• [Critique] The Den

    Premier film de Zachary Donohue, The Den a connu les honneurs d'une sortie cinéma...uniquement en Russie. Dans le reste du monde, il n'a bénéficié que d'une édition DVD ou VOD. Ainsi, le long-métrage a totalement échappé aux férus du genre slasher-horreur. Sans aucun acteur connu au casting, ce petit film a pourtant un pitch de départ intriguant qui donne bien envie de le découvrir. Appartenant au sous-genre du found footage (qui ne brille pas par sa qualité...), ce coup d'essai tente de se démarquer en proposant une immersion totale dans le monde impitoyable de l'internet. Mais sans tête d'affiche, avec un inconnu derrière la caméra, The Den a-t-il plus à offrir qu'un simple slasher lambda ?

    Elizabeth a reçu une bourse d'étude de l'université où elle travaille pour dresser une enquête sociale sur un réseau extrêmement populaire : The Den. Le principe est simple : les participants communiquent par webcam et peuvent switcher vers un autre utilisateur d'un seul clic. Inutile de dire que Liz ne rencontre pas que des esprits brillants de cette façon. Par pur hasard, elle tombe sur une intrigante webcam figée sur la photographie d'une jeune fille. Peu à peu, elle découvre que quelqu'un l'épie et tente de pirater son ordinateur. Paniquée, elle demande de l'aide à la police et à l'un de ses amis pour remonter à la source du signal. Seulement voilà, les choses prennent rapidement une tournure sinistre.

    Dire que The Den est d'une redoutable originalité serait mentir. En réalité, le film de Donohue affiche un classicisme à toutes épreuves avec les tares coutumières du film d'horreur. Entre la police qui ne croit forcément pas à ce que raconte l'héroïne et la capacité insoupçonnée des personnages à se trimbaler n'importe où avec une caméra (c'est un défaut récurrent chez les film found footage), The Den commence mal. Heureusement, malgré le manque de surprises dans l'intrigue - on est dans un banal thriller mâtiné d'horreur - le long-métrage garde quelques qualités appréciables. Au premier rang de celles-ci, la volonté de Donohue d'aller jusqu'au bout de son entreprise et de filmer absolument tout à travers l'écran d'un ordinateur. Pour peu que vous regardiez le film sur votre pc, vous aurez la drôle de sensation de véritablement vous retrouver en ligne. Cela permet donc de bonnes petites choses qui se trouvent justifiées par l'objectif du métrage : délivrer une critique sur le voyeurisme moderne.

    Ce qui sauve The Den du film totalement plat et sans saveur, c'est bien la vision assez drôle et horrifique que donne son réalisateur de l'internet. On sourit d'abord franchement devant la resucée de Chatroulette qui nous est présenté - on y retrouve un bon échantillon de débiles - puis le film tombe graduellement dans la paranoïa. Peu à peu, Donohue met en lumières les dangers de ce nouveau média et la fascination morbide qu'il peut exercer sur nous. Son héroïne, banale au possible, renforce cette identification du spectateur. On saluera d'ailleurs le jeu très convenable - pour ce type de production bien entendu - de Mélanie Papalia. Avec cette idée en tête et en faisant fi du classique jeu du chat et de la souris du slasher lambda, The Den finit par loucher vers Hostel et se termine dans une sorte de simili torture-porn pas forcément attendu.

    Encore une fois, dans tout cet enchaînement d'événements et malgré les différentes scènes "chocs", rien ne fait véritablement bondir de peur. L'ensemble s'avère correct, du niveau d'une soirée pop-corn entre amis, mais The Den ne révolutionne pas le genre. Reste une petite subtilité, puisque Zachary Donohue clôt son film sur une sorte de twist vraiment bien senti pour le coup où le récit achève sa critique du voyeurisme moderne en laissant un goût amer dans la bouche du spectateur. On se prend même à penser qu'en se focalisant davantage sur cet aspect du film, le réalisateur aurait pu délivrer quelque chose de bien plus marquant. Dommage en somme.

    The Den ne peut va pas au-delà de ce qu'il promet, c’est-à-dire un petit film d'horreur sympathique, un peu ennuyeux au début, mais qui réussit à maintenir l'attention du spectateur jusqu'à une conclusion un peu plus maligne que la plupart des films de cette catégorie. En somme, une curiosité à découvrir pour qui serait tenté mais vraiment rien d'inoubliable.

    Note : 5.5/10

    Meilleure scène : l'épilogue

     


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  • [Critique] Le chant de la mer

     

    Nommé Catégorie Meilleur Film d'animation Oscars 2015
    Nommé César Meilleur film d'animation 2015

     

    En deux films, Le britannique Tomm Moore s'est payé le luxe de voir nommés ses deux métrages d'animations aux Oscars. Le franc succès critique de Brendan et le secret de Kells a permis à Moore de retenter l'aventure avec Le chant de la mer, un autre récit inspiré par des légendes irlandaises. Refusant la 3D habituelle qui a envahi les grands écrans, il nous emmène dans un univers en 2D plein de magie et de poésie que n'aurait pas renié un Miyazaki. Même si Le chant de la mer est reparti bredouille de Los Angeles (rappelons que c'est Big Hero 6 qui a remporté l'Oscar de façon tout à fait injustifiée), l'oeuvre de Tomm Moore mérite un bon coup de projecteur tant elle réjouit petits et grands. Plus qu'une fable écologique, elle renoue avec le récit initiatique plein de mystères, tout en n'oubliant pas d’entremêler les niveaux de lectures. 

    Le petit Ben vit au sommet d'une minuscule île, dans le phare de son père. Avec sa sœur, Maïna, il passe le temps en rêvant aux mondes magiques contés jadis par sa mère Bruna. Celle-ci a mystérieusement disparu lors de la naissance de sa petite soeur, un lointain et douloureux souvenir que le jeune Ben a encore du mal à évoquer. L'anniversaire de Maïna et l'arrivée de sa grand-mère vont bouleverser l'existence de la petite famille. Obligés de partir à la ville, les deux enfants vont entreprendre un voyage aussi périlleux que fascinant pour retrouver leur phare. Pour sauver sa sœur d'une terrible malédiction, Ben va affronter tous les périls.

    Petite surprise au goût acidulé, Le chant de la mer prouve, s'il en était encore besoin, que la 2D traditionnelle est loin d'être morte. De la première à la dernière seconde, le métrage ravit les yeux et réchauffe les cœurs. Grace à un parti-pris artistique simple mais génial - l'arrière-plan est statique, avec un aspect crayonné qui flatte la rétine -, Le chant de la mer se démarque de la concurrence et renvoie, justement, aux films du studio Ghibli. Un sacré compliment. D'ailleurs, il ne partage pas que l'aspect esthétique à l'ancienne de l'école Miyazaki. On retrouve dans Le chant de la mer une volonté de présenter une fable écologique, plus raffinée qu'il peut y paraître de prime abord. De quelques phoques émergeant timidement des vagues à l'aspect merveilleux de la campagne, en passant par la froideur d'une ville devenue bien terne, le long-métrage de Moore se fait chantre d'un certain mode de vie et d'une certaine perception de l'harmonie homme-nature.

    Pour nous montrer cet aspect, le britannique plonge dans les profondeurs des mythes irlandais. Grâce à une subtilité de conteur surprenante, Moore prend ses spectateurs par la main à la rencontre de trolls, de hiboux maléfiques, de sorcières recluses - dans le plus pur style Miyazaki, encore - et bien sûr de selkies. En reprenant à son compte le mythe de l'être mi-femme mi-phoque, Le chant de la mer nous fait vivre quelques instants de pure poésie, sans parole et bercés par la douce musique du long-métrage. Une musique aux accents celtiques forcément. L'ensemble donne une ambiance délicieuse au film, presque hors du temps. On suit les aventures de Ben et Maïna avec un immense plaisir, oubliant la quête initiatique assez simple des deux enfants pour trouver des trésors d'intelligence dans les non-dits du film.

    Tomm Moore fait peut-être un film pour enfants, mais il oublie ce défaut à l'occidental bien étrange qu'est celui de prendre les enfants pour des idiots. Il propose non seulement une quête trépidante pour les plus jeunes dans son premier niveau de lecture, mais également une histoire en miroir entre l'univers mythique rencontré par les deux héros et le deuil de toute une famille. Les correspondances permettent de comprendre avec intelligence le cheminement intérieur à la fois des enfants mais aussi du père pétrifié, tel un géant de l'ancien monde. C'est ce refus de bâtir une banale aventure au profit de quelque chose de plus profond qui surprend... dans le bon sens du terme. Le chant de la mer joue sur plusieurs registres, évite le manichéisme et finit par ravir petits et grands.

    Ils sont rares ces dessins animés capables de nous charmer par leur ambiance, leur univers et leur intelligence, tout en ébauchant des héros attachants. Le Chant de la Mer marche sur les traces d'une certaine école japonaise, et ravira tous les fans du monde celtique.
    Une petite pépite à découvrir, qu'on ait 7 ou 77 ans.

    Note : 8.5/10 

     

     

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  • [Critique] Dear white people

    La satire sociétale reste, encore à l'heure actuelle, un des genres les plus délicats à négocier. Pour son premier film, Justin Simien choisit justement de s'y frotter, et pas en abordant n'importe quel aspect. En effet, Dear White People parle du racisme et de la difficulté d'être noir dans un monde de blancs. Acclamé à Sundance - il a même récolté le prix spécial du jury - le premier long-métrage de l'américain n'affiche aucun acteur bankable et parie entièrement sur son scénario. On ne peut cependant s'empêcher de craindre le film caricatural et grossier, un peu à la Spike Lee d'aujourd'hui. Entre drame et comédie, Dear White People arrive heureusement à trouver un juste milieu. Bienvenue sur un des campus américains les plus prestigieux : l'Ivy League.

    Les esprits sont en ébullition depuis l'ouverture d'une nouvelle radio sur le campus universitaire : Dear White People. Gérée par la caustique Samantha White, l'émission se propose de se moquer gentiment - et méchamment aussi - des étudiants blancs. Rapidement, les choses prennent une tournure pour le moins inattendue quand Samantha se retrouve prise entre son groupe d'amis noirs prônant l'action et son petit ami blanc qu'elle a presque honte de fréquenter. De l'autre côté, Lionel ne supporte plus sa résidence où il est harcelé par ses colocataires. Il décide alors d'intégrer la seule résidence 100% noire (ou presque) du campus. Une occasion en or pour un des journaux étudiants les plus en vogue d'infiltrer la petite communauté. D'autant plus que les élections du chef de résidence sont proches et que le très conformiste Troy va devoir affronter Samantha White dont l'émission n'a de cesse de faire grandir la popularité.

    L'énorme souci des films du genre de Dear White People, c'est de tomber dans la caricature. Dans un premier temps, on a d'ailleurs très peur de ce phénomène avec une mise en scène un tantinet clipesque et poseuse où l'on voit défiler les différentes résidences du campus. L'impression s'intensifie avec la présentation rapide des protagonistes, véritables clichés ambulants. Puis...Simien affine ses choix et déroule son propos. Grossièrement, on distingue quatre personnages principaux : Troy, le noir style Barack Obama lisse et propret, Coco, la diva superficielle qui se rêve Beyoncé, Lionel, qui cumule d'être noir, d'avoir une coupe afro et d'être gay et Samatha, la rebelle qui voit du racisme partout. Simien ne met pas en avant ces quatre personnalités par hasard. Il en profite pour montrer diverses facettes de la vie noire aux Etats-Unis (Il en plaisante admirablement d'ailleurs avec une classification très juste).

    Dear White People illustre avec brio les difficultés de rapport entre communautés. Parce que chaque communauté perçoit l'autre avec les préjugés qu'on leur a inculqué. C'est pour cela d'ailleurs que l'émission de radio de Samantha est d'autant plus drôle, parce qu'elle tape juste sans forcer. Cependant, loin de se concentrer uniquement sur cet aspect, le long-métrage fait la part belle à la perception du racisme dans la société moderne. Là ou Simien aurait pu tomber dans le discours archi-barbant du "le racisme c'est les blancs qui dénigrent les noirs", il se fait plus subtil. Il renvoie dos à dos les deux extrêmes qui se veulent tellement sûr de leurs positions : les blancs qui prétendent que le racisme n'existe plus, les noirs qui pensent que tous les blancs sont d'affreux monstres racistes. A cet égard, l'immense réussite du long-métrage, c'est bien l'évolution de la caractérisation des personnages.

    Au premier plan se trouve Samantha, incarnée par la géniale Tessa Thompson. Simien construit un personnage ridicule tant elle est obnubilée par la question du racisme (la réplique avec les Gremlins est à mourir de rire), pour mieux nous la nuancer par la suite et finir par la rendre extrêmement touchante dans une scène finale sublime. Il en va de même de Lionel, interprété par le talentueux Tyler James Williams. Alors qu'il devrait cumuler les clichés, le personnage se révèle un vrai délice, loin des préoccupations militantes de Samantha mais tellement plus juste...jusqu'à ce qu'un événement le fasse légitimement sortir de ses gonds. Les deux autres - Troy et Coco - ont également leurs moments de gloire, mais c'est avant tout la question sociale traité avec une grande lucidité qui touche dans Dear White People. En défendant le droit des noirs et en réprimant le racisme ordinaire, l'américain remet tout le monde en place, aristos blancs comme sous-Malcolm X. 

    On pourra reprocher à Dear White People de ne pas assez se démarquer en terme de mise en scène, de verser un peu trop dans les archétypes du cinéma indé, mais la force et l'humanité de ses personnages finissent par emporter l'adhésion, surtout avec ce savant cocktail d'humour et d'intelligence dont fait preuve Justin Simien. En se moquant des groupes d'actions noirs devenus aussi racistes que ceux qu'ils dénoncent, il arrive à prouver que la seule vérité qui compte à l'heure actuelle, c'est qu'il faut mettre à bas les à priori et les préjugés. Les regards haineux et dégoûtés des noirs épiant un couple mixte à la fin montre qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire. Dear White People s'avère autant un appel à la raison à propos du combat contre l'injustice qu'un sérieux recadrage sur les limites du militantisme qui, de toute façon, ne mène nul part sans vraies actions.

    Cette bonne surprise du cinéma indépendant américain rappelle que de jeunes auteurs talentueux continuent d'arriver dans le milieu. Avec Dear White People, Justin Simien prouve qu'il a tout pour supplanter ses aînés. Une comédie savoureuse, intelligente et aux personnages délicieux.
    Rien de moins.

    Note : 8/10

    Meilleure réplique : "Il n'y a rien de plus vendeur après des noirs débiles que des blancs racistes."

    Meilleure scène : L'histoire de Samantha en fin de métrage.

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  • [Critique] Avengers : L'ère d'Ultron

     

    La phase 2 du Marvel Cinematic Universe s'achève de la même façon que la première, à savoir par le rassemblement des fameux vengeurs. Joss Whedon prend une nouvelle fois la barre du capitaine et se retrouve avec l'épineuse tâche de faire mieux ou, du moins, différent. Pas forcément évident quand Iron Man 3 est passé par là avec une scène de fin dantesque ou quand un certain Gardiens de la Galaxie a emporté l'adhésion de tous. Heureusement, Whedon peut compter sur son équipe de super-héros favorite ainsi que quelques nouvelles têtes parmi lesquelles Elizabeth Olsen ou Aaron Taylor Johnson pour interpréter les jumeaux Maximoff. Autre gros atout, un super-vilain avec un gros potentiel et bénéficiant de la voix charismatique d'un certain James Spader. L'ère d'Ultron peut-il rivaliser avec son illustre prédécesseur et surtout, est-il à la hauteur des immenses espérances qu'il a suscitées parmi ses (nombreux) fans ?

    Les Avengers sont de nouveau rassemblés. En Sokovie, un des centres névralgiques d'Hydra a été découvert. On murmure que le Colonel Strucker améliore des humains grâce à la puissance du sceptre de Loki. En récupérant ce dernier, Stark et Banner s'aperçoivent qu'il contient plus qu'il n'y parait. Grâce au potentiel qu'il renferme, les deux scientifiques créent une révolution technologique : Ultron, une intelligence artificielle chargée de protéger l'humanité. Malheureusement pour eux, Ultron prend sa mission trop à cœur et décide d'éradiquer les Avengers, protecteurs du plus grand danger pour l'homme... c'est à dire lui-même. A l'origine de cette abomination, Stark est remis en question par ses propres alliés. Une dure période s'annonce pour les vengeurs, d'autant plus que l'arrivée des Maximoff, deux optimisés, vont rendre l'aventure encore plus périlleuse...

    La question que l'on se pose forcément après avoir vu des films aussi réussis que Iron Man 3 (n'en déplaise aux grincheux) et Les Gardiens de la Galaxie, c'est comment va faire Joss Whedon pour faire encore mieux ? Un des gros, très gros soucis du Marvel Cinematic Universe, c'est son manque de réalisateurs de caractère tels que James Gunn, Shane Black ou Kenneth Branagh, capable de réaliser des films avec une véritable personnalité. Whedon s'en était très bien tiré avec son premier Avengers en trouvant une position médiane et, finalement, très réussie. Pour Avengers 2, avouons-le, la chose s'avère moins convaincante. Bien évidemment, le film reste distrayant, en met plein la vue, de sa scène d'ouverture stylisée à une baston finale pleine de fureur, en passant par une très jouissive séquence de milieu de film. Whedon est incapable de faire mieux que l'hallucinante bataille des armures d'Iron Man 3 (c'était, de toute façon, compliqué) mais arrive bel et bien à monter d'excellentes confrontations. On regrette simplement que l'affrontement final soit nettement en retrait par rapport au caractère épique de celui de son prédécesseur. A ce propos, il est hautement amusant de constater que Whedon tacle le Man Of Steel de Snyder en mettant un point d'honneur à sauver tous les civils pris dans les combats.  

    Si l'ère d'Ultron ne déçoit pas sur le plan des FX et des grosses scènes d'action, il en va autrement du récit. Celui-ci présente deux défauts. Le premier se voit rapidement, il s'agit d'un problème de rythme. Le métrage de Whedon accuse un gros ventre mou après la baston de milieu de film et tombe même dans l'ennui pendant quelques instants, lorsqu'il se penche sur la vie privée d'Hawkeye (qui est d'un cliché pas possible au passage). Le second souci, c'est que l'ère d'Ultron ne se contente plus de faire la synthèse en trouvant sa propre thématique, mais sert bien trop à annoncer le prochain Captain America : Civil War. On passe une bonne partie du film à souligner en gras que Stark et Rogers ont des points de vue divergents au détriment de l'intrigue principale. Nous refaire en plus le coup de la dispute entre les avengers eux-mêmes, c'est un peu de la redite. Mais soit, l'ère d'Ultron possède - heureusement - d'autres qualités.

