• [Critique] American Sniper

    [Critique] American Sniper
    Nommé Catégorie Meilleur Film Oscars 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Acteur pour Bradley Cooper Oscars 2015


    Véritable carton outre-Atlantique, American Sniper a également soulevé la polémique. Initialement dans le giron de Steven Spielberg, le long-métrage a atterri dans les mains de Clint Eastwood, un autre monstre sacré. Basé sur le livre autobiographique de Chris Kyle, le fameux American Sniper en question, le récit narre la vie d'un soldat de l'armée américaine (plus précisément un SEAL) qui va devoir concilier vie de famille et guerre. Clint étant réputé pour un être un républicain convaincu et le véritable Kyle encore davantage, le long-métrage partait déjà avec une aura sulfureuse pour tous les opposants à l'hégémonie US. Nonobstant ces quelques réserves, le film s'est imposé comme le plus gros succès d'Eastwood aux Etats-Unis... de quoi lui ouvrir la voie des Oscars. Nommé en Meilleur film et en Meilleur acteur pour Bradley Cooper grimé en Chris Kyle, American Sniper a pourtant reçu un accueil beaucoup plus tiède (pour ne pas dire froid) des critiques presses. Qu'en est-il réellement ?

    Mettons d'abord les choses au clair concernant le versant politique de l'entreprise. American Sniper raconte la vie d'un sniper US texan convaincu de la supériorité de la nation américaine et totalement dévolu à sa cause. Le film étant basé sur une autobiographie, inutile de dire que le message patriotique et l'amour des USA sont bien présents. Mais c'est un peu logique tout de même. Reprocher à American Sniper d'être un film pro-américain, c'est comme reprocher à un film de Michael Moore d'être anti-américain, ça n'a aucun sens. Reste que le message sur la guerre en Irak et l'interventionnisme dont le film ferait l'apologie ont été montés de toutes pièces. Clint Eastwood est peut-être un républicain mais il était fermement opposé aux interventions américaines dans le monde, cela se ressent d'ailleurs dans le métrage, où Kyle se retrouve bouffé par la guerre, revient broyé psychologiquement dans son pays et surtout où sa femme Taya ne cesse de lui/nous expliquer à quel point ce qu'il fait ne sert à rien en définitive (un didactisme des plus agaçants et sans conviction au passage). Non, en fait, on aurait préféré que Eastwood se positionne clairement, parce que là au moins, on aurait eu un film un tant soit peu brûlant. En l'état, American Sniper accumule d'énormes défauts.

    Du fait de cette position timorée qui ne sait jamais clairement où il se trouve, alternant les moments où Kyle se bat contre les terroristes irakiens pour sauver les siens et les interludes où il rentre chez lui pour constater qu'il perd pied vis-à-vis de ses proches, Eastwood ne veut ni trancher ni adopter une position neutre avec une certaine conviction. De ce fait, tout ce qui pourrait être puissant dans le film devient soporifique. Parce qu'à côté de ça, la vie de Chris Kyle est loin d'être aussi passionnante que celle de Hawking ou Turing, c’est même tout le contraire. Difficile d'éprouver une quelconque empathie pour un redneck texan avec un QI proche de 0 lorsqu'il s'agit de penser par lui-même. Eastwood doit quand même décrire un personnage sans nuance ou presque, incapable de penser à autre chose qu'à son pays. Le réalisateur tente de lui rendre hommage en donnant quelques passages plus émotionnels à Kyle (tout l'arc avec sa famille) mais la chose est déjà tellement vue et revue que le résultat rate le coche.

    C'est bien là l'autre immense souci du film de Clint : il n'invente rien. Absolument tout ce qui se trouve dans American Sniper a déjà été vu ailleurs en mieux, et même en bien mieux. Prenons le sujet de la guerre en Irak et du traumatisme psychologique pour les soldats envoyés là-bas, des films comme Démineurs de Bigelow ou Jarhead de Mendès en parlent autrement mieux que ne le fait le dernier Eastwood. On ne parlera même pas de la mini-série Generation Kill. Côté politique, c'est un peu la même chose, et ce n'est en fait même pas le but du film tant les choses ne sont qu’effleurées. Il ne s'agit pas tant pour Eastwood de montrer les Irakiens comme des sauvages que le fait qu'il n'a absolument pas le temps de parler du reste de la population. Même sur le versant du terrorisme, les choses sont expédiées pour nous servir un réchauffé médiocre de l'affrontement entre deux snipers style Stalingrad de Jean-Jacques Annaud. Mentionnons au passage que le comble dans ce duel, c'est que Mustafa a plus de charisme que Kyle. Ce dernier, interprété par un Bradley Cooper décevant au possible, reste un personnage tout à fait antipathique mais avant tout ennuyeux. On ne tombe jamais dans la fascination perverse à la John Du Pont de Foxcatcher, personnage tout aussi antipathique mais tellement fort que passionnant au bout du compte. C'est à peine si Cooper versera une larme pour tenter de s'attirer notre compassion.

