• [Critique] La Nuit des Rois, ou ce que vous voudrez

    [Critique] La Nuit des Rois, ou ce que vous voudrez

    On ne présente plus William Shakespeare, certainement l’écrivain anglais le plus célèbre de tous les temps. Son œuvre théâtrale colossale peut être scindée en trois catégories : les tragédies (MacBeth, Le Roi Lear...), les histoires (Henri IV, Richard II..) et bien évidemment les comédies dont fait partie le présent ouvrage, La Nuit des Rois. Dans cette pièce datant de 1602, l’anglais s’inspire de divers textes tels que Les Abusez ou L’Apolonius et Silla pour accoucher d’une histoire entre bouffonnerie et imbroglios d’identités, où l’amour romanesque domine encore et toujours. Malgré son ancienneté et les craintes que l’on pourrait nourrir vis-à-vis d’une certaine désuétude, La Nuit des Rois reste un classique intemporel non seulement grâce au style formidable de Shakespeare, mais aussi par son sens du comique de situation tout à fait délicieux. Bienvenue en Illyrie.

    En Illyrie, le Duc Orsino se languit d’amour pour la belle Olivia, une riche comtesse en deuil de son frère décédé. Malgré la cour insistante du Duc à travers ses valets, Olivia refuse ne serait-ce que de lui accorder une audience. C’est alors que se présente Viola, une jeune femme survivante du naufrage de son navire et qui a perdu son frère dans l’incident. Apprenant la situation du Duc, elle décide de se déguiser en homme et se fait appeler Césario pour entrer au service d’Orsino. Dès lors, elle tente de séduire Olivia pour son nouveau maître mais deux choses inattendues arrivent alors. D’une part, Olivia tombe amoureuse de Césario, d’autre part, Viola s’éprend du Duc Orsino. Ignorant la survie de son frère Sebastien, Viola va devoir faire face à de nombreux obstacles à cause de la maisonnée d’Olivia et des querelles entre l’intendant Malvolio, la suivante Maria et les nobles Tobie Rotegras et André Grisemine...

    Cette pièce de théâtre aux accents comiques prononcés fait la part belle à l’amour romanesque de l’époque. On y retrouve donc plusieurs abords de celui-ci, d’abord entre Orsino et Olivia, un amour bien plus formel que tangible, dû au rang plus qu’aux sentiments, tant Orsino semble plus amoureux d’un concept que d’une personne à proprement parler. Ensuite, entre Viola et Orsino, et Césario et Olivia, un amour de personnes, mais aussi de dupes, puisque ceux-ci se basent sur des à priori faussés par le déguisement de Viola en Césario. Autour de tout cela, gravite une galerie de personnages secondaires délicieux qui occasionnent des intermèdes comiques dans l’intrigue principale du trio amoureux Orsino/Viola/Olivia. Et c’est certainement là que le génie d’écriture de Shakespeare transparaît le plus avec une série de comiques de situation et d’imbroglios délicieux. Le tout est magnifié par une langue certes complexe, mais divine et poétique (les rimes n’étant vraiment perceptible que dans la langue anglaise, il est judicieux de porter son choix sur une édition bilingue pour apprécier la petite musique Shakespearienne).

    Ces bouffonneries sont l’occasion de porter l’attention sur messire Tobie et messire André, en même temps que Maria et Malvolio. Ce dernier, sorte de tête-de-turc puritain, bénéficie de toutes les attentions et toutes les fourberies de la part des autres personnages secondaires, occasionnant une cascade d’évènements qui va forcément mêler Olivia et Viola, culminant avec l’affrontement ridicule de Césario et d’André, largement dû aux manigances de Maria et Fabian. Shakespeare donne une puissance comique incroyable en recourant simplement à une série d’imbroglios et de fausses identités. Le résultat est un tour de force qui, en plus de 400 ans, n’a pas pris une ride. Il en profite naturellement pour charger la noblesse et le clergé – Feste déguisé en Topaze par exemple – mais également pour tourner en dérision le puritain Malvolio, un des jeux préférés de l’époque. L’édition comporte d’ailleurs un grand nombre de notes, extrêmement utiles et pour tout dire, indispensables à la compréhension de la multitude de références qu’emploie Shakespeare. Celui-ci truffe en effet son texte de clins d’œil à des événements de l’époque ou à d’autres œuvres, permettant ainsi de s’immerger encore davantage dans la société britannique du XVI-XVIIème siècle.

    Découpé en 5 actes, La Nuit des Rois offre une vision certes classique de l’amour mais surtout un séduisant panorama de la conception amoureuse de l’époque. Son aspect désuet, nullement rébarbatif, permet de nous transporter à travers les siècles et de jouir d’une conception totalement différente des choses. De plus, Shakespeare, par son génie langagier, évoque au lecteur des images magnifiques et inoubliables, ne serait-ce que cette tirade époustouflante de lyrisme du Duc Orsino en guise d’introduction... sans même parler des nombreuses répliques de Feste, le Fou, un personnage qui pourrait paraître accessoire s’il n’incarnait pas si aisément la quintessence de l’esprit comique théâtral. Son importance, bien plus écrasante que prévue, fait que l’on se souvient davantage de ses éclats que du rôle un tantinet passif de Viola, pourtant personnage central de l’œuvre. Sans jamais accuser de gros temps morts, la pièce entraîne son lecteur dans une spirale comique et amoureuse délicieuse servie par la plume insolente de Shakespeare et une galerie de personnages véritablement truculents.

    Idéal pour un premier abord de l’œuvre impressionnante de William Shakespeare, La Nuit des Rois demeure un classique malgré les siècles écoulés. Hilarante mais raffinée, ciselée mais accessible, la pièce fera le bonheur de tous.

    Note : 9/10

    N.B : Pour une telle écriture, la traduction est capitale. Celle du GF Flammarion bilingue laisse d’ailleurs quelque peu à désirer et se permet même d’oublier purement et simplement de nombreuses didascalies. On ne saura, dès lors, que chaudement recommander l’édition de La Pléiade, certes très chère, mais qui a l’avantage de regrouper plusieurs pièces en un seul volume ainsi que de bénéficier d’une traduction impeccable.

     

    Livre lu dans le cadre du challenge Morwenna's List du blog La Prophétie des Ânes  

    Quand Hitler s'empara du lapin rose

     

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  • Commentaires

    1
    Mardi 30 Septembre 2014 à 19:26
    Gromovar

    Shakespeare. What else ?

    2
    Mardi 30 Septembre 2014 à 19:30

    C'est un peu ça.
    Pourtant, j'ai toujours eu peur de l'aborder. Suis-je le seul parfois à être impressionner par l'oeuvre de certains écrivains/réalisateur et avoir peur de les découvrir et d'être déçu vu tout ce que j'ai lu sur eux ?

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    3
    Mardi 30 Septembre 2014 à 21:38
    Gromovar

    Peut d'être déçu non, mais peur de ne pas parvenir à appréhender oui.

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