    Parmi celles-ci, son méchant, Ultron. Bad-ass et porté par la voix juste géniale d'un James Spader très inspiré (n'allez pas voir le film en VF !), l'intelligence artificielle réussit également à s'extirper du cliché de SF habituel sur l'IA se retournant contre ses créateurs, en explorant des voies comme la création ou une réflexion intéressante autour du concept des extrémités auxquelles on peut en venir pour garantir la paix. Alors que Loki manquait d'une véritable personnalité (il n'était pas un vrai super-vilain estampillé Avengers mais un transfuge de Thor), Ultron s'impose naturellement comme un superbe adversaire. A côté de lui, La Vision s'avère (tardivement) la plus brillante trouvaille du film. Interprété par un Paul Bettany bien trop rare, son personnage laisse entrevoir de grandioses perspectives. Sa seule présence pendant quelques scènes relève le niveau général. Il en va différemment des jumeaux Maximoff. Ceux-ci souffrent des droits que ne possède pas Marvel sur les X-Men. Ainsi, les enfants de Magneto seront des Optimisés et non des Mutants. Quicksilver et Scarlet Witch bénéficient d'un traitement bancal pendant les trois quarts du film, avant d'être mieux exploités dans la dernière partie. C'est finalement Scarlet Witch, interprétée par la magnifique et talentueuse Elizabeth Olsen, qui tire le mieux son épingle du jeu. C'est véritablement dommage qu'un des éléments les plus forts du métrage ne se retrouve pas employé de façon plus judicieuse.

    Reste pourtant l'humour Whedon qui, cette fois encore, marche à fond. Le running-gag sur le marteau de Thor notamment vous fera forcément hurler de rire. Même si le film a tendance parfois à verser dans le Tony Stark show, d'autres ont également leur heure de gloire. On pense notamment à Hulk et La Veuve Noire, deux personnages que semble apprécier particulièrement Whedon et bénéficiant d'un traitement brillant. C'est d'ailleurs paradoxal de constater que lorsque le film prend son temps sur ce genre de détails, il y gagne énormément. De là à dire que la surenchère d'action nuit à la caractérisation des personnages, il n'y a qu'un pas. Surtout lorsque l'on voit le bâclage dont souffre Thor, qui entreprend une quête d'une totale inutilité. Heureusement, l'assemblage des différentes personnalités héroïques prend toujours aussi bien et finalement, on se laisse porter comme des gosses devant ce spectacle jouissif.

    Peut-être moins bon que son prédécesseur (qui avait évidemment l'effet de surprise), L'ère d'Ultron s'inscrit dans la lignée de l'univers Marvel au cinéma en offrant un divertissement de qualité, compensant ses défauts par un feu d'artifice d'effets spéciaux et de séquences jouissives. On espère simplement que les frères Russo continueront sur la lancée de  Winter Soldier pour nous offrir un Avengers 3 plus surprenant.

    Note : 8,5/10

    Meilleure réplique : "Si tu franchis cette porte, tu deviens un Avenger."

    Meilleures scènes : Hulk vs Stark - La Vision - Les scènes entre Hulk et la Veuve Noire

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  • [Court-Métrage du dimanche] Mis-Drop

    Ce dimanche, retour à la SF avec un court-métrage aussi minimaliste qu'ingénieux. Alors qu'un largage de capsule a lieu durant une invasion planétaire, un accident va mettre en danger la vie d'un de ses occupants. Réalisé par Ferand Peek, Mis-Drop économise ses moyens avec intelligence et propose un court mais intense moment de cinéma.


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  • [Court-métrage du dimanche] Honey in the Hood

    Que peut nous réserver la rencontre d'une petite fille fan de Baseball, du Bronx et d'un père démissionnaire ? La réponse en 6 minutes dans le touchant Honey on the Hood d'Amandine Durand.
    Le genre de douceur du dimanche qui fait plaisir aux yeux et au cœur.

     

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  • [Critique] Le Président


    Dans un pays imaginaire, à notre époque, Le Président gouverne d'une poigne de fer. Vivant dans l'opulence de son palais, veillant sur son petit-fils Dachi, il doit composer avec deux filles et une femme pas forcément commodes. Jusqu'au jour où les lumières de la grande capitale ne se rallument plus malgré ses ordres. Dans le pays, affamé et appauvri par des années de dictature sanglante, le peuple se soulève. Alors que le reste de sa famille prend la fuite, le président et son petit-fils restent, incapable de voir que le pouvoir en place est déjà tombé. Commence alors une fuite dans un état à feu et à sang où les milices font régner la terreur et où le président va devenir un humble citoyen broyé par la peur et la violence. Une révolution pour le meilleur ?


    Réalisateur iranien en exil en Afghanistan, Mohsen Makhmalbaf n'en est pas à son coup d'essai, loin de là. Le Président est son vingt-quatrième long-métrage après des films comme Kandahar ou Le Silence. Il choisit de bâtir cette fois un récit autour d'un pays fantasmé (à moins que...) et d'un dictateur inventé de toutes pièces (à moins que...). Emmené par un casting d'illustres inconnus sous nos latitudes, Le Président a subi le même sort en France que le reste des films indépendants...à savoir une diffusion confidentielle. Encore une fois, le spectateur un tant soit peu exigeant aura vraiment de quoi se plaindre puisque le long-métrage de l'iranien fait du bien là où il fait mal. Construit comme un conte noir en même temps qu'un authentique voyage initiatique, Le Président déjoue les attentes et se hisse au final bien plus haut que ne le laissait entrevoir son postulat de départ.

    Tout va très vite dans Le Président. A peine le spectateur a-t-il fait la connaissance du dictateur et de Dachi, son petit-fils, que le régime s'effondre, poussant le garçon et l'ex-tyran à prendre la fuite pour échapper à la mort. Makhmalbaf choisit de positionner son film dans une sorte de fable moderne très très noire où toute ressemblance n'est que pure coïncidence avec la réalité. Archétype du dictateur violent et dénué d'humanité de prime abord, le fameux président va retrouver une sorte de dimension humaine au fur et à mesure de son périple. Le regard qu'il porte sur son petit-fils qu'il tente par tous les moyens de sauver, ou celui qu'il pourra porter sur les hommes et femmes à qui il aura fait tant de mal, tout porte à croire qu'au fond, bien au fond, se terre un être humain. Difficile à croire, évidemment. Mais c'est là toute la subtilité du propos de l'iranien. Vous ne trouverez pas le diable derrière le plus immonde des dictateurs, juste une personne pathétique à qui l'on a donné les moyens de faire tout ce qu'il désire. Dans ces cas là, l'homme choisit rarement de faire le bien.

    Le Président s'intéresse non seulement à décortiquer méthodiquement le personnage complexe de son dictateur, très justement interprété par le génial Misha Gomiashvili, mais aussi celui de son petit fils. Quel regard peut porter un enfant sur le mal, la toute-puissance et la violence ? Quel peut-être l'impact du pouvoir sur un garçon de cet âge ? C'est les questions que posent Makhmalbaf tout en nous montrant la perte d'innocence de Dachi. Même si l'on sait que le président est une ordure de la pire espèce, on ne peut s'empêcher de prendre ces deux-là en pitié. Tout simplement parce que ce qui se passe autour d'eux ne vaut pas mieux. C'est l'axe le plus essentiel du film, et certainement le plus intelligent. A la manière d'un Volodine, le réalisateur iranien s'interroge : détruire une dictature, mettre à bas un tyran...mais pour quoi faire ? Qu'est-ce qui vient après ? Le sentiment amer de cette révolution de pacotille culmine dans les scènes où l'armée et les miliciens commettent l'indicible, du viol au meurtre sauvage, la nature des nouveaux maîtres a de quoi faire froid dans le dos. En cela, Le Président reste un film d'une noirceur absolue.

    Mohsen Makhmalbaf touche au plus juste quand il s'interroge à propos de cette succession naturelle...qui trouvera d'autant plus d'échos à l'heure actuelle. Plus loin, l'iranien accuse. A qui incombe la faute d'un régime totalitaire ? A un seul homme ? Certainement pas. Les coupables se trouvent dans ceux qui l'ont porté au pouvoir, qui l'ont acclamé, qui l'ont suivi, qui ont tué pour lui. Pourquoi tellement désirer la tête d'un homme si ce n'est pour se dédouaner soi-même ? Le Président fait mal car, en définitive, il renvoie à cette hypocrisie toute humaine de l'après-révolution. Grâce à quelques scènes géniales où le talent de metteur en scène de Makhmalbaf se trouve en première ligne, le film nous interroge et nous étreint. Jusqu'à cette scène finale sur la plage, d'une cruauté assumée et portant un regard définitivement désabusé sur un genre humain pathétique. Comment briser ce cercle infernal ? Mohsen n'a pas la réponse...et l'on doute que quiconque l'ait un jour.

    Petite pépite discrète, Le Président prouve qu'un budget restreint ne freine en rien un réalisateur avec du talent et des idées. Conte noir aux multiples niveaux de lectures, le long-métrage de Mohsen Makhmalbaf nous concerne tous. Il renvoie à la Lybie, à la Syrie, à L'Iran, à la Russie ou à l'Irak. Il renvoie au jugement propret que nous inculque les médias entre le camp du mal et celui du bien.
    Seulement voilà, le mal triomphe.
    Pauvres humains.


    Note : 8.5/10

    Meilleures scènes : La longue fuite avec les ex-détenus - Le mariage intercepté - La plage


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  • [Court-métrage du dimanche] Sundays


    Ce dimanche, on retourne au court-métrage de SF à mi-chemin entre Matrix et Deus Ex pour Sundays de Mischa Rozema quelque part dans le Mexico du futur entre chute de satellites, fin du monde et multinationale inquiétante. Une atmosphère somptueuse, une réalisation impressionnante pour ce (court) moment de bonheur.



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  • [Critique] Inherent Vice

    Robert Altman Award ISA 2015 pour Joaquin Phoenix

    Prenez un auteur américain culte - Thomas Pynchon - et ajoutez-y un réalisateur américain à la filmographie de rêve - Paul Thomas Anderson -, tout ça autour d'une comédie paranoïaque sous cannabis intitulé Inherent Vice. PTA passe encore d'un registre à un autre comme il l'avait fait entre des films comme Punch-Drunk Love et There will be blood. Il abandonne le drame cryptique et fascinant à la The Master pour revenir à un film insaisissable basé sur un roman-monstre de l'auteur américain Thomas Pynchon, déjà lui-même réputé pour écrire des pavés aussi ambitieux que scotchant dont L'Arc en ciel de le gravité constitue le pinacle. Connu pour son exigence mais également pour sa réalisation impeccable, Paul Thomas Anderson recrute à nouveau un casting impressionnant, à commencer par Joaquin Phoenix avec lequel il collaborait déjà pour The Master. Inherent Vice s'annonce donc sous les meilleurs augures mais attention, rien n'est sûr avec Pynchon et PTA...

    Années 60. Sous le soleil Californien, Doc Sportello, un détective privé dont les intuitions professionnelles riment avec marijuana, reçoit la visite de son ex-petite-amie, Shasta Fey, qui fricote désormais avec un milliardaire. Seulement voilà, elle craint que la femme de celui-ci ne cherche à le faire interner pour détourner sa fortune. Le lendemain Shasta a disparu et Doc doit s'occuper d'une nouvelle affaire qui sent le complot à plein-nez. Son enquête va le mener dans les sphères les plus étranges, entre groupes pro-communistes et flics infiltrés - ou pas. Harcelé par le lieutenant Bigfoot, il aura fort à faire pour démêler le vrai du faux, une question d'autant plus épineuse que son amour des drogues en tous genres ne va guère l'aider à soigner sa paranoïa naturelle.

    Franchement, arriver à raconter de quoi parle Inherent Vice relève de la gageure. On sait depuis son dernier film, The Master, que Paul Thomas Anderson adore brouiller les pistes et dissoudre son histoire dans un nuage d'hypothèses et de paranoïa. Avec un scénario inspiré par un des auteurs américains les plus singuliers qui soit, Inherent Vice ne pouvait que finir comme un Objet Filmique Non Identifié. On y suit un privé constamment drogué qui ne voit la société qui l'entoure que par un prisme de conspirations et de complots en tous genres. Paul Thomas Anderson s'amuse comme un fou à développer un récit flou où tout se confond, où les groupes anti-américains sont infiltrés par les flics, à moins que ce ne soit l'inverse, où un cabinet dentaire sert de façade à un groupe illégal, où un milliardaire se fait kidnapper que les flics abusent de sa fortune...à moins que ce ne soit des gangsters. Bref, dans Inherent Vice, rien n'est sûr. Totalement psychédélique et brumeux, le scénario du film reste pourtant son point le plus accrocheur.

    Si l'on ne comprend pas la moitié des événements qui se déroulent (ou du moins leur enchaînement), cela malgré une voix-off indispensable (sous peine de se noyer), ce que l'on en saisit reste fascinant. C'est la magie Paul Thomas Anderson. Avec une réalisation aux petits oignons qui plonge le spectateur dans une ambiance sixties-hippie parfaitement crédible, l'américain arrive à donner un cachet unique à son film. On retrouve ici le talent déjà présent dans There Will be Blood pour dépeindre une société voir même un univers entier où gravite un certain nombre de personnages haut-en-couleurs. En directeur d'acteurs expérimenté, PTA dirige son petit monde avec une maestria qui n'en finit pas d'impressionner. A commencer par le fameux Joaquin Phoenix, qui change totalement de registre par rapport à son rôle de The Master, mais qui n'en finit pas d'affirmer qu'il est un des meilleurs acteurs vivants à l'heure actuelle. Entre ses coiffures improbable et ses trips hallucinogènes, Inherent Vice gagne un point d'ancrage aussi défoncé qu'humain que le spectateur suit avec délice. Les autres ne sont pas en reste, avec un Josh Brolin qu'on avait pas connu aussi inspiré depuis No Country for old men, ou encore un Owen Wilson à contre-emploi. Bref, Inherent Vice s'avère aussi un grand numéro d'acteurs.

    Le ton du film, une comédie à la PTA dans la droite lignée d'un Punch Drunk-Love, aura de quoi surprendre les plus novices de l'oeuvre de l'américain. Oubliez les rires gras des comédies US lambda, nous sommes ici dans un autre niveau. Cet humour discret mais délectable explose dans la scène de réunion au cabinet dentaire puis dans la ballade en voiture, où la drogue, l'humour d'Anderson et le talent des acteurs a de quoi vous faire mourir de rire. Si cette légèreté apparente prête à sourire, PTA retrouve dans le récit de Pynchon des thèmes qu'il adore. Un univers définit autant par son atmosphère que par ses personnages forts - Doc Sportello n'est-il pas une version droguée du self-made man de There will be blood -, des relations de dominés-dominants perturbantes - comme cette scène de fin entre Doc et Shasta - ou encore des événèment entrevus du coin de l'oeil. Si rien n'est vraiment clair dans Inherent Vice, ce n'est nullement un manque de caractérisation de ses auteurs, mais bien un outil malin pour représenter la paranoïa d'une certaine époque et l'état d'esprit des années 60 aux états-unis. En définitive, vous ne saurez jamais si une grande multinationale du crime se cache derrière tout ça ou bien si les flics sont aussi pourris que le pense notre bon Doc Sportello. Le vrai tour de force, c'est qu'il s'agit du moteur du film, que c'est ce charme de l'incertitude qui le définit et en fait un objet tout à fait unique.

    Une nouvelle fois, Paul Thomas Anderson affirme sa supériorité. Sans atteindre la grâce d'un There Will be blood et en étant plus léger qu'un The Master, Inherent Vice impressionne à tous les niveaux. De sa réalisation exemplaire à son ambiance sixties charmeuse, le dernier long-métrage de l'américain profite d'un casting parfait emmené par un Joaquin Phoenix qui n'en finit pas d'être génial.
    Un petit délice parfumé à la marijuana et aux mystères californiens.

    Note : 8,5/10

    Meilleure scène : Le shoot de Doc dans le cabinet dentaire - son infiltration dans l'asile

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  • [Exclu Critique] The Look of Silence

    Grand Prix du Jury Festival de Venise 2014
    Grand prix du jury Festival 2 Valenciennes 
    Prix de la Critique Festival 2 Valenciennes
    Prix des Étudiants Festival 2 Valenciennes


    Retour en arrière.

    En 2012, le réalisateur américain Joshua Oppenheimer dévoilait son premier documentaire intitulé The Act of Killing. Au bout de 160 minutes, le constat était simple : The Act of Killing était un choc d'une force très rare. Littéralement enseveli sous les récompenses de Berlin à Boston en passant par Toronto, le film avait inexplicablement et honteusement raté l'Oscar. En France, sa distribution était restée pour le mieux confidentielle et rares furent ceux ayant eu l'occasion d'admirer le travail du cinéaste. Un petit festival, organisé dans la ville de Valenciennes, avait pourtant diffusé et primé le documentaire. C'est donc tout naturellement que le second volet de la plongée en apnée de l'américain dans l'histoire Indonésienne se retrouve au Festival 2 Valenciennes en cette année 2015. The Look of Silence passe de l'autre côté du premier opus et se focalise sur les descendants des victimes du grand massacre de l'année 1965. Une nouvelle fois, Joshua Oppenheimer confronte la force des images qu'il a recueillies auprès des bourreaux au regard du spectateur. Lorsque le spectateur en question s'avère être le frère d'un supplicié, le récit prend une envergure nouvelle.

    A nouveau, Oppenheimer a été consacré cette année au festival de Valenciennes, raflant presque tous les prix à lui seul dans la sélection documentaire. The Look of silence s'étale sur une durée plus courte que son illustre aîné - 1h30 - mais condense son récit autour d'un des grands lieux de massacre lors du véritable génocide indonésien de 65, à savoir la rivière Serpent. Le réalisateur affirme immédiatement qu'il a évolué dans sa façon de filmer et la mise en scène de The Look of Silence s'en ressent. Étudiée, millimétrée, encore davantage que pour The Act of Killing, la réalisation s'appuie tout autant sur la minutie des plans que sur le montage sonore. Au gré des bourdonnements d'insectes ou d'une chanson triste indonésienne, Joshua continue à révéler et raconter. Il nous parle d'abord d'une chose inattendue : l'éducation. A travers une séquence ahurissante, il démontre de façon tout à fait brillante que l'histoire se modèle à partir des faits racontés par les vainqueurs. Même si la chose n'est pas nouvelle, Oppenheimer l'applique de façon abrupte et décisive lorsqu'il met en scène une classe à laquelle le professeur enseigne que les milliers de tués étaient des monstres communistes sanguinaires et qu'ils ont mérité ce qui leur est arrivé. Dès lors, insidieusement, Oppenheimer pose la question de l'histoire. Peut-on vraiment la croire ?

    Passant rapidement sur l'Histoire avec un grand H pour se recentrer sur des récits intimistes des horreurs passées, The Look of Silence va donc suivre cette fois un homme en particulier. Cet anonyme (forcément), sous couvert d'adapter des verres de lunettes, va rendre visite aux responsables du massacre dans lequel son frère a péri jadis. Comme pour The Act of Killing, on assiste aux témoignages - soit enregistrés, soit en direct - des assassins qui, aujourd'hui, peuvent tout dévoiler dans une totale impunité. L'un décrit comment il éventrait les femmes, l'autre aborde le problème de tuer un homme en lui arrachant le pénis, les derniers recréeront l'ultime acheminement des prisonniers à la Rivière Serpent. Toujours aussi écœurantes et surréalistes, ces scènes s'accompagnent cette fois du regard lourd de notre témoin indonésien. Le visage fermé, plongé dans une incompréhension totale, il regarde puis interroge les puissants au pouvoir ou les hommes de main devenus des vieillards ordinaires, allant à la mosquée comme de bons croyants. On retrouve la même sensation de vertige et d'embarras dans ces confrontations qui sont loin de tourner en séances d'excuses et de regrets.

