanisme de défense comme l'attaque d'une ourse pour protéger ses oursons ? Iñárritu revient sans cesse à sa vision métaphorique grandiose, multiplie les allusions au passé de Glass à travers des hallucinations sublimes où l'on croise un Christ en déliquescence dans une Eglise à l'abandon, où un tertre de crânes s'élève pendant que les blancs massacrent, où un père étreint son fils mort pour découvrir un arbre à sa place. Où est Dieu ? Où est la mansuétude divine ? A qui appartient le pouvoir de châtier ? Leonardo Di Caprio impressionne dans son rôle de martyr. Il doit composer avec un script silencieux et faire passer l'émotion par sa gestuelle plutôt que par ses paroles. Même si ce n'est pas son meilleur rôle, on sent que l'acteur a toutes les cartes en mains pour empocher la statuette dorée cette année. Saluons également la prestation franchement convaincante du jeune Domhnall Gleeson, méconnaissable pour l'occasion.

    Pourquoi la note maximale pour un film à la trajectoire simpliste et prévisible ? Simplement parce qu'Alejandro González Iñárritu transcende totalement les limites de son sujet, il les tord à sa volonté et magne sa caméra avec une telle habilité que le métrage devient une véritable leçon de mise en scène. En magnifiant le travail de ses acteurs irréprochables par une densité de propos proche de l'apoplexie où le rapport à Dieu occupe la place centrale, le réalisateur mexicain livre un film d'une profondeur épatante. The Revenant s'impose comme le chef d'oeuvre d'Alejandro González Iñárritu à ce jour.
    Rien que ça.

    Note : 10/10

    Meilleure scène : L'attaque du camp de trappeur / Les songes

     

     

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  • [Critique] Zootopie

    Meilleur film d'animation Oscars 2017

    Depuis quelques temps, Disney revient sur le devant de la scène. Après l'énorme succès de la Reine des Neiges et l'excellent Les Mondes de Ralph, le géant américain a confié les rênes de son prochain métrage à deux réalisateurs en vue : Rich Moore, déjà à l'origine des Mondes de Ralph (justement !), et Byron Howard responsable du sympathique Raiponce. Mettant en scène des animaux anthropomorphes dans un univers coloré et bourré de détails délicieux, Zootopie tente également de lorgner vers les productions Pixar pour placer un message plus adulte derrière sa façade enfantine. Que donne au final le cru 2016 de la firme aux grandes oreilles ?

    La petite Judy Hopps n'a qu'un rêve : devenir une vraie policière. Malheureusement pour elle, tout semble contrarier cet avenir, à commencer par ses parents qui veulent la voir reprendre la ferme familiale et par ses petits camarades qui n'imaginent pas un instant que Judy puisse endosser l'uniforme bleu. Après tout, Judy est une lapine et personne n'a jamais vu un lapin devenir flic. Envers et contre tout, la jeune effrontée va franchir les obstacles et décrocher un poste dans le prestigieux commissariat de la légendaire Zootopie, la ville où tous les animaux cohabitent et où l'on change de climat en fonction du secteur où l'on se trouve. Seulement voilà, Judy se retrouve assignée au contrôle du stationnement et découvre que la vie à Zootopie n'est pas aussi passionnante qu'elle l'imaginait. D'autant plus que ses collègues travaillent sur une mystérieuse affaire de disparitions et qu'un renard lui file entre les doigts dès le premier jour. Judy va devoir prouver sa détermination pour réussir dans ce monde de prédateurs !

    Zootopie démarre de façon fort conventionnelle en installant une jeune héroïne mignonne comme tout et en lui fixant, comme dans beaucoup de Disney, un rêve à accomplir. Judy est un peu l’archétype de l'héroïne du studio aux grandes oreilles : forte, combative mais attendrissante et fragile dans le fond. On s'attache très vite à elle, cela surtout dû au décalage entre sa naïveté et son environnement. Mais au-delà de ce qui sera, on s'en doute dès le départ, un récit initiatique, Zootopie a heureusement d'autres arguments à faire valoir. A commencer par le soin apporté dans son univers peuplé d'animaux anthropomorphes et divisé entre prédateurs et proies. C'est à ce niveau que l'on sent toute l'influence de Rich Moore puisque l'on pense furieusement aux Mondes de Ralph dès l'arrivée de Judy dans la grande ville de Zootopie.

    L'idée géniale du long-métrage, c'est de faire cohabiter plusieurs environnements dans une même ville et de l'exploiter au fur et à mesure. Même si la chose ne semble pas encore assez poussée, on retrouve l'éclectisme des niveaux de Ralph tout en permettant au spectateur d'en prendre plein les yeux, notamment lors de la découverte de la ville en train, juste magnifique. De même, la variété des animaux, la myriade de trouvailles drôles et bien vues en arrière-plan ou au cours de l'intrigue, la somme de ces idées permet au film de se trouver un véritable caractère. Le jeu avec les tailles, les clin d’œils anthropomorphiques multiples, et les diverses blagues à propos des comportements animaux (l'attitude de Nick quand il rencontre un mouton pour la première fois par exemple...) sont autant d'éléments appréciables. Certes on peut reprocher au film de ne pas encore fouiller assez (cela n'atteint jamais le niveau des Mondes de Ralph) ou d'insérer de façon insidieuse des codes Disneyiens dans des comparaisons savoureuses au départ (notamment l'emploi de Gazelle/Shakira qui finit par agacer), Zootopie réussit avec un certain bonheur à naviguer entre le niveau de lecture enfantin et celui, plus complexe, de l'adulte.

    De même, sous couvert d'une intrigue policière un poil prévisible, Zootopie glisse des messages à caractère plus politique et adulte en arrière-plan. Le film parle de tolérance et de différence en offrant une réflexion sur la généralisation à l'emporte-pièce, mais surtout il parvient à toucher du doigt une notion encore jamais illustrée dans un film pour enfants : comment contrôler les masses par la peur. Si la chose ne va pas non plus chercher bien loin vu le public principal visé, il faut rendre hommage à cette volonté d’élever un tantinet la réflexion dans un film made in Disney. Le vrai motif de déception de Zootopie, c'est justement qu'il montre les limites d'un Disney puisque les tics agaçants de la firme tendent un peu trop souvent à reprendre le dessus, notamment cette idée vraiment lassante de mettre une chanson en fin de métrage pour faire danser tout le monde. Autre anicroche, Zootopie compte peut-être deux réalisateurs dans ses gènes, seul l'un des deux semble s'imposer et reproduire un peu trop facilement des schémas connus comme on l'a vu plus haut. C'est assez dommage puisque l'on sent à plusieurs reprises que Rich Moore a le talent nécessaire pour aller plus loin dans son délire visuel et thématique. 

    Film d'animation magnifique visuellement, Zootopie jouit de personnages attachants et d'un univers véritablement travaillé. Si l'on peut regretter que certains tics de Disney viennent parasiter l'entreprise finale, nul doute que la tentative de construire un message un peu plus conséquent que d'habitude en arrière-plan séduira plus d'un spectateur, qu'il soit petit ou grand. Un bon cru donc, peut-être moins savoureux qu'attendu, mais qu'on prend plaisir à déguster malgré tout.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : L'arrivée à Zootopie /Les loups qui se mettent à hurler / la ville des souris

    Meilleure réplique : « Tu crois que pour s'endormir elle se compte elle-même ?" 
     

     

     

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  • [Critique] Spotlight

    Screen Actors Guild Awards 2016 de la meilleur distribution d'acteurs
    Oscar du Meilleur Film 2016
    Nommé catégorie meilleur réalisateur pour Tom McCarthy Oscars 2016

    Nommé catégorie meilleur acteur dans un second rôle pour Mark Ruffalo Oscars 2016

    Nommé catégorie meilleur scénario Oscars 2016

    En retrait ces dernières années, le réalisateur américain Tom McCarthy nous revient en force avec son dernier long-métrage : Spotlight. Devenu l’un des grands favoris pour les oscars, le métrage joue dans une catégorie dont raffole l’académie, celle du film à charge. Inspiré d’une histoire vraie, Spotlight réunit un casting des plus alléchants avec Michael Keaton (de nouveau en vogue après Birdman), Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Liev Shreiber et John Slattery. Succès inespéré outre-Atlantique, c’est évidemment le sujet du film, à savoir les liens entre la pédophilie et l’Eglise, qui a fait grand bruit aux Etats-Unis. Très bien accueilli par la critique et lors de la saison des prix pré-oscars, Spotlight a des arguments solides à faire valoir pour décrocher la fameuse statuette.

    Comme nombre de films ces derniers temps, Spotlight mise sur un sujet inspiré d’une histoire vraie, celle de la rédaction de Spotlight appartenant au fameux Boston Globe qui a mis en lumière un vaste scandale en rapport avec la protection accordée par l’Eglise aux prêtres ayant abusés sexuellement d’un grand nombre d’enfants. Alarmé au départ par une affaire isolée de prêtre pédophile, et bien aidé par l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef - Marty Baron-, l’équipe de Spotlight mène une enquête sans précédent sur les liens entre l’Eglise, le barreau et les prêtres pédophiles qui ont sévi à Boston et, rapidement bien au-delà. Le récit raconte comment des journalistes vont tomber sur l’un des plus grands scandales de l’histoire moderne et démasquer l’influence pernicieuse de l’Eglise pour étouffer l’affaire. Mais ce n’est pas tout puisque Spotlight s’interroge aussi sur le poids des responsabilités, ce qui en fait par la même occasion un film moralement très intéressant.

    Bâti de façon tout à fait classique et mis en scène de manière sobre, Spotlight compte principalement sur son sujet et ses acteurs pour le hisser au-dessus de la masse. Choix dangereux puisque c’est justement par son côté banal sur le plan stylistique que le film pêche principalement. Son cheminement linéaire jonglant entre récit d’investigation et drame manque en effet un tantinet d’audace. Le récit suit une trame classique où le vent de scandale et d’indignation monte crescendo pour le spectateur et où la tension oscille, n’atteignant de vrais paroxysmes que lors des quelques moments de bravoures accordés à certains acteurs.
    De ce fait, on ne peut pas dire que le long-métrage a réellement de quoi laisser sur le carreau sur le plan de la mise en scène pure, Tom McCarthy assurant son job avec sérieux mais sans réel génie. La force de Spotlight se cherche ailleurs.

    Passé ces reproches, il faut louer la qualité du scénario proposé qui expose de façon raisonnée et intelligente la lente prise de conscience de l’énormité de l’affaire entre les mains de l’équipe de journalistes. Authentique film à charges, Spotlight descend dans les tréfonds de l’horreur en disséquant le phénomène aujourd’hui bien connu et insidieux de la pédophilie dans la prêtrise. En confrontant le spectateur à la fois aux témoignages des survivants mais aussi (un peu trop rapidement) aux criminels, Spotlight touche une corde sensible. Avec la pudeur nécessaire mais sans jamais perdre son mordant, le film révèle de nouveau l’intolérable s’appuyant sur ce fait simple et essentiel : il ne faut pas laisser faire. L’impunité est au centre du récit, celle de l’Eglise qui se croit toute puissante et celle, plus retorse, d’un certain nombre d’avocats prêts à vendre leurs âmes pour conclure des arrangements juteux. Mais là où Spotlight frappe le plus fort c’est en questionnant la responsabilité de la presse elle-même et en se demandant comment des affaires pédophiles aussi nombreuses ont pu être relégués à la case « fait divers ». Le regard dur et sans concession porté sur ses propres « héros » compense en grande partie le manque d’audace stylistique.

    Outre sa façon assez commune de suivre une enquête passionnante, Spotlight s’attarde sur ses personnages et donne une vision nuancée et humaine de ces inspecteurs de circonstances. Michael Keaton s'avère irréprochable dans le rôle de Walter Robinson mais se fait voler la vedette par le décidément formidable Mark Ruffalo, dont le mélange de calme et de froide colère permet au personnage de Michael Rezendes de briller tout particulièrement. De même, Liev Schreiber qu’on est peu habitué à voir jouer des rôles effacés impressionne au même titre que le trop rare Stanley Tucci. Le casting de Spotlight, même s’il n’a que de rare moments de bravoure (la colère de Mark Ruffalo, les séquences de Stanley Tucci), sait apporter la touche d’authenticité et de sobriété nécessaire à une telle entreprise. Derrière ces prestations, Tom McCarthy dresse des portraits humains qui permettent au spectateur de profiter d’une empathie bienvenue sur un sujet aussi noir et délicat. La volonté du film d’aller au bout de sa dénonciation et de publier en toute fin une liste exhaustive des scandales de pédophilies liés à l’Eglise dans le monde fait particulièrement froid dans le dos en même tant qu’elle réjouit.

    Malgré une forme quelconque et peu inspirée, Spotlight se rattrape sur le fond et sur son casting en béton armé. Dénonçant avec virulence l’impunité religieuse, la complicité passive des médias et du grand public ainsi que la nécessité du regard étranger sur un milieu sclérosé, le long-métrage de Tom McCarthy révolte et rend honneur à tous ces survivants qui demandent encore justice. Lorsque l’on voit que le Vatican estime encore que ses évêques n’ont pas à dénoncer les affaires de pédophilies à la police (Article de Février 2016 du journal L’Express), Spotlight apparaît comme un film d’une extrême nécessité pour démonter une hiérarchie rien de moins que criminelle.

    Note : 8.5/10

    Meilleure scène : Mark Ruffalo qui explose de colère dans le bureau de Spotlight / Le diner entre Stanley Tucci et Mark Ruffalo / L’aveu de Walter Robinson

    Meilleure réplique : « Où étais-tu pendant tout ce temps, Walter ?


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  •  [Critique] Carol

    Prix d'interprétation féminine Cannes 2015 pour Rooney Mara
    Nommé catégorie meilleure actrice dans un premier rôle pour Cate Blanchett Oscars 2016
    Nommé catégorie meilleure actrice dans un second rôle pour Rooney Mara Oscars 2016

    Nommé catégorie meilleur scénario adapté Oscars 2016

     Dans la course aux oscars cette année, on retrouve plusieurs films engagés avec Spotlight, The Danish Girl...et Carol. Réalisé par Todd Haynes que l'on avait pas vu sur grand écran depuis I'm Not There en 2006 et que l'on pensait tombé dans les griffes télévisuelles d'HBO depuis sa collaboration avec la chaîne câblée sur la mini-série Mildred Pierce, Carol adapte le roman de Patricia Highsmith - The Price of Salt - publié en 1952 au Royaume-Uni. Traitant d'une relation lesbienne, le roman avait fait grand bruit à sa sortie tout en étant salué par la communauté lesbienne pour sa vision dénuée des préjugés de l'époque. Ainsi, Todd Haynes décide d'adapter cette histoire située dans l'Amérique des années 50 à la fois pour témoigner de la discrimination subie par les homosexuels mais aussi pour dépeindre une belle histoire d'amour entre deux excellentes actrices : Rooney Mara et Cate Blanchett. Après avoir fait forte impression au Festival de Cannes en 2015 (et donnant au passage son premier Prix d'Interprétation Féminine à Rooney Mara), le long-métrage est en lice pour les oscars d'une façon un peu incongrue puisqu'il n'est nommé que dans la catégorie meilleure actrice dans un premier rôle pour...Cate Blanchett. Si son absence des autres catégories reines n'est guère surprenante (nous y reviendrons), l'oubli de Mara semble tout à fait scandaleux et sa relégation en second rôle totalement injuste. Qu'à cela ne tienne, Carol débarque dans les salles françaises et permet enfin de juger sur pièce du travail de Todd Haynes.

    New-York, 1952. Vendeuse de jouets dans un magasin pour enfants en attendant que sa carrière de photographe décolle, Therese Belivet s'ennuie dans un monde terne où sa relation avec Richard, son petit-ami, stagne encore et toujours. A l'approche de Noël, elle fait la rencontre impromptue de Carol Aird, une femme sensuelle et intelligente qui vient acquérir un présent pour sa fille. Immédiatement charmé par l'aura magnétique de Carol, Therese se met en tête de la retrouver pour comprendre l'étrange sensation qui la saisit peu à peu en compagnie de celle-ci. Si bientôt les deux femmes éprouvent une attirance mutuelle, Carol va devoir affronter la dure réalité et se battre pour obtenir la garde de sa fille que son ex-mari, Harge Aird, n'entend pas lui laisser si facilement. Un combat difficile s'engage alors où Carol devra lutter à la fois pour sa fille et l'amour de Therese. 


    Film d'époque, Carol déploie instantanément une mise en scène fabuleuse et raffinée. Avec un sens du détail presque maladif, Todd Haynes reproduit le New-York des années 50 avec une authenticité stupéfiante. Mieux encore, il capte les mœurs de l'époque avec une acuité certaine et arrive à rendre compte des rapports sociaux (et amoureux) avec un grande habilité. Sur un plan purement scénaristique, Carol s'avère un film lent où l'intrigue se pose doucement et où les enjeux amoureux éclosent avec douceur et pudeur sur un fond d'intolérance que l'on devine très rapidement. Haynes profite de ses sublimes décors et de sa mise en scène millimétrée pour installer dans un premier temps un discours sur la femme où Therese et Carol ne sont que deux faces d'une même pièce, l'une s'ennuyant silencieusement de sa condition sociale étriquée, l'autre refusant de se laisser enfermer dans la case habituelle de l'épouse résignée. S'il part sur un postulat plutôt féministe en racontant en filigrane le besoin d'émancipation de la femme par le travail ou par l'affectif, Carol devient rapidement une histoire d'amour où la cause lesbienne s'avère traitée avec pudeur. 

    Finissant par plonger dans l'intense relation que vont connaître Carol et Therese, le long-métrage se fait certainement un peu plus timoré dans son message et, surtout, manque d'audace. Si l'on louera la façon d'Haynes d'aborder la relation sans jamais virer au vulgaire, il faut bien avouer qu'il n'invente pas grand chose, pour ne pas dire rien. C'est justement là que s'effrite le long-métrage. Malgré les prestations remarquables livrées par Cate Blanchett et Rooney Mara (celle-ci prend d'ailleurs largement le pas sur son illustre aînée), Carol n'arrive jamais à insuffler la chaleur et l'émotion nécessaire à une telle oeuvre. Tout se passe comme si Todd Haynes était tellement préoccupé par la perfection esthétique de sa mise en scène qu'il en oublie les émotions. Du coup, le film devient froid et suscite un ennui poli tant la trame semble cousue de fil blanc et que seule une fin bien maigre semble vouloir rattraper. 

