• [Critique] Fury

    [Critique] Fury

    David Ayer est un réalisateur inégal qui alterne les navets (Sabotage) et les films sympathiques (End of Watch). Son dernier projet avait pourtant de quoi susciter l'enthousiasme : un film de guerre centré sur un équipage de char Sherman M4A2 emmené par un certain Brad Pitt dans une Allemagne nazie à l'agonie. Pourtant, tout aussi attirant que puisse être le pitch, Ayer a fort à faire pour convaincre tant celui-ci peut facilement tomber dans le bête film d'action. Ce n'est heureusement pas le cas de Fury, qui joue la carte d'une sorte de réalisme très noir pour nous entraîner à la suite d'une troupe de tankistes sérieusement amochés par la guerre et sa rudesse. Une totale réussite ?

    L'Allemagne est en ruines, ses armées en déroute s'accrochent avec l'énergie du désespoir aux dernières villes et villages sur la route des alliés. Les colonnes de blindés et d'infanterie américaines rencontrent désormais une résistance inattendue et des troupes de plus en plus jeunes, les fameux Volkstürm. Après la perte d'un des leurs, l'équipage du Sherman "Fury", mené par le sévère Don Collier, reçoit le renfort d'un tout jeune membre, Norman. Pas le temps de faire connaissance que les hommes se retrouvent de nouveau dans les mâchoires de la guerre et doivent porter assistance à un groupe de combats bloqué face au blocus acharné de quelques canons et d'une poignée d'homme retranchés aux abords d'un village. Leur combat va les mener au cœur de l'enfer.

    Fury est un peu un film à l'image de son réalisateur : inégal. D'emblée, on peut reprocher le simplisme des personnages que l'on voit à l'écran : quatre gars aguerris face au petit nouveau naïf et qui ne veut tuer personne. Pendant un certain temps, la galerie d'individus qui jalonnent le film a tout de l'archétype bas du front des soldats made in Hollywood. Pas de subtilité, immédiatement hostiles au petit nouveau auquel ils vont en faire voir de toutes les couleurs.... Bref, les choses semblent mal parties. Enfin, pas tout à fait. Car de l'autre côté, Ayer étale une réalisation crépusculaire magnifique et sauvage avec cette séquence d'introduction du plus bel effet au milieu des carcasses de chars d'assaut. De la même manière, l'américain capte immédiatement la majesté mécanique de son char, Fury, le véritable personnage principal du métrage, mis en avant de façon fascinante notamment au cours des divers affrontements, où la caméra d'Ayer vibre et tangue au gré des coups de canons. Le point d'orgue du film semble même être atteint au cours de l’embuscade tendue par un char Tiger I contre 4 Shermans. La violence de l'affrontement, le talent d'Ayer pour le filmer et l'intensité du combat permettent d'approcher d'un paroxysme guerrier purement jouissif.

    D'autant plus jouissif qu'Ayer met un point d'honneur à respecter la réalité historique. L'impuissance des Shermans face à un char Tiger est scrupuleusement respectée, tout comme la façon de mener un assaut contre une position retranchée. Cette volonté persiste jusque dans la séquence de fin (trop) héroïque où une colonne d'allemands attaque le char de WarDaddy. Aucune arme antichar, juste quelques fourgons, des armes antipersonnelles et quelques PanzerFaust, la troupe allemande fait pâle figure en réalité, brisée par cinq hommes seulement. Alors oui, Ayer en fait trop dans cet épilogue plein de fureur, trop long et franchement peu crédible dans l’imbécillité des soldats allemands en face, mais il ne s'agit pas non plus d'une catastrophe, loin de là. En fait, et c'est assez paradoxal, Ayer est à deux doigts d'accomplir quelque chose de bien plus formidable au deux-tiers de son film lors d'une séquence dénuée du moindre coup de canon ou de la moindre explosion.

    Cette séquence, c'est celle qui se déroule entre l'équipage sorti fêter sa victoire dans un village allemand, et deux allemandes réfugiées dans un appartement miraculeusement intact. Ayer mise pendant quelques minutes sur une sorte de huit-clos où Norman, le jeune vierge, et Don, le commandant blasé, s'imposent dans la vie des deux bourgeoises. Assez conventionnel au début, la scène est transfigurée par l'arrivée du reste de l'équipage et de la véritable résurgence de sentiments bestiaux qui s'ensuit. La tension qui s'installe où l'on sent le viol et l'effusion de sang à peine contenus dans les affrontements verbaux entre Don et Grady - Brad Pitt et Jon Berthal, fabuleux - menace de faire basculer le film dans quelque chose de très noir et surtout d'inédit dans un film américain : des GIs qui violent des innocentes, une chose que jamais Hollywood n'a mis frontalement en lumière. Malheureusement, Ayer ne va pas jusqu'au bout mais cette simple séquence permet à Fury de gagner encore quelques bons points. Ses derniers atouts résident dans son casting, purement masculin, qui fait des étincelles. Entre un Shia LaBeouf aux antipodes de ses rôles habituels et un Logan Lerman toujours aussi épatant en passant par un Brad Pitt grimé en vieux briscard ambigu, l'équipage de Fury apparaît non seulement comme extrêmement crédible mais aussi comme tout à fait charismatique, ceci malgré les nombreuses failles dans la moralité de ses "héros". Un atout capital pour un métrage qui repose entièrement sur son assemblée de tankistes.

    Assurément, Fury s'avère une excellente surprise. Certes on empêchera pas les stéréotypes de bases d'empiéter sur le réalisme pendant les débuts de l'histoire ni une fin carrément too much, mais l'atmosphère de "crépuscule des dieux" qui baigne le film d'Ayer, le talent de sa troupe d'acteurs et sa volonté de réalisme historique, sans compter sur quelques audaces narratives inattendues, permettent à Fury de s'affirmer comme un film de guerre intéressant et de très bonne facture.
    En route.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Le repas chez les Allemandes

    Meilleure réplique : "Emmène-la dans la chambre, sinon c'est moi qui le fait"


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