    The Look of silence affronte de façon directe le gouffre du silence qui entoure désormais ce crime contre l'humanité. Le silence des bourreaux mais également des victimes, condamnées à se terrer, à vivre au milieu des assassins de leurs fils, de leurs maris ou de leurs femmes... C'est formidable puisque selon les divers témoignages des anciens tueurs, personne n'est coupable. Soit il faut s'adresser aux supérieurs de l'époque (ils ne faisaient qu'obéir), soit il faut les comprendre, la sécurité du pays l’exigeait. D'autres tombent dans la menace ou le déni, comme dans cette longue et embarrassante scène finale où toute la famille semble souffrir d'une amnésie soudaine. Le poids des images d'Oppenheimer se retrouve tout du long. L'américain mène un travail de mémoire tout autant qu'une forme de procès qui ne dit pas son nom. Entre les deux, on retrouve des traits d'humanité, comme les émouvantes séquences avec la grand-mère ou les éclats de rire d'une fillette. Qu'elles font du bien, ces scènes ! Car tout le reste affirme l'horreur de l'homme dans son plus simple appareil. Oppenheimer montre la souffrance mais aussi l'abjection. Des criminels et des monstres dirigent le pays, se baladent impunément dans les rues... et il faut oublier, ne pas remuer le passé. Mais à l'aune des récits autour du frère décédé, comment peut-on oublier ? Peut-on même pardonner ?

    C'est le dernier axe du documentaire : peut-on pardonner dans cette situation ? Joshua Oppenheimer touche du doigt quelque chose d'extrêmement fort, à nouveau, lorsqu'il aborde ce versant des choses, en confrontant le point de vue forcément amer de la mère dont le fils a été torturé puis coupé en morceaux, et celui du frère qui est né juste après cet épouvantable drame. En quelque sorte, Oppenheimer montre avec justesse que le pardon dépend totalement de la personne et des circonstances. Contaminée par une haine féroce et logique, la grand-mère ne le pourra jamais. Le frère, lui, amené devant un des coupables devenu vieillard sénile, trouve la force de serrer la main du bourreau et de le pardonner. Il brise le cercle. Le pardon, dans le film d'Oppenheimer, s'avère la chose la plus dure et la plus insurmontable qui soit. En sondant l'âme la plus noire possible de l'humanité, l'américain nous interroge sur notre propre capacité à oublier et pardonner. Faut-il céder au silence ? Doit-on crier dans la nuit ? Dans tous les cas, The Look of Silence révèle une nouvelle fois l'odieux, tout en passant sur un autre point de vue, peut-être un peu moins original que le précédent volet, mais pas moins marquant. 

    The Act of Killing était le meilleur film de l'année 2013 en France. Il ne fait aucun doute que The Look of silence se retrouvera dans le trio de tête de l'année 2015. Audacieux, marquant, fascinant, terrifiant, le second documentaire de l'américain Joshua Oppenheimer achève de convaincre du talent du jeune cinéaste. Il devient, avec ce second volet, un des documentaristes les plus importants de cette dernière décennie.

    Note : 9,5/10

    Meilleures séquences : L'école - La confrontation avec la famille du bourreau - Le pardon

    Meilleure réplique : Te souviens-tu de Ramli, ton fils ?


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  • [Court-Métrage du dimanche] Le Festin

    Pour ce dimanche, découvrez le court-métrage vainqueur de l'oscar d'animation cette année. Signé Disney, Le Festin raconte la vie d'un homme à travers les yeux de son chien.
    Un grand instant d'émotion.

    >> Mise à jour : Le lien ayant été coupé par Disney, voici un autre en entier sur DailyMotion.

     

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  • [Critique] L'ennemi de la classe



    Le mois de mars s'est avéré riche en petits films indépendants de qualité. Nous avons eu droit à Crosswind de l'estonien Martti Helde puis à Chelli d'Asaf Korman. Cette fois, c'est un film slovène, L'ennemi de la classe, qui sort discrètement sur nos écrans. Premier film de Rok Bicek, le long-métrage n'affiche là encore aucune tête d'affiche connu. Peu importe puisque le sujet se révèle assez intéressant et casse-gueule pour que l'on s'intéresse à cette histoire. Précédé par un buzz plutôt positif au gré des festivals indépendants qu'il a traversés, L'ennemi de la classe choisit de porter un regard dur et sans compromis sur l'éducation, à travers un fait divers tragique mais banal. Comment Rok Bicek peut-il arriver à étoffer son postulat de départ sans tomber dans le populisme éhonté ? La réponse en 112 minutes.


    Des lycéens tout ce qu'il y a de plus ordinaire doivent s'adapter au départ de leur professeur principal. Celle-ci, enceinte, se voit contrainte de céder sa place à Robert, un homme bien plus rigide et intransigeant. Forcément, le passage entre les deux modes d'éducation ne se fait pas sans heurt. Les choses en restent pourtant au traditionnel motif d'amour/haine entre élèves et enseignant... jusqu'au jour où l'une de leurs camarades se suicide. Profondément atteints, les jeunes se trouvent alors une nouvelle lutte commune : faire plier Robert, tout en le forçant à expier sa part de responsabilité dans le drame qui les touche. Plus qu'une simple fronde, la classe se retrouve déchirée par une véritable guerre de tranchées entre deux positions qui semblent inconciliables. Jusqu'où iront les lycéens pour chasser leur nouveau professeur ?

    Film sans prétention sur le plan de la mise en scène, L'ennemi de la classe se consacre tout entier à son sujet. Rok Bicek installe avec une aisance surprenante ses protagonistes - dont les nombreux lycéens que l'on suivra - et nous introduit dans un monde un peu bisounours par certains abords, où la prof est plus proche d'une copine que d'une véritable enseignante, où les élèves offrent un cadeau de départ et déplorent l'absence future de celle qu'ils semblent tous adorer... Bref, on nage en pleine utopie. L'arrivée de Robert, certainement aussi surpris de cette ambiance hippie que l'est le spectateur, va totalement changer la donne. D'un naturel plus dur et par certains côtés plus réaliste, le nouveau venu adopte également des règles strictes qui vont faire grincer des dents les lycéens, habitués à une éducation scolaire permissive. L'ennemi de la classe bascule après le suicide d'une des élèves, laissant planer le doute sur la responsabilité morale du nouveau professeur. Cet événement tragique mais apparemment sans lien avec les événement antérieurs va mettre le feu aux poudres et lancer Bicek sur une profonde réflexion autour de l'éducation, de la révolte et de la responsabilité.

    Bien que l'on adopte rapidement le point de vue plus mature et sensé de Robert, Bicek ne fait pas l'erreur de recourir au manichéisme le plus basique. Au contraire. Robert, magnifiquement interprété par Igor Samobor, ne représente pas l'archétype du prof compétent et aimable. Condescendant, imbu de lui-même et certainement par trop psycho-rigide, il va parfois trop loin dans sa façon d'aborder les règles sociales. Pour autant, il reste le personnage le plus sensé du film puisque les lycéens vont rapidement se diviser puis affronter avec une mauvaise foi toujours croissante le professeur honni. En un seul temps, le réalisateur slovène nous présente un cas typique de bouc émissaire mais également l'aboutissement de cette société bien-pensante moderne qui place le mot fascisme sur le devant de la scène dès que des règles sont imposées. L'ennemi de la classe se fait rapidement un réquisitoire contre l'escalade improbable de jeunes qui pensent tout savoir et qui, aidés par l'air du temps, vont accuser des pires horreurs leur professeur d'allemand. Cette sorte de tourbillon regroupe un certain nombre de tendances actuelles, de l'adolescent raciste et démagogue à la jeune fille rebelle qui n'a que le mot "nazi" à la bouche pour qualifier toute forme d'ordre sociétal. Cette synthèse morbide mais improbable se justifie par le bouc émissaire qui, au-delà des clivages de pensées, regroupe. Une démonstration simple mais efficace. 

    Là où L'ennemi de la classe se fait remarquable, c'est lorsqu'il cherche à mélanger rage et dérision. Le spectateur passe d'une frustration qui va crescendo devant le déchaînement d'absurdités enchaînées par les adolescents, encore accentué par la réponse maladroite du professeur, à l'humour contenu dans de savoureux passages comiques. Pour mémoire, et parce qu'elle est certainement la plus fameuse du film, on citera la scène où les parents se réunissent pour faire le point. Bicek prend un malin plaisir à transposer les manières de chaque élève dans les adultes présents à l'assemblée. On peut ainsi deviner sans qu'ils ne le disent qui est le père ou la mère de quel lycéen. C'est à la fois très drôle et parfaitement bien senti puisqu'au fond, les enfants ne sont que le produit de leur éducation parentale. Une éducation qui reste de bout en bout le point primordial du film sans que le réalisateur ne nous donne une réponse claire et définitive, nous laissant le choix des armes entre Robert et ses frondeurs. Reste que dans cette course à la bêtise et au dialogue de sourds, en définitive, personne ne ressort gagnant.

    L'ennemi de la classe ne mise pas sur sa réalisation ou son jeu d'acteurs - de très bonne tenue tous les deux au demeurant - mais bien sur son sujet de fond aussi captivant que véritablement bien traité. Rok Bicek nous offre un film intéressant qui suscitera certainement moult débats.  
    Certainement la marque d'un long-métrage posant des questions morales et sociétales pertinentes. 


    Note : 8.5/10

    Meilleures séquences : Le plaidoyer de fin de Robert - L'assemblée des parents - la lettre de la meilleure amie

    Meilleure réplique : 
    "Avant ils avaient peur de nous, maintenant nous avons peur d'eux, c'est comme ça que ça marche Robert"

     

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  • [Critique] Chelli


    Récemment, Mommy de Xavier Dolan a secoué son monde en traitant de manière magistrale un handicap lourd pour l'entourage familial : L'hyperactivité. Loin de la mise en scène exubérante du canadien, Chelli exploite un thème similaire. Premier film de l'israélien Asaf Korman, le long-métrage nous parle de la façon pour une jeune femme de gérer son existence alors qu'elle doit assurer le quotidien de sa sœur handicapée. Sorti en catimini sous nos latitudes, Chelli mérite pourtant que l'on s'y attarde quelques minutes malgré l'immense déception qu'avait constitué un autre film israélien récent, L'institutrice


    Chelli exerce comme surveillante dans un lycée. Si elle travaille au milieu des adolescents, à la fin de la journée elle rentre dans son modeste appartement pour retrouver Gabby, sa sœur. Leur mère ne voulant plus s'en occuper, il incombe à Chelli de surveiller Gabby et de l'aider au quotidien. Très lourdement handicapée, la jeune femme a de plus en plus de mal à supporter l'absence de Chelli la journée. A contrecœur, celle-ci envisage se placer Gabby dans une institution...jusqu'au jour où un nouveau venu au lycée entre dans sa vie. Zohar tombe rapidement amoureux de Chelli mais ne sait encore que peu de choses de sa vie. Il va bien vite découvrir que s'il désire construire un avenir avec celle qu'il aime, il devra composer avec l'omniprésence de sa sœur.

    Film discret, Chelli n'en reste pas moins tout à fait intéressant. Prenant le contre-pied du clinquant Mommy, Korman installe tranquillement ses deux personnages principaux et filme crûment leur quotidien. En quelques scènes, on comprend que Chelli est prisonnière de la charge que représente sa sœur mais également que leur relation reste unique envers et contre tout. Korman dépeint avec un réalisme touchant l'amour inconditionnel que porte Chelli à Gabby et comment celle-ci, entre les brumes de son handicap mental, lui rend son amour. Heureusement, tout le film ne se fonde pas sur cette démonstration de sacrifice familial. Chelli a l'intelligence de partir sur des terrains peu exploités à propos du handicap. L'israélien s’échine à présenter Gabby non pas comme une handicapée incapable du moindre acte quotidien mais bien comme une personne qui, bien que diminuée, reste humaine, avec ses pulsions et ses désirs, ses colères et ses joies. Certains passages - comme ceux autour de la sexualité - mettent dans un certain embarras, à l'image de la réaction de Chelli elle-même. Cette dernière change peu à peu de visage quand Korman installe son second axe de réflexion. Et si, finalement, la personne la plus dépendante de cette relation n'était pas celle que l'on croit ? C'est là tout le nœud du problème posé par le long-métrage.

    Chelli transfigure lentement la relation de départ et Korman joue sur cet échange en utilisant la présence de Zohar comme catalyseur. Le long-métrage explique comment adopter un rôle de soignant à plein-temps peut devenir un véritable besoin pour construire sa propre identité. C'est précisément là que Chelli touche juste. D'autant plus juste qu'il bénéficie du jeu d'acteur extraordinaire des deux femmes fortes du récit. Dana Ivgy et Liron Ben-Shlush assurent l'essentiel de l'intrigue grâce à leur incontestable talent. La seconde bluffe encore davantage, tellement impliquée à jouer Gabby que l'on oublie totalement l'actrice derrière. Une grande prestation. L'autre versant de Chelli reste la place de l'amour dans une relation si cadenassée. La façon dont Zohar s'immisce dans le quotidien des deux jeunes femmes réussit à briser le fragile équilibre mis en place par le film tout en mettant en exergue la tragique dépendance de Chelli à l'égard d'un rôle que la vie lui a imposé. Le point de vue différent de Zohar devient à ce point prégnant qu'à un certain moment l'intrigue bascule et que le rideau tombe, montrant la vraie faiblesse de Chelli, cette peur viscérale de perdre une relation fusionnelle qui a défini toute son existence jusqu'ici.

    Pour finir, Chelli montre de grandes qualités de réalisation. Korman sait faire oublier la présence de sa caméra pour capturer au mieux les instants intimes d'une vie ordinaire. Ou presque. Même si l'israélien ne laisse pas un souvenir impérissable dans les mémoires rien que par sa mise en scène, sa sobriété honore le récit. Il évite le piège du mélo facile et touche surtout à un instant de pure grâce lorsque Chelli réalise sa double-erreur en fin de métrage. Intense moment d'émotion qui permet de boucler la boucle en mettant en évidence ce que le récit cherchait à prouver depuis le début : l'individualité se construit coûte que coûte et une personne ne peut se définir par les relations qu'elle établit au cours de son existence. Chelli  - comme Gabby - est une femme avant d'être une sœur, le plus grand défi de son histoire reste de savoir se redéfinir. 

    Tout à fait inattendu, Chelli fait partie de ces petits films indépendants qui méritent une plus large visibilité. Grâce au talent indéniable de ses deux actrices, le long-métrage d'Asaf Korman peut développer en toute quiétude un nouvel angle d'approche centré sur le handicap mental. Une belle réussite que l'on vous recommande chaudement.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : La réunion avec les autres personnes handicapés dans l'appartement

     


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  • Pour ce dimanche, The Leviathan, un court-métrage se Science-Fiction qui puise son inspiration du côté de Melville et revisite Moby Dick à sa sauce. Des images splendides qui laissent songeur ! 
    Attention à vos rétines !


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  • [Critique] Kingsman

    Depuis son Stardust, le britannique Matthew Vaughn nous offre un cinéma souvent déjanté mais toujours impressionnant niveau réalisation. Après X-Men First Class, une grande réussite au demeurant, il s'était fait bien plus discret. Il faut attendre une nouvelle collaboration avec son compère Mark Millar pour retrouver l'anglais au top de sa forme. Kick-Ass s'était intéressé aux vigilantes, cette fois Kingsman plonge sans vergogne dans le monde de l'espionnage... revu et corrigé à la sauce Millar, magnifié par la folie visuelle de Vaughn. Pour cette entreprise, il emmène Samuel Lee Jackson, Mark Strong, Colin Firth, Michael Caine et un petit nouveau en la personne du jeune Taron Egerton. Savant mélange de comics et d'espionnage vintage, Kingsman mise tout sur le fun. Un choix payant ?

    Harry fait partie d'un groupe top secret de super-espions. D'ailleurs personne ne l'appelle Harry. Surnommé Galahad pour les besoins de l'organisation Kingsman, l'homme prend un malin plaisir à recruter des membres peu orthodoxes issus de milieux plutôt défavorisés. Lorsque l'un des leurs meurt dans de tragiques circonstances, Galahad doit choisir son candidat à la demande d'Arthur pour les éliminatoires qui s'annoncent. Il porte son dévolu sur le jeune Eggsy, un gamin des quartiers sensibles de Londres et que rien ne prédestinait à devenir agent secret, si ce n'est un père qu'il a à peine connu dans son enfance, un Kingsman lui aussi. Confronté à un monde qu'il ne connaît pas et bientôt à une catastrophe planétaire qui risque de détruire l'humanité telle qu'on la connaît, Eggsy va devoir prouver sa valeur. Peu importent les circonstances...

    Kingsman s'avère autant le fruit de Vaughn que de Millar. On retrouve dans le long-métrage un certain nombre d'obsessions de l'auteur anglais avec une irrévérence prononcée, un goût pour le héros prolétarien, et surtout une bonne dose de dérision. Dès lors, pour ceux qui ont vu Kick-Ass ou qui lisent régulièrement du Mark Millar, Kingsman évolue en terrain connu. Heureusement, l'originalité reste de mise. Vaughn n'y étant d'ailleurs pas pour rien, grâce à sa mise en scène extrêmement dynamique et sa façon bien particulière de raconter une histoire d'espions à la sauce vintage. Le long-métrage, plus qu'un simple film d'action, se veut un hommage appuyé à un des monstres légendaires du Royaume-Uni, à savoir le fameux James Bond. Mais pas forcément celui d'aujourd'hui - style Daniel Craig - non Kingsman lorgne clairement vers les vieux James Bond où le kitsch le disputait à l'excès et où le méchant était aussi improbable que les entreprises incroyables de l'espion pour sauver le monde. Kingsman livre un vibrant hommage à cette culture de l'espionnage d'antan, verse dans le kitsch mais sans le dire - ses deux méchants particulièrement inattendus, aussi drôles qu'originaux - tout en gardant un côté purement second degré totalement jouissif pour le spectateur.

    Le métrage ne s'arrête pas là pourtant. Plus complet qu'un simple pastiche de James Bond à la sauce Millar, Kingsman profite d'une intrigue déjantée et d'un petit monde secret résolument cool à découvrir. On l'explore par les yeux du jeune Eggsy, incarné par un Taron Egerton bien meilleur que ce que l'on aurait pu croire, et dans l'ombre d'un monstre sacré avec le personnage de Galahad. Celui-ci bouffe en grande partie les autres acteurs à l'écran, et pendant longtemps Kingsman reste un peu son one-man show. Colin Firth livre une prestation charismatique et pleine de fougue, où le flegme anglais devient élégance d'agent secret. Même si, dans le fond, l'organisation reste une organisation secrète comme on peut en trouver dans des dizaines d'autres films (seuls les noms de code s'avèrent inattendus), Kingsman tire réellement son épingle du jeu grâce à la mise en scène dynamique de Millar, qui culmine dans l'hallucinante séquence de l'église où l'anglais lâche tout son talent dans une scène gore, intense, hautement jouissive et d'une lisibilité parfaite. Certainement la scène de combat la plus impressionnante de l'année. Tellement efficace et marquante que le reste du film aura bien du mal à retrouver le même niveau, à commencer par la fin bien pâlichonne en regard.