    Le constat est d'autant plus amer que l'histoire décrite par Carol reste tout à fait intéressante dans le fond et témoigne avec une grande justesse des épreuves subies par la communauté lesbienne de l'époque, peut-être encore plus ostracisée dans la société américaine que son pendant masculin. A plusieurs reprises même, le talent des deux actrices semble assez fort pour passer outre la froideur de la mise en scène mais l'intrigue finit par retomber dans le combat attendu et annoncé de Carol pour garder sa fille auprès d'elle. Dès lors, les événements ne surprennent plus et la phase d'exposition, déjà bien longue, ne connaît jamais de véritable envolée. Le fait que Carol soit absente des catégories dites "reines" de la grande messe des Oscars n'a donc au final rien de surprenant, mais on peut logiquement se poser la question de la pertinence des nominations respectives de Mara et Blanchett. La première assume tellement le premier rôle de l'histoire et porte tant l'intrigue sur ses épaules qu'il est véritablement injuste de la voir reléguée en seconde rôle alors que Cate Blanchett correspond tout à fait à ce qualificatif (ce qui n'enlève rien à son talent dans le film au demeurant). Une autre polémique pour une cérémonie qui n'en manquait déjà pas. 


    A l'arrivée, Carol apparaît comme une belle occasion manquée. Trop accaparé par sa mise en scène et sa reconstitution d'époque impressionnantes, le film loupe son aspect émotionnel et se prive de ce qui aurait du être, en toute logique, sa plus grande force. Si l'on s'ennuie poliment devant une intrigue trop balisée, force est de constater que le duo Cate Blanchett-Rooney Mara fonctionne parfaitement et constitue de fait le véritable intérêt du film de Todd Haynes
     

    Note : 7/10

    Meilleure scène :
     Cate Blanchett confrontée à son ex-mari pour la garde de sa fille

     

     

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  • [Critique] Le Garçon et la Bête

     Bien que le grand Hayao Miyazaki ait pris sa retraite, d'autres auteurs continuent à entretenir la réputation d'excellence du Japon en matière d'anime. Parmi eux figure Mamoru Hosoda qui nous avait offert en 2012 l'excellent Les Enfants loups, Ame et Yuki. Fort d'un beau succès public et critique en France, le réalisateur a de nouveau l'honneur d'une sortie en salles pour son dernier long-métrage : Le Garçon et la Bête. Renouant avec une certaine dimension fantastique où hommes et bêtes se côtoient, le film s'intéresse au deuil au moyen d'une aventure initiatique haute en couleurs.

    Dans l'univers du Garçon et la Bête, le monde se scinde en deux : le monde des hommes tel que nous le connaissons et le monde des Bêtes qui existe quelque part derrière un enchevêtrement de ruelles obscures. Seul et abandonné de tous, le jeune Ren fait la rencontre improbable de Kumatetsu, une Bête braillarde et toujours prête à se battre dont l'unique rêve semble être d'accéder au trône de Jutengaï, le monde des Bêtes. En suivant Kumatetsu, Ren prend le nom de Kyuta pour devenir son disciple et accéder au rang de maître des arts martiaux...tout en corrigeant sans le savoir les défauts qui hantent le cœur de Kumatetsu. Malheureusement, pour l'un et pour l'autre, l'aventure s'annonce difficile tant tout semble les opposer. Pourront-ils vaincre leurs démons respectifs et Kumatetsu pourra-t-il surpasser Iôzen pour devenir le nouveau seigneur de Jutengaï ?

    Au départ, Le Garçon et la Bête rappelle les Enfants loups. Tout comme dans ce dernier, le film commence sur une note très dure, à savoir la mort de la mère de Ren. Seul et perdu, en colère de surcroît, Ren cherche le réconfort dans les rues avant de tomber sur un petit animal fantastique qui deviendra un peu son compagnon de route. La tendresse et la dureté. Ce sont là les deux maîtres-mots du Garçon et la Bête. Avec sa volonté de s'inscrire dans le légendaire, le long-métrage dévoile un monde onirique et surprenant, celui des Bêtes où les hommes sont vus comme un danger. Comme si l'animalité n'était pas en soi le pire dans l'être humain mais sa propension à être rongé par une noirceur cachée. Avec Ren, on fait la rencontre de Kumatetsu, une Bête atypique parmi ses pairs, lourde et gueularde, qui n'a rigoureusement aucune discipline et aucun tact. C'est de cette rencontre que naît le principal intérêt du Garçon et la Bête.

    En explorant le lien d'amitié puis d'amour qui va unir les deux personnages, Hosoda explore le lien filial, le sentiment d'appartenance et, plus simplement, la nécessité d'un parent. Plus qu'un simple maître turbulent et agaçant, Kamatetsu devient une ombre tutélaire pour Kyuta, lui apporte l'amour d'un père d'une façon singulière mais salvatrice. Sous des dehors de rustre, le maître va devenir un père de substitution et jouer le rôle qui manquait à la vie de Kyuta finissant par devenir une part de lui, ceci dans tous les sens du terme. Le foisonnement de l'univers, la beauté de cette relation inattendue et l'humour qui s'en dégage n'en font pas oublier l'originalité du monde visité. L'esthétisme de Jutengaï rappelle les beautés inattendus d'un Miyazaki sans en atteindre toutefois les plus hauts sommets. On regrette certains choix d'emblée, comme ce voyage initiatique beaucoup trop court et qui frustre plus qu'il ne régale le spectateur, ou comme ce brusque retour dans la réalité des hommes pour une histoire parallèle qui manque cruellement de charme. Le bête apprentissage des lettres et des chiffres semblent bien fade par rapport aux folies proposées dans l'univers des Bêtes.

    Reste que dans son abord de la comparaison Hommes/Bêtes ainsi que dans sa façon de présenter le néant qui ronge le cœur de tous ces enfants qui n'ont pas connu leurs racines ou trop peu, Le Garçon et la Bête renoue avec la beauté fragile des Enfants loups, en moins poétique et en moins touchant certes, mais en y ajoutant un sens fantastique plutôt bien pensé. Si le Moby Dick que chasse Kyuta semble s'incarner en son double Ichirôhiko, c'est pour mieux le confronter à lui-même et à ce qui le ronge, à cette masse informe qui le tenaille depuis la perte de ses repères suite à la mort de sa mère. Toute la beauté de l'entreprise est surement là pour Mamoru Hosoda, vaincre son passé et regarder vers l'avenir grâce à l'amour porté par un autre rencontré un peu au hasard. Sans oublier que la nouvelle relation marche dans les deux sens et que c'est le fait même de prendre quelqu'un sous son aile qui donne à Kumatetsu une maturité et une confiance en soi qui lui faisaient cruellement défaut auparavant. Le Garçon et la Bête tire à la ligne, développe une pseudo-quête du retour au monde des hommes peu passionnante mais rattrape en grande partie ses faiblesses par le reste de ce qu'il raconte dans le monde des Bêtes, ce qui est déjà franchement pas mal tout bien considérer.

    Plus inégal et forcément moins fort que son prédécesseur, Le Garçon et la Bête reste tout de même un anime de qualité qui sait ébaucher un duo improbable et attachant en diable tout en développant avec brio la thématique du père et du besoin d'origines. Ajoutez-y la fantaisie de Jutengaï et vous obtenez un bon moment de cinéma dont les défauts ne peuvent occulter les (nombreuses) qualités. 

     

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Kyuta imitant les gestes de Kumatetsu

     

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  • [Critique] Steve Jobs


    Homme devenu légende, Steve Jobs, le fondateur d’Apple, est décédé en 2011 d’un cancer du pancréas. Celui à qui l’on doit des révolutions technologiques comme l’IPod ou l’Iphone n’a toujours pas cessé de hanter l’imaginaire collectif, même 5 ans après sa disparition. En 2013, Joshua Michael Stern proposait un premier biopic où seul surnageait la bonne prestation d’un Asthon Kutcher méconnaissable. Terne, fade et dénué de toute vision artistique véritable, Jobs passait à côté de son sujet. Deux ans plus tard, c’est au tour de l’anglais Danny Boyle de tenter sa chance sur le même sujet mais, cette fois, avec un allié de poids : Aaron Sorkin. Ce nom ne vous dit peut-être rien mais il s’agit de l’homme derrière le scénario du génial The Social Network ou encore de l’excellent Moneyball. Du coup, le projet s’avère bien plus excitant et enflamme rapidement la critique US. Juste à temps pour les oscars, le long-métrage sort dans les salles françaises accompagné d’un buzz des plus positifs. Casting quatre étoiles, réalisateur réputé et scénariste chevronné, il n’en faut pas plus pour attirer l’attention !

    On ne reviendra pas sur l’histoire de Steve Jobs. On dira tout au plus que le film tente de peindre le portrait d’un génie du marketing qui a imposé sa marque dans le monde de l’informatique. Sorkin et Boyle prennent le contrepied des biopic habituels et tentent quelque chose d’une immense audace : raconter Steve Jobs sur trois séquences de 40 minutes, toutes les trois se situant dans les coulisses quelques instants avant la présentation d’un nouveau produit. Théâtral de bout en bout – le fait que Sorkin soit issu de ce monde-là étonne peu sur le produit final qui nous est livré – Steve Jobs arrive à se départir de l’ombre tutélaire de son encombrant grand frère, le chef d’œuvre The Social Network de David Fincher, pour trouver une voix propre et se recentrer tout entier sur son personnage principal en abandonnant la piste transgénérationnelle. Une bonne idée ? Pas totalement en fait puisque le film perd forcément en puissance intellectuelle et en impact. Heureusement, Sorkin n’abandonne cet aspect que pour se tourner vers autre chose et tenter, comme Jobs, de penser différent.

    Le spectateur est pris de cours par le film qu'il vient voir. Steve Jobs ne va pas de l’origine à la toute fin comme pourrait le faire n’importe quel autre biopic. Il ne cherche pas non plus à lisser une image ou à magnifier son sujet, mais bien à tenter de coller au plus près de ce qu’était Jobs en mélangeant presque à parts égales le côté homme du monde et l'aspect intime. Autre surprise, le film se concentre sur trois lancements, et pas les plus célèbres, bien au contraire. Sauf qu’ils semblent rapidement être les plus pertinents possibles. Boyle s’efface derrière Sorkin, gomme ses tics habituels (et devient bien moins agaçant !) pour aboutir à une œuvre à la densité apoplexiante. Ouragan de dialogues et de Walk and Talk, Steve Jobs transmet tout à travers ses dialogues et son casting, comme un théâtre gigantesque. Il ramène en ce sens furieusement à l’excellent Birdman d’Inarritu mais sans la volonté métaphysique évidente. Ici, les coulisses servent de révélateurs et présentent Jobs dans son impériale et détestable gloire. Le versant théâtral partagé en trois actes reproduit les mêmes motifs, comme autant d’échos évolutifs qui mènent, finalement, à une peinture somptueuse de cette personnalité formidablement complexe qu’était Jobs.

    On ne peut s’empêcher de penser aux fantômes des Noëls passé, présent et futur dans Steve Jobs tant la trame renvoie à Dickens, tant les constantes joutes verbales successives entre Jobs et ses démons de chair et d’os parviennent à briser le cadre. Sorkin comprend qu’il est inutile de retracer la vie de Jobs et se success-story, que pour approcher de son sujet, il faut surtout capturer l’homme et non son histoire exhaustive. Cette volonté amène à ces trois séquences qui brassent à peu près tout ce qu’il faut savoir sur Jobs et cela sans jamais tenter de le faire reluire, bien au contraire. Monstrueusement mégalomaniaque avec une pointe de paranoïa, condescendant comme pas possible et pour tout dire, souvent détestable, Jobs possède l’aura d’un génie mais n’en est pas un au sens strict du terme. Il est un voleur magnifique et un manipulateur exemplaire, mais jamais il n’est un homme bien. Même dans une fin qui pourrait hâtivement sembler rédemptrice, il n’est juste question que d’une harmonie retrouvée au moins de façon temporaire entre le caractère fondamentalement écœurant du fondateur d’Apple et sa volonté profonde de changer le monde. Pendant près d'une heure cinquante-cinq, Sorkin casse la légende pour mieux la reconstruire avec lucidité. Oui, Jobs était un connard, oui, Jobs n’était pas le génie que l’on connaît, mais surtout oui, Jobs a su monter ses plans et utiliser les talents des autres comme personne. C’est certes bien moins flatteur et reluisant que la fausse-légende qui lui colle à la peau, mais c’est bien plus humain et appréciable. Sorkin tape dans le mille. Encore.

    Et cela, il le doit aussi, et surtout, à son casting remarquable. Un casting qui ressemble cette fois bien peu à la réalité mais pourtant lorsque Michael Fassbender parle, vocifère, enrage, éructe, murmure, il est Steve Jobs comme aucun autre et peu importe à quoi il ressemble. Formidable de la première à la dernière seconde, Fassbender s’efface et n’en finit plus de prouver qu’il est l’un des meilleurs acteurs en activité. Autour de lui gravite une cour tout à fait remarquable également. De la sublime et impériale Kate Winslet à l’inattendu Seth Rogen, tous les seconds rôles apportent quelque chose en terme qualitatif et émotionnel. C’est la conjonction et l’alchimie parfois rêche de cette troupe qui donnent le résultat impeccable sur lequel Boyle bâtît son film. Si le cinéaste est d’habitude agaçant comme pas possible et clippeur à l’extrême, il se calme gentiment pour l’occasion et met ses tics en sourdine, ne les intercalant qu’avec bonheur sans faire foirer l’entreprise. En arrière, la musique discrète mais entêtante de Pemberton vient harmoniser le tout.

    Contrairement à The Social Network qui visait d’emblée une métaphore générationnelle totale, Steve Jobs met l’accent sur l’individu et sur les racines familiales. Sorkin s’avère moins habile à ce niveau mais reste d’une grande efficacité. En montrant Lisa comme le fil rouge de la vie de Jobs, il arrive à capturer les contradictions d’un homme qui veut un système fermé et semble même l’appliquer à sa propre vie. Qui refuse que l’on intervienne dans la sienne et qui doit tout contrôler. Malheureusement, il en oublie que le monde n’a pas forcément ses défauts à lui et encore moins sa propre fille. Blessé dans son orgueil et rongé par son adoption, Jobs ne sait pas gérer, tout simplement. Il sait décoder les envies et le marketing mais est incapable de comprendre la tristesse d’une fillette de 5 ans. La seule scène où Lisa le serre dans ses bras en lui demandant d’habiter avec lui résume tout le paradoxe de vouloir la perfection. Ce perfectionniste insupportable passe à côté de certaines choses essentielles dans l’esprit humain, à commencer par l’amour filial et l’amitié, ce qui le rend à la fois totalement détestable et bourré d’humanité. Steve Jobs révèle avec justesse qu’au fond le fondateur d’Apple n’était bien qu’un homme.

    On attendait fébrilement ce Steve Jobs et force est de constater que l’on est pas déçu du résultat. Evidemment, il ne s’agit pas d’un biopic conventionnel, c’est même tout le contraire. Son verbiage incessant épuise autant qu’il impressionne mais c’est finalement l’audace du projet, son insolente énergie et sa force impressionnante qui remportent le combat. Steve Jobs est le premier grand film de 2016, un très (très) grand moment de cinéma.


    Note : 9.5/10

    Meilleure scène : Jobs confronté à Wozniak avant le lancement de l'IMac

     

     

     

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  • [Bilan] Liste et critiques cinéma en 2015

     

    Liste classée des Films de 2015 :

