• [Critique] Aguirre, la colère de Dieu

    [Critique] Aguirre, la colère de Dieu


    Réalisateur de légende s'il en est, l'allemand Werner Herzog signe son troisième film en l'année 1972 avec Aguirre, la colère de Dieu. Grandement remarqué avec son premier film, Signes de Vie (rappelons qu'il a remporté l'Ours d'Argent à la Berlinale), le cinéaste porte son regard sur une épopée légendaire, celle de la recherche de l'El Dorado par les conquistadors espagnols. Véritable triomphe critique (le mot est faible), Aguirre s'installe durablement dans l'univers cinématographique comme un classique et un chef d'oeuvre. Si Aguirre marque une nouvelle étape dans la carrière d'Herzog, il marque également le début de sa collaboration légendaire avec l'acteur allemand Klaus Kinski. Malgré un tournage épique tant les deux hommes se détestaient autant qu'ils s'admiraient, Kinski livre une prestation mémorable. Près de 40 ans plus tard, nul besoin de cacher qu'Aguirre n'a rigoureusement rien perdu de sa superbe.


    XVIème siècle. Bernés par les indiens, les conquistadors espagnols cherchent avec frénésie le fameux El Dorado, la cité d'or. Une énorme expédition mandatée par Pizarro se perd dans la jungle amazonienne. Incapable de faire traverser tous ses hommes, Pizarro confie le commandement d'une équipe réduite à Pedro de Ursua. Il fait de Lope de Aguirre son commandant en second tout en ignorant que celui-ci nourrit une haine sans limite envers le trône espagnol et ne rêve que d'une chose ; établir son propre royaume. Bientôt confrontés aux Indiens et à la rigueur de l'Amazonie profonde, les espagnols s'éloignent de leur commandant. C'est le moment pour Aguirre de prendre les choses en main.

    Des falaises, une jungle impénétrable, des marécages impitoyables. Et une très très longue file d'hommes et de femmes. Parmi eux, des conquistadors en armures, de nobles dames, des indiens croulant sous leur charge et un noir. Dans cette ample et dantesque séquence d'ouverture aérienne et improbable, Herzog croque d'un coup tout ses personnages, sans une seule parole. Juste une musique, celle de Popol Vuh, mystique à souhait, pour tout dire, inoubliable. Passée cette entrée en matière scotchante, Herzog commence réellement son périple et ressert son groupe de protagonistes avec un triangle de puissants : Don Pedro de Ursua, don Fernando de Guzman et bien sûr, Don Lope de Aguirre. Ce dernier, campé par Klaus Kinski, jouit dès sa première apparition à l'écran d'un magnétisme et d'un feu intérieur unique, lové dans son regard tranchant comme l'acier. Dès lors, Herzog peut donc nous parler de son véritable sujet : le soif de pouvoir.

    On sent quasi-instantanément qu'Aguirre n'a qu'une seule ambition, prendre les choses en main et égaler les héros de son époque. Herzog installe la lutte des égos sous le regard et la voix sombre de Gaspar de Carvajal, le prêtre de l'expédition dont le récit inspire le film. Il rejoue sous nos yeux l'éternel cycle de l'ambition dévorante de l'homme, sa soif irrépressible de dominer et de conquérir, plus précisément de soumettre ses congénères. La rapide éviction de Ursua ne faisait aucun doute, elle a bien sûr lieu, aussi brutalement que promptement. Ce qui surprend par contre, c'est qu'Herzog laisse son anti-héros dans l'ombre d'un autre, puisque c'est Guzman qui hérite du titre ridicule et creux d'Empereur de l'El Dorado. Pourtant, c'est un coup de génie. Herzog en profite pour critiquer les chefs au pouvoir (quelqu'ils soient) en les montrant comme des pantins d'autres hommes bien plus intelligent qu'eux. Aguirre reste toujours le plus roublard en fin de compte. Le ridicule consommé de Guzman, dont l’embonpoint n'a d'égale que la lâcheté, culmine dans une scène de justice délirante et simplement mythique où, juché sur un trône de pacotille (Qu'est-ce qu'un trône si ce n'est une planche de bois recouvert de velours ?) Gunzman juge en roi absolu des sujets qui n'existent que dans son esprit.

    Puis vient la descente aux enfers avec la longue traversée du fleuve. Herzog intensifie encore l'impression de délire absolue de ce voyage, et tombe encore d'un étage dans la bassesse et la violence des hommes. Aguirre s'affirme toujours davantage et cette présence de plus en plus pesante va de pair avec une folie grandissante. Car tout ne pouvait finir que dans la folie. Peu à peu, Herzog change son message, il ne se contente plus de viser les puissants et les politiques, mais décoche ses traits contre la force la plus terrible de l'univers humain : Dieu. Aguirre, s'enfonce dans sa folie et finit par devenir l'image d'un Dieu vindicatif. C'est ici que le génie incommensurable de Klaus Kinski se déchaîne, alors qu'il laisse toujours davantage parler sa gestuelle menaçante et son visage terrifiant. L'acteur livre une prestation unique, tout simplement. C'est grâce à lui que l'on assiste à ce mythique monologue dans les décombres d'un village brûlé, c'est aussi grâce à lui que la fin d'Aguirre s'avère si marquante, lorsque l'épopée se fait totalement mystique, contamine de sa fièvre tout ce qui bouge à l'écran. Au cœur de la forêt amazonienne, Herzog filme la fin d'Aguirre et de ses hommes avec une maestria à couper le souffle. Impossible d'oublier cette scène finale où Aguirre chasse et rassemble les singes sur son radeau, tout en déblatérant un discours mégalomane fascinant. Herzog boucle son propos avec cette image d'un Dieu vengeur et fou à lier régnant sur des macaques apeurés et stupides. Parfaite métaphore de l'humanité d'hier et d'aujourd'hui.

    Aguirre restera toujours un chef d'oeuvre. Classique intemporel à la force picturale sidérante, mené par des acteurs sublimes et un Kinski possédé, le métrage de Werner Herzog fait de plus preuve d'une telle intelligence qu'il rentre instantanément dans la liste des plus grands films de tous les temps.
    Absolument, et définitivement, indispensable.

    Note : 10/10

    Meilleures scènes : l'Ouverture - la traversée sur les radeaux - la justice et le couronnement de Gunzman - L'attaque du village indien - Le monologue final

    Meilleure réplique :

    I am the great traitor. There must be no other. Anyone who even thinks about deserting this mission will be cut up into 198 pieces. Those pieces will be stamped on until what is left can be used only to paint walls. Whoever takes one grain of corn or one drop of water... more than his ration, will be locked up for 155 years. If I, Aguirre, want the birds to drop dead from the trees... then the birds will drop dead from the trees. I am the Wrath of God. The earth I pass will see me and tremble. But whoever follows me and the river, will win untold riches. But whoever deserts...

     


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