    Evidemment, Kingsman n'a pas que des qualités. Vaughn tire un peu sur la corde en nous présentant les éliminatoires des jeunes recrues, qui tournent rapidement à l'Eggsy Show et dont on connaît l'issue dès le départ. Trop long dans sa première partie, Kingsman va parfois également trop loin dans l'humour Millarien, où la surenchère se fait au détriment de l'élégance (cf la blague avec la princesse emprisonnée tombant dans le graveleux le plus pitoyable). Heureusement, le méchant et la critique acide du monde libre et de la technologie rattrapent ces faiblesses scénaristiques. Samuel Lee Jackson s'amuse comme un petit fou en incarnant un super-vilain décalé avec un cheveu sur la langue, et du fait, nous aussi. Frère diabolique et improbable de Steve Jobs ou de Xavier Niel, Richmond Valentine démontre que l'on obtient rien de réellement gratuit. Son assistante, tout droit sortie d'un méchant de James Bond à la Moonraker, ajoute un quota un peu plus menaçant pour Eggsy, tout en permettant quelques petites folies visuelles bien gores. En parlant de folies, il serait bien injuste d'oublier de mentionner l'explosion joyeuse de fin de métrage, aussi psychédélique que jouissive. Un mot qui s'applique décidément bien à Kingsman.

    Sans atteindre l'éclatante réussite d'un First Class, Kingsman renouvelle l'expérience irrévérencieuse de Kick-Ass avec une maîtrise filmique plus poussée et une triple dose de fun. En rendant hommage aux vieux James Bond de l'âge d'or des films d'espionnages, Vaughn donne une touche nostalgique et tendre à un film qui joue parfois les équilibristes mais qui, finalement, retombe toujours sur ses pattes. Un parfait moment de fun, de détente et de second degré assumé qui, même s'il peut paraître longuet par moment, respecte son cahier des charges avec brio.
    En somme, une nouvelle réussite au goût acidulé signée Millar et Vaughn.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : L'église

     


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  • [Critique] The Voices

    Prix du Jury Festival Gerardmer 2015
    Prix du Public Festival Gerardmer 2015

    Véritable révélation en 2007 avec son film d'animation Persépolis, l'iranienne Marjane Satrapi s'était faite plus rare par la suite du fait du succès tout relatif de Poulet au prunes et La Bande des Jotas. Pour son retour en cette année 2015, elle choisit de réaliser un long-métrage qu'elle n'a pas écrit (une première). The Voices quitte le registre habituel de Satrapi pour nous parler de Jerry, un américain moyen ou presque. Incarné par un revenant, l'acteur Ryan Reynolds, que l'on croyait définitivement enterré depuis sa prestation pitoyable dans le non moins pitoyable Green Lantern, Jerry a des choses à dire. Comédie caustique ou drame acidulé, The Voices nous entraîne aux côtés d'une brochette de personnages étranges dans un univers pourtant maintes fois exploré au cinéma : la schizophrénie.

    A Milton, la vie est douce. Dans cette paisible petite bourgade américaine, une seule chose sort de l'ordinaire : une fabrique de baignoires. Jerry travaille à temps plein dans cette petite entreprise où tout le monde se connaît. Enjoué, souriant, l'homme en devient même un peu trop expansif pour ses collègues. Comme nombre d'américains, Jerry consulte son psychiatre de temps à autre pour faire le point. Il faut bien. Après une dure journée de labeur, notre homme se repose avec ses deux compagnons à quatre pattes : son chien Bosco et son chat M. Moustaches. Tout est donc très normal dans le monde de Jerry. Enfin, si l'on excepte qu'il parle avec ses animaux et que ceux-ci lui répondent. En effet, Jerry ne consulte pas vraiment sa psychiatre pour un burn-out ou une dépression, non. Jerry est schizophrène. Du genre bien tapé et amoché par l'existence. Alors quand il décide d'arrêter ses cachets, la vie de Jerry prend une tournure un peu plus étrange encore.

    Si vous comptiez amener vos enfants voir un film avec des animaux qui parlent... vous risquez d'être surpris (et les enfants aussi d'ailleurs). Si vous veniez assister à un pur film d'horreur avec un psychopathe qui découpe les gens en morceaux dans une atmosphère glauque... vous risquez également d'être surpris. The Voices refuse de rentrer dans une case. Le dernier film de Marjane Satrapi n'est ni un drame, ni une comédie, ni un film d'horreur. Il est les trois à la fois, et parfois en même temps. Un peu comme certains films coréens (The Host par exemple). Le genre de choses qui déstabilise forcément le public lambda européen. Ce serait pourtant extrêmement dommage de passer à côté de cette petite sucrerie sanguinolente à la saveur improbable. Bien sûr, on a déjà vu Fight Club ou Shutter Island, bien sûr la schizophrénie au cinéma n'est plus un sujet original... Mais, heureusement, il reste des réalisateurs et des scénaristes capables de l'aborder de façon originale.

    The Voices fait le pari de montrer la schizophrénie par les yeux du schizophrène, en l’occurrence notre bon Jerry. C'est là justement que Satrapi touche juste. Par la perception de Jerry, la réalité s'en trouve déformée. Sans ses cachets, elle devient une sorte de conte de fées où les gens font la chenille, où la fille qu'il drague prend des airs de princesse et où les chariots-élévateurs forment un ballet classique. La réalisatrice iranienne se lâche carrément, infiltre les codes du conte dans un film de serial-killer, et le résultat est aussi sidérant que rafraîchissant. Les choses sérieuses commencent pourtant lorsque Jerry arrête ses cachets et lorsqu'il se souvient parfois de son enfance. Alors Satrapi bascule. Elle change sa mise en scène, sa musique, ses décors, bref elle change tout. Et The Voices devient un affreux film d'horreur des plus glauques... avant de redevenir tout mignon avec un chat diabolique et un chien débile. Incarnant les voix dans la tête de Jerry par ses animaux, Satrapi fait fort. Elle parvient à la fois à représenter de façon convaincante la folie de Jerry mais aussi à faire rire le spectateur. 

    Pourtant, ce n'est pas tout. Là où The Voices épate, à part ses renversements soudains de ton, c'est dans sa capacité à rythmer une intrigue qui fait non seulement avancer un récit prenant et scotchant, mais qui approfondit le personnage torturé de Jerry pour en donner une image extrêmement touchante et proche de la réalité. Bien loin de cataloguer son héros - ou son anti-héros - comme un psychopathe, un fou ou une victime, Satrapi adopte le même procédé que pour le genre du film dans son entièreté. Jerry est un peu des trois à la fois. L'iranienne arrive à montrer que non, contrairement aux idées reçues sur les fous, les juger s'avère d'une complexité extrême. En Jerry se terrent certes un psychopathe, mais également un pauvre bougre innocent et qui ne veut de mal à personne. Dès lors, The Voices devient une succulente plongée dans l'esprit d'un homme fragmenté... dissocié pour être précis. Pourtant, Marjane Satrapi n'y va parfois pas avec le dos de la cuillère. Amis de la boucherie et du sciage de membres, réjouissez-vous, The Voices contient son lot de scènes gores. Mais le constant décalage entre celles-ci et la vision qu'en a Jerry achève de régaler. Oubliez le sérieux de Dexter, découper les gens est en fait une toute autre histoire.

    Rendons honneur pour terminer à la personne qui rend tout cela possible, à savoir Ryan Reynolds. L'acteur américain avait sombré avec le navire Green Lantern, mauvais comme pas possible et qui avait, semble-t-il, poussé ce cher Ryan à jouer comme un cancre. Oubliez tout cela, Reynolds vient se faire pardonner. Dans The Voices, il est simplement magistral. Sa capacité à passer du personnage tout à fait sympathique et joyeux au plus terrifiant des psychopathes laisse pantois. Son sourire béat, son visage crispé, ses explosions de colère... et puis les voix des animaux qui, rappelons-le, sont les siennes. Même si Gemma Aterton, Anna Kendrick et Jacki Weaver sont excellentes dans leurs rôles respectifs, il faut bien avouer que LA star du film, c'est lui. C'est grâce à son talent incroyable que Jerry prend vie et que les ruptures du récit se font palpables. On appelle ça un come-back exceptionnel. Chapeau l'artiste.

    The Voices va en surprendre plus d'un. On parie même qu'il va inciter une partie de ses spectateurs à quitter la salle, déstabilisés dans leurs attentes. Le dernier bébé de Marjane Satrapi est pourtant un délice qui mélange humour noir, tragédie et horreur. On se régale du début à la fin, porté par l'interprétation impeccable de Ryan Reynolds et par une histoire aussi intelligente que fascinante. 
    Miaou !

    Note : 9/10

    Meilleure réplique : "Did you fuck that bitch ?"

    Meilleure scène : Le changement de l'appartement lorsque Jerry arrête son traitement

     

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  • Pour le retour de la rubrique du Court-métrage du dimanche, un petit plaisir SF bien noir et mélancolique avec le destin d'un robot désespérément seul dans un Paris abandonné.
    C'est 100% Français, réalisé par Isart Digital, et surtout 100% excellent !

    "Salut, je m'appelle Léo. Viens jouer avec moi s'il te plait"


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  • [Critique] Birdman
    Meilleur Film Oscars 2015
    Meilleur Réalisateur pour Alejandro Gonzalez Inarritu Oscars 2015
    Meilleur scénario original Oscars 2015
    Meilleur acteur dans une comédie pour Michael Keaton Golden Globes 2015
    Meilleur Film Independant Spirit Awards 2015
    Meilleur Acteur Independant Spirit Awards 2015
    Meilleur réalisateur Directors Guild of America Awards 2015
    Meilleur ensemble d'acteurs Screen Actors Guild Awards 2015
    Meilleur film Producers Guild of America Awards 2015

    Non, Guillermo Del Toro n'est pas le seul mexicain à avoir réussi à percer aux USA. La dernière cérémonie des Oscars l'a d'ailleurs prouvé de façon tout à fait éclatante. Alejandro Gonzalez Inarritu peut désormais se targuer d'avoir empoché le précieux sésame au nez et à la barbe de Benett Miller ou de Clint Eastwood. Si ce nom ne vous dit rien, c'est peut-être parce que le bonhomme n'avait pas encore la publicité dont il a bénéficié grâce à l’irrésistible ascension de son dernier film, Birdman. Après le magnifique 21 grammes, Inarritu avait connu une baisse de régime avec Biutiful, beaucoup moins bien accueilli par la critique. Pour son dernier film, le mexicain s’est entouré d'une remarquable brochette d'acteurs, tout en se payant le luxe de ressusciter un Michael Keaton qu'on n'espérait plus. Véritable triomphe pendant la saison des Oscars, Birdman a donc logiquement consacré Inarritu en tant que meilleur réalisateur. Un titre mérité ?

    Mondialement connu pour son rôle de super-héros dans le film Birdman, Riggan Thomson est devenu ce que l'on peut appeler un has been. Il vivote de petits rôles en petits rôles, jusqu'au jour où il décide de monter sa propre pièce à Broadway. Malheureusement, son étiquette de super-héros lui colle à la peau et la critique comme ses collègues ont du mal à voir en lui le véritable artiste qu'il est. Pour tâter le terrain, il organise des séances de répétitions générales ouvertes au public pour tester le potentiel de sa pièce. Entre acteurs névrosés et vieux démons, Thomson doit aussi gérer sa propre vie privée et notamment sa fille Sam. Peut-il vraiment redorer le blason qui fut le sien ou devra-t-il éternellement vivre dans l'ombre de son alter-ego héroïque ?

    Pour mettre en scène Birdman, Inarritu opère un choix audacieux. Il filme en effet tout en un seul plan-séquence. Comprenez qu'il n'y a jamais de coupure dans son montage et que la caméra glisse sur les personnages pour suivre l'action. Cet exercice de style aussi casse-gueule que réjouissant parvient à immerger le spectateur au plus près des acteurs qu'il va côtoyer pendant plus de deux heures. Mais cette forme maîtrisée de bout en bout ne doit pas faire oublier que le petit jeu du mexicain a un but précis. Nous y reviendrons plus tard. Il faut d'abord parler de la mise en abîme sur laquelle joue Inarritu en recrutant Keaton pour interpréter son premier rôle. Cet immense acteur a en effet disparu des écrans depuis son rôle de Batman chez Burton. Depuis, il n'a cessé de vivre dans l'ombre et n'a jamais, jusqu'ici, retrouvé l'occasion de prouver son talent. Forcément, incarner Riggan Thomson, un acteur piégé par son rôle mythique du super-héros Birdman, n'a rien d'innocent. Le Mexicain s'amuse à infiltrer le réel dans la fiction et le résultat, pour peu que l'on connaisse un peu l'histoire de Keaton, est brillante. Cette première pierre permet de poser l'édifice critique du système que livre Inarritu dans Birdman.

    Avant d'être un film comique, Birdman est avant toute chose une grinçante satire du monde du cinéma et du théâtre. On y croise un acteur tellement fan de la méthode actor's studio qu'il en devient incapable d'être lui-même - génialissime Edward Norton -, un agent qui ne pense qu'à faire du chiffre et du sensationnel avec un Galifianakis inattendu mais savoureux, ou encore une critique professionnelle tellement certaine qu'elle va détester une oeuvre à l'avance qu'elle promet de la fusiller sans même l'avoir vue. Caricature en plusieurs actes du tout Hollywood, Inarritu flingue la performance d'acteur pour mettre au centre un individu plus effacé mais tellement plus poignant en la personne de Riggan Thomson. Michael Keaton, extraordinaire de bout en bout, fera taire toutes les mauvaises langues et touche au plus juste. Sa prestation aurait dû d'ailleurs en toute logique lui valoir l'Oscar. Il est donc confronté à diverses personnalités aussi étranges que pathétiques qu'Inarritu tourne en dérision avec un plaisir non dissimulé. Il aime également à fusiller l'intelligentsia établie qui ne supporte pas qu'une oeuvre puisse être bonne, avoir du succès et être produite par quelqu'un qui n'est pas de leur bord. Sur ce point, Birdman assure.

    Lorsque le film se met à aborder le problème existentiel de l'identité, il passe à la vitesse supérieure. La schizophrénie du héros principal ne fait, dès le départ, aucun doute. Inarritu n'épargne donc pas non plus son principal personnage. Faut-il être un peu fou pour devenir acteur ? Certainement, semble répondre le réalisateur. Après tout, difficile de ne pas l'être en passant son existence entière dans la peau d'un autre. Où s'arrête la comédie et où commence l'identité, le soi ? C'est une des problématiques abordées avec succès par Birdman qui va au fond des choses au cours d'une fabuleuse séquence où le fameux Birdman prend vie. Inarritu continue dans le même temps sa critique en règle du cinéma moderne et va jusqu'à viser le spectateur lui-même, drogué au blockbuster, incapable d'apprécier une vraie réflexion et un vrai fond sans un tas d'explosions ou de surenchère pyrotechnique. Et si les coupables de la déchéance de Riggan/Keaton, c'était nous ? Bien évidemment, le film prend plaisir à tancer gentiment la nouvelle mode du super-héros en rappelant que ceux qui ont auparavant tenté l'entreprise dans les années 80 étaient les vrais pionniers. Ceux qui prenaient tous les risques à une époque où le super-héros était kitsch. 

    Enfin, là où Birdman achève de convaincre de son statut de petite pépite, c'est lorsqu'il intrique l'émotionnel d'un Keaton condamné à se brûler les ailes et la lecture mythologique du film. Revenons-en donc comme promis à ce procédé du plan-séquence où la caméra glisse sur les murs, se tourne et se retourne, happant les acteurs au passage. Pourquoi un tel choix au final ? Pas du tout pour le côté clinquant de la chose - ou pas que du moins - mais pour donner la sensation de se perdre dans les couloirs de ce théâtre asphyxiant, entre les murs sans vie et les loges culs-de-sac. Le cheminement de la caméra donne une allure de labyrinthe au récit, où Riggan se retrouverait piégé, incapable de dépasser sa propre condition d'acteur has been. Evidemment, Innaritu ne s'arrête pas là et l'on comprend rapidement que Riggan n'est pas simplement un double de Keaton mais également un Icare en puissance, prêt à se brûler les ailes pour connaître la gloire. Ce n'est pas rien si le final se place en dehors du théâtre, laissant entendre qu'il a appris à voler, s'extirpant du labyrinthe de Dédale comme le héros de la mythologie grecque. Roublard, Inarritu ne nous dira pas s'il finit de la même manière, laissant le sourire de la malicieuse Emma Stone nous donner une indication précieuse. C'est donc bien un petit tour de force pétri d'intelligence que nous livre le réalisateur mexicain.

    Avec sa triple mise en abîme réalité/fiction/mythologie, Birdman jouit de l'intelligence d'écriture fantastique d'Alejandro Gonzalez Inarritu. En y ajoutant une pléiade d'acteurs truculents, un humour caustique au service d'une critique acerbe du cinéma moderne ainsi qu'une maestria indéniable dans sa mise en scène, le long-métrage s'impose naturellement comme le vainqueur logique des Oscars. Birdman constitue certainement le film le plus intéressant dans le fond et dans la forme de ce début d'année, aux côtés du grandiose Foxcatcher.

    Note : 9.5/10

    Meilleure scène : L'altercation avec la critique - Birdman devenant un blockbuster

    Meilleure réplique : "Let's make a comeback"

     

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  • [Critique] Virunga
    Nommé Oscar du Meilleur Documentaire 2015

    Après le remarquable Act of Killing de Joshua Oppenheimer, c'est un autre documentaire formidable qui s'est vu boudé aux Oscars cette année. Éclipsé par le très politique CitizenFour, Virunga n'en reste pas moins une oeuvre incontournable ces derniers temps dans les festivals. Réalisé par le britannique Orlando von Einsiedel, le documentaire a connu un essor rapide dès après sa reprise par Netflix qui en a même fait un argument de vente majeur en France. Malgré son échec au Theatre Dolby, Virunga a en quelque sorte déjà gagné puisqu'il a le mérite d'attirer l'attention sur des événements cruciaux se déroulant au Congo, dans le parc éponyme. Plus qu'un plaidoyer écologiste, le documentaire s'affirme comme une enquête à charge au contenu révoltant. 

    Après une courte mais informative séquence d'introduction brassant documents d'époque et jalons historiques du Congo, Virunga nous entraîne sur la trace des gardes d'un des plus grands parcs du pays, le fameux parc Virunga. Von Einsiedel nous fait découvrir la vie des rangers qui luttent, envers et contre tous, pour préserver ce sanctuaire extraordinaire. A leur tête, Emmanuel de Merode, un belge de la famille royale, directeur du parc et dernier rempart incorruptible contre le mal qui se répand dans tout l'est du Congo. Pourtant, il ne serait pas grand-chose sans le courage insensé de ses hommes dont quelques-uns sont également mis en avant, tel que Andre Bauma, à la fois ranger de Virunga et principal gardien du centre d’accueil des gorilles orphelins. Tous ces hommes décident, avec la complicité d'une journaliste indépendante française, Mélanie Gouby, de dénoncer le funeste destin qui semble étendre son ombre sur leur parc.