    MacBeth de Justin Kurzel : 10/10

    Crosswinds de Martti Helde : 10/10
    Foxcatcher de Benett Miller : 9.5/10
    Mad Max : Fury Road de George Miller : 9.5/10
    Vice-Versa de Pete Docter : 9.5/10
    The Look of Silence de Joshua Oppenheimer : 9.5/10
    Birdman d'Alejandro Gonzalez Inarritu : 9.5/10
    Sicario de Denis Villeneuve : 9/10
    Loin des Hommes de David Oelhoffen : 9/10
    Inherent Vice de Paul Thomas Anderson : 9/10
    Papa ou Maman de Martin Bourboulon : 9/10
    Virunga d'Orlando von Einsiedel : 9/10 [NETFLIX]
    The Voices de Marjane Satrapi : 9/10
    It Follows de David Robert Mitchell : 9/10
    Les Nouveaux Sauvages de Damian Szifron : 9/10
    Le Fils de Saul de Lazslo Nemes : 9/10
    Goodnight Mommy de Veronika Franz et Severin Fiala : 9/10 [DTV]
    Youth de Paolo Sorrentino : 8.5/10
    Notre Petite Soeur d'Hirokazu Koreeda : 8.5/10
    The Lobster de Yorgos Lanthimos : 8.5/10
    Mon Roi de Maïwenn : 8.5/10
    Star Wars Episode VII : The Force Awakens de J.J Abramns : 8.5/10
    My Skinny Sister de Sanna Lenken : 8.5/10
    Les Mille et une nuit - 1 L'inquiet de Miguel Gomes : 8.5/10
    Ex Machina d'Alex Garland : 8.5/10
    L'ennemi de la classe de Rok Bicek : 8.5/10
    Le Président de Mohsen Makhmalbaf :8.5/10
    Une Belle Fin d'Urberto Pasolini : 8.5/10
    Avengers : Age of Ultron de Jess Whedon : 8.5/10
    Sea Fog de Sung Bo Shim : 8.5/10
    Dheepan de Jacques Audiard : 8.5/10
    Beast of No Nations de Cary Fukunaga : 8.5/10 [NETFLIX]
    Taxi Teheran de Jafar Panahi : 8.5/10
    Les Mille et Une Nuit de Miguel Gomes 2 - Le Désolé : 8.5/10
    Au-Delà des Montagnes de Zhang-ke Jia : 8.5/10
    Une Merveilleuse histoire du temps de James Marsh : 8/10
    Joy de David O.Russell : 8/10 
    Hard Day de Kim Seong-hun : 8/10
    Le Voyage d'Arlo de Peter Sohn : 8/10
    Souvenirs de Marnie de Hiromasa Yonebayashi : 8/10
    Dear White People de Justin Simien : 8/10
    Masaan de Neeraj Ghaywan : 8/10
    Tale of Tales de Matteo Garrone : 8/10
    Le Prodige d'Edward Zwick : 8/10
    Difret de Zeresenay Mehari : 8/10
    Mission Impossible : Rogue Nation de Christopher McQuarrie : 8/10
    Shaun le mouton de Richard Starzak : 8/10
    Umrika de Prashant Nair : 8/10
    Summer de Alanté Kavaité : 8/10
    Le Pont des espions de Steven Spielberg : 8/10
    Mustang de Deniz Gurman Ergoyen : 8/10
    Life d'Anton Corbjin : 8/10
    La loi du marché de Stéphane Brizé : 8/10
    Kingsman, Services Secrets de Matthew Vaughn : 7.5/10
    Imitation Game de Morten Tyldum : 7.5/10
    Chelli d'Asaf Korman : 7.5/10
    Une seconde mère d'Anna Muylaert : 7.5/10
    Phoenix de Christian Petzold : 7.5/10
    Captives d'Atom Egoyan : 7.5/10
    Une seconde mère d'Anna Muylaert : 7.5/10
    Still Alice de Richard Glatzer : 7.5/10
    Je suis mort mais j'ai des amis de Guillaume et Stéphane Malandrin : 7.5/10
    Hyena de Gerard Johnson : 7.5/10
    A la poursuite de demain de Brad Bird : 7.5/10
    Seul sur Mars de Ridley Scott : 7.5/10
    American Ultra de Nima nourizadeh : 7.5/10
    Vers l'autre rive de Kiyoshi Kurosawa : 7.5/10
    Agents très spéciaux - Code UNCLE de Guy Ritchie : 7.5/10
    Frank de Lenny Abrahamson : 7/10
    Les Jardins du roi d'Alan Rickman : 7/10
    Les Nouveaux Héros de Don Hall et Chris Williams : 7/10
    Le Petit Prince de Mark Osborne : 7/10
    Renaissances de Tarseem Singh : 7/10
    Les Suffragettes de Sarah Gavron : 7/10
    Wild de Jean-Marc Vallée : 7/10
    Love & Mercy de Bill Pohlad: 7/10
    Loin de la foule déchaînée de Thomas Vinterberg : 7/10
    Ant-Man de Peyton Reed : 7/10
    Miss Hokusai de Keiichi Hara : 7/10
    Le Labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli : 7/10
    Dark Places de Gilles Paquet Brenner : 6.5/10
    Hotel Transylvanie 2 de Genndy Tartakovsky : 6.5/10
    Régression d'alejandro amenabar : 6.5/10
    007 Spectre de Sam Mendes : 6.5/10
    Strictly Criminal de Scott Cooper : 6.5/10
    Spy de Paul Feig : 6.5/10
    Les Minions de Pierre Coffin et Kyle Balda: 6.5/10
    Broadway Therapy de Peter Bogdanovich : 6.5/10
    Everest de Baltasar Kormákur : 6.5/10
    Ixcanul de Jayro Bustamante : 6.5/10
    Victoria de Sebastian Schipper : 6.5/10
    Un Pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence de Roy Andersson : 6/10
    La Tête haute d'Emmanuelle Bercot : 6/10
    Les Mille et Une Nuit de Miguel Gomes 3 - l'Enchanté : 6/10
    Cemetery of Splendour d'Apichatpong Weerasethakul : 6/10
    Valley of Love de Guillaume Nicloux : 6/10
    Queen and Country de John Boorman : 6/10
    La Peur de Damien Odoul : 5.5/10
    Lost River de Ryan Gosling : 5/10
    Ted 2 de Seth McFarlane : 5/10
    Mia Madre de Nanni Moretti : 5/10
    Absolutely Anything de Terry Jones : 5/10
    Parole de Kamikaze de Masa Sawada : 5/10
    Snow Therapy de Ruben Östlund : 4.5/10
    Crimson Peak de Guillermo Del Toro : 4.5/10
    Chappie de Neill Blompkamp: 4.5/10
    American Sniper de Clint Eastwood : 4/10
    Les 4 Fantastiques de Josh Trank : 4/10
    Jurassic World de Colin Trevorrow : 4/10
    Maggie d'Henry Hobson : 3.5/10
    La Rage au ventre d'Antoine Fuqua : 3/10
    Jupiter's Ascending des frères Wachowski: 3/10
    Les Merveilles d'Alice Rohrwacher : 2/10
    The Visit de Night Shyamalan : 0/10

     

    Par pays :

    Américain +++++++++++++++++++++++++++++++++++++ = 37
    Anglais ++++++++++++ = 12
    Français ++++++++++ = 10
    Italien ++++++ = 6
    Japonais +++++ = 5
    Indien +++ = 3
    Portuguais +++ = 3
    Suédois +++ = 3
    Allemand ++ = 2
    Iranien ++ = 2
    Coréen du Sud ++ = 2
    Mexicain ++ = 2
    Mexicain ++ = 2
    Canadien ++ = 2
    Turque ++ = 2
    Argentin + = 1
    Australien + = 1
    Autrichien + = 1
    Belge + = 1
    Brésil + = 1
    Chinois + = 1
    Danemark + = 1
    Espagne + = 1
    Estonien + = 1
    Ethiopien + = 1
    Georgien + = 1
    Grec + = 1
    Guatemala + = 1
    Hongrois + = 1
    Irlande + = 1
    Islande + = 1
    Israélien + = 1
    Lituanie + = 1
    Norvégien + = 1
    Pays-Bas + = 1
    Slovène + = 1
    Thaïlandais + = 1


    Plan de l'année :

    [Bilan] Liste et critiques cinéma en 2015



    Bande annonce de l'année 2015 :

     

     

    Bande-originale de l'année 2015 :



    Chanson de l'année 2015 :




    Et le bonus, Filmography 2015 :



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  • [Critique] Au-delà des montagnes

    Réalisateur prolifique, Jia Zhang-ke n'a pourtant vraiment été mis en avant qu'en 2013 avec son film à sketchs A Touch of Sin. Véritable peinture de la société chinoise, il mettait en lumière les inégalités et les contradictions du système de la République Populaire. De nouveau invité au Festival de Cannes en 2015, le réalisateur chinois est venu y présenter un long-métrage plus conventionnel mais pas moins intelligent intitulé Mountains May Depart (traduit chez nous par Au-delà des montagnes). Largement salué par la critique, le film s'est depuis avéré, à son échelle, un petit succès public en France. Axant son histoire une nouvelle fois sur l'histoire de son pays ainsi que son évolution récente (et future), Zhang-ke livre un ode à la Chine traditionnelle et analyse le difficile passage de flambeau à une génération en mal de liberté.

    Contrairement à A Touch of Sin, Au-delà des montagnes n'est pas un film à sketchs. Enfin pas vraiment. Il s'agirait plutôt d'une fresque temporelle en plusieurs tableaux commençant en 1999, à la veille de XXIème siècle, alors que la Chine semble bouffée par la crise minière qui érode ses exploitations de charbon. On y fait la connaissance d'une belle jeune femme, Tao, qui devient l'enjeu d'un triangle amoureux où s'affronte Liangzi et Zang, le premier est un ambitieux responsable de station service, le second est un simple ouvrier vivant du charbon. Le choix de la jeune femme va sceller son destin et nous projeter quinze ans plus tard dans un pays en plein bouleversement sociologique et économique où elle sera confronter au regard de son fils, Dollar. C'est finalement ce dernier qui conclura cette histoire chinoise dans une Australie du futur où la technologie n'arrive pas à effacer le besoin de racines.

    Le récit part mal. Parce que l'on croit dans un premier temps que Zhang-ke s'est laissé aller à nous monter un trio amoureux et les tergiversations attenantes à une telle situation. On se rend heureusement compte rapidement qu'il pose les bases de toute sa réflexion sur la Chine et sur ses habitants, sur le passage du temps et le changement social. Ainsi, les deux prétendants ne sont pas choisis au hasard. D'un côté Liangzi représente l'humble et pauvre travailleur, le milieu ouvrier par excellence, quand Zang synthétise l'ambition dévorante et le capitalisme naissant dans une Chine encore largement communiste. Dès lors, le choix de Tao semble fort se superposer à celui du régime, celui d'un capitalisme timoré mais clinquant qui ne fera pas long feu. Avec malice, le réalisateur chinois filme le passé proche de son pays en y plantant les graines du changement, lors d'une séquence en boîte de nuit ou lors d'un concert traditionnel, il montre le basculement dans le nouveau millénaire d'un pays en mal de nouveautés. Si l'on croise encore de jeunes garçons portant avec fierté le guandao, si les déguisements festifs en dragons éclairent encore le nouvel an chinois, les choses changent petit  à petit.

    Avec ingéniosité, Zhang-ke permute ses personnages principaux et les fait pour ainsi dire traverser les âges. Il montre alors les choix malheureux fait par notre trio, et comment, à leur image, le pays a perdu peu à peu son identité et sa personnalité. Le phénomène semble toujours s’accélérer, l'ancienne et la nouvelle génération ne semblent plus capables de se comprendre et les plus antiques traditions se fanent pour le petit Dollar (Dao Le en fait), quintessence de la vanité chinoise, paternelle et étatique. Le réalisateur capte avec justesse la tristesse de cette césure. Quasiment étranger à sa propre mère comme peuvent l'être nombre de chinois vis-à-vis de leur propre pays qu'ils ne reconnaissent plus, l'enfant n'aspire pourtant en rien à oublier. La touchante prestation de l'actrice Zhao Tao dans le rôle de Tao souligne ce glissement malheureux et ce fossé générationnel qu'elle tente de combler avec tout l'amour dont une mère est capable. C'est dans ce segment certainement que Zhang-ke touche au plus juste, là où il pointe du doigt l'effacement progressif de racines qui feront cruellement défaut par la suite.

    Puis, de façon inattendue, Au-delà des montagnes devient un film de science-fiction dans son dernier quart. Comme une sorte de promesse d'avenir, terre promise perdue en plein Océan Pacifique, l'Australie devient toile de fond, confirmant que la Chine a fini par s'effacer, les espoirs de tout un peuple envolé. Mais Dollar a grandi, sa génération, entre la douleur de l'absence d'une culture millénaire et une irrépressible envie de liberté, doit composer avec la technologie. Le réalisateur chinois arrive à l'inévitable confrontation père-fils, rejouant un drame que l'on savait couru d'avance, celui d'un fossé infranchissable où la barrière de la langue et de la culture deviennent infranchissables, où même la liberté devient une chimère. Sous des airs de fresque familiale, Au-delà des montagnes dresse le bilan évolutif de la Chine, capturant traditions et modernité. Son constat amer, celui de l'emprise de l'argent au dépend de l'amour et de la transmission culturel, pourrait tout aussi bien s'appliquer à notre échelle et donne, en un sens, une portée universelle au film. Si l'on regrette un ultime segment trop long et poussif dans sa tentative Œdipienne presque malvenue, on saluera la majesté de l'entreprise et sa réussite impressionnante.

    Confirmant de façon brillante son talent de cinéaste, Jia Zhang-ke livre un film passionnant mariant l'intime à l'histoire avec un grand H. Outre une mise en scène remarquable, il profite du talent de la belle Zhao Tao pour parler de la Chine avec une acuité peu commune. Au-delà des montagnes dépasse les espérances et nous emmène dans un voyage riche en sagesse. Une bien belle façon de conclure l'année cinéma 2015.

    Note : 8,5/10

    Meilleure scène : Tao donnant les clés de sa maison à Dollar

     

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  • [Critique] Mistress America

    Habitué du genre, Noah Baumbach récidive après While We're Young et Frances Ha en ce début d'année 2016. Sans bouleverser ses marottes habituels, le réalisateur américain continue dans la comédie indé gentiment turbulente. Mieux encore, il retrouve son actrice fétiche, Greta Gerwig, qui, pour l'occasion, co-scénarise son nouveau long-métrage en plus d'en assurer le principal rôle secondaire. Baumbach pose une nouvelle fois sa caméra à New-York, dans les milieux des jeunes artistes qu'il affectionne tant, pour près d'une heure trente d'un récit vivifiant. Mistress America fait la part belle à une certaine conception de le jeunesse et de l'émancipation intellectuelle, ceci par le regard tantôt naïf tantôt désabusé de sa jeune héroïne, Tracy, incarnée par la rafraîchissante Lola Kirke. Après la petite déception Frances Ha, Noah Baumbach arrive-t-il enfin à trouver l'équilibre suffisant entre influences indé et cinéma d'auteur ?

    Tracy vient d'intégrer l'université. Écrivaine en herbe, elle souhaite intégrer le plus prestigieux des clubs de lecture du campus, le fameux Moebius. Avec son ami Tony, dont elle tombe rapidement amoureuse, Tracy va découvrir peu à peu que la vie étudiante est loin d'être aussi excitante et libératrice qu'elle se l'imaginait. Sur un coup de tête, elle décide d'appeler Brooke, la fille de son futur beau-père. Véritable feu-follet new-yorkais, Brooke n'a pas sa langue dans sa poche et accumule les projets excitants. Sous le charme puissant de cet électron libre, Tracy se met à écrire une nouvelle inspirée de l'histoire de celle qu'elle admire tant. On reconnaît immédiatement, dans sa façon d'utiliser la voix-off, de filmer ou de bâtir des personnalités jeunes et bouillonnantes, la patte de Noah Baumbach. La petite vie de Tracy, sa rencontre avec la fantasque Brooke qui incarne tout ce qu'elle voudrait être et les dialogues fusant à deux cent à l'heure, aucun doute, Mistress America renoue avec l'enthousiasme communicatif de l'oeuvre de Baumbach.

    Heureusement, et contrairement à Frances Ha, Mistress America ne tombe jamais dans l'auteurisation. Pas de noir et blanc incongru ici, juste de magnifiques vues d'un New-York plus charmeur que jamais. Bien aidé par une bande-originale aux petits oignons, Noah Baumbach nous balade entre les illusions étudiantes et les fantasmes de Tracy. L'alchimie entre elle et Brooke fonctionne quasi-immédiatement, procurant un saisissant contraste entre les deux amies. Greta Gerwig trouve un rôle taillé sur mesure où son exubérance naturelle et son débit de parole ajoutent un véritable cachet d'authenticité au personnage farfelue et attendrissant qu'est Brooke. Naoh Baumbach filme avec bonheur et tendresse les entreprises follement rafraîchissantes des deux amies, passant des soirées huppées aux aventures délurées des new-yorkaises. Grâce à des dialogues travaillés et rythmés à la perfection, l'américain ferre son public et l'attire dans un aspect théâtral savoureux. 

    Dans son univers coloré plein d'espoirs, on croise des voyants et des voisins conciliants, on achète mille sorte de pâtes et l'on s'embarque à quatre pour renouer le contact avec une vieille ennemie. Mistress America est l'expression d'une jeunesse pleine de charme, à la fois agaçante et débrouillarde, qui se cherche et se mésestime. Le versant théâtral du film ne fera d'ailleurs que s'accentuer jusqu'à cette longue séquence chez Mamie-Claire où les répliques et les personnages semblent jouer une pièce pleine de quiproquos et de retournements de situation. Les acteurs, tous délicieux, jouissent de leur petit instant de gloire, vivent réellement sous la caméra malicieuse de Baumbach. Puis l'américain revient finalement au thème principal de Mistress America, apprendre à être soi-même, à s'accomplir par soi et non par les attentes des autres, arriver à s'aimer avant de vouloir aimer les autres. Du coup, la relation Tracy-Brooke s'inverse, prend un tout autre sens et sur la musique Souvenir, on se prend à rêver nous aussi, à se considérer autrement. 

    Bien plus convaincant et authentique que son Frances Ha, Mistress America incarne certainement un cinéma indépendant doux-amer et rêveur qui s'octroie le droit de ne pas choisir entre grand écran et scène de théâtre, brisant les codes pour mieux se les réapproprier. Comme inspiré par sa muse, la géniale Greta Gerwig, Noah Baumbach rassure et offre au spectateur une petite sucrerie douce-amer entre humour et tendresse.

    Note : 7.5/10

    Meilleure scène : La visite chez Mamie-Claire

     

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  • Le voici enfin, le huitième film (Kill Bill ne comptant en fait que pour un…) de Quentin Tarantino, l’enfant terrible du cinéma US. Inutile de représenter une énième fois le monsieur, alors passons à la suite immédiatement. Après Django Unchained, un western esclavagiste jubilatoire mais handicapé par une dernière partie accessoire, Tarantino reste dans un univers pas si éloigné avec Les Huit Salopards, un huis clos horrifique où huit acteurs renommés jouent à Dix Petit Nègres. L’action se situe cette fois après la Guerre de Sécession, dans une Amérique qui panse ses plaies et fait la part belle aux chasseurs de primes. C’est l’occasion de rencontrer un certain John « Hangman » Ruth qui fait route vers la ville de Red Rock pour livrer une fameuse prisonnière, Daisy Domergue. Sur le chemin, il rencontre un noir ancien major de cavalerie devenu chasseur de primes, Marquis Warren, et le futur shérif de Red Rock, le beau-parleur Chris Mannix. Une fois arrivés à la Mercerie de Minnie, un relais de diligence perdu dans la neige, les choses se gâtent puisque ni Minnie ni son Sweet Dave ne sont présents… à la place quatre inconnus aux motivations bien floues. John Ruth en est certain, l’un d’eux est le complice de sa prisonnière et va tenter de la délivrer durant le blizzard qui s’abat sur le refuge. Le petit jeu de massacre de Tarantino peut réellement commencer.

    Découpé en plusieurs actes, Les Huit Salopards renvoie instantanément aux autres films de Tarantino. On pense à Django pour le personnage principal noir et l’époque, à Reservoir Dogs pour le côté huis clos avec une tripotée de salauds, à Inglourious Basterds pour l’équipe éclectique qui s’assemble dans la diligence, ou encore à Kill Bill pour le découpage. Le film ressemble étrangement à un joyeux melting pot de l’œuvre de Tarantino, cela pour le meilleur…comme pour le pire. Filmés en format cinémascope, les paysages se révèlent impressionnants et infinis dans la première partie, avant de donner une impression de fausse immensité dans le refuge devenu piège à loups où se déroulent les trois quarts de l’action du récit. En prouvant une nouvelle fois sa maîtrise incontestée et incontestable de la mise en scène, Tarantino déroule. Tout est splendidement capturé et magnifié, les anti-héros croqués dans toute leur insolente gloire.

