• [Critique] Jug Face

    [Critique] Jug Face

    Au rang des nombreux films inédits ou sortis discrètement en DVD en France, Jug Face fait un peu figure d'arlésienne. Présenté en 2013 (!!) au Slamdance Film Festival, le premier long-métrage de l'américain Chad Crawford Kinkle a connu une sortie nationale aux USA en juillet de la même année. Bien accueilli par la critique, le film se classe autant en horreur qu'en fantastique et n'est pas sans rappelé le We Are What We Are de Jim Mickle sorti à la même période. Partageant tous deux ce goût prononcé pour l'horreur sourde et dans lequel un village retiré cache en son sein de multiples surprises, ils partagent également le même destin calamiteux concernant leur sortie internationale, notamment en France. Sans star bankable au casting et pas forcément grand public, Jug Face a pourtant bien des atouts à faire valoir.

    Dès le générique tout en crayonné qui sert autant à poser l'ambiance que les bases de l'histoire (une excellente idée donc), Jug Face nous entraîne dans les bois. Une étrange petite communauté vit au cœur de la forêt. Les seuls contacts entre ses membres et la ville toute proche ne se font que lorsqu'il faut commercer pour obtenir des denrées vitales. Ada est la fille de Sustin, le plus respecté des patriarches de la communauté. Seulement voilà, alors qu'Ada doit être donnée en fiançailles à un garçon, elle découvre qu'elle est enceinte, mettant en péril la relation secrète qu'elle entretient. Pire encore, elle trouve chez Dawai, le potier du village, une poterie d'argile avec la forme de son visage dessus. En effet, cette micro-société dans les bois s'organise autour d'un culte étrange et terrifiant. Ses adeptes vénèrent un puits au milieu de la forêt qui est sensé les guérir de toutes les maladies en échange de sacrifices rituels qu'il désire, transmettant ses volontés par le biais d'hallucinations au potier. Celui dont la face se retrouve sculptée par le potier en transe...devra mourir. Ada tente alors de fuir, bravant la colère de ses parents et celle du puits. 

    Évacuons les évidences immédiatement. D'abord, Jug Face reste un petit film avec des moyens limités. Pour y remédier Chad Crawford Kinkle pose sa caméra au milieu d'un bois pittoresque mais ô combien évocateur. Car sans moyen ne signifie pas sans esthétique. Profitant de la remarquable patte artistique de l'américain, Jug Face fleure bon l'archaïque et le redneck. Au milieu de ces bois défraîchis, la communauté habite dans des bicoques proches de l'insalubrité, vivant dans un style XIXème siècle qui n'est pas sans rappeler celui de la famille de Massacre à la tronçonneuse sous un certain angle. En tirant profit de l'atmosphère du cadre, Kinkle nous fait pénétrer dans un tout autre monde, celui des adorateurs du puits. Ensuite, seconde évidence, Jug Face n'est pas tant un film d'horreur que cela. On aura bien évidemment quelques scènes violentes avec les moyens du bord (et donc souvent en hors-champ) mais le long-métrage ne repose pas sur des gerbes de sang ou des sursauts faciles.

    En réalité, l'horreur de Jug Face se terre dans son atmosphère psychologique et dans la peinture de cette communauté retirée vivant selon une morale douteuse. Mélangeant allègrement rites païens et pudibonderie chrétienne, les codes de cette société se découvrent très progressivement. Chad Crawford Kinkle prend son temps pour dévoiler son jeu et pose ainsi tranquillement ses personnages. Même si celui d'Ada occupe forcément une place centrale (excellemment interprété par la jeune Lauren Ashley Carter), c'est véritablement Dawai qui tire son épingle du jeu. Étrange, attardé mais constamment bienveillant, il reste pourtant l'un des principaux responsables des sacrifices, bien qu'involontairement il est vrai. Il illustre aussi une des autres particularités malsaines de cette communauté, à savoir la consanguinité. Retirés de tout, les habitants vivent dans un système clos, la chose est donc inévitable. Tous ces éléments mis bout à bout donnent un cachet très particulier au récit. Sorte de critique larvée des sectes mais aussi de certaines racines ultra-conservatrices américaines, Jug Face ne va cependant jamais souligner les choses.

    Reste alors la partie véritablement fantastique du métrage. Même si encore une fois le manque de moyens force le réalisateur à recourir à des artifices un tantinet ridicules (les flashs, les effets grossiers de flous pour les hallucinations...), la mythologie autour du Puits et de ceux qui arpentent les bois arrive tout de même à faire mouche. Crawford Kinkle ose aller au bout des choses et confronte les éléments surnaturels de son histoire aux protagonistes humains. Si la question de la pertinence de ce choix peut se poser, le résultat reste assez convaincant pour ne pas desservir le film. Ce qui étonne par contre, c'est le chemin que prend l'intrigue de l'américain, expliquant certainement son insuccès auprès du grand public. Loin de se conclure par une happy-end ou avec une moralité nettement définie, Jug Face reste sur ses positions, balayant la rébellion et donnant en fait raison à la communauté. En quelque sorte, le long-métrage distille une sensation dérangeante qui semble véhiculer un message des plus pessimistes : L'homme est un animal superstitieux et la superstition reprend toujours le dessus. La dernière image, malgré son apparence anodine, a de quoi glacer le sang.

    Film fantastique au budget limité mais à l'esthétique léchée, Jug Face profite autant du jeu impeccable de ses acteurs principaux que de l'intelligence du scénario imaginé par l'américain Chad Crawford Kinkle. Grâce au puissant pouvoir malsain et amoral dégagé par cette petite communauté, le film arrive aisément à surpasser ses lacunes pour donner quelque chose d'unique. 
    Un petit film hautement recommandable. 


    Note : 7.5/10

    Meilleure scène : Le générique de début - Dawai et Ada ligotés à l'arbre 

     

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