    Virunga, une des plus grandes réserves naturelles du Congo, est en danger. En grand danger. Au lieu de nous livrer une simple vision des derniers gorilles des montagnes, Orlando von Eisendel les inclut dans un combat bien plus vaste, celui d'un pays entier par le prisme d'un parc naturel qui cristallise l'âme et l'avenir de ce fier pays. L'entreprise s'avère bien plus forte qu'escomptée de prime abord et explique l'immense bourbier politico-économico-militaire où se retrouvent piégés les villageois et le parc. D'un côté un gouvernement corrompu, de l'autre des rebelles qui ne rêvent que de conquête et d'argent. Dans l'ombre pourtant, se trouve une multinationale pétrolière britannique, SOCO, qui joue au diable avec les différents partis pour un seul et unique but : l'argent de l'or noir. Virunga devient alors une enquête policière et une véritable charge contre l'horreur de l'exploitation par les blancs du continent africain, encore et toujours.

    Mélanie Gouby n'hésite pas au cours de ce documentaire à donner de sa personne en se mettant clairement en danger. Son courage et sa force permettent pourtant à Virunga de révéler la corruption, le racisme le plus primaire et la haine la plus barbare. On découvre alors de véritables ordures (aucun autre qualificatif ne peut convenir) comme le français Julien Lechenault, parangon du blanc condescendant, raciste au dernier degré et dont la cupidité n'a d'égale que l'immoralité. Virunga va bien plus loin que son postulat de départ ne le laissait penser et met en lumière l'horreur qui se joue avec la complicité des Occidentaux. L'intelligence de la démonstration permet de se rendre compte de la totale inhumanité qui règne dans cette partie du monde, broyant hommes, femmes, enfants... et animaux. Parce que même si Virunga se fait brûlot politique, il n'oublie pas, au milieu de tout ça, les merveilles naturelles qui tentent de survivre dans la folie des hommes.

    Von Einsiedel filme avec parcimonie mais toujours en replaçant judicieusement ses scènes, les derniers gorilles des brumes. On les découvre principalement dans le centre d’accueil pour quatre orphelins victimes du braconnage. En quelques instants, les gorilles et leur gardien, Andre Bauma, deviennent à nos yeux une vraie famille. On retrouve dans leurs relations si particulières plus d'humanité que dans une très grande partie du film. Les gorilles jouent, cajolent, émerveillent. Ils sont les vrais joyaux du pays, bien plus importants que tous les monceaux de minerai et de pétrole du sous-sol congolais. En y ajoutant la sidérante beauté du parc Virunga ainsi que les touchantes images des gorilles dans leur habitat sauvage, le documentaire devient poignant. Il prouve avec une facilité étonnante que la beauté se trouve bel et bien sous les yeux des hommes.

    Même si Virunga reste un documentaire, il arrive à monter en puissance tout du long pour culminer dans la terrible attaque de fin où le spectateur tremble avec les rangers. Reste alors à entendre les paroles de Mélanie Gouby, de ne pas oublier le documentaire sitôt celui-ci terminé. L'implication des différents intervenants, de Emmanuel de Merode à Mélanie Gouby, en passant par Rodrigue Katembo, donne une immense portée à Virunga. Dès lors, impossible de comprendre l'échec aux Oscars, tant Virunga semble relever de l'essentiel. Espérons simplement que l'engouement populaire portera le documentaire sur le devant de la scène, il le mérite amplement.

    Au-delà d'une simple description d'un parc sublime, Virunga dénonce avec force SOCO et ses sbires, la corruption, le racisme et tout simplement la nocivité de l'argent. Orlando von Eisendel nous offre quelque chose d'essentiel et d'intime, qui touche, qui révolte, bref qui ne laisse personne indemne. Un documentaire brillant.

    Note : 9/10

    Meilleure scène : Andre Bauma avec les gorilles.

    We will not go 

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  • Il y a un certain temps maintenant sortait le premier film d'une nouvelle franchise adaptée de romans adolescents. Nouvelle poule aux œufs d'or pour le studio Lionsgate, Hunger Games se payait même le luxe de réunir l'excellente Jennifer Lawrence et le trop rare Woody Harrelson. Seulement voilà, malgré un background qui semblait intéressant dans les dix premières minutes, le film accumulait les tares et finissait par se vautrer dans une niaiserie trop commune. Recruté pour la suite, le réalisateur de Constantine, Francis Lawrence, avait la lourde tâche de faire mieux, chose ô combien difficile vu le matériel de base. Avec ce second volet, intitulé L'embrasement, le ton est donné.

    Alors que Katniss a remporté avec Peeta les derniers Jeux en refusant de s'entretuer, elle est involontairement devenue un symbole pour les districts opprimés par le Capitole. De plus en plus de personnes se levant contre l'autorité établie, le président Snow décide de rappeler directement à l'ordre la vainqueuse avant sa tournée de "triomphe". Malheureusement, malgré les menaces, la chose tourne court et rapidement des nouveaux jeux "exceptionnels" sont organisés. Katniss et Peeta se retrouvent de nouveau confrontés à la brutalité de l'arène.

    Hunger Games 2 est l'archétype du film, et même plus loin, d'histoire, qui se fiche de son public/lectorat. Mais pourquoi ? Premièrement parce que pendant près d'une heure, le film brasse du vide, avec deux seuls axes : les Districts vont se révolter car Katniss a fait naître l'espoir et Katniss est traumatisée d'avoir tué. Le résultat est d'une lourdeur et d'une répétitivité... Katniss crie puis pleure puis re-crie (elle fait des cauchemars faut dire) et au final va ENFIN assumer son rôle de symbole à contre-cœur (Oui, du JAMAIS vu au cinéma, JAMAIS, quel coup de théâtre !). A côté, le président Snow vient rappeler ce qui s'est passé à la fin du premier et faire le méchant très très méchant, pour les deux du fond qui n'auraient pas suivi. On retrouve des personnages connus, Haymich qui...ben qui boit et Peeta qui est toujours aussi...tête-à-claques (au-delà de son nom d'association de défense des animaux, il est un peu le Edward de Katniss...a moins qu'il ne soit Jacob ?). Mais au-delà de ça, c'est surtout le fait que le film n'a rien à dire de neuf, tous les éléments, absolument tous, ont déjà été vu dans le précédent et il ne fait que rabâcher encore et encore dans la longuuuuuuue attente que les districts se révoltent. Alors bien entendu, on a le droit à la séquence d’exécution sommaire par les militaires pour insister sur le côté totalitaire de la chose, quelque fois qu'on aurait pas tout à fait compris. Mentionnons au passage la cohérence des sanctions dans l'univers de Hunger Games : lever la main en sifflant comme un symbole de mécontentement = une balle dans la nuque, agresser physiquement un commandant militaire = coups de fouet. A ce rythme, tuer le président sera passible de fessée.

    Mais passons car il y a bien d'autres choses à dire puisqu'intervient ensuite une nouvelle séance de jeux (absolument pas prévisible d'ailleurs) donnant à Katniss et Peeta l'obligation de recombattre...Avec la rencontre des autres candidats...et les auditions...et le défilé....Ce qui fâche totalement avec ce second volet, c'est qu'en fait c'est un Hunger Games bis. Exceptées la toute fin et les durées relatives, on a droit à la même trame scénaristique. Les districts et les conditions de vie horribles - la sélection - la parade - les auditions - l'arène. Voila. C'est génial. Pour que ce soit moins voyant, on a changé des choses, exit les novices, que des experts... et une nouvelle arène. Ce qui ne change pas, par contre, ce sont les jeux. Copie éhontée à la base du principe de Battle Royal, les Jeux voient de jeunes gens (et même une vieille d'ailleurs,mais faut dire qu'elle remplace la petite black pour le côté émotion) s'entretuer joyeusement. Enfin, il faut le dire vite. Un ou deux morts puis hop, 2 équipes et voilà. Oui. Au moins Battle Royale était ultra-fun. Ici, c'est surtout une séance hardcore de Koh-Lanta. Incapable de construire un jeu de roulette russe efficace entre humains, il faut faire appel à des pièges. Jusqu'à une troupe de babouins enragés...(Soupir). On passera aussi sur le gaz toxique lavable à l'eau (qui vaut bien la crème réparatrice express d'une blessure profonde du premier volet) et au milieu de ça bon, y'a des morts (non pas le spectateur, pas encore).

    Le gros soucis de beaucoup de films récents made in Hollywood, c'est de faire mourir des personnages dont, en gros, on a rien à faire. Après la reine de Thor, voici donc la fille camouflée dont on ne sait rien qui meurt. Super. C'est un peu comme si on avait introduit Ned Stark en 30 mn dans l'avant-dernier épisode de Game of Thrones avant de le décapiter dans le même épisode. On en aurait rien eu à faire non plus. Tout tombe à plat parce que tous les personnages importants ne peuvent pas mourir (ben oui, y'a une suite quoi!) et que les nouveaux sont introduits avec une vitesse épatante. "Bonjour, vous voulez m'apprendre à faire des hameçons ? Moi je vous entraîne à l'arc !" "Oui le mec au torse huilée aime beaucoup cette vieille dame". Bim. Morte. Okay...Bon ensuite, pique-nique sur la plage ? Le principal problème des jeux, c'est que c'est immensément chiant. Là où Battle Royal était ultra-jouissif, le besoin d'édulcorer le contenu pour les adolescents rend le tout affligeant de nullité. Hunger Games 2 finira enfin sur un cliff, en fait c'est un peu l'unique bonne chose du film, vous allez attendre 2h20 pour ça et vous en profiterez 7 minutes.Voilà. Au revoir, à l'année prochaine. Sérieusement...

    De même, certaines tares du premier subsistent, surement dû au matériel de base d'ailleurs. On retrouvera le Capitole où tout le monde s'habille en drag queens, ce qui risque, forcément, de gravement crédibiliser la science-fiction auprès du grand public. Mais aussi le même manque de finesse dans la situation : le Capitole c'est LE MAL, les districts (donc les pauvres) c'est le BIEN. Idem, ça fait deux films que l'on se demandent pourquoi depuis près de 70 ans les Districts ne se révoltent pas tous d'un coup vu que, sans eux, pas de nourriture, pas d'énergie...Après le Capitole peut tous les tuer mais c'est un peu hautement improbable. Et ça l'est toujours là... Mais mais !!!! Attention, il reste aussi le triangle amoureux. Attention, prenez une grande inspiration ! Etttttttttt Top : Katniss aime Gale mais en fait elle doit faire semblant d'aimer Peeta pour que l'illusion tienne et que ses parents ne meurent pas tuer par Snow (Le président, pas Jon), donc elle embrasse Gale dès qu'elle le revoit et Peeta aussi, mais c'est pour de faux, pourtant loin de Gale pour les jeux, elle tombe amoureuse de Peeta qu'elle ne doit PAS aimer, ben oui elle a un copain, Gale, mais Peeta est beau malgré son regard de homard et en plus il vient dans les jeux LUI, alors que Gale dort sur une table de cuisine pour trois coup de fouet, donc en fait son faux-amour devient un vrai-amour mais son vrai-vrai amour est resté en arrière et on sait pas qui elle va choisir. Ouffff. Ça vous rappelle quelque chose en gros ? Un indice, ajoutez un loup-garou et un vampire qui brille ? Bon. Inutile de dire à quel point c'est assommant de niaiserie et de prévisibilité (même si un instant on croit qu'elle va se taper Finnick, le mec qui frime torse nu mais non, c'est la femme de deux hommes, pas de trois, faut pas déconner).

    La réalisation de Lawrence n'a en soit rien de désagréable et Jennifer Lawrence assure le show (malgré quelques grosses séquences de surjeu...), sans compter le fait que Philip Seymour Hoffman a rejoint le projet (Il avait des facture à payer certainement), Hunger Games 2 est d'une médiocrité harassante. Au fond, ce qui est le plus insupportable depuis ces adaptations de franchises pour adolescents, entre Harry Potter et Twilight, c'est qu'à chaque fois elles croient inventer la roue. Pour Hunger Games, c'est peu ou prou pareil. Le grand thème de l'oppression du peuple pauvre par les riches est vu et revu (et surtout récemment avec l'excellentissime Snowpiercer qui est VRAIMENT noir et qui sublime son idée de départ) en meilleur d'ailleurs bien souvent. De même, l'idée de télé-réalité aussi, l'arène avec la forme de son dôme n'est pas sans rappeler un certain Truman Show. Le pire semble être le message de l'histoire qui incite les gens à réfléchir sur l'illusion qu'on leur sert pour ne pas voir les vraies choses importantes alors que le film fait la même chose dans sa non-originalité et sa frilosité. Un beau paradoxe.

    Finissons-en donc, puisque Hunger Games n'embrasera pas grand monde à part la niche classique d'adolescents en quête de sensations. Plat, répétitif à souhait, chiant et à la limite de l'escroquerie (on vous donne 2h20 de Hunger Games bis) , le film ne convainc franchement pas.
    Jennifer, retourne au cinéma indépendant ou de qualité, vite !

    Note : 2.5/10

    Meilleure scène : La révélation de fin (pas dur...)

    Meilleure réplique : Tu peux rester dormir avec moi ? 


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  • [Critique] Papa ou maman

    La comédie populaire. En France, le genre est, disons-le franchement, sinistré. Écrasé par la médiocrité de l'abrutissante production lambda de l'industrie du cinéma français, la comédie populaire serait presque devenu un synonyme de médiocrité. Après des films aussi affligeants que Bienvenue chez les Ch'tis ou Rien à déclarer, à peine du niveau d'un téléfilm, il ne restait plus grand choses à se mettre sous la dent. Pire encore, même le duo Toledano/Nakache a perdu de sa superbe avec Samba. Qui pouvait donc succéder à Intouchables ou Nos Jours Heureux ? Certainement pas Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?, film faussement insolent qui enchaîne les gags aux sous-entendus racistes pour faire rebelle (mais qui ne l'est absolument pas au passage). Malgré le sentiment cruel de voir un pan tout entier du cinéma français mourir à petit feu, voici que l'on découvre Papa ou Maman, de l'illustre inconnu Martin Bourboulon. Bande-annonce cruelle, postulat de départ original et casting attirant, le long-métrage a de sacrés atouts à faire valoir. Un nouveau pétard mouillé ?

    De quoi parle au juste Papa ou Maman ? Eh bien de divorce tout simplement, un des thèmes les plus rebattus autant dans les drames que dans les comédies. Difficile dès lors de trouver la chose excitante... sauf que le long-métrage imagine un couple, Florence et Vincent, qui ont décidé d'un commun accord de leur séparation, en oubliant un détail : les enfants. Lorsque les deux parents se retrouvent face à une offre d'emploi à l'étranger, l'optique d'obtenir la garde de leurs charmants bambins n’apparaît plus aussi enthousiasmante qu'auparavant ! Dès lors, une seule solution, dégoûter leur propre progéniture pour qu'elle n'aille pas habiter avec eux. Là, tout de suite, les choses deviennent autrement plus originales et enthousiasmantes. Surtout que contrairement à Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?, Papa ou Maman va au bout des choses et propose des situations vraiment, mais vraiment borderline.

    Irrévérencieux du début à la fin, le premier long-métrage de Martin Bourboulon est un régal de gags cruels et sadiques. Il n'épargne rien, ou presque, aux trois enfants du couple qui sont en plus décrits comme d'authentiques gosses du XXIème siècle, c'est-à-dire accrochés à leurs portables ou leurs tablettes, totalement antipathiques et d'une vulgarité à toute épreuve. Les voir prendre très cher arrive donc à procurer une sensation de plaisir coupable totalement jubilatoire pour le spectateur. On sent d'ailleurs que Bourboulon, comme ses deux acteurs, s'y donne à cœur joie, et cette énergie débordante rejaillit sur l'ensemble du métrage, lui insufflant une force véritablement débordante. De la scène d'ouverture aussi turbulente que maîtrisée, jusqu'aux nombreuses séquences de pétages de plombs parents-enfants, Papa ou Maman accumule les scènes cultes et les répliques cultes. Le réalisateur français ne se donne aucune limite (ou presque) et pousse le petit jeu très loin, en prenant bien soin de ménager un petit temps de suspense avant chaque méchanceté s'apprêtant à tomber sur les enfants du couple. Ce petit temps de latence laisse le spectateur faire appel à son imagination en s'attendant au pire... pire qui se produit bien souvent. Emmener sa fille de 12 ans dans un club de strip-tease, tirer sur ses enfants à bout portant au paint-ball, insinuer que l'autre pourrait se suicider en l'absence de tel ou tel enfant... la liste des réjouissances est longue. Pour le coup, oubliez le politiquement correct, bienvenue dans la pure impertinence. Le genre de petites choses qui font un bien fou dans cette époque cinématographique sclérosée par une certaine image proprette de la relation parent-enfant.

    Papa ou Maman peut, au-delà de son enchaînement de gags tous plus méchants les uns que les autres (bien que parfois surréalistes), compter sur deux acteurs splendides. Laurent Lafitte en père prêt à tout d'un côté, et Marina Foïs en mère roublarde et revancharde, parfaite de bout en bout et qui fait franchement plaisir à revoir à un tel niveau. Mieux, l'alchimie entre les deux fait mouche dès le départ, l'insolence de l'un et de l'autre s'intrique et magnifie le couple atypique qui s'affronte par enfant interposé. Ils sont formidables, leurs talents naturels jouant énormément à la fois dans le quota sympathique du film mais également dans le côté crédible de cet enchaînement de coups bas. Le long-métrage a également ceci de remarquable qu'il se joue de certains clichés éculés (le médecin qui couche avec son infirmière, le vieux patron d'entreprise misogyne) en les réutilisant de façon intelligente, à l'occasion d'une scène embarrassante à l'hôpital ou pour un dîner très spécial. Bourboulon se révèle là bien plus malin que l'ensemble de ses collègues cinéastes. D'autant plus malin quand il fait correspondre cette petite guerre entre parents à la recherche d'une passion sauvage perdue au fil du temps. Malgré une fin un tantinet trop gentille et un poil attendue, Papa ou Maman offre un beau plaidoyer sur la nécessité de combattre la routine, et ceci d'une façon véritablement déroutante.

    Magnifique surprise, Papa ou Maman redore le blason terriblement terni de la comédie populaire grâce à un humour grinçant, à une insolence omniprésente, mais surtout à la volonté d'aller au bout de sa démarche. Grâce à la magie de Marina Foïs et Laurent Lafitte ainsi qu'au talent de mise en scène de Bourboulon, Papa et Maman s'affirme comme une éclatante réussite à peine entachée par une fin un tantinet policée.
    Assurément la meilleure comédie française depuis un bail !