    Pourtant, Quentin prend son temps. Il installe ses personnages au fur et à mesure et tente, avec plus ou moins de bonheur, de leur donner une épaisseur, particulièrement à John Ruth, au major Warren, au shérif Mannix et au vieux général Sandy Smithers. Les acteurs sont impériaux, comme d’habitude chez Tarantino, excellent directeur d’acteurs qui n’a plus grand chose à prouver dans ce domaine. On tire un coup de chapeau au petit nouveau, Walton Goggins, toujours entre cabotinage et grandiloquence inquiétante, et au génial Samuel Lee Jackson, encore une fois parfait dans son rôle. Les choses avancent… avancent… enfin avancent… arrivant à l’auberge de Minnie. Sauf qu’il y a déjà bien trois quarts d’heure de passés et que, dès l’arrivée au refuge, on sent que ce n’est là que le « véritable début ». Voici donc le sujet qui fâche : Les Huit Salopards s’avère abominablement long !

    Comme tous les Tarantino, diront les mauvaises langues. Excepté que cette fois, le réalisateur n’use d’aucun artifice pour nous divertir et qu’il étire des monologues sans vraies raisons sur des longueurs indécentes. La discussion entre Mannix, Warren et Ruth en est le premier exemple. Un lieu exiguë (la diligence), trois personnages qui parlent… parlent… parlent et parlent encore, sans jamais apporter de dynamisme ou de réel intérêt au récit; excepté celui de présenter les personnages. On est très loin de l’extravagance d’un Kill Bill ou de l’efficacité d’un Reservoir Dogs. Sachez-le, ce qui vient sera semblable. Seules surnagent quelques séquences excellentes et made in Tarantino, comme l’histoire de la torture revue et corrigée par Samuel Lee Jackson. L’énorme problème, c’est que pour la première fois, Tarantino boit la tasse. Pour le dire tout net, Les Huit Salopards emmerde son public avec son verbiage et son didactisme. Jamais un film de l’américain n’a été si didactique. Le summum étant atteint dans le flashback d’une bonne demi-heure, rigoureusement inutile, ou dans les négociations finales, tellement mais tellement lourdes… Quelque part en chemin, à vouloir trop en faire, Tarantino se tire une balle dans le pied.

    La chose est d’autant plus rageante qu’il y avait matière à livrer quelque chose de génial avec un tel casting (et malgré l’étrange envie de Tim Roth de singer Christoph Waltz…) et une telle réalisation. Les Huit Salopards comporte bien un message politique fort, celui d’une vision acerbe de l’Amérique Post-Guerre de Sécession, où rien n’a vraiment changé et où le nègre, même libre, reste libre et doit devenir un monstre pour survivre. Le cinéaste découpe le refuge en états, symbolise les forces du pays par chaque rôle interprété par les personnages, pose la femme en punching-ball (une de ses meilleurs idées grâce, notamment, à la géniale Jennifer Jason Leigh) et finit par condamner la violence et le voyeurisme (n’est-ce pas délicieux pour un Tarantino ?) dans un final qui glisse malheureusement vers le Grand-Guignol dénué de ce fun jubilatoire des précédentes œuvres du réalisateur. Il ne reste à l’arrivée qu’un sous-texte peinant à rattraper une bavasserie interminable qui ne peut se sauver par les gimmicks habituels de Tarantino.

    Véritable hommage à l’immense The Thing de Carpenter (un huis-clos dans le blizzard avec une cahute reliée par un fil, un intrus à débusquer et des morts en cascade…), les Huit Salopards a tendance à oublier qu’il doit tenir la distance et tout le talent de ses acteurs n’y fera rien, pas plus que la mise en scène parfaite ou la bande-originale concoctée par Ennio Morricone. Il semble que Tarantino, à force de se regarder filmer et de s’écouter déblatérer, soit passé à côté de ce qui faisait la force d’un Reservoir Dogs, à savoir l’opposition avec l’extérieur, la rapidité de l’action et son enchaînement palpitant, mais aussi ses personnages saisis au vol. Il loupe la force évocatrice de son lieu de jeu, la puissance que pourrait contenir son sous-texte en un temps plus ramassé. Toute la métaphore sur la lettre de Lincoln reste brillante de bout en bout, comme un mirage porté par l’homme noir pour se prémunir d’un homme blanc crédule et superficiel. Une grande idée certes, mais Tarantino foire le reste. Du coup, Les Huit Salopards devient l’un de ses films les moins convaincants.

    Fresque beaucoup trop ambitieuse, d’une interminable longueur et d’une lourdeur qui ne trouve aucune échappatoire dans ce minuscule lieu d’action, pas même la folle inventivité habituelle de Quentin Tarantino, Les Huit Salopards se vautre, littéralement. Son casting, soit formidable, soit sous-exploité (Madsen, Roth…) ne peut rien à cela, ni même cette superbe mise en scène qui rappelle que Tarantino n’a plus rien à prouver.
    Peut-être est-ce justement dans cette assertion que se trouve tout le problème du film…
    Une (énorme) déception.

    Note : 6/10

    Meilleure scène : Le major Warren racontant au général Smithers le destin de son fils.

     

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  • [Critique] Joy

     

    Sorti in extremis en France cette année 2015, le nouveau David O'Russell a un arrière-goût de déjà vu. Pourquoi ? Du fait de son casting rigoureusement identique à celui de son plus gros succès, l'excellent Happiness Therapy sorti en 2012, et rassemblant de nouveau la talentueuse Jennifer Lawrence, le vieux briscard Robert De Niro et Bradley Cooper. Les ressemblances s'arrêtent là puisqu'il ne s'agit pas du tout d'une romance ou d'un film d'escrocs comme American Bluff mais bien d'un biopic consacré à Joy Mangano, self-made woman devenue présentatrice de télé-achat et business woman accomplie. Malgré un succès public tout relatif aux Etats-Unis, Joy a cependant quelques atouts dans sa manche pour faire du nouveau long-métrage de O. Russell un bon moment de cinéma. 

    Bienvenue dans la vie de Joy. De petite fille excentrique et bourrée d'imagination, celle-ci est devenue une adulte d'une affreuse banalité. Vivant avec sa mère rivée à l'écran pour suivre ses soaps improbables, et son ex-mari qui rêve encore et toujours de devenir un chanteur renommé, elle doit aussi composer avec le retour d'un père encombrant et une demi-sœur qui la jalouse au point de la détester. Forcément, élever sa petite fille dans ces circonstances et quand on est qu'une hôtesse des réclamations aériennes, c'est un peu difficile. D'autant plus que Joy fourmille d'idées et d'ambitions, encouragée par sa seule grand-mère, Mimi, qui voit en elle une femme pleine de promesses. C'est lorsque Joy a l'idée de concevoir un balai révolutionnaire qui s'auto-essore que les choses vont enfin finir par s'emballer. Seulement voilà, pour populariser son produit, elle va devoir relever bien des défis, à commencer par celui de devenir une véritable femme d'affaires. De ce postulat plein de bonnes choses, à commencer par sa figure féminine charismatique et ordinaire à la fois, David O.Russel va livrer le portrait d'une Amérique sexiste mais où chacun peut s'accomplir à force de sacrifices.

    Sur deux heures de film, Joy repose sur les épaules de son actrice principale, la superbe et géniale Jennifer Lawrence. Sortie des imbécillités crasses d'Hunger Games, la jeune femme retrouve son réalisateur fétiche pour un rôle qui lui va comme un gant. A la fois forte et fragile, Lawrence emporte l'adhésion du public quasi-immédiatement dans son rôle de mère ambitieuse incapable de se débarrasser de sa famille-boulet faute d'un amour familial chevillé au corps. Capable d'incarner la travailleuse moyenne américaine de l'époque avec un naturel désarmant, Jennifer Lawrence arrive rapidement à jouer les femmes d'affaires impitoyables tout en conservant cette part de fragilité qui l'a rend si touchante. Pour dire vrai, le plus grand atout de Joy, c'est elle, définitivement. Evidemment, on saluera le rôle (ingrat) de De Niro en père agaçant et médiocre, et Bradley Cooper toujours aussi bon lorsqu'il est dirigé par Russell. Mais c'est bien Jennifer Lawrence qui écrase tout le monde. Il faut dire que le film a été bâti autour de son rôle, qu'il est une sorte de succès-story mâtinée de drame familial tendance soap et de conte pour enfants. Ce dernier point se révèle d'ailleurs rapidement à la fois un atout et un inconvénient pour le long-métrage

    Pensé comme un conte, raconté en réalité à toutes les petites filles de la planète (ou au moins des USA), Joy a un côté gentillet qui agace autant qu'il séduit. Telle une Cendrillon des temps modernes, Joy Mangano s'élève de sa condition ingrate vers celui d'une princesse avant-gardiste, finissant dans son propre château avec le prince charmant venant la courtiser de temps à autre. Seulement voilà, c'est aussi l'aspect un peu trop propret de Joy, la perfection morale absolue du personnage et le côté glorifiant du film sur les possibilités de succès offert par le way of life américain qui irritent. Joy est trop gentille, trop parfaite, trop bien. Lorsque l'on voit en plus que la véritable Joy Mangano est productrice exécutive du métrage, on se pose de sérieuses questions quand à l'authenticité de cette description. Alors, évidemment, David O.Russell a d'autres cordes à son arc, à commencer par la description d'un système qui, à l'époque, considère encore que la femme doit s'occuper de ses enfants et rester à la cuisine, qu'elle ne peut pas être responsable et active. En ce sens, Joy peut être perçu comme un film féministe. 

    Il reste aussi la reconstitution d'une Amérique qui découvre les "vertus" du télé-achat et toute la machinerie qui se cache derrière, montrant encore et toujours que tout est une question d'image dans le monde capitaliste, que le succès a besoin d'une dose de mensonges et de mise en scène léchée. Cette partie du film reste, de loin, la plus intéressante, il est fort dommage que Russell passe beaucoup trop de temps sur la famille minable de Joy. Les coup bas de l'industrie, les escroqueries, la publicité mensongère et les artifices du milieu de l'entertainement et de la vente restent, franchement, passionnants. D'une certaine façon, le film montre comment il faut devenir soi-même un requin pour réussir. On regrette simplement que ce que Joy se voit contraint de faire soit au final si moralement acceptable et gentillet à l'arrivée. Une nouvelle fois, on ne peut s'empêcher de penser que le côté lissé du personnage principal finit par nuire au récit. Chose d'autant plus dommage quand celui-ci s'avère véritablement attachant et agréable une fois l'entreprise commerciale de Joy lancée (et la storyline familiale mise en sourdine).

    Joy fait bien mieux que le décevant American Bluff qui misait bien trop sur ses costumes et son ambiance au dépend des personnages. Cette fois, le film de David O.Russell nous offre une héroïne forte et séduisante incarnée par la géniale Jennifer Lawrence et épaulée par un casting impeccable. Film féministe certainement trop lisse pour pleinement convaincre, Joy reste à l'arrivée un divertissement plus qu'agréable où le conte finit par l'emporter sur le soap. Une belle histoire, peut-être justement un peu trop belle.
     

     

    Note : 7.5/10

    Meilleure scène : La première prestation télévisuelle de Joy

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  • [Critique] The Leftovers, saison 1

    Créée en 2014, The Leftovers est une des dernières séries estampillées HBO. Depuis l'avènement de Netflix et, plus récemment, Amazon, dans le monde de la télévision, il semble que la chaîne câblée américaine ait perdu de son aura. Même si son Game of Thrones continue à battre des records, cela fait quelques années qu'une autre production n'a pas soulevé un enthousiasme comparable. Cette année pourtant, la deuxième saison de The Leftovers a connu un succès critique des plus impressionnants, si bien qu'on a fini par en parler un peu partout. En s'y intéressant de plus près, on remarque tout de suite un certain nombre d'éléments qui ont de quoi effrayer voire même repousser de prime abord. 
    Tout d'abord, The Leftovers est une série signée Damon Lindelof, le même Lindelof qui avait dirigé la fameuse série Lost. Pire encore, le bonhomme fut un des grands coupables du naufrage Prometheus avec un scénario incohérent et désolant. Pourquoi diable alors la plus prestigieuse des chaînes câblées américaines l'a-t-elle engagé ? Peut-être parce que, jusqu'ici, Lindelof faisait montre d'une créativité débordante mais bordélique. Comme submergé par ses propres idées, le scénariste buvait la tasse tout seul. Sauf que The Leftovers est également la création de Tom Perrotta, un excellent écrivain américain, et que la série n'est en réalité dans sa première saison qu'une adaptation de son livre Les Disparus de Mapleton. On peut donc espérer que Perrotta soit parvenu à canaliser Lindelof et à lui fournir un cadre assez solide pour bâtir une oeuvre (enfin) mature. Reste alors le postulat de départ.

    Le 14 Octobre, 2% de la population mondiale a tout simplement... disparu ! Sans aucune explication ni signe annonciateur. L'histoire de The Leftovers prend place trois ans plus tard dans une petite ville proche de New-York, Mapleton, où les habitants tentent tant bien que mal de continuer leurs existences. Et comme tous les ans, tous s'apprêtent à célébrer la date commémorative de la disparition. Du moins, pas tous. Une secte qui se fait appeler les Guilty Remnants, n'a aucune intention de laisser se produire l’événement. Ce sera au chef de la police locale, Kévin Garvey, d'assurer un semblant d'ordre. La grande appréhension lorsque l'on prend connaissance de ce postulat, c'est qu'il semble être familier. On pense (un peu) à la série française Les Revenants, et (beaucoup) au navet américain Les 4400. The Leftovers serait-elle, encore, une histoire consacrée à la réapparition mystérieuse de personnes disparues ? Ou, pire, une enquête sans fin pleine de rebondissements sur les raisons de cette disparition ?
    En fait, il n'en est rien. Lindelof et Perrotta prennent un pari casse-gueule et d'une grande audace avec cette première saison : celle de ne jamais aller fouiller du côté des disparus mais de se concentrer uniquement et totalement sur ceux qui sont restés en arrière. 

    C'est bien là l'idée géniale de The Leftovers. Durant les dix épisodes qui constituent la première saison, jamais les scénaristes ne vont venir s’embarrasser d'une enquête autour des disparus. Si vous pensiez découvrir une série où vous aurez toutes les réponses, vous pouvez d'ores et déjà passer votre chemin. Mais attention, The Leftovers n'est pas Lost. Si la seconde n'avait simplement aucune idée d'où elle allait, la première est réglée avec une minutie qui force le respect. En explosant les barrières de genres et en infiltrant de bonnes doses de SF et de fantastique dans la série, Lindelof parvient cette fois à diriger proprement ses idées. En fait, The Leftovers est cette oeuvre que l'on espérait depuis longtemps pour le scénariste américain, celle de la maturité. Faisant fi des rebondissements abusifs et des cliffhangers faciles, la série se resserre sur ses personnages et, notamment, autour de la famille Garvey. Une des principales originalités de The Leftovers, c'est de faire pénétrer le spectateur dans un monde où l'on arrive après la bataille. Il faut égrener les épisodes pour comprendre petit à petit les raisons de chacun. Du prêtre au gourou de la secte locale, en passant évidemment par le chef de la police. De ce fait, en plongeant tête la première dans une thématique difficile, celle du deuil, la série fait des merveilles comme on en avait pas vues depuis Six Feet Under !

    Parce que, ne tournons pas autour du pot, cette première saison de The Leftovers est d'une incommensurable tristesse. Ce qui ne veut pas dire que la série tourne au mélodrame appuyé et rasoir, non, pas du tout. Avec une écriture d'une subtilité prodigieuse, Lindelof et Perrotta ménagent leurs effets et laissent s'écouler une petite mélodie triste, aussi triste que les quelques notes de Max Richter qui brisent le cœur du spectateur en quelques secondes. Chaque personnage à l'écran, du plus incompréhensible au plus rationnel, chacun va avoir son heure de gloire et exposer son chagrin de façon digne. Les dix épisodes de The Leftovers s'intéressent à ceux qui restent, à la peine du survivant. En cela, elle aborde un thème universel qui va bien plus loin que le postulat de départ. Cela pourrait être les conséquences d'une guerre ou d'un séisme, mais c'est bien un événement indéterminé et fantasque qui cause la disparition de masse. Du coup, la peine ressentie et les émotions qui en jaillissent paraissent encore plus authentiques. Aussi cruelle que la mort aléatoire d'un être cher en somme. C'est le questionnement sur la perte et, surtout, sur comment la vivre, qui donne à The Leftovers sa phénoménale capacité à émouvoir.

    Alternant les moments improbables et mixant à parts égales les mystères (les chiens pourchassés, la secte des Guilty Remnants, la possible folie de Kévin, les pouvoirs de Wayne...), The Leftovers joue constamment sur la corde raide. Là où Lost a fini par rapidement perdre à ce petit jeu, The Leftovers remporte la mise. Les éléments surnaturels et/ou inexpliqués viennent rajouter du suspense et jouent le rôle de catalyseur pour les personnages. Si l'on n'a pas toutes les réponses dans cette première saison, ce n'est jamais un frein ni un inconvénient, tant cette fois les artifices du scénario sont au service de la dramaturgie. A l'image d'un Penny Dreadful, The Leftovers joue la carte des loners - c'est-à-dire un épisode entier consacré à un unique personnage - avant de revenir sur le chassé-croisé des différents personnages, Kevin Garvey en tête. Et comme pour la série de Showtime, les loners s'avèrent sublimes. On pense à l'épisode 3 Two boats and a Helicopter, mettant en avant le personnage du révérend Matt Jamison, incarné par le génial mais trop rare Christopher Eccleston. On pense aussi à l'épisode 6 Guest, où Lindelof nous fait redécouvrir totalement le personnage de Nora Durst, joué par la formidable Carrie Coon. Ces deux épisodes montrent la capacité de la série à adopter un caractère feuilletonesque sans pour autant renier son côté romanesque et ample. Au lieu de devenir des trésors écrasants en regard du reste - comme pour les loners de Penny Dreadful -, ils magnifient et décuplent le reste de la saison. Le résultat, forcément, est tout simplement génial.

    Seulement, The Leftovers ne serait rien sans sa galerie d'acteurs. A commencer par son rôle principal, Justin Theroux, qui compose un Kevin Garvey tout en nuances, à la fois play-boy en uniforme et père de famille brisé et imparfait. A l'instar de tous les personnages qui traversent The Leftovers, Kévin incarne la fragilité de l'homme, la tristesse de celui qui voit tout s'écrouler et qui perd ses proches sans jamais être capable de retrouver le contrôle de la situation. On citera également un des rôles les plus éminemment difficiles de la série, celui de la gourou des Guilty Remnants, Ann Dowd. Si son personnage arrive à être constamment détestable, c'est grâce au jeu impeccable de l'actrice qui explose littéralement dans l'épisode 8 Cairo. Il faut d'ailleurs saluer la description de la secte des Guilty Remnants à cette occasion. Elle est l'exemple même que Lindelof peut utiliser son hermétisme à des fins salutaires. Comme nombre de sectes, et celle-ci davantage encore, on ne comprend jamais les raisons de leurs actes incroyables et quasiment honteux. Même lorsque Patty s'échine à expliquer sa vision des choses à Garvey. Car le but, finalement, n'est pas de comprendre, mais bien de montrer que selon les différents points de vues, certaines positions ne seront jamais totalement explicables. En ce sens, Lindelof était l'homme idéal pour porter les Guilty Remnants à l'écran.

