• [Critique] Fitzcarraldo

    [Critique] Fitzcarraldo

    Prix de la Mise en Scène Festival de Cannes 1982

    Pour son neuvième film, l'allemand Werner Herzog revient à ses premiers amours, c'est-à-dire l'Amazonie et Klaus Kinski. 10 ans après son chef d'oeuvre, Aguirre, la colère de Dieu, il retrouve son acteur fétiche pour rembarquer dans une aventure sans concession. Bien loin de l'époque des conquistadors, Herzog s'intéresse cette fois au siècle des barons du caoutchouc au cœur du Pérou. Véritable défi de réalisation, Fitzcarraldo reste avant tout dans les mémoires comme un film-fleuve de 2h30 où s'entrechoque les mondes, les ambitions et les personnages haut-en-couleurs. Présenté au Festival de Cannes en 1982, le long-métrage repart avec le prix de la mise en scène, une récompense pour le moins méritée mais qui peine pourtant à rendre justice à la démesure de Fitzcarraldo.

    Passionné par l'opéra, Brian Sweene Fitzgerald, connu sous le nom de Fitzcarraldo au Pérou, tente par tous les moyens de bâtir un opéra à Iquitos, une ville sise au cœur de l'Amazonie. Malgré le scepticisme de ses pairs à Manaus ou dans les cultures de caoutchouc, il tente le tout pour le tout en demandant à son amie Molly de lui donner une partie de sa fortune. Avec celle-ci, il achète un bateau à vapeur, recrute sa propre troupe et acquiert une parcelle que personne n'exploite. La raison en est simple, elle est inaccessible du fait de la présence de rapides réputés infranchissables. Fitzcarraldo remonte alors l'Amazone et va entreprendre la plus folle des tentatives pour passer outre les embûches du fleuve. Son idée est aussi simple que folle, faire traverser à son navire une colline pour se retrouver directement dans son exploitation. Seulement, le destin n'a pas fini de jouer des tours à Fitzcarraldo.

    Werner Herzog se révélera, au fur et à mesure de l'avancée de sa carrière, comme un cinéaste polymorphe aimant autant le documentaire que la fiction. Déjà dans Aguirre, on retrouvait cette dimension singulière avec cette façon unique de capturer l'adversité de l'Amazonie mais aussi de reconstituer toute une époque. Fitzcarraldo procède de la même manière. En nous plongeant dans le siècle des bateaux à vapeur, Herzog dresse une peinture des nouveaux maîtres du Pérou. Le métrage se scinde en deux parties distinctes, dont la première, la plus courte, nous présente la vie quotidienne dans une ville perdue au milieu de la foret. Vétuste mais en pleine expansion, Iquitos contraste radicalement avec Manaus qu'Herzog nous montre au tout début. Pourtant, comme Manaus, elle abrite un certain nombre de dignitaires, et notamment les barons du caoutchouc, des hommes scandaleusement riches grâce à l'exploitation des arbres à caoutchouc que l'on trouve en abondance dans la région. Immédiatement, le réalisateur allemand aborde l'odieux comportement de ceux-ci, leur petitesse et surtout leur façon de réduire en esclavage les populations locales. Il se sert de ce premier atout pour décrire non seulement la vie quotidienne à Iquitos mais aussi pour présenter celui qui sera le point central du film, le fameux Fitzcarraldo.

    A la différence de ces barons qui accumulent les richesse, Fitzcarraldo rêve d'inutile, il rêve d'opéra. Interprété par l'extraordinaire Klaus Kinski, le fantasque personnage contraste avec les opulents barons. Il est entouré d'enfants indiens à qui il fait écouter des opéras, ou auquel il offre de la glace (son fond de commerce). Avant toute chose, Fitzcarraldo est un rêveur, du genre malade obsessif. On retrouve dans son tempérament un peu de celui d'Aguirre, deux conquistadors obsédés par un but absurde, une cité d'or pour l'un, un opéra en Amazonie pour l'autre. Pourtant, la folie belliqueuse de Don Aguirre n'est pas de mise chez Fitzcarraldo qui évolue sur un plan tout autre, celui de la création. Son ambition  n'est pas de conquérir mais de briller, d'être celui qui apportera la culture dans le coin le plus reculé de la terre. S'il partage quelque chose en commun avec Aguirre, c'est certainement ce jusqu'au boutisme qui vire à la quasi-folie. Mais là où Aguirre finissait en Dieu impitoyable, Fitzcarraldo devient un Dieu de mythologie tentant de déplacer des montagnes...ou plutôt un bateau.

    C'est ici la seconde, et bien plus longue, partie du film. Cette partie où l'amour du documentaire l'emporte et nous entraîne dans une nouvelle exploration fascinante de l'Amazonie sauvage peuplée d'autochtones étranges. C'est également dans ces instants que Herzog s'incarne dans son personnage de Fitzcarraldo et en fait un double cinématographique. Si Fitzcarraldo est le fou qui veut faire passer un bateau d'un affluent à l'autre en le tractant sur une colline, Herzog est celui qui refuse tout artifice et tente réellement l'expérience. Cette entreprise monumentale a vraiment été réalisé par l'allemand et son équipe qui ont défriché une bande de terre, terrassé une colline et tracté avec des cordes un bateau à vapeur. Vraiment. Le résultat à l'image marié au talent insolent de Werner pour capturer ce genre d'exploit accouche d'un moment d'anthologie qui marque l'histoire du cinéma. L'exploit est d'autant plus grand que le réalisateur prend le soin de rapprocher Fitzcarraldo d'un Dieu, notamment à travers des plans iconiques où Kinski pose devant son bateau hissé par une tribu d'indiens. Il s'accapare alors toute la puissance de son personnage et de sa folle entreprise. On ne cesse de se poser une question tout du long : qui est, au fond, Fitzcarraldo ? Un génie ? Un fou ? Un artiste ? Surement les trois à la fois. Il fait partie de ce genre d'hommes capables d'aller au bout de leurs visions, capable d'acheter un fauteuil de velours rouge à un cochon, capable de traverser l'impossible...et de finir par faire jouer un opéra le long de l'Amazone. Fitzcarraldo s'inscrit dans la légende comme un des personnages les plus forts et les plus captivants de l'histoire du cinéma.

    Véritable ode à la démesure, Fitzcarraldo est un paradoxe en soi. Moins accessible qu'Aguirre du fait de sa longueur et de son imposante ambition mais plus facile à aborder car plus terre à terre, le long-métrage de Werner Herzog capture une époque, une folie et un homme. Et quel homme ! Film monstrueux, parfois à couper le souffle, Fitzcarraldo continue d'affirmer avec force le génie du réalisateur allemand. Un classique, encore.

    Note : 9/10

    Meilleure scène : La première avancée du bateau sur la terre ferme


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