    Note : 9/10

    Meilleures scènes : Le paintball - Les claques - la nouvelle maison - le bar... et tellement d'autres

    Meilleures répliques :
    - Vas-y, nique lui sa mère au niakwé !

    et 

    - Si tu l'épouses, je te jure que je me drogue

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  • [Critique] Les nouveaux héros
    Oscar Meilleur film d'animation 2015
     

    Visiblement, l'académie des Oscars aime toujours autant Disney après toutes ces (nombreuses) années. Après la Reine des Neiges, c'est Big Hero 6 (miraculeusement traduit par Les nouveaux héros en France, what else ?) qui vient d'être sacré meilleur film d'animation aux Oscars. Réalisé par le tandem Don Hall et Chris Williams (qui n'ont jusqu'ici pas vraiment brillé chez la firme aux grandes oreilles), le long-métrage bénéficie du rachat de Marvel par Disney, puisque c'est la première fois qu'un métrage est adapté (librement certes) d'un comic book signé Marvel. Outre l'hommage appuyé aux Avengers, la principale caractéristique de ce nouveau film d'animation, c'est de se situer dans un univers japonisant où la ville de San Francisco est devenue San Fransokyo. Bourré de promesses, Les nouveaux héros bénéficie en outre d'un capital sympathie indéniable dès ses premières images. Est-ce seulement suffisant ?

    Le jeune Hiro Hamada participe en toute illégalité à des combats de robots. Petit surdoué de l'informatique et des technologies, il se fait de l'argent en pariant sans vergogne sur des affrontements qu'il sait gagnés d'avance. Aidé par son frère Tadashi Hamada, il agace profondément sa tante qui l'élève seule au milieu de la gigantesque San Fransokyo. Pour tenter d'attirer son frère ailleurs que dans la clandestinité, Tadashi essaie de l'introduire dans son monde, c'est à dire l'université où il étudie. Immédiatement captivé par ce qu'il voit et les personnes qu'il rencontre, Hiro relève le défi de construire un projet qui sera à même d'impressionner le directeur de l'université, le professeur Callaghan. Pourtant, Hiro n'est pas encore au bout de ses surprises, puisqu'il découvre le projet de son frère, un robot d’assistance médicale nommé Baymax. Entre le concours et l'étrange Baymax, Hiro aura fort à faire pour parvenir à ses fins !

    Big Hero 6 est, sur le papier, un des projets d'animation les plus excitants qui soient. Dès les premières images, impossible de ne pas tomber sous le charme de cet univers atypique où le monde occidental entre en collision avec l'univers japonais. San Fransokyo s'avère un régal pour les yeux. Cela non seulement parce que son esthétique est une éclatante réussite mais aussi, et surtout, parce que l'animation de Big Hero 6 fait figure de petite merveille à la fluidité sans égale. De bout en bout, le long-métrage file des étoiles dans les yeux. Un autre point fort du film, c'est de tenter de reprendre certains codes japonais (les combats de mechas, la fratrie de jeunes héros...) et c'est précisément ici que les défauts du film commencent à se voir. Pourquoi ? Parce qu’exceptée cette atmosphère japonisante, le potentiel de l'univers manga n'est jamais utilisé, jamais les deux réalisateurs ne vont au bout de leur démarche et ne tentent de sortir des sentiers rebattus du Disney traditionnel. D'un coup, la beauté plastique laisse apercevoir les lézardes de l'ouvrage.

    Évidemment, Big Hero 6 se suit sans déplaisir aucun, l'aventure est rythmée avec son lot de gentils gags et de protagonistes hauts en couleur. Du fait, difficile de le qualifier de mauvais film. Le principal problème, c'est qu'il n'arrive jamais à être un vrai bon film comme pouvait l'être la Reine des Neiges. La faute à son manque cruel d'originalité au-delà de son environnement. On se rend rapidement compte que Big Hero 6 est un pompage quasi-honteux de tout ce qui se fait ailleurs. La relation entre Baymax et Hiro, tout d'abord, qui semble étrangement se rapprocher de celle de Croc Mou et Harold, avec une phase où l'un apprivoise l'autre. Même si ce n'est pas un total plagiat et si le duo est forcément l'élément le plus sympathique du film, la chose est agaçante. Surtout quand Big Hero 6 remporte l'Oscar devant... Dragons 2. Mais soit. Ensuite, toute la trame scénaristique est cousue de fil blanc, on s'attend à tout ce qui va se passer. A un tel point que le retournement de situation arrive tellement de façon maladroite qu'il est impossible de le rater. Le manque de subtilité du scénario détruit une bonne part de l'histoire. 

    Enfin, et c'est peut-être le plus gênant, la sempiternelle morale Disney noyée de bons sentiments revient encore et encore. D'un côté la firme oublie les chansons niaises, de l'autre elle nous refourgue une double dose de bons sentiments que seuls les enfants pourront vraiment apprécier. A aucun moment l'adulte ou même l'adolescent ne pourra se sentir réellement concerné par l'entreprise. C'est d'autant plus dommage qu'il était certainement possible de faire quelque chose de plus ambitieux à partir du postulat de base et de cette équipe de nerds super-héros. Si seulement Pixar l'avait pris en main... 
    Ne nous trompons pas pour autant, Big Hero 6 reste un moment de divertissement honnête et plastiquement parfait, mais il n'arrive jamais à atteindre ce qu'il prétend être dans son pitch de départ. Un pétard mouillé. 

    Les nouveaux héros, pour lui redonner une fois son titre français, a peut-être une forme splendide mais il oublie au passage toute l'originalité qu'il aurait pu offrir, cela de son scénario jusque dans son univers franchement sous-exploité. Sa consécration aux Oscars a de quoi laisser perplexe quand on sait que Dragons 2 lui était déjà infiniment supérieur et que Le Conte de la princesse Kaguya ainsi que, surtout, le truculent Boxtrolls n'auraient pas eu à rougir d'empocher la statuette. Reste un bon divertissement notamment pour les plus jeunes, mais qui ne restera certainement pas dans les mémoires.

    Note : 7/10

    Meilleure scène : Baymax tente de soigner Hiro de sa dépression

    Meilleure réplique : "C'est la puberté !"


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  • [Critique] American Sniper
    Nommé Catégorie Meilleur Film Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Acteur pour Bradley Cooper Oscars 2015


    Véritable carton outre-Atlantique, American Sniper a également soulevé la polémique. Initialement dans le giron de Steven Spielberg, le long-métrage a atterri dans les mains de Clint Eastwood, un autre monstre sacré. Basé sur le livre autobiographique de Chris Kyle, le fameux American Sniper en question, le récit narre la vie d'un soldat de l'armée américaine (plus précisément un SEAL) qui va devoir concilier vie de famille et guerre. Clint étant réputé pour un être un républicain convaincu et le véritable Kyle encore davantage, le long-métrage partait déjà avec une aura sulfureuse pour tous les opposants à l'hégémonie US. Nonobstant ces quelques réserves, le film s'est imposé comme le plus gros succès d'Eastwood aux Etats-Unis... de quoi lui ouvrir la voie des Oscars. Nommé en Meilleur film et en Meilleur acteur pour Bradley Cooper grimé en Chris Kyle, American Sniper a pourtant reçu un accueil beaucoup plus tiède (pour ne pas dire froid) des critiques presses. Qu'en est-il réellement ?

    Mettons d'abord les choses au clair concernant le versant politique de l'entreprise. American Sniper raconte la vie d'un sniper US texan convaincu de la supériorité de la nation américaine et totalement dévolu à sa cause. Le film étant basé sur une autobiographie, inutile de dire que le message patriotique et l'amour des USA sont bien présents. Mais c'est un peu logique tout de même. Reprocher à American Sniper d'être un film pro-américain, c'est comme reprocher à un film de Michael Moore d'être anti-américain, ça n'a aucun sens. Reste que le message sur la guerre en Irak et l'interventionnisme dont le film ferait l'apologie ont été montés de toutes pièces. Clint Eastwood est peut-être un républicain mais il était fermement opposé aux interventions américaines dans le monde, cela se ressent d'ailleurs dans le métrage, où Kyle se retrouve bouffé par la guerre, revient broyé psychologiquement dans son pays et surtout où sa femme Taya ne cesse de lui/nous expliquer à quel point ce qu'il fait ne sert à rien en définitive (un didactisme des plus agaçants et sans conviction au passage). Non, en fait, on aurait préféré que Eastwood se positionne clairement, parce que là au moins, on aurait eu un film un tant soit peu brûlant. En l'état, American Sniper accumule d'énormes défauts.

    Du fait de cette position timorée qui ne sait jamais clairement où il se trouve, alternant les moments où Kyle se bat contre les terroristes irakiens pour sauver les siens et les interludes où il rentre chez lui pour constater qu'il perd pied vis-à-vis de ses proches, Eastwood ne veut ni trancher ni adopter une position neutre avec une certaine conviction. De ce fait, tout ce qui pourrait être puissant dans le film devient soporifique. Parce qu'à côté de ça, la vie de Chris Kyle est loin d'être aussi passionnante que celle de Hawking ou Turing, c’est même tout le contraire. Difficile d'éprouver une quelconque empathie pour un redneck texan avec un QI proche de 0 lorsqu'il s'agit de penser par lui-même. Eastwood doit quand même décrire un personnage sans nuance ou presque, incapable de penser à autre chose qu'à son pays. Le réalisateur tente de lui rendre hommage en donnant quelques passages plus émotionnels à Kyle (tout l'arc avec sa famille) mais la chose est déjà tellement vue et revue que le résultat rate le coche.

    C'est bien là l'autre immense souci du film de Clint : il n'invente rien. Absolument tout ce qui se trouve dans American Sniper a déjà été vu ailleurs en mieux, et même en bien mieux. Prenons le sujet de la guerre en Irak et du traumatisme psychologique pour les soldats envoyés là-bas, des films comme Démineurs de Bigelow ou Jarhead de Mendès en parlent autrement mieux que ne le fait le dernier Eastwood. On ne parlera même pas de la mini-série Generation Kill. Côté politique, c'est un peu la même chose, et ce n'est en fait même pas le but du film tant les choses ne sont qu’effleurées. Il ne s'agit pas tant pour Eastwood de montrer les Irakiens comme des sauvages que le fait qu'il n'a absolument pas le temps de parler du reste de la population. Même sur le versant du terrorisme, les choses sont expédiées pour nous servir un réchauffé médiocre de l'affrontement entre deux snipers style Stalingrad de Jean-Jacques Annaud. Mentionnons au passage que le comble dans ce duel, c'est que Mustafa a plus de charisme que Kyle. Ce dernier, interprété par un Bradley Cooper décevant au possible, reste un personnage tout à fait antipathique mais avant tout ennuyeux. On ne tombe jamais dans la fascination perverse à la John Du Pont de Foxcatcher, personnage tout aussi antipathique mais tellement fort que passionnant au bout du compte. C'est à peine si Cooper versera une larme pour tenter de s'attirer notre compassion.

    Le pire c'est qu'à la fin, Eastwood revient sur un sujet déjà plus intéressant, à savoir comment se réintégrer à la société une fois démobilisé et comment un homme atteint du syndrome du sauveur peut surpasser sa condition en aidant d'anciens combattants. Mais voilà, la chose est gérée sur dix minutes à tout casser, avant une conclusion abrupte qui verse dans l'hommage sur fond de bannière étoilée. Que reste-il dès lors à sauver ? Même le côté film de guerre déçoit ! Les phases d'action, même si elles restent filmées de façon décente, n'ont rigoureusement rien de mémorable, à peine pourra-t-on sauver le dernier affrontement en plein milieu d'une tempête de sable. Si vous voulez véritablement voir une bataille moderne, tournez-vous vers l'excellentissime Black Hawk Down. Non, décidément, Eastwood fonctionne encore en mode automatique et livre une copie insipide dont on ressort dubitatif avec une question en tête : à quoi sert ce film ? A rien...

    American Sniper est une immense déception. Loin d'être le brûlot politique que l'on nous a vendu (il faut bien faire sensation pour attirer), le dernier Eastwood n'a ni conviction, ni punch, ni message, ni acteur solide, ni scène mémorable, ni aucune once d'originalité. Cela commence à devenir récurrent chez Clint, mais depuis le splendide Lettres d'Iwo Jima (tellement mais tellement meilleur), l'homme n'a cessé de chuter de son piédestal. 
    Ce serait une pure honte que le film remporte les Oscars... En attendant, regardez plutôt Zero Dark Thirty

    Note : 4/10

    Meilleure scène : La tempête de sable qui frappe le dernier affrontement



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  • [Critique] Une merveilleuse histoire du temps

    Meilleur Acteur pour Eddie Redmayne BAFTA 2015
    Meilleur Film britannique  BAFTA 2015
    Meilleur scénario adapté BAFTA 2015
    Meilleur Acteur pour Eddie Redmayne dans un drame Golden Globes 2015
    Meilleur Acteur pour Eddie Redmayne SAG Awards 2015
     Meilleur Acteur pour Eddie Redmayne Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Actrice pour Felicity Jones Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Scénario Adapté Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Film Oscars 2015

    Les biopics sont rois pour cette cérémonie des Oscars 2015. La preuve avec la présence de pas moins de quatre longs-métrages de ce genre en course pour le titre du meilleur film, pas moins ! Après Imitation Game autour de la vie d'Alan Turing et avant l'arrivée d'American Sniper retraçant celle de Chris Kyle, ou de Selma qui reparle d'un certain Martin Luther King, voici Une merveilleuse histoire du temps du britannique James Marsh. Outre son titre français abominable (faut quand même en avoir pour renommer The Theory of Everything de cette manière), le long-métrage s'intéresse à un des esprits les plus brillants de notre époque : le physicien Stephen Hawking. Adapté d'un livre (encore), Une merveilleuse histoire du temps retrace le parcours d'un homme à la destinée hors du commun. Pour interpréter ce rôle très difficile, c'est le jeune Eddie Redmayne (déjà aperçu dans l'excellentissime Black Death) qui reçoit la lourde responsabilité de porter le film sur ses épaules. Couronné aux BAFTAs en tant que meilleur film, le long-métrage a aussi fait une razzia sur les prix pré-Oscars pour, justement, la prestation de Redmayne. Un grand film pour autant ?

    A Cambridge, dans les années 60, un jeune étudiant va connaître une fulgurante ascension. Fasciné par la physique et l'univers quantique, Stephen Hawking va rapidement s'affirmer comme un immense génie. Malheureusement, derrière l'intelligence extraordinaire de cet homme se cache une terrible réalité, celle de la maladie. Frappé de plein fouet par une affection terrible connue sous le nom de Maladie de Charcot (ou Sclérose Latérale Amyotrophique) qui détruit les motoneurones de la moelle épinière et, à terme, rend la victime totalement paralysée. Aidé par l'amour inconditionnel de sa femme, Jane, Stephen va traverser les pires épreuves. Pourtant, les choses ne seront pas simples et même la plus grande des histoires de cœur peut faillir devant l'érosion du corps. En quête de la théorie qui expliquera tout, Stephen Hawking devra aussi trouver un nouveau sens à sa propre existence.

    La comparaison entre Imitation Game et Une merveilleuse histoire du temps est inévitable. Les deux films parlent de deux génies scientifiques atypiques et aux parcours remarquables. Cependant, ils abordent les choses d'une façon tout à fait différente. Le métrage de Marsh fait un choix radical en se concentrant sur la vie intime du scientifique ainsi que sur la relation entre Stephen et sa femme, Jane. C'est aussi, il faut l'avouer, le point le plus contestable du récit puisque si vous veniez tenter d'appréhender les travaux d'Hawking... il va falloir aller voir (lire) ailleurs. Une déception certes mais justifiée par le résultat final. Une merveilleuse histoire du temps met en lumière avant tout un combat de titan, celui d'un couple contre la fatalité, contre la maladie. Dès lors, Marsh se débrouille vraiment bien et se tient toujours en équilibre précaire sur un fil étroit où guette le mélodrame guimauve. Même s'il tombe à quelques reprises dans ce piège épineux, le britannique s'en sort extrêmement bien en misant davantage sur une mise en scène enthousiasmante. Il ne s'agit certainement pas du meilleur film de cette année, comme l'ont un peu trop surestimé les BAFTAs, mais on tient là une réalisation de qualité qui enrobe parfaitement le travail des acteurs.

    Parce qu'en réalité, Une merveilleuse histoire du temps est avant tout un grand numéro d'acteur. Evidemment, on citera la talentueuse Felicity Jones, parfaite en femme forte et tendre, mais c'est surtout le jeune Redmayne qui va faire parler. Taillé pour les Oscars, son rôle n'a pourtant rien de superficiel. Disons-le plus simplement : il est extraordinaire. Il faut tout de même un sacré talent pour mimer un malade atteint de SLA et parvenir à représenter de façon parfaite sa lente et inexorable dégradation physique. Plus encore que ses membres s'immobilisant, Redmayne accomplit un travail épatant sur sa voix et ses expressions faciales. Une chose d'autant plus remarquable qu'il ressemble réellement au véritable Stephen Hawking. Il n'a vraiment pas volé sa nomination pour la statuette. Ce grand numéro pousse le film bien plus haut qu'Imitation Game, où Cumberbatch restait bon mais très peu original dans sa prestation. Ici, Redmayne porte le film sur ses épaules, et il a une carrure de titan malgré son jeune âge. Il peut certainement remercier Marsh pour son excellente direction d'acteurs (au contraire des Wachowski dans Jupiter Ascending où il est.. .on en reparlera...).

    L'autre grande réussite du long-métrage, c'est donc bien sa façon d'appréhender la maladie en jonglant tout à tour avec la compassion du spectateur et son admiration. Bien loin des deux années qu'on lui prédisait, Hawking a bravé tous les obstacles pour vivre. Le paradoxe tient un peu dans cette résistance miraculeuse et le travail d'un homme qui cherche à comprendre le temps et l'univers. Le film ne se mouille pas quant à la position à adopter sur l'existence de Dieu, mais il montre avec un certain talent que tout ne peut pas s'expliquer et que, autant de temps que l'homme vivra sur Terre, certaines choses ne s'expliqueront pas. De ces petits mystères qui bâtissent les légendes et donnent de la poésie à une vie souvent bien cruelle. On appréciera enfin la tentative certes timide mais bien présente de lancer une réflexion sur le tourbillon du temps, avec une séquence finale qui rembobine à la façon d'un trou noir et aspire les émotions pour revenir au fondamental : l'amour entre deux êtres. Un autre grand mystère qui peut soulever des montagnes, et certainement une des choses les plus touchantes du film.

    Bien que davantage porté sur l'histoire de Jane et du couple Hawking, Une merveilleuse histoire du temps fait certainement un choix judicieux en ne tentant pas de plonger dans la complexité de la physique (on doute que Marsh aurait eu les épaules pour une telle entreprise). Au lieu de ça, il mise sur une dimension humaine et poignante, véritable déclaration d'espoir à tous les malades et hommage à tous ceux qui souffrent, proches compris. Une belle petite surprise.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Jane qui avoue à Hawking ses sentiments

    Meilleure réplique : Exterminate !