    Que reprocher à cette première saison ? Trop de mystères parfois ? Possible. A coup sûr en tout cas de ne pas avoir réussi à exploiter l'arc de Tom Garvey, qui semble bien pâle en comparaison des autres et qui finit par ennuyer par rapport à la grandiose réussite du reste. Même le destin de Wayne, personnage le plus improbable de la série, finit par devenir captivant et émouvant. Mais ce reproche peut-il vraiment venir ternir la première saison de The Leftovers ? Non, définitivement pas. Parce que la série se conclut par deux épisodes encore plus formidables que ce que l'on pouvait espérer. L'épisode 9, The Garveys at Their Best, revient sur l'avant-disparition avec une justesse d'écriture époustouflante et une séquence finale à donner des frissons qui arrive, enfin, à expliquer le personnage de Laurie et son devenir. Et puis la conclusion, avec un épisode 10, The Prodigal Son Returns, qui fait des choix radicaux en abandonnant quasi-totalement Mapleton durant la moitié du temps, pour venir nous jeter à la figure les événements qui s'y sont déroulés en conclusion. Une conclusion superbe, encore plus émouvante que la séquence terrible de Kévin s'effondrant en larmes devant Matt. Si la série s'achève sur le monologue de Nora Durst, c'est aussi pour en finir avec les larmes de ceux qui ont tout perdu, pour montrer, comme un ultime pied de nez, que l'espoir peut surgir de la façon la plus improbable qui soit. 

    Si vous avez peur de subir la même déconvenue qu'avec Lost, soyez tranquilles, en soi, la première saison de The Leftovers peut se voir de façon isolée, sans aucune nécessité de poursuivre. Cette brillante histoire de disparus, de deuil, de foi, d'espoir, d’ésotérisme, de folie et d'humanité servie par une galerie de personnages superbes, c'est la conjugaison de deux talents, ceux de Tom Perrotta et de Damon Lindelof. The Leftovers constitue l'une des découvertes les plus marquantes dans l'histoire télévisuelle, une découverte pleine d'audace, de justesse et d'émotions, où quelques notes de Max Richter suffisent à nous tirer des larmes. 
    Nul doute que la saison 2 aura fort à faire pour reprendre dignement le flambeau.  
     

    Note : 9/10

    Meilleur(s) épisode(s) : The Garveys at Their Best et The Prodigal Son Returns



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  • [Critique] My Skinny Sister

    Les pays nordiques ont le vent en poupe dans le paysage cinématographique actuel. Après le buzz de Snow Therapy en début d'année, c'est au tour du discret My Skinny Sister de faire parler de lui. Trainant une réputation de Little Miss Sunshine bis, le premier long-métrage de la suédoise Sanna Lenken se penche sur un sujet relativement rare au cinéma, celui de l'anorexie mentale. Dans la grande tradition de sobriété et d'authenticité des films scandinaves, mêlant à la fois humour doux-amer et drame, My Skinny Sister permet également de découvrir un duo de jeunes actrices avec Amy Deasismont et Rebecka Josephson.

    Stella a 12 ans et vit dans une famille des plus banales. La tête dans les étoiles, la petite fille un peu rondelette écrit des poèmes d'amour au professeur de danse de sa sœur, élève des scarabées qu'elle récolte au gré de ses promenades et s'entraîne à embrasser les garçons avec des tomates. Bref, Stella a tout de la petite fille ordinaire qui s'éveille doucement aux joies de l'adolescence. Sa grande sœur Katja, elle, n'a pas les mêmes préoccupations. Celle-ci s'entraîne durement pour le futur concours de patinage artistique...peut-être même trop durement. Stella découvre vite que sa sœur surveille de plus en plus maladivement son poids et qu'en secret, elle se fait vomir dans les toilettes. Sans vraiment comprendre, la petite fille a l'intuition que Katja va mal. Entre l'amitié et la confiance qui lit les deux sœurs d'un côté, et l'inquiétude de ses parents, Stella va devoir faire face avec sa famille à la terrible maladie de sa sœur.

    Disons-le d'emblée, My Skinny Sister partage en réalité peu de points communs avec Little Miss Sunshine. La principale ressemblance se situant dans le personnage principal avec la petite Stella qui rappelle inévitablement Olive. C'est Stella qui fait en très grande partie le charme intense et enfantin du long-métrage. On assiste par ses yeux à la spirale incontrôlable dans laquelle tombe sa sœur et comment sa maladie vient à la fois briser l'équilibre familiale et influencer les propres perceptions de Stella. My Skinny Sister arrive avec bonheur à jongler entre l'humour et le drame. Il mêle à part égale la naïveté enfantine de la plus jeune et la lente auto-destruction de la plus vieille. En installant très progressivement la pathologie mentale de Katja, Sanna Lenken permet de représenter avec une grande justesse l'anorexie mentale et ses répercussions.

    Parce que l'autre personnage majeur du métrage, c'est bien Katja. Adolescente admirée pour ses compétences artistiques, elle incarne l'archétype de l'anorexique sans pourtant forcer le trait. Par petites touches, Lenken montre comment la conjonction d'un caractère exigeant et le manque de stabilité des parents peut produire un résultat dramatique sur une adolescente déjà fragile. La grande force de My Skinny Sister se niche dans la représentation plus vraie que nature de cette pathologie dévastatrice et incompréhensible pour le commun des mortels. Du coup, l'interprétation des deux jeunes actrices devient forcément essentiel pour donner toute sa force au film. En cela, ni Amy Deasismont ni Rebecka Josephson ne déçoivent, intenses et authentiques de bout en bout.

    Avec sa réalisation discrète mais élégante, My Skinny Sister peut également se permettre le luxe de mettre en avant la relation privilégiée entretenue par deux sœurs et par le retentissement que peut avoir l'état de santé de l'une sur l'autre, ou, pire, l'influence du comportement de l'aînée sur la cadette. Véritable modèle de perfection pour Stella, Katja a un effet à la fois néfaste sur sa petite sœur du fait de son obsession maladive vis-à-vis de son poids (risquant de faire basculer également Stella dans la même spirale) et bénéfique par le support et l'amour réciproques que l'on sent toujours présent quelque soit les épreuves. Grâce à quelques plans bourrés de poésie, Sanna Lenken capte davantage qu'un simple tableau d'anorexie mentale, elle offre dans le même temps un émouvant portrait familial.

    Excellente surprise pour terminer cette année 2015, My Skinny Sister aborde avec une grande justesse et sans patho excessif l'anorexie mentale. Grâce aux talents conjugués de ses deux jeunes actrices ainsi qu'à l'élégance de sa mise en scène, le premier film de la suédoise Sanna Lenken atteint toutes ses promesses et peut-être plus encore.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Les deux sœurs front contre front à l’hôpital.

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  • [Critique] Le Pont des Espions

    Si son dernier film date de 2012, Steven Spielberg croule sous les projets. On a un temps cru qu'il allait adapté le roman de science-fiction Robopocalypse avant que l'américain annonce la mise en veille du projet pour se consacrer à un film d'espionnage durant la guerre froide. Après un détour par le XIX ème siècle, le réalisateur revient donc au XX ème pour explorer à nouveau la guerre froide du point de vue des deux grands blocs (à la différence de son travail dans Munich). Il offre par la même occasion le rôle principal à son vieil ami devenu plutôt rare, l'excellent Tom Hanks, qui incarne ici l'avocat James Donovan. Sans autre star majeure au casting, Le Pont des Espions joue la carte du thriller historique comme en raffole les majors américains en s'intéressant à un échange de prisonniers politiques entre l'Est et l'Ouest. A près de 69 ans, Steven a-t-il encore des choses à dire ?

    Pour tenter de répondre à cette question, situons le contexte de ce nouveau métrage. Nous sommes dans les années 60 et la guerre froide entre les USA et l'URSS bat son plein. La paranoïa est à son comble et les espions des deux camps doivent redoubler de prudence. Rudolf Abel, un vieil homme ordinaire, se fait arrêter dans son appartement. Bien vite, il se révèle que celui-ci fournissait bien des informations aux soviétiques et qu'il doit donc être juger en tant qu'espion communiste. Désigné pour le défendre, James Donovan s'aperçoit rapidement que le procès organisé est une mascarade. Dans le même temps, le pilote Francis Powers se voit confié une mission de reconnaissance au-dessus du sol soviétique à bord d'un avion-espion U2. Malheureusement, il est abattu par des tirs russes et se retrouve prisonnier. Donovan va alors devoir organiser un échange dans un Berlin divisé en deux...


    Le Pont des Espions se présente comme un thriller historique assez classique. Il débute sur un versant "tribunal" dans la lignée d'un Philadelphia puis repasse rapidement du côté thriller pur et simple. Avec Steven Spielberg aux manettes, inutile de dire que la mise en scène est soignée, recherchée et que la reconstitution historique s'avère à la hauteur des espérances. De même, l'arrivée dans un Berlin alors en pleine division a quelque chose de glacialement efficace, entre la construction du mur, l'exode des Berlinois et les décombres de la seconde guerre mondiale. Du côté purement formel, nul doute que le père Spielberg n'a pas perdu la main. On ne pourra cependant pas s'empêcher de voir dans le cheminement emprunté par Le Pont des Espions quelque chose de finalement très académique, très classique et relativement sans surprise. Efficace certes mais peu surprenant.

    Heureusement, le sujet de fond abordé par le film est autrement plus captivant. Spielberg se sert d'un échange de prisonniers pour croquer l'Amérique et ses défauts. Son approche du personnage ambiguë de Rudolf Abel, même si on aurait aimé la voir plus audacieuse encore, reste le meilleur élément du long-métrage. Spielberg tente de montrer comment, en pleine guerre (froide ou non) et en pleine vague de paranoïa, les Etats-Unis toujours si vertueux ne valent à l'arrivée pas mieux que leurs méprisés adversaires. La remise en cause de la justice et de ce côté "nous sommes les gentils" par le réalisateur américain a ceci d'intelligent qu'elle utilise le point de vue d'un avocat qui est contraint de défendre ce qui pourrait facilement être réduit à l'Ennemi. Sauf que la chose n'est pas aussi simple. Spielberg explique patiemment et intelligemment pourquoi l'avocat ne doit se préoccuper que de son client et non de l'opinion populaire. En faisant progressivement changer de paradigme le spectateur, Le Pont des Espions réussit à démontrer que le bien et le mal ne sont que le résultat d'un point de vue.

    Du coup, le long-métrage devient nettement plus intéressant dès que Donovan est confronté à ses propres concitoyens et collègues. On retrouve ici la volonté de Spielberg de toujours faire la part des choses et de ne pas tomber dans un manichéisme historique déplacé, ce qu'il avait déjà réussi à faire dans son excellent Munich. L'excellent jeu de Tom Hanks et, surtout, Mark Rylance, permet au spectateur de s'attacher aux deux personnages principaux sans pour autant nier la réalité de la situation historique. Si l'on aurait aimé davantage encore de jeux politiques, Spielberg se rattrape en ajoutant un troisième parti dans le Berlin des années 60, compliquant la donne et ajoutant une dose de suspense bienvenue au récit. Reste alors l'amitié entre Donovan et Abel, émouvante et juste, ainsi que - et pour poursuivre sa critique de la culture américaine et son hyper-patriotisme - le regard posé sur le destin du jeune Powers qui a quelque chose de très puissant. D'autant plus d'ailleurs qu'il n'est qu'effleuré et laissé à notre imagination. 

    Sans arriver à la cheville de ses meilleurs films, Le Pont des Espions arrive à compter parmi les bons Spielbergs. Porté par deux acteurs excellents et jouissant d'une mise en scène impeccable, le long-métrage peut surtout compter sur une critique maligne et roublarde de l'histoire américaine durant la Guerre Froide, posant un regard critique sur un passé moins manichéen qu'on voudrait nous le faire croire.
    Un très bon moment. 

    Note : 8/10

    Meilleure scène : James Donovan regardant la façon de mettre Rudolf Abel dans la voiture des soviétiques

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  • FLOP CINE 2015 - JUST A WORD

    Ce flop a été composé après visionnage de 111 films au cinéma sortis cette année 2015.

    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    10 - Crimson Peak de Guillermo Del Toro

    Réalisateur pourtant largement apprécié, le mexicain Guillermo Del Toro a extrêmement déçu avec son Crimson Peak. Si le long-métrage est inattaquable sur le plan de la mise en scène pure (et c'est finalement ce qui le sauve), il met en lumière une pratique à la fois honteuse et révélatrice : l'auto-plagiat. N'ayant visiblement plus rien à dire, Del Toro finit par se plagier lui-même en reprenant presque trait pour trait le fond de son chef-d'oeuvre, L'Echine du Diable. Rajoutons à cela des incohérences embarrassantes et la longueur abusée du long-métrage dans sa première partie, et l'on constate avec désarroi que depuis Le Labyrinthe de Pan, Del Toro n'a plus fait de film avec un véritable scénario. Sera-t-il condamné aux blockbusters épiques tels que Pacific Rim ?
    Espérons que non...

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    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    9 - Chappie de Neill Blomkamp

    A l'instar de Del Toro, Blomkamp se plagie lui-même dans Chappie. Resucée maladroite de l'ambiance de son premier excellent film, District 9, Chappie nous fait aussi le coup du robot qui devient plus humain que l'humain. Ce thème abordé à maintes et maintes reprises ne procure au spectateur aucune nouvelle piste de réflexion et finit même par lasser tant les personnages humains manquent de charisme pour nous séduire. Reste alors un film d'action correct mais franchement décevant. Après le lamentable Elysium, Neill Blomkamp confirme qu'il n'avait qu'une seule bonne idée à mettre en images...


    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    8 - American Sniper de Clint Eastwood

    C'est l'histoire d'un mec qui réalisait d'excellents films voire, parfois, de véritables pépites. Ayant atteint le sommet avec Letters from Iwo Jima, notre bon vieux Clint Eastwood s'est mis en tête de doucement descendre de l'autre côté. Le côté obscur. Très très obscur. Républicain convaincu mais pas assez bête pour l'exposer sur pellicule, Clint Eastwood réalise avec American Sniper son pire film. Incapable d'adopter une position claire, mixant des influences et des éléments vus ailleurs dans une qualité largement supérieure (Jarhead, Full Metal Jacket...) et donnant à Cooper un de ses rôles les plus insipides (avec le jeu monolithique qui va avec, évidemment). A côté du monstrueusement intelligent Foxcatcher de Benett Miller, American Sniper apparaît comme un film insipide et médiocre au mieux. C'est dur de vieillir...

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    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    7 - Les 4 Fantastiques de Josh Trank

    Running-gag de la production foireuse, les 4 Fantastiques par Josh Trank se hisse avec aisance dans le Flop 10 de l'année. Ce film étrange qui semble pourtant assez correct dans sa première moitié, malgré des erreurs de casting flagrantes (à commencer par Toby Kebell en méchant et Miles Teller en Richards...), bascule d'un coup d'un seul dans un nanar de luxe comme on a en rarement vu. Tout se passe comme si, au bout de la moitié du film, tout le monde s'était dit sur le plateau : "Oh et puis merde les gars, si on faisait n'importe quoi ?". Parce que, oui, après, c'est du grand n'importe quoi. Le point culminant semblant atteint lorsque le grand méchant Dr Doom, que l'on pensait impossible d'être plus médiocre que dans l'original, se révèle encore plus médiocre et foiré. Un tel exploit après avoir livré un Chronicle excellent, ça mérite le respect (ou la fessée, c'est à voir...) !


    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    6 - Maggie d'Henry Hobson

    Arnold n'est plus gouverneur de Californie. Du coup, Arnold doit payer ses factures comme tout un chacun. Alors, avant de violer joyeusement la saga Terminator avec Genysis (non critiqué dans Just A Word, la bande-annonce se suffit à elle-même), Arnold est parti tourner un film de zombies. Avec la talentueuse Abigail Breslin qui devait aussi avoir des factures à payer, Henry Hobson livre un long-métrage qui se concentre sur le traumatisme que peuvent vivre les personnages condamnés à abattre leurs proches zombifiés. Bonne idée, non ? Sur vingt minutes... peut-être... sur une heure et demi, certainement pas. Répétitif, déjà largement vu ailleurs en mieux (et en beaucoup plus juste), Maggie veut aussi se donner un style "film d'auteur" qui finit par tomber dans la caricature désolante. Un échec assez dommage mais presque inévitable.


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    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    5 - La rage au ventre d'Antoine Fuqua

    Les films de boxe, c'est bien. Enfin, quand c'est fait avec talent. Antoine Fuqua, bien décidé à rendre hommage à son nom de famille, nous gratifie cette année d'une véritable diarrhée filmique. Mélodrame poussif jamais crédible et surtout vu mille fois ailleurs (et en mieux), La Rage au ventre bouffe le précieux temps d'excellents acteurs (Gyllenhaal et Whitaker) pour une sorte de pseudo-Million Dollar Baby mixé avec du mauvais Rocky, où l'on sait tout ce qu'il va se passer après dix minutes de film. Du coup, on se fait profondément chier et l'on attend avec impatience la victoire du hérosquiestunconnardmaispastropetquivatrouverlalumièreavecunvieuxnoirquinefaitplusdeboxe. 
    Et si en plus on vous dit que 50 Cent joue dans le film ? Il faut vraiment argumenter davantage ?

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    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    4 - Jupiter's Ascending des Wachowksi

    Véritable énigme de petit et grand écran, les Wachowksi alternent coup de génie et bouse affligeante. Puisqu'en 2012 était sorti sur les écrans l'éblouissant Cloud Atlas, 2015 devait donc voir la parution d'un étron filmique. Certainement trop occupé par leur série Sense8, les Wachos nous offrent un space-opéra réalisé de main de maître mais totalement imbécile et caricatural. A la fois niais comme un Disney et ridicule comme un Disney (bah oui), Jupiter's Ascending réussit l'exploit de faire jouer comme des patates Channing Tatum et Eddie Redmayne (on a même honte pour ce dernier...). Prouvant une bonne fois pour toutes que des effets spéciaux et une belle actrice ne font pas tout en science-fiction, Jupiter's Ascending mérite carrément sa place au pied du podium.