    Le pire c'est qu'à la fin, Eastwood revient sur un sujet déjà plus intéressant, à savoir comment se réintégrer à la société une fois démobilisé et comment un homme atteint du syndrome du sauveur peut surpasser sa condition en aidant d'anciens combattants. Mais voilà, la chose est gérée sur dix minutes à tout casser, avant une conclusion abrupte qui verse dans l'hommage sur fond de bannière étoilée. Que reste-il dès lors à sauver ? Même le côté film de guerre déçoit ! Les phases d'action, même si elles restent filmées de façon décente, n'ont rigoureusement rien de mémorable, à peine pourra-t-on sauver le dernier affrontement en plein milieu d'une tempête de sable. Si vous voulez véritablement voir une bataille moderne, tournez-vous vers l'excellentissime Black Hawk Down. Non, décidément, Eastwood fonctionne encore en mode automatique et livre une copie insipide dont on ressort dubitatif avec une question en tête : à quoi sert ce film ? A rien...

    American Sniper est une immense déception. Loin d'être le brûlot politique que l'on nous a vendu (il faut bien faire sensation pour attirer), le dernier Eastwood n'a ni conviction, ni punch, ni message, ni acteur solide, ni scène mémorable, ni aucune once d'originalité. Cela commence à devenir récurrent chez Clint, mais depuis le splendide Lettres d'Iwo Jima (tellement mais tellement meilleur), l'homme n'a cessé de chuter de son piédestal. 
    Ce serait une pure honte que le film remporte les Oscars... En attendant, regardez plutôt Zero Dark Thirty

    Note : 4/10

    Meilleure scène : La tempête de sable qui frappe le dernier affrontement



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    1
    Duarcan
    Lundi 23 Février 2015 à 08:44

    Grosse déception pour moi aussi, tous les sujets intéressants sont zappés ou mal traités pour se concentrer sur les moments de gloire du sniper US le plus meurtrier.... Pour moi c'est en cela que la vision de l'interventionnisme américain véhiculée par le film et sur la critique du non interventionnisme actuel de la politique d'Obama pue un peu. Les ellipses et le montage d'Eastwood servent quand même à promouvoir cet interventionnisme au nom de la liberté et cette vision binaire de la guerre, sans pour autant en faire l'apologie. Comme tu le dis bien, le film pêche parce qu'Eastwood ne positionne pas clairrement son film.

    Le film s'étend majoritairement entre 1999 et 2013, tout en se concentrant sur ses tours en Irak où les méchants semblent tout droit sortis d'une video de l'EI. Le choix des deux supervilains, le boucher et mustapha, ainsi que la scène du gentil irakien qui leur fait à bouffer et se révèle être un soldat méchant est pour moi assez clairement dans cette lignée: le premier n'a jamais existé, le second n'a jamais croisé la route de Kyle et était irakien et pas syrien, aucune arme n'a jamais été trouvée chez le troisième . Comme par hasard, les deux méchants très méchants sont des combattants étrangers rappelant furieusement l'actualité de l'EI. Dans ce film, les irakiens apparaissent comme cupides ou vils et sont considérés comme des "sauvages". Avec un traitement pareil, on peut remercier Eastwood pour nous faire remonter dans le bon cinema des années 80-90. 

    Au delà du politique, tout l'aspect de l'impact de la carrière de militaire sur un couple et sur une famille est complètement zappé. Les seules scènes où sa femme apparait (et souffre) sont quand elle est en contact avec le héros. Et encore, c'est pour se plaindre de façon hyper pédagogique (la guerre selon c'est pas sorcier) sur le fait qu'il n'est plus le même. Idem pour les enfants qui ne voient pas leur père pendant la moitié du temps de leurs premières années de vie sans que cela ne change rien à leur relation. La femme comme les enfants (et comme le frère) traversent le film sans juste pour étoffer le personnage principal sans y amener grand chose de plus (au film).

    Enfin le retour au pays est tellement mal branlé que ça donne envie de s'arracher les yeux. 10minutes chrono pour parler des 4 dernières années de sa vie et de sa reconstruction... Choix d'autant plus incompréhensible que le film donne à penser que le héros est rentré au bercail parce qu'il était bouffé par la guerre alors que dans la réalité, il est rentré pour sauver son mariage. Ben a ce niveau là d'investissement sur le thème du retour au pays, autant pas les mettre et directement passé à l'enterrement... Pour les spectateurs, refaites vous Rambo, le sujet y est largement mieux traité.

    http://www.slate.com/blogs/browbeat/2015/01/23/american_sniper_fact_vs_fiction_how_accurate_is_the_chris_kyle_movie.html

    3/10 parce que cinématographiquement, au sens technique du terme, ça tient la route et les scènes de guerre sont réalistes dans l'ensemble.

    PS: Enfin, je trouve particulièrement malhonnête le montage du trailer international qui donne à penser qu'on va voir un film sur les ravages de la guerre sur un soldat, ou sur la hantise d'avoir abattu un enfant. Alors qu'au final, le film ne porte pas du tout la-dessus. J'ai vraiment eu l'impression d'une publicité mensongère.

     

    2
    Mardi 24 Février 2015 à 23:16

    Même si je suis en désaccord avec l'interventionnisme (Clint était contre l'intervention Irakienne par exemple), nous sommes totalement d'accord pour le reste. Il est loin le grand Clint...

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