     

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  • [Critique] Imitation Game

    Nommé Catégorie Meilleur Film Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Réalisateur Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Acteur pour Benedict Cumberbatch Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleure Actrice dans un second rôle pour Keira Knigthley Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Scénario Adapté Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleure Musique Oscars 2015

    Contrairement à beaucoup d'idées reçues, la seconde guerre mondiale ne s'est pas gagnée que sur le terrain. Derrière les divisions et les grandes batailles se trouvaient également d'autres combats, moins dangereux certes, mais tout aussi cruciaux. Parmi ceux-ci, celui des Britanniques pour casser le fameux Code Enigma, un cryptage d'une efficacité redoutable qui permettait aux Allemands de communiquer sans se soucier de l'espionnage allié. Pour relever ce défi, les agents de la couronne réunirent quelques-uns des esprits les plus brillants du royaume, parmi lesquels un certain Alan Turing. Mathématicien de génie, l'homme n'est pas des plus reconnus lorsqu'il s'agit de s'intégrer parmi ses pairs. Pourtant, grâce à son aide, les alliés arriveront à dominer le secteur de l'espionnage. Loin de devenir un héros, Turing va connaître une fin des plus ignominieuses liée à un secret encore inavouable à l'époque en Angleterre.

    Imitation Game représente le tremplin international (et hollywoodien) du réalisateur norvégien Morten Tyldum. Inconnu hors des frontières de son pays d'origine, il a jusqu'ici eu les honneurs douteux de sorties directement en DVD. Biopic 4 étoiles emmenant des acteurs reconnus tels que Keira Knightley ou Benedict Cumberbatch, le long-métrage propose un des sujets favoris de l'académie des Oscars, à savoir le parcours d'un homme hors du commun oublié par l'histoire. Pourtant, au vu de l'expérience toute relative de son réalisateur et des nombreux pièges qui guettent lors de la réalisation de ce genre de films, Imitation Game fait figure de défi un peu casse-gueule. Plébiscité pendant la période faste des récompenses pré-Oscars, le film a également réussi à empocher un sacré nombre de nominations pour la course à la précieuse statuette dont meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur ou encore meilleur actrice dans un second rôle. Mais au fait, le film est-il aussi bon que l'annonce la rumeur ?

    Pour clarifier immédiatement les choses, Imitation Game est une fiction historique. Inspiré du livre d'Andrew Hodges, le récit auquel on assiste durant les deux heures de film reste en fait assez romancé et grandement sujet à controverse, principalement sur la personnalité de Turing et sur les détails exacts de l'entreprise. En l'état, il faut donc prendre l'histoire racontée avec des pincettes. D'une des principales divergences autour du comportement du mathématicien, découle un des principaux défauts du film. Malgré l'affection que l'on porte à Benedict Cumberbatch et à la qualité de son jeu, l'idée de présenter Alan Turing comme une sorte de Sheldon bis gâche un tantinet la chose. On assiste dès lors à un certain nombre de scènes et de rebondissements convenus qui voient le mathématicien se faire accepter par les autres. Quand on sait qu'en plus cette vision du scientifique est très contestée, on se demande si c'était réellement une bonne idée. Mais passons. Imitation Game fait donc le pari du film d'histoire et, sur ce plan, réussit en grande partie à atteindre ses objectifs.

    Tyldum montre comment la guerre de l'ombre a permis aux alliés de remporter le conflit (même si la chose est un peu exagérée ici ou là) et raconte un volet passionnant de cette période tumultueuse. On suit dès lors avec un grand plaisir le challenge fou de cette équipe atypique qui aboutira à rien de moins qu'une révolution technologique. Intellectuellement parlant, et pour qui s'intéresse un peu à cet aspect de l'histoire, Imitation Game reste un film passionnant. Il l'est d'ailleurs d'autant plus lorsqu'il dénonce avec virulence le motif de la mise au ban de la société d'Alan Turing, permettant d'aborder un sujet grave et douloureux qui méritait certainement que l'on remette les pendules à l'heure. Un des petits soucis qui émaille cette partie, c'est la volonté d'intégrer des images de guerre entre les deux pour faire plus réel. Si l'on peut encore trouver les images d'archives en noir et blanc pas forcément mauvaises, les petites séquences en images de synthèse sont elles d'une laideur consommée. Une énorme faute de goût pour Tyldum.

    C'est à ce point que l'on se rend compte que le réalisateur n'a peut-être pas encore les épaules pour une telle entreprise. Non seulement sa mise en scène manque cruellement de personnalité mais, en plus, l'imbrication de son intrigue laisse dubitatif. Le film est séparé artificiellement en trois fils narratifs : le premier (et le plus important) sur l'entreprise de Turing et de ses acolytes pendant la guerre, le second fait des flashbacks sur l'adolescence du mathématicien et le dernier explique la fin de sa vie. Le choix d'intriquer celui-ci en plein milieu des deux autres coupe gravement le rythme et fait intervenir une narration bien moins passionnante que les autres événements. Du fait, on se retrouve souvent à patienter pour rattraper un fil narratif différent. Pire encore, la révélation sur le "secret" de Turing intervient de ce fait bien trop tôt et gâche un peu l’ambiguïté du personnage. Dommage. 

    Heureusement, ce défaut n'empêche pas le long-métrage d'adopter un rythme à même de maintenir éveillée l'attention du public. De même, la prestation du casting assure également une fluidité à l'action, même si c’est parfois des acteurs secondaires tels que Keira Knightley ou le trop rare Matthew Goode qui volent la vedette à Cumberbatch. Finalement, le principal talon d'Achille du film, c'est la timidité de son réalisateur ainsi que la volonté clairement affichée d'être un "film à Oscars". Très académique dans sa réalisation et parfaitement attendu dans son message, Imitation Game s'avère un film très sage et assez policé avec une performance d'acteur de qualité mais loin d'être inoubliable. Le manque de prises de risques en fait en réalité un long-métrage intéressant mais sans envergure. Le genre de choses qui devrait, en toute logique, le faire passer à côté des récompenses suprêmes... surtout avec les compétiteurs qui se trouvent en face de lui.

    Pour son premier grand essai à Hollywood, Morten Tyldum n'a pas forcément à rougir du résultat puisque Imitation Game se regarde sans déplaisir et possède un certain nombres de qualités indéniables. Malheureusement, son académisme et quelques défauts irritants empêchent le long-métrage de se hisser dans le haut du panier. Reste un agréable moment de cinéma porté par une brochette d'acteurs inspirés.

    Note : 7.5/10

    Meilleure séquence : Joan retrouvant Alan dans sa maison dans les années 50 


     

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  • [Critique] Les ascensions de Werner Herzog

    Cinéaste désormais légendaire, Werner Herzog n'est cependant pas connu uniquement pour ses long-métrages. Loin de là même. Il est aussi un maître ès documentaires reconnu. Dans le cadre d'une rétrospective récente, les cinéma Majestic ont eu la bonne idée de projeter deux moyens-métrages documentaires rassemblés sous le nom "Les ascensions de Werner Herzog". A l'intérieur, le spectateur aura le bonheur de visionner La Soufrière datant de 1977 et Gasherbrum, la montagne lumineuse de 1984, deux documentaires qui ont en commun de s'intéresser à des montagnes (plus exactement deux montagnes et un volcan). Un bon moyen de découvrir Herzog sans passer par la face nord.

    Le premier documentaire nous transporter en 1976 sur l'île de la Guadeloupe. La Soufrière est sur le point d'entrer en éruption selon tous les spécialistes. Ainsi, les 75000 habitants de Basse-Terre ont été évacué en attendant l'inévitable catastrophe. Tous ? Non, pas tous ! Quelques irréductibles guadeloupéens ont refusé de partir. Surpris par ce courage insensé, Werner Herzog décide de se rendre sur place pour aller à leur rencontre alors que le volcan menace d'exploser d'un instant à l'autre. La Soufrière est un document étrange. En fait, Herzog le reconnait d’ailleurs lui-même, il s'agit d'un témoignage sur une catastrophe inéluctable qui n'est jamais arrivée. Quel est dès lors l’intérêt de ce reportage ? D'abord de nous montrer une ville morte, totalement déserte avec une ambiance de fin du monde étrange et cotonneuse dans l'ombre d'un Dieu en colère, le dieu volcan. Les images de Basse-Terre sont saisissantes mais c'est finalement l'interview des quelques habitants résolus à rester qui fait beaucoup. On y découvre des noirs démunis et d'une fatalité à toute épreuve. Herzog interpelle face à la misère d'hommes qui n'ont rien et ne voient pas la différence de partir ou pas, puisqu'il ne change pas leur destin. La non-catastrophe alertera d'ailleurs les autorités sur la pauvreté et la détresse de la population noire de Guadeloupe. Au milieu, Herzog nous apprend également le pourquoi de cette peur panique en nous narrant la catastrophe de l'éruption du mont Pelée en 1902. A faire froid dans le dos. Arrivé au bout, le document laisse une étrange sensation. On s'attendait à une catastrophe volcanique et puis...rien. Reste que La Soufrière est une expérience aussi courte que surprenante, filmée avec le talent coutumier de Herzog. Une curiosité.

    Pour le second document, Werner Herzog choisit de suivre l'expédition des alpinistes Reinhold Messner et Hans Kammerlander. Les deux hommes ont décidé d'enchaîner l'ascension successive de deux sommets de la chaîne Himalayenne culminant à 8000 mètres d'altitude, le tout sans camp de base. L'immense intelligence d'Herzog dans Gasherbrum, la montagne lumineuse, c'est d'éviter de nous entraîner dans un énième suivi d'une ascension montagneuse. L'allemand choisi de porter son attention sur un élément bien plus subtil et important : la motivation des alpinistes. Qu'est ce qui fait qu'un homme peut décider d'affronter une telle tourmente ? La pulsion de mort ? L'envie de mourir ? Ou bien plutôt une irrépressible envie de vivre, de se sentir vivant ? En focalisant son attention sur Reinhold Messner qui n'est alors qu'au début de sa carrière légendaire - le premier homme à avoir atteint tous les sommets de plus de 8000 mètres du monde - Herzog touche à l'humanité qui se terre derrière ces défis qui semblent insensés. Son document culmine lors de l'interview dans la tente de Messner où celui-ci en vient à parler de la mort de son frère sur le Nanga Parbat, il touche alors au plus près de la fragilité mais aussi de la force hors du commun de cet alpiniste hors norme. Une autre séquence marque par sa bonhomie et son décalage, et qui vous fera franchement sourire, c'est le massage du Pakistanais de Reinhold alors que celui-ci tente envers et contre tout de répondre à Herzog. Une tranche d'humanité et de pittoresque infiniment touchante. Même si le réalisateur allemand ne suivra pas l'ascension des deux hommes, il filme quelques images lointaines de l'entreprise, d'autant plus impressionnantes que l'on ignore le sort des explorateurs pendant un temps. Gasherbrum s'affirme en réalité non pas comme une entreprise physiquement éprouvante mais plutôt comme une dissection psychologique fascinante. Une petite pépite.

    Malgré l'importance toute relative de La Soufrière, la présence de Gasherbrum dans Les ascensions de Werner Herzog permet d'inscrire le métrage dans la liste des indispensables. Court mais passionnant, cette oeuvre facile d'accès permettra à un certain nombre de spectateurs de découvrir une des voix les plus importantes du cinéma.

    Note : 8/10

    Meilleur segment : Gasherbrum, la montagne lumineuse

    Meilleure scène : L'interview sur la perte du frère de Messner

    Meilleur réplique : "Je ne pense pas qu'un homme qui voudrait se suicider entreprenne même l'ascension d'une montagne"

     


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  • [Critique] Les nouveaux sauvages

    GOYA Meilleur film étranger en langue espagnole 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Film en langue étrangère Oscar 2015

    Festival de Cannes 2014


    Sous le patronage de Pedro Almodovar, l'argentin Damien Szifron a créé la surprise dans le petit monde du cinéma. Présenté sur la Croisette cette année, son premier long-métrage intitulé Relatos salvajes (Les nouveaux sauvages en français) n'a pourtant rien de l'académisme recherché par les festivaliers. Comédie à sketchs grinçante, l'oeuvre de Szifron se divise en six segments de durées inégales portant chacun sur des personnages et une histoire différente. Mais contrairement à un film comme Infidèles, chaque récit est façonné par le même réalisateur. En découle forcément une plus grande homogénéité de propos d'une part, et de mise en scène d'autre part. Le métrage fut un tel succès critique qu'il a même reçu une petite consécration, celle de se retrouver nommé dans la catégorie meilleur film étranger des Oscars 2015 aux côtés de Timbuktu, Léviathan, Tangerines ou Ida.  Ce petit délice sauvage pourra-t-il vraiment plaire à tout le monde ?


    Les nouveaux sauvages s'ouvre sur le plus petit des segments de l'ensemble, à savoir Pasternak. Dans celui-ci, Szifron immerge directement le spectateur dans son univers caustique. Il arrive à faire virer avec une grande dextérité une discussion anodine mais sérieuse dans un grand n'importe quoi hilarant, mais surtout jouissif. Le ton est donné et tout ira crescendo par la suite. Le pari de l'argentin est simple : dresser en six tableaux un portrait de notre société moderne et au milieu, des hommes étouffés par une sauvagerie refoulée n'attendant qu'un simple déclencheur pour émerger. Pourtant, au lieu de choisir une voie traditionnelle pour ce genre de choses, c'est-à-dire le drame, le réalisateur se lance dans 6 courts/moyens-métrages comiques mais avant toute chose, méchamment impertinents. Au-delà des gros éclats de rire que suscitent les situations successives, Szifron transgresse et démasque. Si Pasternak procure un gros frisson de jouissance initial (et inattendu), il reste cependant tout à fait anecdotique.

    La suite elle, devient nettement plus excitante. A partir de son second segment, Las Ratas, où une serveuse tombe par hasard sur l'homme qui a pourri sa vie, Szifron tend à affirmer son message social. La vengeance, déjà entraperçue auparavant, occupe une grande place dans Les nouveaux sauvages. Un acte de faible la vengeance ? Pas pour Szifron. Un acte de courage, un acte de rébellion. Comme cette cuisinière qui va faire tomber les barrières morales pour punir le puissant qui se croit intouchable. Le résultat, drôle au possible, renferme aussi sa part de subtilité. Bien entendu, à ce stade, on ne va pas chercher très loin, mais l'argentin continue à hausser le niveau avec El mas Fuerte qui délaisse ce message de vendetta pour transformer deux chauffards ordinaires, aussi médiocres que détestables, en véritables bêtes assoiffées de sang. La surenchère dans la violence n'est pourtant pas gratuite. L'argentin continue à explorer la bestialité qui se terre en chacun, même le plus costard-cravate de ses compatriotes. La fin de ce segment, juste géniale, n'oublie jamais l'énorme dose d'ironie nécessaire pour faire passer les choses en "douceur". 

    Après ces trois premiers récits, on tombe davantage dans le moyen-métrage. Le quatrième segment, Bombita, revient sur la vengeance et la désobéissance en centrant son récit sur un expert en démolition, à l'existence des plus banales, qui se retrouve piégé dans un vrai dédale administratif digne de Kafka. Mais au lieu de la résignation, l'homme va finir par exploser et canaliser sa sauvagerie pour faire tomber l'establishment. Sous des allures comiques, Szifron charge notre passivité et appelle à la révolte. Bien sûr, c'est drôle, mais c'est avant tout grinçant et jouissif. Jouissif dans le sens que cet homme ordinaire devient en quelque sorte extraordinaire et que l'on rêve tous de l'incarner, puisqu'on a tous été piégé un jour par ce genre de situation où les lois, l'administration et l'autorité se liguent en dépit de tout bon sens. Au fond, la grande victoire de ce segment, c'est bien de nous titiller comme il faut, car malgré sa prévisibilité, Bombita joue surtout sur notre irrépressible envie de rébellion dans un monde insensé.

    C'est alors qu'arrive La Propuesta, le segment le plus réussi de ces nouveaux sauvages. Szifron renverse la vapeur et nous positionne du côté des méchants, des vrais. Il nous raconte la monstrueuse supercherie d'un homme riche pour sauver son fils qui vient de renverser une femme enceinte. Le récit est rageant, bien noir et avec cette dose d'ironie géniale qui le fait s’élever au-dessus de tous les autres. Le réalisateur argentin diminue le nombre d'éclats de rire dans la salle mais accentue drastiquement sa critique de la société moderne. Pouvoir de l'argent, corruption, inhumanité, tout y est. Au-delà d'une simple critique de la société moderne, le réalisateur livre ici une vision d'absolue noirceur de l'homme, prêt à vendre son âme à condition d'y mettre le prix. Si la réaction du patriarche acculé par un tas de requins plus retors les uns que les autres prête à sourire, on rit jaune au final devant cette cruelle réalité. Heureusement, Les nouveaux sauvages s'achève sur un récit un peu moins grave et bien plus délirant avec Haste que la muerte nos separe où la mariée découvre que son mari l'a trompée... le jour de son mariage. Le réalisateur prend alors un malin plaisir à déconstruire un des fondements de la culture moderne, tout en synthétisant les thèmes qu'il a mis en place tout du long : la vengeance, la bestialité et la transgression des normes. Un feu d'artifice en guise d'apothéose.

    Au final, Les nouveaux sauvages se révèle tout aussi brillant sur le plan de la mise en scène pure et simple que sur celui de sa construction scénaristique. Drôle, impertinent, méchant, cynique et bourré d'excellentes idées, le film de Damien Szifron s'affirme comme une vraie réussite. On l'imagine difficilement remporter les Oscars, tant il semble décalé par rapport aux goûts très traditionnels de l'académie, mais il reste le meilleur challenger au Léviathan d'Andrey Zvyagintsev pour le moment.
    Si vous souhaitez rire sans laisser votre cerveau à l'entrée de la salle, Les nouveaux sauvages est fait pour vous.

    Note : 8.5/10

    Meilleur segment : La Propuesta


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  • [Critique] Loin des hommes

    Daru enseigne dans la plus grande quiétude au cœur d'une vallée isolée de l'Atlas Algérien. Chaque jour, les enfants affluent à sa petite école pour apprendre et grandir ensemble.Malheureusement, l'arrivée du gendarme Balducci va rompre la paisible routine de Daru. Le bedonnant représentant de l'ordre amène avec lui un prisonnier, Mohammed. Accusé de meurtre, celui-ci doit être remis aux autorités françaises compétentes pour être juger. Dans l'incapacité de mener à bien cette mission faute de temps, Balducci confie Mohammed à Daru, officier de réserve. Malgré sa répugnance, la venue des habitants du village de Mohammed pour le punir va précipiter les choses et projeter les deux hommes sur une route dangereuse. Nous sommes en 1954, et le massacre de Sétif a mis le feu aux poudres. Daru et Mohammed vont traverser malgré eux une guerre entre algériens et français. D'une façon ou d'une autre, le destin des deux compagnons d'infortune se jouera sous le soleil d'une Algérie sur le point de s'embrasser.

    Le français David Oelhoffen livre avec Loin des hommes son second long-métrage après Nos Retrouvailles en 2006. Délaissant la cadre contemporain pour les années 50, le réalisateur s'aventure sur un sujet épineux, d'autant plus à l'heure actuelle. La guerre d'Algérie reste, malgré le nombre d'années écoulées, un thème difficile à explorer. Pourtant, Loin des hommes cache certains atouts dans sa manche pour arriver à se hisser hors de la masse. Outre ses deux excellents acteurs - Reda Kateb et Viggo Mortensen - le long-métrage peut aussi compter sur la singulière beauté des paysages algériens et la force peu commune d'Oelhoffen pour dépeindre une relation d'amitié inattendue dans un climat électrique. Loin des hommes pourrait-il être une bonne surprise ?