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    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    3 - Les Merveilles d'Alice Rohrwacher

    Il n'y a pas que le cinéma à gros budget qui accouche de sombres bouses. Il y a aussi le cinéma d'auteur.
    Grand prix du festival de Cannes 2014 (mais ça leur arrive souvent...), Les Merveilles d'Alice Rohrwacher avait reçu une pluie d'éloges avant même de sortir en salle. Seulement voilà, une fois devant le long-métrage, difficile de comprendre l'engouement. Mise en scène extrêmement fade et datée, histoire aussi passionnante que la dernière saison de Derrick, des longueurs à n'en plus finir... Les Merveilles porte mal son nom. On se consolera avec l'apparition d'une Monica Belucci grimée en présentatrice sexy de show campagnard au rabais mais, avouons-le, c'est assez peu pour pallier à l'infinie vacuité de ce navet méconnu (à juste titre).


    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    2 - Jurassic World de Colin Trevorrow

    Vous l'attendiez tous avec impatience ? Avec excitation même ? Manque de bol, la suite/reboot de la légendaire saga Jurassic Park se hisse au rang du nanar de l'année. Rien que ça. 
    Dans un superbe élan artistique qui rappelle parfois les meilleurs éclats de génie de Paul W.S Anderson, le jeune réalisateur américain a décidé de livrer une belle madeleine de Proust aux fans surexcités. Sauf qu'à l'intérieur, tout est pourri. Non seulement la réalisation du film manque constamment d'ampleur et d'audace (alors qu'on filme quand même des dinosaures de plusieurs mètres de haut), mais en plus elle conjugue la médiocrité d'un casting fade au possible (la palme à Chris Pratt qui incarne un héros dont on a déjà oublié le nom, possédant le charisme d'un bulot cuit et l'intelligence d'un concombre avec des cheveux... et c’est bête un concombre !), d'un scénario qui recherche constamment les débilités, les incohérences et surtout des moments de pur "WTF ?!" qu'on croyait impossible. Pour peu, on n'aurait pas été plus surpris que ça de voir nos héros boire une bière avec les vélociraptors. 
    Dans le jargon, on appelle ça une purge (et encore, la purge soulage... là...)

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    [Flop] Bilan Cinéma 2015

    1 - The Visit de Night Shyamalan

    Ah Night Shyamalan ! Un jour grand parmi les grands, l'américain n'en finit à présent plus de toucher le fond.
    Malgré le postulat de base prometteur de son dernier film, The Visit, on sait à présent que Shyamalan a pris une pelle et qu'il creuse. Profondément. Etant au film d'horreur ce que Justin Bieber est à la musique contemporaine, The Visit semble avoir parfaitement assimilé tout ce qu'il ne faut pas faire pour réaliser un bon film d'horreur, et même un bon film tout court. Scénario aussi fin qu'une blague de Jean-Marie Bigard, réalisation totalement désespérante, absence totale du moindre début de frisson, et, pire que tout, drôle involontairement, le dernier rejeton de Night Shyamalan achève de nous convaincre que le réalisateur d'Incassable et Sixième Sens n'est plus. Paix à son âme, et arrêtez de violer son cadavre. Merci.

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  • TOP CINE 2015 - JUST A WORD

    Ce top a été composé après visionnage de 111 films au cinéma sortis cette année 2015.

    [Top] Bilan Cinéma 2015

    10 ex-aequo - Inherent Vice de Paul Thomas Anderson

    Plus discret ces derniers temps, le prodige Paul Thomas Anderson revenait cette année avec l'adaptation d'un roman du cultissime Thomas Pynchon. Emporté par un Joaquin Phoenix toujours aussi éblouissant et mêlant avec bonheur des histoires totalement improbables, à commencer par celle de Doc Sportello, Inherent Vice capture les années 60 comme personne. Dans ce véritable OFNI à la mise en scène fascinante, le spectateur devient rapidement aussi paranoïaque et stone que son narrateur. Franchement jubilatoire.

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    10 ex-aequo - The Big Short d'Adam McKay

    Surprise de la fin de l'année 2015, le film d'Adam McKay réussit le tour de force d'être ludique, intelligent, stimulant, drôle et terrifiant à la fois. En emmenant un Steve Carrell encore une fois génial et un Christian Bale toujours impeccable, le réalisateur américain que l'on n'attendait pas livre une charge pleine de mordant dont l'efficacité n'a d'égale que son effroyable clairvoyance. Ajoutez-y une mise en scène survoltée et un récit sans temps mort et vous obtenez l'un des films les plus captivants et brillants sur le monde de la finance moderne.

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    9 - Sicario de Denis Villeneuve

    Devenu au fil des ans une valeur sûre du cinéma nord-américain, le canadien Denis Villeneuve abandonne l'hermétisme de son dernier film (Enemy) pour retrouver la violence et le questionnement sur le bien et le mal qui nous avait tant séduit avec Prisoners ou Incendies. Sicario plonge donc dans l'enfer des cartels mexicains sans aucune pudeur en accompagnant le formidable Benicio Del Toro dans les tréfonds de l'horreur. Magistralement mis en scène (on se souviendra longtemps du passage à Ciudad Juarez), le long-métrage marque durablement le spectateur.
    Un retour en force.

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    8 - It Follows de David Robert Mitchell

    Qu'il fait du bien de voir un film d'horreur dans ce top 10 !
    Genre maltraité par excellence à l'heure actuelle, l'horreur retrouve tout son prestige grâce à David Robert Mitchell. Refusant les effets gores outranciers et misant tout sur une terreur psychologique à couper au couteau, le réalisateur accouche d'un monstre terrible où le cinéma de Carpenter est salué avec force. Personnification des MST, plongée dans une adolescence délaissée et surtout grand film paranoïaque, It Follows renvoie à The Thing comme à Silent Hill. Le premier film de David Robert Mitchell va vous donner des sueurs froides.

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    7 - Birdman d'Alejandro Gonzalez Inarritu

    Sensation de la saison Oscars 2015, Birdman prenait le pari de remettre sur le devant de la scène un acteur totalement has-been en la personne de Michael Keaton. En se consacrant en plus au monde du théâtre et en adoptant le parti radical de filmer en un seul plan-séquence, Inarritu prenait de sacrés risques. Des risques payants puisque Birdman a non seulement remporté l'Oscar du meilleur film mais qu'il intègre la septième place de ce top. Un Michael Keaton impérial, une mise en scène audacieuse, un regard cynique sur la mode des films de super-héros et une mise en abyme du métier d'acteur des plus réussies, voilà les ingrédients qui font de Birdman un des meilleurs films de cette année 2015. 
    Un exercice de style épatant.

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    6 - The Look of Silence de Joshua Oppenheimer

    En 2012, Joshua Oppenheimer avait mis une grande claque au monde du documentaire avec le terrifiant et indicible The Act of Killing qui racontait à sa façon bien particulière l'extermination des soi-disant communistes en Indonésie. Trois ans plus tard, Oppenheimer récidive avec un second documentaire qui adopte cette fois le point de vue des victimes. Toujours aussi puissant dans sa mise en scène et son questionnement, The Look of Silence complète à merveille son prédécesseur. D'autant plus effrayant que tout ce que l'on entend et voit est authentique, l'oeuvre d'Oppenheimer n'est pas seulement le documentaire le plus réussi de l'année, c'est aussi tout simplement l'un des dix indispensables à voir.

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    5 - Vice-Versa (Inside-Out) de Pete Docter

    Dire que l'on attendait énormément de Pixar avec Vice-Versa est un doux euphémisme. Après un passage à vide ces derniers temps, le studio à la lampe n'avait plus le droit à l'erreur. Du coup, c'est le formidable Pete Docter (à qui l'on doit le meilleur Pixar, Monstres et Cie) qui se charge de l'affaire. Véritable feu d'artifice d'émotions, d'une justesse incroyable et d'une richesse bienvenue, Vice-Versa marque le retour en grande forme de l'animation américaine. C'est beau, prenant, émouvant, drôle, mélancolique, bref c'est une pure réussite qui méritait bien une belle place dans ce classement !

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    4 - Mad Max : Fury Road de George Miller

    Parmi les multiples entreprises de reboot/reprises de saga cultes, Mad Max faisait un peu office d'outsider. Pour relancer la franchise, Warner Bros n'a choisi nul autre que son créateur, le génial mais trop rare George Miller. Véritable bombe, Fury Road s'impose comme l'un des plus gros chocs cinématographiques de l'année. Violent, virtuose, furieux, démesuré, hallucinant et halluciné, ce nouveau Mad Max renvoie tous les blockbusters modernes dans le bac à sable en misant tout sur une mise en scène et un univers époustouflants. Miller est grand, très grand.
    Witness !!

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    3 - Foxcatcher de Benett Miller

    Pour la troisième marche du podium, retour à un cinéma moins clinquant et furieux mais toujours aussi intelligent. Foxcatcher de Benett Miller rassemble à peu près tous les atouts d'un cinéma de qualité : un trio d'acteurs fantastiques dont un Steve Carell méconnaissable, une réflexion dérangeante sur l'Amérique et sur la violence, une mise en scène parfaite et une bande originale lancinante. Peinture sans concession du way of life américain et portrait d'un homme dévoré par son ambition, Foxcatcher s'impose tout naturellement comme l'un des plus grands moments de cinéma de l'année 2015.
    Un chef-d'oeuvre noir et impitoyable.

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    2 - Crosswind de Martti Helde

    Très longtemps resté le meilleur film de l'année 2015, Crosswind est le premier film de l'Estonien Martti Helde. Intégralement en noir et blanc, dénué du moindre effet spécial ou presque, Crosswind raconte le drame méconnu du peuple des pays baltes déporté par les soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale vers les goulags sibériens. En recourant à une série de tableaux figés où les acteurs recomposent des scènes d'une force émotionnelle hallucinante, Helde fait un choix pour le moins radical. Pourtant, l'absolue perfection de la réalisation alliée à la pudeur constante du réalisateur pour son sujet font de Crosswind un long-métrage touché par la grâce. 
    Certainement le moment de cinéma le plus dur et le plus pur de l'année 2015.

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    [Top] Bilan Cinéma 2015

    1 - MacBeth de Justin Kurzel

    Et le vainqueur de cette année 2015 n'est nul autre qu'un roi, et pas n'importe lequel.
    Second long-métrage de l'australien Justin Kurzel, Mac Beth retranscrit à l'écran la mythique pièce de Shakespeare portée par les interprétations magistrales de Michael Fassbender, Marion Cotillard et Sean Harris. Musique entêtante, acteurs au sommet, réalisation époustouflante, tout concourt à rendre Mac Beth inoubliable. 
    En une phrase comme en cent : All hail, Macbeth, thou shalt be king hereafter!

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    Les Coups de Cœur :

    - Papa ou Maman de Martin Bourboulon -- Critique
    - Youth de Paolo Sorrentino
    - Ex Machina d'Alex Garland -- Critique
    - Une belle fin d'Urberto Pasolini
    - Loin des hommes de David Oelhoffen -- Critique
    - Le fils de Saul de Lazlo Nemes -- Critique
    - Virunga d'Orlando von Einsiedel -- Critique


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  •  Après un Vice-Versa qui marquait la résurrection de la firme à la lampe, Pixar nous offre un second long-métrage d'animation sur la même année, un fait unique jusqu'ici. Du coup, on peut logiquement craindre une oeuvre au rabais qui viendrait juste surfer sur la faste période de Noël pour se rentabiliser. Il suffit de jeter un œil au réalisateur en charge du projet, Peter Sohn, pour renforcer ce doute, le monsieur n'ayant à son actif qu'un unique court-métrage, Passages Nuageux, très bon au demeurant mais qui constitue un CV bien léger. Heureusement, les bandes-annonces sont venues nous rassurer un peu en mettant l'accent sur une relation assez particulière : celle d'un enfant et d'un dinosaure. En effet, The Good Dinosaur (traduit par Le Voyage d'Arlo par nos merveilleux publicistes) est en réalité une uchronie où la météorite qui aurait du causer l'extinction des dinosaures a raté sa cible. Si l'on sent des relents de Croods et de The Land before the Time ( aka Le petit dinosaure et la vallée des merveilles), le long-métrage va devoir trouver ses propres arguments pour convaincre...

    Et les choses commencent assez mal pour Le Voyage d'Arlo. Peter Sohn nous invite à découvrir un monde où les dinosaures ne se seraient jamais éteints. Dans celui-ci, Arlo, le cadet de la famille de trois enfants, vit avec ses parents fermiers dans la quiétude de leur ferme. Vivant dans l'ombre constante de son frère Buck et de sa sœur Libby, le jeune dinosaure désespère de pouvoir un jour apporter sa marque sur le grenier à maïs de la famille, symbole d'accomplissement absolu à ses yeux. Pour l'aider, Henry, son père, lui demande de chasser la mystérieuse créature qui vient dévaster leur réserve de grain. Alors qu'il tente d'éliminer cette bestiole nuisible, Arlo tombe dans la rivière qui finit par l'emporter très loin de chez lui. Pour revenir dans sa famille, le jeune dinosaure va devoir apprivoiser Spot, une créature décidément bien étrange...

    Pourquoi les choses commencent mal ? Parce que Pixar, qui nous a habitué à une débauche d'idées farfelues par le passé, se contente de faire de l'anthropomorphisme avec les dinosaures. Alors que le studio aurait pu imaginer un mode de vie totalement différent pour les mastodontes, on se retrouve en face d'un calque amusant, mais peu original, d'une époque Far West où la famille d'Arlo joue les fermiers et où les T-Rex sont des éleveurs de troupeau. Même si en soi la chose n'est pas désagréable, elle manque sincèrement d'audace. De même, le fond de l'histoire reste tout à fait simpliste. Arlo est le plus chétif mais également le plus attachant de la famille et son aventure va lui permettre de prendre confiance en lui et de s'affirmer. Le genre de récit qui a déjà été vu auparavant maintes et maintes fois. Malgré l'hommage au Petit Dinosaure de Don Bluth, Le Voyage d'Arlo peine énormément à mettre en avant ses arguments pour se démarquer. 
    Du moins...jusqu'à l'arrivée de Spot.

    Le vrai coup de génie du Voyage d'Arlo - qui sauve d'ailleurs tout le long-métrage et arrive à faire naître quelques séquences sublimes - tient dans l'unique personnage de l'enfant sauvage nommé Spot par Arlo. Ce petit trublion, qui n'est pas sans rappeler la plus jeune membre de la famille des Croods, fait des étincelles. Son comportement est entièrement calqué sur celui d'un chien et son design est une totale réussite. Sa folie, sa fraîcheur et finalement l'émotion qu'il apporte à l'histoire, font que le long-métrage tout entier repose sur ses épaules. Sohn parvient à tisser une relation superbe et attendrissante en diable entre Arlo et Spot, parfois sans employer de mots et surtout, il touche à plusieurs occasions à des moments de beauté indescriptible tels que Pixar en a le secret. On pense notamment à ce passage où Arlo explique le principe de la famille à Spot avec des bâtons et que celui-ci, sans un mot, lui explique son chagrin en retour. Un moment de pure poésie. On retrouvera un autre passage, muet lui aussi, où Spot rencontre les siens et où la tendresse du moment explose au visage du spectateur. Même si Le Voyage d'Arlo a quelques autres qualités, c'est Spot qui tient le film au bout de ses (petits) bras.

    Car heureusement, Le Voyage d'Arlo a quelques autres atouts à faire valoir. Quelques rencontres avec des personnages farfelus par exemple, à commencer par le tricératops schizophrène ou la secte du tonnerre. Cette dernière creuse la comparaison avec la période du Far West et les fanatiques religieux qui pouvaient écumer les contrées américaines. Bien que le décalque de cette époque soit facile, il reste convainquant dans le soin apporter par Sohn pour le fondre avec l'univers préhistorique. Ainsi, on s'ennuie difficilement durant l'aventure, tant celle-ci s'avère rythmée et agréable à suivre, sorte de road-movie qui ne dit pas son nom. Reste tout de même à rajouter que plastiquement, Le Voyage d'Arlo est une pure merveille qui met une claque à toute la production actuelle. L'animation s'avère sublime de bout en bout et bénéficie d'un soin tout particulier dans les séquences nocturnes et le jeu des lumières. Le dernier Pixar est un ravissement constant pour les yeux.

    Malgré d'évidents défauts, Le Voyage d'Arlo sauve l'essentiel grâce à sa beauté graphique et au fabuleux personnage de Spot. Largement en dessous d'un Vice-Versa, le premier long-métrage de Peter Sohn convaincra pourtant une large part du public visé voir même plus à l'occasion de quelques séquences sublimes qui hissent le film à un niveau bien plus haut qu'escompté. 
    Aouhhhh !

    Note : 8/10

    Meilleure réplique : Tout ce que peut dire le tricératops en décrivant ses compagnons de route

    Meilleure séquence : Arlo et Spot qui esquissent leurs familles avec des bouts de bois.

     



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  • [Critique] Mac Beth

    Pièce de légende s'il en est, MacBeth de Sir William Shakespeare a connu maintes et maintes adaptations, notamment cinématographiques. C'est à Cannes cette année que la dernière d'entre elles a fait parler d'elle. Aux commandes cette fois, le réalisateur australien Justin Jurzel qui avait impressionné son monde avec son premier film, Les crimes de Snowtown, une plongée sans concession et viscérale dans une Australie dérangeante aux côtés d'un serial killer terrifiant. Déjà salué pour son sens de la mise en scène et de la création d'atmosphère, Kurzel hérite ici d'un projet taillé sur mesure pour lui et engage, de surcroît, une pléiade d'acteurs formidables dont le génialissime Michael Fassbender pour interpréter MacBeth lui-même. Sévèrement étrillé à Cannes par la critique française, MacBeth n'en impressionne pas moins un certain nombre de critiques anglophones. Du coup, sa sortie en salles permettra de trancher : MacBeth, pétard mouillé ou coup de génie ?

