• [Critique] La Peur

    [Critique] La Peur
    Prix Jean Vigo 2015

    A la fois réalisateur, poète et documentariste, le français Damien Odoul reste cependant une figure assez discrète. On trouve pourtant à son actif pas moins de six long-métrages, quatre documentaires et une dizaine de courts. Une carrière déjà bien remplie donc. Ce mois-ci sort La Peur, septième film d'Odoul et plongée sans concession dans la grande guerre. Inspiré par le roman de Gabriel Chevallier, le récit se concentre sur l'histoire d'un jeune homme, Gabriel, appelé à servir dans l'armée de terre française en 1914 alors qu'il n'a que dix-neuf ans. Loin d'avoir les moyens d'un Joyeux Noël, La Peur tente de livrer un témoignage cru de l'enfer de la guerre à travers les yeux d'un jeune homme rencontrant brutalement la boue des tranchées.

    Gabriel et ses amis s'en vont en guerre comme l'on s'en va à la foire, morveux comme des gosses, fiers comme des coqs. Immédiatement pourtant, Odoul montre qu'il y a quelque chose qui grippe dans cet élan patriotique. Dès la première scène au ralenti, les mots se décomposent et se désolidarisent des lèvres. On tabasse un supposé espion qui a eu le tort de ne pas croire à la guerre et ces premiers instants marquent le long chemin de croix de Gabriel vers la pleine connaissance de l'horreur humaine. Malheureusement, Damien Odoul semble avoir bien du mal à diriger ses acteurs, des illustres inconnus qui déclament plus qu'ils ne jouent. La Peur n'arrive que rarement à se défaire de cette image de théâtre amateur, dans les tirades enflammées mais si peu naturelles du sergent Nègre ou dans les longues séquences de disputes entre les hommes où les acteurs peinent à faire passer une véritable émotion. Reste alors la voix-off de Gabriel, interprété par un Nino Rocher des plus correctes, heureusement, et qui semble un peu sauver la chose. 

    Ce talon d'Achille que l'on ressent d'emblée ne peut cependant pas dépouiller le long-métrage de sa réalisation. Damien Odoul impressionne quand à la gestion de son espace, à la malignité de ses plans et de ses cadres, ne faisant que peu ressentir finalement le manque de budget. Si nous n'avons pas de décors aussi "grandioses" que ceux d'un Joyeux Noël, La peur offre une atmosphère et un tableau plus authentique. Le film finit par prendre aux tripes, littéralement, lorsque Gabriel arrive en première ligne, jeté contre un ennemi que l'on ne voit pas. Odoul laisse sa caméra à hauteur d'homme, submergée par la tranchée, embourbée avec les cadavres innombrables. Il dessine un enfer noir, étouffant, anxiogène. Inhumain. La principale réussite de La peur se trouve là, dans les instants où Gabriel survit sur le front, sans esquiver les horreurs les plus répugnantes. Certes, il y a de beaux moments à l'hôpital de campagne où des infirmières rêvent à coucher avec des héros sans savoir qu'ils n'ont jamais exister, mais rien ne semble pouvoir égaler le pouvoir absolu du noir de la première ligne noyée sous les chocs répétitifs et traumatisants de l'artillerie. La Peur réussit le pari osé de la reconstitution crasse, sans concession et qui sait saisir toute l'absurdité et la folie de cette guerre incompréhensible. 

    On croise aussi de beaux personnages dans la Peur. Nègre et Gabriel se complètent, le naïf et le blasé. L'interaction de ces deux-là, la gouaille du sergent confrontée à la candeur déplacée de Gabriel, donne de très beaux instants, gâchés il est vrai par ce problème de jeu d'acteurs décidément bien embarrassant. On fait la connaissance d'un fou au milieu d'un cratère, on assiste à la lente déchéance de Théophile, un poète transformé en excrément (Un personnage au passage hautement attachant et symbolique mais qui écope du plus mauvais acteur de tout le long-métrage...) ou l'on regarde médusé ces officiers lancés des jeunes vers le grand hachoir à viande du Chemin des Dames. Oui, malgré ses handicaps et quelques moment longuets, On ne peut enlever à La Peur une sincérité et une authenticité à rendre malade. Une authenticité d'autant plus désoeuvrante devant le tableau noir d'une espèce humaine définitivement perdue, qui, en quelque sorte, ne s'en remettra pas.

    La Peur est plombé par une troupe d'acteurs amateurs vraiment peu convaincants, les dialogues et tirades tendant plus vers la déclamation sans conviction que vers le véritable feu d'artifice émotionnel que l'on aurait été en droit d'attendre dans le contexte. Heureusement, Damien Odoul s'avère un réalisateur excellent, capable d'arracher à la moindre parcelle de tranchée une atmosphère de fin du monde. On regardera donc plutôt le film pour son aspect de témoignage cru que pour le reste, finalement peu convaincant.

    Note : 5.5/10

    Meilleure scène : L'arrivée dans les tranchées.

     

     

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