• [Critique] Difret

    [Critique] Difret
    Prix du Public Sundance 2014
    Prix du Jury Festival 2 Valenciennes 2015
    Prix du public Panorama Berlinale 2014

     

    Sélectionné pour le Panorama de la Berlinale 2014, récompensé par le Prix du public à Sundance la même année et Prix du Jury au dernier Festival 2 Valenciennes, le film éthiopien Difret, écrit et réalisé par Zeresenay Mehari, connaît enfin les honneurs d'une distribution grand public. Premier film de la jeune cinéaste, le long-métrage est également produit par une certaine Angelina Jolie, qui réaffirme encore son soutien aux causes humanitaires et féministes, après Au pays du sang et du miel. Engagé mais aussi historique dans un certain sens, Difret permet de jeter un regard d'une grande justesse sur l'Ethiopie, ainsi que de comprendre une culture tout à fait différente de la nôtre, tout en expliquant le combat authentique d'une femme, Meaza Ashenafi, pour sauver d'une mort certaine Aberash Bekele (renommée Hirut Assefa pour les besoins de l'histoire), une jeune fille de quatorze ans sans histoire.

    Retour en 1996. L'Ethiopie vit encore, pour une large partie, sous la tradition tribale, notamment dans le milieu rural. Hirut Assefa vient de réussir son passage en année supérieure, lorsqu'un groupe d'hommes l'enlève. Selon la coutume, l'homme qui désire prendre une épouse doit l'enlever de force pour consommer l'union le même jour. Seulement voilà, séquestrée puis violée, Hirut trouve la force de saisir l'arme de son tortionnaire pour s'enfuir. C'est ainsi qu'elle en vient à tuer l'un de ses kidnappeurs. Détenue par la police locale, la jeune fille encourt la peine de mort pour son crime. Heureusement, Meaza Ashenafi, une avocate bénévole d'une association d'aide aux femmes, se saisit de l'affaire. Envers et contre tous, elle va tenter de faire acquitter la jeune fille et de bouleverser l'ordre établi, changeant le visage de la loi éthiopienne par la même occasion. 

    Sans être épatant au niveau de sa mise en scène, le premier long-métrage de Zeresenay Mehari assure ce qu'il faut pour raconter l'histoire tragique de Hirut Assefa. De façon assez simpliste, on peut scinder Difret en deux axes de lecture. Le premier s'intéresse à la fillette victime d'une tradition barbare, tout en montrant de quelle façon les hommes du village en viennent à ce genre d'extrémités. Plus qu'une simple tragédie, l'histoire de Hirut permet à Mehari de raconter les traditions de son pays. Profondément enracinés et notamment dans les milieux les plus pauvres, les enlèvements font partie d'un système complexe de domination patriarcale solidement enraciné dans les origines tribales de ces populations. Ainsi, Difret n'est jamais aussi captivant que lorsqu'il s'intéresse aux us et coutumes de ce village perdu, Mehari filmant un tribunal tribal avec sérieux, sans forcément condamner ce que l'on voit ou ce que l'on entend. Du fait d'un endoctrinement dès le plus jeune âge, les hommes du village ne se perçoivent pas comme mauvais : ils font simplement ce qu'on leur a appris à faire. Avec une grande pertinence, Mehari évite la stigmatisation appuyée, pour mieux exposer l'état de l'Ethiopie en 1996. Elle attire l'attention du spectateur sur l'ignorance des fermiers et la pauvreté de ces villages, que seule l'installation d'écoles semble pouvoir sortir de l'ornière.

    Au-delà de cette peinture d'une Ethiopie traditionnelle, on retrouve un second axe de lecture. La cinéaste nous montre également L'Ethiopie moderne, celle des villes, où les femmes s'émancipent et où les lois s'appliquent tant bien que mal. C'est aussi l'occasion pour le long-métrage de brosser le portrait de personnages féminins forts et touchants, tels que celui de Meaza Ashenafi, interprétée par l'excellente Meron Getnet. Avocate tenace et audacieuse, Meaza incarne l'image de la femme moderne, une conception magnifique d'un féminisme souvent galvaudé aujourd'hui. Sa rencontre avec la jeune Hirut est l'occasion de comprendre ce qui sépare la fillette de cet autre monde aux allures irréelles. Un monde où la femme peut vivre seule sans pour autant être mauvaise, un monde où elle n'est pas obligée de savoir faire la cuisine et de se plier au diktat masculin. Evidemment, les choses ne sont pas entièrement manichéennes, il s'avère bien difficile de changer les habitudes, à commencer par se coucher dans un simple lit. Mais Difret ne renonce pas et persévère comme ses personnages féminins.

    Si l'on peut reprocher au long-métrage de tomber parfois dans l’écueil de la séquence tire-larmes - on pense notamment à la lourde scène de fin -, il parvient à trouver un équilibre intéressant entre film historique et drame. En opposant deux mondes différents, sans les juger, sans les condamner, Mehari réussit à ne pas tomber dans la caricature. Elle donne également une magnifique place à la femme éthiopienne, et milite pour des droits qui sembleraient évidents si de telles choses ne se produisaient pas. Elle démontre également que les traditions ne sont pas immuables, que les mentalités doivent changer. De gré ou de force, l'égalité doit être imposée pour toutes ces femmes démunies. Même si les enlèvements sont désormais interdits en Ethiopie, nul doute qu'un film comme Difret sera toujours nécessaire pour rappeler qu'il faut lutter contre toutes les injustices pouvant encore exister de par le monde. 

    Premier film important, à défaut d'être mémorable, la faute à une mise en scène banale, Difret délivre un message salutaire. A la fois peinture des différents visages de la société éthiopienne et hommage féministe au combat contre l'ignorance, le long-métrage de Zeresenay Mehari atteint ses objectifs haut la main.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Le tribunal tribal

     

     

     

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