    Doit-on rappeler l'histoire de MacBeth. Pièce de théâtre d'un des plus grands écrivains de tous les temps, elle adapte librement la légende du roi écossais MacBeth pour en faire une tragédie teintée de surnaturel. Alors que le roi Duncan fait face à la rébellion, il envoie le Thane de Glamis, MacBeth, dans une ultime bataille désespérée face aux traîtres. Si MacBeth sort victorieux de cette sanguinaire lutte, il reçoit les paroles d'oracles étranges, les sœurs du silence, qui lui prédisent la gloire et le trône. Perturbé, il rentre à Inverness auprès de son épouse qui, consciente des enjeux, l'incite à tuer le roi Duncan pour prendre sa place. Accablé par son forfait et de plus en plus instable, MacBeth prend la tête du royaume écossais et commence, lentement mais surement, à s'enfoncer dans la paranoïa. C'est sur ce postulat que Justin Kurzel donne sa vision du drame Shakespearien pour un résultat virevoltant, pictural et, pour tout dire, impérial.

     

    Dès les premiers instants, Kurzel donne le ton. Résolu à faire de cette adaptation une retranscription théâtrale plutôt q'une refonte cinématographique, il conserve les dialogues succulents du récit originel tout en renonçant au côté possiblement épique de la pièce. Ainsi, le film, après un court générique posant les bases et se terminant telle une levée de rideau, nous plonge dans la bataille. Kurzel pourtant n'offre rien de ce que l'on pourrait attendre, il stoppe l'action, fait des ralentis, capture les protagonistes comme autant d'éléments d'une toile sanglante, retrouvant l’essence presque tétanisante de la violence et du désespoir inscrits sur les visages. MacBeth sera une peinture Shakespearienne avec, en prime, une mise en scène aux petits oignons comme seul Kurzel en a le secret. 

    S'ensuit alors le reste de l'épopée du tragique MacBeth. Kurzel ne cesse de confirmer son obsession d'une mise en scène ample et grandiloquente, toujours en parfaite adéquation avec les enjeux shakespeariens. Sa réalisation se fait diaphane et fragile lorsque Lady MacBeth menace seule dans une église ou lorsqu'elle s'enfonce elle-même dans la folie. Kurzel s'attache à l'histoire mais avant toute chose à ses deux acteurs principaux : Michael Fassbender et Marion Cotillard. En MacBeth, Michael Fassbender trouve un rôle parfait, il n'interprète pas MacBeth, il se fond totalement dans le personnage. Né pour l'incarner, l'américain s'avère prodigieux, mémorable même. Le visage déformé par la rage et la folie, la voix tantôt hésitante tantôt emplie d'une colère dévastatrice, il porte le film sur ses épaules tout en formant un duo magnétique avec la française Marion Cotillard. Malgré les nombreuses réticences que l'on pourrait avoir vis-à-vis de celle-ci, Kurzel prouve qu'il est un excellent directeur d'acteurs et donne à Cotillard peut-être le plus grand rôle de sa vie. Face caméra, dans de longs monologues, Marion fait des merveilles. "To bed, to bed" clame-t-elle dans une séquence éblouissante où Lady MacBeth vacille définitivement. Comme Fassbender, elle est formidable.

    Mais si MacBeth est aussi puissant, c'est aussi par la conjonction d'une mise en scène grandiose, d'une histoire impeccable, d'une musique entêtante et d'un casting remarquable. Kurzel, reprenant les tirades Shakespeariennes, baigne son long-métrage dans une atmosphère à la fois crépusculaire et mystérieuse où lentement le surnaturel envahi l'écran. Grâce à des costumes véritablement inspirés, le film n'accuse aucune faute de goût. On plonge tête la première dans des paysages écossais glaçants mais splendides et l'on suit avec une rare intensité cette adaptation radicale. Aucune action dans MacBeth, ou presque, mais de longs dialogues avec cette puissance déjà bien connue qui ravira les amateurs de beaux textes. Comment résister aux tirades shakesperienne dans la bouche d'un Fassbender littéralement possédé ? De même, les rôles secondaires sont interprétés par des acteurs souvent peu mis en avant mais tout aussi talentueux : Sean Harris, David Thewlis ou encore Paddy Considine font des merveilles. Jusqu'à cette scène finale juste sublime où MacBeth rencontre son destin. Kurzel brûle alors l'écran, teinte son film de pourpre et fait s'affronter MacDuff et MacBeth dans un face-à-face de légende où la fumée sanglante devient un brouillard surnaturel, où les armées deviennent des spectres et où les héros deviennent des mythes. Un final carrément éblouissant porté encore une fois par une musique non moins éblouissante signée Jed Kurzel. 

    MacBeth est un chef d'oeuvre. Celui de Shakespeare et celui de Kurzel.
    D'une maîtrise absolue sur tous les plans, porté par des acteurs au sommet de leur art et accompagné par une grandiloquence théâtrale et picturale fascinante, le second long-métrage de l'australien Justin Kurzel confirme non seulement tout le bien que l'on pensait de celui-ci mais le promet également à un brillant avenir.
    Simplement le meilleur film de l'année 2015 !
    All hail, Macbeth, thou shalt be king hereafter!

    Note : 10/10

    Meilleure réplique :
    I dare do all that may become a man,
    Who dares do more is none.

    Meilleure scène : L'affrontement final

     

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  • [Critique] Mon Roi

     

    Prix d'Interprétation Féminine Cannes 2015

     

    Forte du succès de son Polisse, Maïwenn revient cette fois pour un drame amoureux plein de fougue et de passion. Présenté au Festival de Cannes 2015, Mon Roi compte sur la présence de deux excellents acteurs, à savoir Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot, pour suivre l'histoire d'amour déchirante de Georgio et Tony. Quelques années après leur rencontre en boîte de nuit, Tony est admise en centre de rééducation après avoir fait une chute à ski. C'est l'occasion pour elle de se souvenir des belles choses puis des disputes et des drames qu'ont traversé le couple. Du coup, Maïwenn se fait plaisir et livre un film bouillonnant qui prend aux tripes. Oubliez le collage bancal de Polisse, Mon Roi homogénéise son propos pour se concentrer sur l’essentiel...enfin presque.

    Presque parce que Maïwenn reste Maïwenn. La réalisatrice française est toujours sa meilleure ennemie et ne peut s'empêcher d'immiscer un petit message très politiquement correct à base de mixité et de vivre ensemble qui n'a, en fait, rien à faire là. Peu importe que l'on soit réceptif ou non à ce message, Maïwenn l'intercale durant la rééducation de Tony, sans aucune véritable raison à part ajouter un surplus d'intellectualisation bon marché à son histoire. De toute façon, le seul véritable problème de Mon Roi se situe dans ce second axe, heureusement très discret, sur la rééducation de notre héroïne qui établit le parallèle entre sa remise en forme physique et psychologique. Maïwenn n'a pas les épaules pour une telle métaphore accouchant d'un propos lourd, surligné de façon maladroite et qui surtout, casse abusivement le rythme de LA grande histoire du film : celle de Tony et Georgio.

    Sorti de ce reproche, Mon Roi a toutes les cartes en main pour marquer les esprits. Grâce à deux acteurs véritablement formidables, le long-métrage décolle immédiatement. Il dégage une énergie et une passion véritablement bluffantes où Maïwenn se sert de sa mise en scène efficace pour magnifier ses deux protagonistes. En capturant l'essence même d'une histoire d'amour fusionnelle, la réalisatrice offre un crescendo amoureux qui peut exploser à tout moment. L’inévitable decrescendo cueille d'ailleurs le spectateur avec habilité et transforme le récit en un déchirement sentimental encore plus vibrant qu'auparavant. Au milieu, Cassel et Bercot font des merveilles. Le premier incarne un charmeur certifié salaud, le genre de beau gosse séducteur qui devient vite une plaie. Cassel est génial, comme toujours, conjuguant avec un même bonheur l'assurance nécessaire au rôle et ce côté détestable qui lui sied si bien. Puis, il y a Emmanuelle Bercot. Dans la peau de Tony, elle livre une partition éblouissante, blessante presque par son intensité. L'actrice porte le film sur ses épaules, sert de moteur à l'intrigue, nous émeut à chaque crise de larmes ou pétage de plomb. Bref, vous l'aurez compris, elle est impériale. Un prix d'interprétation féminin largement mérité.

    En fait, Mon Roi, c'est l'histoire banalement extraordinaire d'un couple de tous les jours. Seulement voilà, Maïwenn livre quelque chose de viscéral, s'insinuant par les plus petites blessures du quotidien pour en faire des plaies ouvertes. On vit avec les deux amoureux une histoire follement attirante avant de subir la désillusion. Avec une justesse épatante, Maïwenn montre les fantasmes amoureux puis les déchirements inévitables, elle montre l'égoïsme du couple et comment un enfant peut se retrouver au milieu. Mais surtout, elle montre l'emprise qu'une personne peut avoir sur une autre. Tony aime Georgio au point d'en devenir totalement aveugle. Elle nie la réalité jusqu'à ce que celle-ci la rattrape et que le charmeur d'hier devienne l'ordure d'aujourd'hui. Tout le cœur du film se trouve dans la guérison et le combat mené par Tony pour se débarrasser de l'amour voir de l'admiration béate qu'elle éprouve à l'égard de l'homme dont elle est tombé follement, complément amoureuse. Entre deux, Maïwenn capture d'intenses moments de beauté, comme lors de cette superbe séquence où le couple tient leur enfant nouveau-né dans un silence admiratif. Ou lorsque Tony retrouve les petits riens de l'homme qu'elle aimait à la toute fin, à la fois libérée et éternellement piégée. 

    Sans forcément révolutionner le genre, Mon Roi nous offre un excellent moment de cinéma à peine gâché par une sous-intrigue inutile et prétentieuse. L'alchimie sauvage entre Cassel et Bercot, la débauche de sentiments amoureux du récit ainsi que l'intensité toujours plus forte dégagée par le film, voilà ce qui fait la force de Mon Roi. On ira le voir pour cela, pour la grandeur et la déchéance d'un couple passionné et passionnant.

    Note : 8.5/10

    Meilleures scènes : La naissance - La scène finale - le repas avec Tony saoul. 

     Critique dédicacée à Solène pour son autre regard sur la scène finale



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  • [Critique] Le Fils de Saul
    Grand Prix Festival Cannes 2015
    Prix FIPRESCI 2015

    Cette année à Cannes, la compétition a vu l'émergence d'un nouveau cinéaste en la personne du hongrois Laszlo Nemes. Enfin nouveau...l'homme a déjà gagné un certain nombre de distinctions pour ses court-métrages et a eu l'insigne honneur d'être l'assistant d'un certain Bela Tarr. Pour débuter sa carrière catégorie long-métrage, Laszlo Nemes a choisi un sujet archi-connu et déjà largement traité au cinéma par plusieurs grands réalisateurs : la Shoah. Steven Spielberg, Roman Polanski, Costa-Gavras... autant de noms prestigieux qui ont plongé dans l'enfer des camps et de l'ultime horreur humaine. Du coup, le challenge d'apporter un élément supplémentaire s'avère relevé pour le hongrois. Pourtant, Le Fils de Saul a été unanimement salué à Cannes jusqu'à se voir décerner le Grand Prix du festival. La raison ? Sa mise en scène radicale qui embrigade le spectateur aux côtés d'un Sonderkommando d'Auschwitz-Birkenau, Saul Ausländer (L'Étranger en français). Cela peut-il suffire à faire du premier long-métrage de Laszlo Nemes un grand moment de cinéma ?

    La caméra fixe un champ vide. Tout est flou. Lentement, venant de l'horizon, des hommes approchent. L'un d'eux arrive en face de la caméra qui parvient enfin à nous le rendre parfaitement net. L'arrière-plan, lui, garde cet aspect flou énigmatique. 
    Autour de ce champ visuel déjà restreint, le cadre adopte le format 4:3, le même format resserré qu'un Mommy de Xavier Dolan. Sauf qu'ici le but n'est pas, du tout, le même. 
    Dans un prélude intense et sans concession, Laszlo Nemes nous jette dans l'horreur. Sa caméra se fixe sur Saul, le suit par derrière, tourne autour de lui. Il n'est pas question cette fois de capturer un large panorama des camps ou même de sentir l'immensité du carnage. En une dizaine de minutes, Le Fils de Saul étouffe. Il installe quasi-instantanément une sensation anxiogène rarement égalée ailleurs, tout cela grâce à la conjonction de la mise en scène mais aussi par l’austérité absolue de son cheminement. Là où Spielberg jouait la carte de l'émotion et où Polanski affrontait l'horreur de façon frontale, Nemes élude, floute mais va loin, très loin. La prodigieuse séquence d'introduction voit Saul accompagner un groupe de juifs aux fameuses douches. On entend les instructions, on sait ce qu'il va se passer puis Saul s'aligne avec les autres Sonderkommandos contre le mur. On entend les cris, les coups désespérés... un crescendo infernal qui vrille les oreilles. 
    Auschwitz-Birkenau, camp d'extermination nazi, 1944.

    Pourtant, les choses ne s'arrêtent pas là. Le réalisateur hongrois filme en plans-séquence, poursuit Saul dans les galeries du complexe, dans la cour, sur les rives d'une rivière, dans le camp de fortune des Sonderkommandos, dans la salle de dissection. Toujours en plan serré, toujours à côté de Saul. On ne sort pas de ce que voit Saul, on respire avec lui, on suffoque avec lui, on tremble avec lui. Mais étrangement, on ne pleure pas avec Saul. Le Fils de Saul n'est pas un film tire-larmes comme peut l'être La Liste de Schindler. Il est rude, âpre, noir, intense. Dans le monde de Saul, tout est désespoir, violence et folie. Laszlo Nemes synthétise dans son métrage l'ensemble de ce que l'on sait des camps : les douches, les fours, les travaux forcés, les fosses communes, les kapos, l'humiliation, la déshumanisation. C'est d'ailleurs cette dernière caractéristique qui décrit le mieux le film. Le procédé de mise en scène employé, au-delà de ses impressionnantes qualités intrinsèques, déshumanise l'ensemble. On ne voit qu'à demi les corps sans vie traînés des douches vers les fours, on ne comprend pas tout à fait ce qu'il se passe autour de Saul. Des choses nous échappent...et d'autres nous sautent au visage. Jamais un réalisateur n'a aussi bien capturé ce qui faisait des camps l'ultime abomination créée par les hommes : celui de transformer l'humain en rien, en pièces détachées.


    Laszlo Nemes filme avec une froideur clinique le désastre constant qui entoure Saul. Au milieu de cette folie, Saul assiste à l'assassinat d'un enfant. Pour une raison incertaine, il décide alors de l'enterrer et de lui rendre les derniers sacrements. L'attitude obsessionnelle qu'il adopte et qui va sous-tendre tout le film peut paraître absurde de prime abord. Puis, peu à peu, plus on vit la tête enfoncée dans l'horreur, mieux on arrive à comprendre Saul. Dans un monde dénué de tout sens, rendre la dignité à un enfant dénote d'une ultime trace d'humanité. Une sorte de poids, de vœu impossible qui, pourtant, apparaît comme la chose la plus noble qui soit en fin de compte. Dans cette quête forcément vouée à l'échec, Laszlo Nemes brasse un peu de tout, visite tout le catalogue de la Shoah. Sans jamais s'attarder plus que nécessaire, une fuite en avant devant l'abjection. Les plus forts sentiments se voient ainsi émoussés, voir oblitérés. Un simple effleurement de la main devient un rayon de soleil brûlant, insupportable. La lumière n'a plus sa place ici. 

    On la craint même. Comme lors du rassemblement aux fosses communes, quand les nazis n'ont plus les moyens ni le temps de faire tourner leur machinerie infernale. On exécute alors à la va-vite, on incinère au lance-flamme et le réalisateur hongrois livre alors une peinture hallucinante, terrifiante. Durant quelques instants, il capture l'enfer, le vrai. Un enfer en miniature où le sauvetage d'un homme, même par erreur, même pour une raison absurde, apparaît comme une bouffée d'air désespérée avant d'étouffer. Laszlo Nemes ne tente jamais de nous donner une quelconque empathie pour son "héros". Inutile puisque comme le montre son visage fermé, il est déjà mort. Le poète Geza Rohrig qui interprète Saul devient un Candide malheureux, dénué de tout espoir face à la folie. Seul son sourire à l'issue de ce cauchemar semble apporter une infime touche d'espoir. Avant les détonations. Laszlo Nemes refuse pourtant jusqu'au bout de montrer, il s'en tient à son schéma narratif, à son procédé de mise en scène. Rares sont les œuvres aussi jusqu'au-boutistes.

    Véritable chef d'oeuvre de mise en scène, Le Fils de Saul reste un film rude et aride. Sans aucun compromis ou presque, le hongrois Laszlo Nemes ne s'attarde pas sur ce que l'on connaît déjà mais tente de le montrer à hauteur d'homme, nous faisant vivre l'enfer avec Saul. Au milieu de ce chemin de croix où la folie fait sens devant l'horreur, le long-métrage impressionne par sa réalisation et sa radicalité. Il s'agit bien d'un grand moment de cinéma mais éprouvant en diable. Forcément.


    Note : 9/10

    Meilleure scène : Les fosses communes - L'introduction

     

     

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  • [Critique] Seul sur Mars

     

    Il faut bien avouer que depuis près de dix ans, le grand Ridley Scott a perdu de sa superbe. L'homme à qui l'on doit des films inoubliables tels qu'Alien, le 8ème passager ou Blade Runner n'a plus rien réalisé de mémorable depuis son excellent (mais cruellement sous-estimé) Kingdom of Heaven. On se souvient du monumental ratage Prometheus ou de l'insipide Robin des bois, deux exemples parmi d'autres qui ne sont pas faits pour nous rassurer quand à la qualité de son dernier bébé intitulé Seul sur Mars. Adapté du livre éponyme d'Andy Weir, le long-métrage revient dans un genre qu'affectionne tout particulièrement l'américain : la science-fiction. Immédiatement, on pense à des ténors récents du genre tels que Gravity ou Interstellar, redoutant une certaine redite. Heureusement, Seul sur Mars, emporté par un casting alléchant, propose une autre approche de l’aventure spatiale et surtout un registre rafraîchissant comparé à ses illustres aînés.

    Alors qu'une nouvelle équipe explore la surface de Mars, une tempête se lève menaçant de raser les frêles installations des astronautes. Devant ce danger, le capitaine Lewis décide de lever le camp et de quitter la planète. Malheureusement, durant la fuite, le botaniste Mark Watney est pris au piège dans le maelström, laissé pour mort par les autres membres de l'expédition. Sauf que Mark n'est pas mort et qu'il se retrouve désormais seul sur une planète hostile. Résolu à survivre et à trouver un moyen de s'échapper, il décide alors de faire pousser des légumes, de rationner ses vivres et de rétablir le contact avec la Terre. Lorsque la NASA apprend qu'un de ses astronautes est coincé sur Mars, elle tente le tout pour le tout dans le but de le ramener à la maison. Mais le temps semble jouer contre eux...