    On pensait que Loin des hommes serait un énième film centré sur la guerre d'Algérie. Cependant, David Oelhoffen prend le contrepied de cette attente. La grande force du long-métrage est de ne pas répondre à ce postulat qui voudrait qu'un film se situant dans les années 50 en Algérie devrait faire de la guerre d'indépendance du pays son point de mire. Au lieu de ça, le français décide de porter sa caméra sur deux hommes, Mohammed et Daru, deux personnages bien plus proches qu'on ne pourrait le penser de prime abord. Ceux-ci peuvent compter sur l'excellente prestation des deux acteurs retenus pour les incarner. D'abord, Viggo Mortensen dont le talent n'est plus depuis longtemps sujet à caution et qui le démontre une fois de plus en affichant de surcroît une impressionnante maîtrise de la langue française. Ensuite, Reda Kateb, un des acteurs français les plus discrets mais qui monte de films en films. Il constituait déjà un des points forts d'Hippocrate, mais il confirme dans Loin des hommes tout le bien que l'on pouvait penser de lui en composant un personnage fragile et humain au possible. L'alchimie entre les deux acteurs opère immédiatement, si bien qu'ils s'effacent derrière leurs personnages.

    Ces deux portraits d'hommes brisés, l'un par la guerre l'autre par la violence, permet de donner une autre dimension à Loin des hommes. Même si Mohammed et Daru rencontrent les indépendantistes et l'armée française à un moment, ils ne font que traverser la guerre. Oelhoffen donne ici l'impression que deux hommes sains d'esprits évoluent dans un monde peuplé de fous. Il renvoie dos à dos les deux camps, entre les français qui tirent sur des prisonniers de guerre parce qu'ils en ont reçu l'ordre et les algériens prêts à tuer une personne qu'il considérait il y a encore peu comme un frère. La guerre transforme les hommes en bêtes et Oelhoffen le montre brillamment mais n'en fait pas son thème majeur, conscient que d'autres bien plus talentueux sont passés par là avant lui. Il poursuit tout du long une quête de sens pour Mohammed et Daru, chacun piégé dans une destinée qui semble sans issue.

    La cruauté des événements et le poids des traditions jouent pour beaucoup dans le destin des principaux protagonistes du métrage. Oelhoffen sait ménager ses effets et parler sobrement de cette inéluctabilité du destin qui culmine avec deux scènes d'adieux, aussi réussies l'une que l'autre. Celles-ci prenne une envergure d'autant plus importante que le réalisateur prend soin de garder une certaine pudeur, notamment lors de la seconde, laissant des non-dits toucher bien plus que de longs discours. L'humanité des personnage finit en réalité par rejaillir sur le film tout entier et apporte une mince lueur d'espoir à ceux qui, aujourd'hui, désespèrent de voir le monde autour d'eux devenir fou. Loin des hommes semblent dire que de tout temps, il reste des oasis de valeurs humaines qui dépassent les conflits, les traditions et les intérêts. Par ce message, Loin des hommes marque durablement le spectateur. On aimerait voir plus d’œuvres de ce calibre, de ce genre de films qui savent replacer l'humain et l'intime au premier plan, même dans la plus grande folie, tout en oubliant pas la mélancolie des temps plus cléments.

    Le long-métrage de David Oelhoffen prouve qu'il reste encore et toujours des voix captivantes et talentueuses dans le cinéma français même si elles tendent à se faire écraser par une masse alarmante de films grand public insipides. Grâce aux prestations d'une grande justesse de Reda Kateb et de Viggo Mortensen mais aussi à la sobriété et à l'intelligence de son récit, Loin des hommes apporte une bouffée d'air frais. Un très beau film.

    Note : 8.5/10

    Meilleures scènes : Les deux adieux / La conversation dans la grotte sur les femmes

    Meilleure réplique : "Je t'aime comme un frère mais si demain je dois te tuer, je le ferai sans hésiter"


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  • [Critique] Fitzcarraldo

    Prix de la Mise en Scène Festival de Cannes 1982

    Pour son neuvième film, l'allemand Werner Herzog revient à ses premiers amours, c'est-à-dire l'Amazonie et Klaus Kinski. 10 ans après son chef d'oeuvre, Aguirre, la colère de Dieu, il retrouve son acteur fétiche pour rembarquer dans une aventure sans concession. Bien loin de l'époque des conquistadors, Herzog s'intéresse cette fois au siècle des barons du caoutchouc au cœur du Pérou. Véritable défi de réalisation, Fitzcarraldo reste avant tout dans les mémoires comme un film-fleuve de 2h30 où s'entrechoque les mondes, les ambitions et les personnages haut-en-couleurs. Présenté au Festival de Cannes en 1982, le long-métrage repart avec le prix de la mise en scène, une récompense pour le moins méritée mais qui peine pourtant à rendre justice à la démesure de Fitzcarraldo.

    Passionné par l'opéra, Brian Sweene Fitzgerald, connu sous le nom de Fitzcarraldo au Pérou, tente par tous les moyens de bâtir un opéra à Iquitos, une ville sise au cœur de l'Amazonie. Malgré le scepticisme de ses pairs à Manaus ou dans les cultures de caoutchouc, il tente le tout pour le tout en demandant à son amie Molly de lui donner une partie de sa fortune. Avec celle-ci, il achète un bateau à vapeur, recrute sa propre troupe et acquiert une parcelle que personne n'exploite. La raison en est simple, elle est inaccessible du fait de la présence de rapides réputés infranchissables. Fitzcarraldo remonte alors l'Amazone et va entreprendre la plus folle des tentatives pour passer outre les embûches du fleuve. Son idée est aussi simple que folle, faire traverser à son navire une colline pour se retrouver directement dans son exploitation. Seulement, le destin n'a pas fini de jouer des tours à Fitzcarraldo.

    Werner Herzog se révélera, au fur et à mesure de l'avancée de sa carrière, comme un cinéaste polymorphe aimant autant le documentaire que la fiction. Déjà dans Aguirre, on retrouvait cette dimension singulière avec cette façon unique de capturer l'adversité de l'Amazonie mais aussi de reconstituer toute une époque. Fitzcarraldo procède de la même manière. En nous plongeant dans le siècle des bateaux à vapeur, Herzog dresse une peinture des nouveaux maîtres du Pérou. Le métrage se scinde en deux parties distinctes, dont la première, la plus courte, nous présente la vie quotidienne dans une ville perdue au milieu de la foret. Vétuste mais en pleine expansion, Iquitos contraste radicalement avec Manaus qu'Herzog nous montre au tout début. Pourtant, comme Manaus, elle abrite un certain nombre de dignitaires, et notamment les barons du caoutchouc, des hommes scandaleusement riches grâce à l'exploitation des arbres à caoutchouc que l'on trouve en abondance dans la région. Immédiatement, le réalisateur allemand aborde l'odieux comportement de ceux-ci, leur petitesse et surtout leur façon de réduire en esclavage les populations locales. Il se sert de ce premier atout pour décrire non seulement la vie quotidienne à Iquitos mais aussi pour présenter celui qui sera le point central du film, le fameux Fitzcarraldo.

    A la différence de ces barons qui accumulent les richesse, Fitzcarraldo rêve d'inutile, il rêve d'opéra. Interprété par l'extraordinaire Klaus Kinski, le fantasque personnage contraste avec les opulents barons. Il est entouré d'enfants indiens à qui il fait écouter des opéras, ou auquel il offre de la glace (son fond de commerce). Avant toute chose, Fitzcarraldo est un rêveur, du genre malade obsessif. On retrouve dans son tempérament un peu de celui d'Aguirre, deux conquistadors obsédés par un but absurde, une cité d'or pour l'un, un opéra en Amazonie pour l'autre. Pourtant, la folie belliqueuse de Don Aguirre n'est pas de mise chez Fitzcarraldo qui évolue sur un plan tout autre, celui de la création. Son ambition  n'est pas de conquérir mais de briller, d'être celui qui apportera la culture dans le coin le plus reculé de la terre. S'il partage quelque chose en commun avec Aguirre, c'est certainement ce jusqu'au boutisme qui vire à la quasi-folie. Mais là où Aguirre finissait en Dieu impitoyable, Fitzcarraldo devient un Dieu de mythologie tentant de déplacer des montagnes...ou plutôt un bateau.

    C'est ici la seconde, et bien plus longue, partie du film. Cette partie où l'amour du documentaire l'emporte et nous entraîne dans une nouvelle exploration fascinante de l'Amazonie sauvage peuplée d'autochtones étranges. C'est également dans ces instants que Herzog s'incarne dans son personnage de Fitzcarraldo et en fait un double cinématographique. Si Fitzcarraldo est le fou qui veut faire passer un bateau d'un affluent à l'autre en le tractant sur une colline, Herzog est celui qui refuse tout artifice et tente réellement l'expérience. Cette entreprise monumentale a vraiment été réalisé par l'allemand et son équipe qui ont défriché une bande de terre, terrassé une colline et tracté avec des cordes un bateau à vapeur. Vraiment. Le résultat à l'image marié au talent insolent de Werner pour capturer ce genre d'exploit accouche d'un moment d'anthologie qui marque l'histoire du cinéma. L'exploit est d'autant plus grand que le réalisateur prend le soin de rapprocher Fitzcarraldo d'un Dieu, notamment à travers des plans iconiques où Kinski pose devant son bateau hissé par une tribu d'indiens. Il s'accapare alors toute la puissance de son personnage et de sa folle entreprise. On ne cesse de se poser une question tout du long : qui est, au fond, Fitzcarraldo ? Un génie ? Un fou ? Un artiste ? Surement les trois à la fois. Il fait partie de ce genre d'hommes capables d'aller au bout de leurs visions, capable d'acheter un fauteuil de velours rouge à un cochon, capable de traverser l'impossible...et de finir par faire jouer un opéra le long de l'Amazone. Fitzcarraldo s'inscrit dans la légende comme un des personnages les plus forts et les plus captivants de l'histoire du cinéma.

    Véritable ode à la démesure, Fitzcarraldo est un paradoxe en soi. Moins accessible qu'Aguirre du fait de sa longueur et de son imposante ambition mais plus facile à aborder car plus terre à terre, le long-métrage de Werner Herzog capture une époque, une folie et un homme. Et quel homme ! Film monstrueux, parfois à couper le souffle, Fitzcarraldo continue d'affirmer avec force le génie du réalisateur allemand. Un classique, encore.

    Note : 9/10

    Meilleure scène : La première avancée du bateau sur la terre ferme


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  • L'américain Joshua Oppenheimer s’intéresse avec The Act of Killing aux massacres consécutifs au coup d’état de 1965 en Indonésie. Le gouvernement en place, aidé par des milices paramilitaires dont la plus célèbre, Pemuda Pancasila, entreprend alors de liquider les communistes selon eux responsables d’un attentat contre plusieurs hauts dignitaires de l’époque. Il s’ensuit alors un massacre de près d'un million de personnes (2,5 millions selon les autorités indonésiennes) où l’ensemble des membres du parti communiste et leurs sympathisants sont arrêtés, torturés et exécutés au même titre que de nombreux athées, hindouistes et même certains musulmans modérés. Soutenu par l’Occident et les Etats-unis, le gouvernement porte aux nues les meurtriers qui ne seront jamais punis.

    Ainsi, près de 50 ans après les événements, Joshua part pour enquêter auprès des survivants. Malheureusement, il s’aperçoit bien vite que peu d’entre eux veulent en parler, encore terrifiés à l’heure actuelle, et finit par aller interroger et rencontrer les bourreaux eux-mêmes qui, à sa grande surprise, sont plus que fiers de parler de ce qu’ils ont accomplis. De là, le britannique leur propose une chose inédite, mettre en scène selon leur bon vouloir et avec les moyens du bord les actes de barbarie accomplis. C’est donc ce que propose The Act of Killing durant 2h39, une plongée dans le monde de gangsters, de tueurs et de dictateurs où s’intercale des reconstitutions surréelles et des morceaux choisis de la vie en Indonésie à l’heure actuelle. Le résultat transcende son postulat de départ.

    Imaginez, juste cinq minutes, que les SS ou les hommes de NKVD et du Goulag aient survécus. Imaginez alors ces mêmes hommes en train de reconstituer devant vos yeux, avec le sourire aux lèvres et un empressement manifeste, les pires atrocités qu’ils aient commises. C’est ainsi que se construit The Act of Killing. Tout le long-métrage tourne autour d’Anwar Congo, un ancien exécutant du pouvoir responsable de la mort directe de mille personnes, et dans une moindre mesure de Adi Zulkadry, autre tueur à l’aspect bedonnant. Oppenheimer filme donc ce que racontent les deux hommes. Comment ils étranglaient avec du fil de fer hommes et femmes préalablement torturés, dans quels lieux et dans quelles circonstances. Le spectateur reste instantanément médusé devant ce qui se passe.

    Bouffi de fierté et tout sourire, on assiste à un discours atroce sur des choses innommables dans une atmosphère bon enfant. De même, avant d’en venir aux reconstitutions, Anwar présente ses anciens collaborateurs et d’autres dignitaires toujours au pouvoir – des gens du parlement, le responsable de Pemuda Pancasila, qui compte tout de même trois millions d’hommes à l’heure actuelle, ou encore un responsable de journal – et tous considèrent ces massacres comme de l’histoire, comme une chose nécessaire et même mémorable. Pire encore, ils en tirent une gloire personnelle et ne rechignent jamais à avouer les supercheries pour monter la population contre les communistes de l’époque. Ainsi, des hommes qui ne sont rien de moins que des criminels envers le genre humain, sont-ils invités à des meetings officiels, passent à la télévision en grande pompe pour narrer leurs forfaits et se réclament haut et fort « gangsters ». Ce qu’ils sont encore d’ailleurs notamment pendant la séquence de racket tout sourire sur le marché ou dans les magasins pour le parti.

    Rapidement, on assiste aux premières reconstitutions. Dirigées par les criminels eux-mêmes qui interprètent divers rôles, le leur ou celui de leurs victimes, celles-ci sont aussi surréalistes qu’extravagantes mais avant toute chose, elles mettent extrêmement mal à l’aise le spectateur. Pourquoi ? Parce que c’est la dérision qui domine, le ridicule et l’on a souvent envie de rire devant leur exubérance et leurs excès. Sauf qu’à un moment, on se souvient que derrière cette comédie se cache ce qui s’est réellement passé, que l’on rit devant l’horreur absolue. Le malaise produit est gigantesque. On retrouve dans ces courts-métrages le peu de scrupules, au départ, de leurs auteurs. Joyeusement, ils mettent en scène la mise à sac d’un village et la tuerie d’hommes, de femmes et d’enfants avant que le leader des Pemuda Pancasila tente de tempérer le déchaînement de violences qui vient de se produire. Plus fort encore, le village employé pour la scène sera vraiment brûlé…laissant les habitants sans rien…juste pour la scène. On nage en plein délire.

    Peu à peu pourtant, d’autres intervenants arrivent, dont l’un semble conscient de la malveillance de leurs actes mais s’en fiche pas mal. Le britannique fait alors quelque chose de très fort et va montrer les scènes de reconstitution qu’il a tourné à Anwar et Adi qui peuvent donc voir ce qu’ils font et disent. De fait, Anwar va commencer à parler, d’abord de cauchemars, puis à comprendre et à appréhender ce qu’il a fait. Manifestement dans le déni total de ses actes, ce n’est que lorsqu’il se met à la place d’un des hommes qu’il a étranglé qu’il se sent vraiment mal. Oppenheimer accomplit là une expiation. Car une des choses flagrantes à propos de ces monstres, c’est qu’ils sont terriblement médiocres et banals. Mégalomanes, bêtes comme leurs pieds, ils vivent dans leur monde, peuplé d’Al Pacino en Parrain et d’autres films d’action à l’américaine. Ils sont totalement déconnectés de la réalité. Totalement. Il ne fait d’ailleurs que peu de doutes qu’Adi n’a plus toute sa tête et qu’il est même complètement fou.

    La puissance incroyable de cette confrontation par la fiction explose dans la scène où Anwar regarde avec ses petits-enfants la reconstitution où il joue une victime tuée par strangulation. C’est à ce moment que la culpabilité prend possession de lui et que, pour la première fois, il a honte, il comprend et en vient à pleurer. La chose, exposée au spectateur, reste juste ahurissante. Ce monstre impressionnant qu’on a côtoyé deux heures durant n’est qu’un être pathétique et médiocre. Joshua Oppenheimer ne fait pas que choisir les moments les plus révélateurs de son film, il les magnifie comme lors de ce plan où Adi répète les paroles d’Obama à la télévision.

    Plus loin, c’est un portrait sans concession de l’Indonésie qui est dressé. On croise des dirigeants corrompus jusqu’à l’os et la démocratie en place pousse au paroxysme les travers du système. Les élections sont truquées ou achetées, les gens escroqués et endoctrinés. Pendant que le peuple vit dans la misère, les pontes vivent dans des palaces avec des objets de cristal à plus de deux mille dollars pièce. Les dignitaires racontent comment ils traitent les femmes – vous aurez devinés – avant de faire la prière. Oppenheimer montre ce qu’est la démocratie. Et si, finalement, la nôtre n’était que mieux camouflée pour nous faire avaler le morceau ? La réflexion est lancée, la réponse elle, risque de déplaire. Il va sans dire que L'amérique de Bush n'a aucune leçon à donner, comme le fera remarquer un des protagonistes.

    Mais The Act of Killing ne serait pas aussi marquant si, au final, ce n’était pas nous qui étions mis au rang de témoin de l’intolérable. On regarde le spectacle parfois en souriant du ridicule de la mise en scène mais en sachant en fait que tout s’est vraiment déroulé. On reste juste bouche bée devant ce que ces hommes racontent et mettent en scène. Pour exemple, on entend un paramilitaire dire qu’il violait toutes les femmes qu’il croisait à l’époque avec les éclats de rires des autres dans la salle, et de dire comment il faisait avant de préciser qu’il préférait les fillettes de 14 ans. Dans le même esprit, une des séquences finales montre Anwar recevoir une médaille d’une de ces victimes pour le remercier de l’avoir exécutés dans un court-métrage de son cru. La vision de fantasmes délirants n’a aucune limite.

    Non diffusé en France ou alors confidentiellement (1 diffusion unique sur Lille en version amputée de 40 minutes), The Act of Killing n’est rien de moins qu’un chef d’œuvre total. Sorte de glissement dans l’horreur absolue sans jamais la montrer frontalement, l’œuvre d’Oppenheimer dissèque le mécanisme du massacre, de la naissance des monstres et de ce qu’ils sont avant de les ramener brutalement à la réalité. La puissance représentative du film n’a que peu d’égale si tant est qu’elle en ait. Un choc, définitivement.

    Note : 10/10

    Meilleur scène : Anwar qui regarde la dernière vidéo

    Meilleure réplique : « Did the people I tortured feel the way i do here ? »


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