    Seul sur Mars est un film surprenant à plus d'un titre. 
    Tout d'abord, Scott ne laisse aucune phase d'introduction à son récit. Il plonge directement dans le vif du sujet et Matt Damon, alias Mark Watney, se retrouve isolé dès le début. Du coup, dans un premier temps du moins, Seul sur Mars ne laisse aucun temps mort. L'autre grande surprise de taille, et certainement la plus notable, c'est le ton adopté par Ridley Scott. Dans une époque où le drame et le pessimisme (voir le nihilisme) sont quasi-systématiques, Seul sur Mars est un film...drôle. Diablement drôle même. D'une part grâce au personnage de Mark Watney, toujours prêt à sortir des répliques bien senties, d'autre part grâce aux références distillées au gré du récit (le coup génial du conseil d'Elrond avec Sean Bean à la table). Malgré le fait que la situation a toutes les raisons du monde d'adopter un ton désespéré, elle ne le fait pas. Ce qui constitue une vraie bouffée d'air frais dans une production cinématographique plutôt dépressive ces derniers temps, il faut bien l'avouer.

    Continuons dans le domaine des petites surprises avec l'insistance de Seul sur Mars à remettre en avant la science et sa toute-puissance. Même si les explications ne sont pas détaillées (et n'assomment donc pas le spectateur), ce sont les compétences scientifiques de Watney ainsi que des membres de la NASA qui sauvent à chaque fois la situation ou presque. Pris sous cet angle, et même si l'on reprochera au film de tirer sur de bien grosses ficelles, les péripéties de notre botaniste-astronaute apparaissent d'une grande crédibilité. En rapprochant cette remise au goût du jour de l'aspect scientifique ainsi que le côté décomplexé de l'intrigue et des personnages, Seul sur Mars arrive à devenir un film fun, rapidement prenant et réjouissant. Pour ne rien gâcher, le réalisateur américain assure toujours côté réalisation avec une mise en scène efficace notamment lors des séquences martiennes véritablement impressionnantes. 

    On n'oubliera pas non plus Matt Damon, grandement impliqué dans son rôle et affichant un capital sympathie du début à la fin de l'aventure (paramètre capital pour s'intéresser sur plus de deux heures à l'aventure d'un homme perdu au milieu de nul part). L'américain arrive à délaisser son étiquette d'homme d'action pour adopter un costume plus décontracté et qui lui va, de surcroît, comme un gant. Le reste du casting s'en sort aussi très bien mais c'est avant tout Damon qui porte tout le film sur ses épaules. Du coup, Chastain, Wiig, Mara et autres Ejiofor passent un peu au second plan mais remplissent correctement le cahier des charges. Reste donc à aborder les points faibles du film.

    Malgré son côté attachant et fun (ou peut-être justement à cause de ça), Seul sur Mars a bien du mal à créer une véritable tension dramatique. On ne la ressent qu'à peine dans la séquence de sauvetage finale et sans capter un dixième de l'intensité émotionnelle d'un Gravity ou d'un Interstellar. De ce fait, alors que le film commençait sur les chapeaux de roues, il devient clairement trop long au fur et à mesure de l'avancée du récit. En venant chatouiller les 2h30 de pellicule, le long-métrage s'épuise, souffrant d'un ventre mou certain résultant justement de ce manque de profondeur dramatique. Une demi-heure en moins aurait pu se révéler hautement profitable. En considérant de même que Seul sur Mars est réalisé par un certain Ridley Scott, on ne peut s'empêcher d'éprouver une certaine déception. Malgré tous ses atouts et un résultat finalement plus qu'honorable, Seul sur Mars est un Scott mineur...encore. Et qui comporte en plus des clichés véritablement agaçants par moment, à commencer par le rôle joué par la Chine dans l'histoire, aussi ridicule qu'insultant, magnifiant surtout la toute puissante NASA et zappant carrément l'Agence Européenne.

    Plutôt une bonne surprise, Seul sur Mars choisit la voie de l'optimisme et du registre comique quitte à perdre l'intensité dramatique dans la bataille. Fun, rafraîchissant et véhiculant une vision réjouissante de la science-fiction, le dernier film de Ridley Scott ne remet pas l'américain au sommet mais lui permet de renouer enfin avec un certain succès.
    Un bon divertissement en somme.

    Note : 7.5/10

    Meilleure réplique : "In your face, Neill Amstrong !"

    Meilleure scène : Le sauvetage final

     

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  • [Critique] The Visit

    Prenez un réalisateur qui n'en finit plus de décevoir, ajoutez-y une maison de production putassière et un genre malmené toujours davantage chaque année et enrobez le tout avec du found-footage à la Paranormal Activity. Vous obtenez The Visit, le dernier long-métrage en date de ce brave Night Shyamalan, jadis un réalisateur bluffant et respecté (souvenez-vous du Sixième Sens ou d'Incassable), depuis enlevé par des extra-terrestres et remplacé par un cinéaste de plus en plus médiocre. Pour tenter de remonter enfin la pente après les désastres After Earth et Avatar, l'américain revient au petit budget et pactise avec le diable, en l’occurrence BlumHouse, société de production responsable des derniers viols du genre horrifique sur vos écrans de cinéma. Pourtant, malgré toute l'appréhension naturelle autour d'un tel projet, la presse spécialisée semblait avoir apprécié le film. Ni une ni deux, il n'en faut pas plus pour attiser la curiosité et espérer que Shyamalan soit de retour de la planète où on le séquestrait. The Visit signe-t-il le retour au sommet de l'américain ?

    Suspense.
    Non. Bon, on ne va pas faire durer la chose, si The Visit arrive à conquérir un quelconque sommet, ce n'est certainement pas celui de la qualité ou de la terreur. Pour construire ce film, Night Shyamalan (ou son double) s'est fixé un pari : réunir tous les plus mauvais éléments des films d'horreurs populaires récents dans un seul et même métrage. Du coup, nous voici bien embêtés pour la critique parce que le résultat est tellement... hum... incroyable, que l'on a du mal à savoir par où commencer. Prenons d'abord le postulat de départ. Deux enfants bien mais alors bien bien chiants sont envoyés par leur mère cougar chez leurs grands-parents qu'ils n'ont jamais vus. Déjà, outre la mère qui part se trémousser sur une croisière pour beaufs et qui, visiblement, n'en a rien à carrer de ses deux mômes à tel point qu'elle les envoie chez des gens qu'elle n'a pas vus depuis X temps (et on se demande bien comment elle a repris contact vu qu'ils sont censés ne plus s'adresser la parole), on se rend compte que le vrai cauchemar de ce film, c'est qu'il adopte le point de vue de la cinéaste en herbe Becca, qui va de fait capturer tous les événements que nous allons voir à l'écran. Après cinq minutes où l'on comprend déjà que c'est très mal barré et qu'on espère au plus vite que le jeune Tyler se fasse passer dessus par une moissonneuse batteuse, Shyamalan installe les deux antagonistes du récit, à savoir les grands-parents. Ceux-ci vont peu à peu afficher un comportement étrange et les enfants vont même devoir rester enfermés dans leur chambre après 21h30. Ce qu'ils ne vont pas respecter, bien évidemment. Une chose aussi prévisible que le résultat d'une nuit sous la tente entre un ours et un campeur. Du coup, les événements s'enchaînent et les deux garnements comprennent que quelque chose de louche se trame dans le coin.

    Comme on l'a dit plus haut, cinq minutes après le début du film, on se dit que l'on a vraiment, mais alors vraiment mal choisi son ticket de cinéma. Première raison évidente, Shyamalan adopte le found footage, soit le style filmique le plus chiant et le plus moche que le cinéma ait produit ces dernières années. Pire encore, il ne l'utilise pas tout le temps et quelques scènes sont bien des plans filmés ordinairement, posant immédiatement la question de "pourquoi avoir fait du found footage alors ?". Quand on connaît la puissante mise en scène que possédait le réalisateur auparavant (il y a longtemps certes), quelle est l'utilité d'employer cet artifice médiocre et agaçant au possible ?
    De produire un message sur le cinéma et de nous plonger dans le point de vue intime des deux enfants ? Merci bien mais on s'en serait passé volontiers. Parce que, seconde raison au malaise qui nous envahit, les deux cinéastes en herbe (c'est-à-dire les enfants) correspondent exactement au cliché ambulant de ces gosses de films d'horreur stupides, chiants et totalement suicidaires ("Tiens si je visitais la cabane où mon vieux entasse des trucs étranges ?" ou "Tiens, y'a des bruits bizarres dans le couloir, si j'allais voir ?"). Pour enfoncer le clou, le réalisateur américain va piquer la pire idée de ses collègues espagnols dans le film [REC] : les interviews. Vous pensiez que le film allait être chiant ? Et bien vous aviez raison. Puisque non seulement ces scènes sont ridicules, mais en plus elles brisent toute possibilité de rythme pour l'histoire en surlignant à gros traits ce qui se veut comme le message de fond du métrage.

    Shyamalan ne réalise pas tant un film d’horreur qu'un conte burlesque. Le souci majeur, c'est qu'on doute que ce soit volontaire. Vendu, étiqueté et présenté comme un film d'horreur, The Visit n'a rigoureusement rien d'effrayant, exceptée sa médiocrité sans fond. Il accumule absolument tous les clichés de films d'horreur (et les plus récents en plus pour parfaire le tout) en reprenant le rythme lent et chiant d'un Paranormal Activity (mais en moins effrayant, oui, c'est possible), en mettant des vieux aux tronches patibulaires (ce qui était à la base peut-être la seule bonne idée du film mais gâchée par un twist déplorable et totalement incohérent...) pour jouer les grands méchants, en allant surligner les gros traumatismes (en fait des débilités adolescentes totalement improbables) avec un script terminé au tractopelle, et pour finir par une morale sur le pardon qui arrive comme un cheveu sur la soupe (et dont, accessoirement, le spectateur n'a rien à cirer). En fait, autour du troisième âge, Shyamalan avait certainement quelque chose à jouer mais on a l'impression qu'il s'amuse à saboter tout son film du début à la fin. Le point d'orgue du récit sera tout de même une couche souillée écrasée sur la face de Tyler (qui n'a malheureusement pas fini dévoré vivant par des porcs). C'est là l'illustration de l'état lamentable du scénario et l'absence de toute subtilité dans la résolution des arcs narratifs. On ne parlera volontairement pas de la scène du plaquage qui est juste consternante de nullité. 

    Le plus gros problème de fond de The Visit, c'est qu'il fait rire et n'effraie jamais (s'il vous effraie, il va sérieusement falloir vous remettre en question chers lecteurs). Enquillant avec une joie malsaine tous les clichés les plus pénibles des derniers films d'horreur parus au cinéma (souvent estampillés BlumHouse, coïncidence ?), interprété par des acteurs qui embarrassent plus qu'autre chose avec une mention spéciale pour la prestation catastrophique de Deanna Dunagan, le film de Night Shyamalan confirme définitivement que le réalisateur a touché le fond et qu'il continue de creuser. 
    Quand on pense au nombre de films de genre (fantastique et/ou horreur) de qualité qui se promènent dans les festivals et que ce sont de telles daubes qui parviennent sur grand écran, il y a vraiment de quoi être désespéré. 

    Note : 0/10

     

     

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  • [Critique] The Plague Dogs

    En 1981, Disney sort un long-métrage avec un renard et un chien, la fameux Rox et Rouky. Il s'agit du dernier film sur lequel travaille un certain Don Bluth avant de partir à son compte pour réaliser le superbe Brisby et Le Secret de Nimh (dont on a déjà dit beaucoup de bien ici) en 1982. Pourquoi parler de Rox et Rouky ou Brisby ? Parce qu'alors que ces deux dessins-animés prennent des animaux pour parler de sujets plus ou moins graves (Brisby notamment, Rox et Rouky restant anecdotique), un troisième long-métrage a vu le jour en 1982 dans lequel deux chiens occupent les rôles principaux. Pourtant, vous n'avez jamais entendu parler de ce dernier. Interdit pendant près de 30 ans en France du fait de sa noirceur et de sa violence psychologique, The Plague Dogs du cinéaste américain Martin Rosen n'est projeté dans nos contrées qu'en 2012 (!!!). Comment une telle chose a pu se produire ? Tout simplement parce que le dessin-animé fait figure d'OFNI total à réserver à un public chevronné. Il est certainement l'un des seuls exemples de l'ère pré-Pixar où l'animation occidentale rivalise avec le ton adulte de l'animation japonaise. Comme les premières oeuvres d'un certain Don Bluth.
    Prenez une grande inspiration.

    Car il est probable que vous manquiez d'air à la vision de The Plague Dogs. Adapté du roman éponyme du britannique Richard Adams, le film explore le monde de l'expérimentation animale par le biais de deux chiens : Rowf, un labrador qui a perdu toute foi en l'homme, et Snitter, un fox-terrier qui vit dans l'espoir de retrouver un maître. La première scène du film donne le ton. On se retrouve dans une pièce froide, anguleuse, où trône un bassin conséquent. Dedans, Rowf se débat, nage inlassablement tandis que deux hommes chronomètrent. Inévitablement, Rowf se noie, épuisé. Il est alors repêché et réanimé par les scientifiques qui se congratulent de cette nouvelle bonne performance. Glaciale. Terrifiante. Ce sont les premiers mots qui viennent à l'esprit pour décrire cette introduction. Bien vite, Rosen nous entraîne dans le laboratoire où les cages se succèdent, renfermant des rats, des lapins, des singes et des chiens. Tous sont morts de peur, désespérés. Tous vivent dans l'horreur la plus absolue. Une erreur d'un gardien, un verrou mal fermé, et Rowf et Snitter s'échappent. Commence alors une épopée dans une lande anglaise désertique qui n'en finira pas de disséquer la cruauté humaine.

    The Plague Dogs est un calvaire moral. Jamais vous ne verrez un dessin-animé plus noir. Martin Rosen donne naissance à un monstre, un vrai. Il ne rechigne devant aucune horreur, montrant frontalement l'empilement des cages, les bêtes traitées comme des marchandises ou la détresse infinie des animaux piégés dans ce véritable camp de concentration animalier. Il faut voir ces instants où Rosen s'attarde sur un singe enfermé dans une cage de métal et qui se blottit désespérément contre la paroi glaciale pour comprendre que The Plague Dogs va nous donner la nausée. Plaidoyer d'une extrême virulence à l'encontre de l'expérimentation animale, le film accumule les parallèles entre les camps d'expérimentations nazis et ce qu'il se passe dans les laboratoires. On retrouve la même cruauté froide, la même déshumanisation et ce goût de cendres lorsque les deux chiens s'échappent par...un incinérateur. Il ne s'agit là que des vingt premières minutes du film, et, déjà, on assiste à quelque chose de magistral.

    La suite n'est cependant pas en reste. Relâchés dans le monde des hommes, les chiens s'interrogent. Pourquoi cette cruauté ? Comment survivre dans ce monde fait d'horreurs ? Une dichotomie intéressante se crée entre Snitter et Rowf, créant deux facettes d'un même désespoir. Rosen arrive à humaniser d'une façon extrêmement intense ses deux héros. Mieux, il ose bâtir son dessin-animé sur un unique trio, aucun autre personnage ne vient interférer hormis la voix-off des militaires et autres journalistes. Grâce à une animation fait de plans fixes crayonnés, The Plague Dogs renforce la noirceur de son sujet. Perdus au cœur de la lande anglaise, pourchassés par les hommes, les chiens retournent à l'état sauvage, bien aidés en cela par Futé, le renard. Incarnation de la survie animale mais aussi d'un certain cynisme désarmant, le renard complète à merveille le récit. Nos compagnons tentent alors de survivre. Après certaines désillusions et la peur panique de se retrouver piéger à nouveau, ils se résolvent à s'entraider pour tuer des moutons. Cela attirant inévitablement la foudre des hommes.

    Pendant ce temps, Martin Rosen décortique ces deux personnages. Rowf devient de plus en plus catégorique à l'égard des hommes, des monstres cruels qui ne leur veulent que du mal, tandis que Snitter s'affirme comme le héros le plus tragique du métrage. Victime d'une expérience sinistre au cerveau, le chien confond progressivement le réel et ses fantasmes. La superposition d'un foyer douillet et de la froideur de son aventure crée une tension émotionnelle supplémentaire. D'autant plus que Rosen le fait disserter sur ses espoirs et ses chimères, véritable crève-cœur au milieu d'une aventure sans aucun espoir. Reste alors les humains. The Plague Dogs ne les montre jamais. Du moins jamais leurs visages. Dans le film, les hommes sont des Dieux cruels et sanguinaires. Ils parlent hors-champ, complotent, condamnent, mentent et surtout tuent. Plus qu'un réquisitoire contre l'humanité, le film abat la figure humaine. Elle dépouille tous les artifices pour ne laisser que la bête immonde. Ici, l'animal n'est plus celui que l'on croit. La violence du film n'est donc pas tant graphique (même très peu) mais bien psychologique. Et elle s'avère quasiment insoutenable.

    Martin Rosen trimbale ensuite les chiens dans des grottes et sur des plaines gelées et enneigées. Il s'achemine, petit à petit, vers une fin terrible que l'on sait inévitable. Acculés, les deux chiens perdent tout sens rationnel, Rowf se raccrochant à la folie de plus en plus évidente de Snitter. La dernière scène, rigoureusement atroce d'un point de vue psychologique, achève ce conte cruel et horrifiant. Dans l'univers créé par Martin Rosen, où tout n'est que métaphore autour du caractère inhumain de l'homme, reste un espoir. Une île prise dans la brume. Sauf que voilà, on le devine, on le pressent, l'île n'est qu'un mirage, l'espoir n'est qu'un mirage. Il n'y a pas d'espoir dans The Plague Dogs. Juste une inlassable fuite pour échapper au monstre humain. Dès lors, Snitter et Rowf prennent une toute autre apparence. Plus universelle, plus terrible. Peut-être qu'au final l'homme a chassé sa propre humanité depuis longtemps. 

    Un chef d'oeuvre. Voilà ce qu'est The Plague Dogs de Martin Rosen.
    Pour autant, le film est à fortement déconseiller aux enfants tant la violence psychologique et la noirceur implacable de l'oeuvre risque de les heurter profondément. Charge magistrale contre l'expérimentation animale et contre la cruauté humaine, The Plague Dogs laisse K.O.

    Note : 10/10

    Meilleures scènes : La traversée - L'hallucination dans la remise

     

     

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