• [Critique] Le Pont des Espions

    [Critique] Le Pont des Espions

    Si son dernier film date de 2012, Steven Spielberg croule sous les projets. On a un temps cru qu'il allait adapté le roman de science-fiction Robopocalypse avant que l'américain annonce la mise en veille du projet pour se consacrer à un film d'espionnage durant la guerre froide. Après un détour par le XIX ème siècle, le réalisateur revient donc au XX ème pour explorer à nouveau la guerre froide du point de vue des deux grands blocs (à la différence de son travail dans Munich). Il offre par la même occasion le rôle principal à son vieil ami devenu plutôt rare, l'excellent Tom Hanks, qui incarne ici l'avocat James Donovan. Sans autre star majeure au casting, Le Pont des Espions joue la carte du thriller historique comme en raffole les majors américains en s'intéressant à un échange de prisonniers politiques entre l'Est et l'Ouest. A près de 69 ans, Steven a-t-il encore des choses à dire ?

    Pour tenter de répondre à cette question, situons le contexte de ce nouveau métrage. Nous sommes dans les années 60 et la guerre froide entre les USA et l'URSS bat son plein. La paranoïa est à son comble et les espions des deux camps doivent redoubler de prudence. Rudolf Abel, un vieil homme ordinaire, se fait arrêter dans son appartement. Bien vite, il se révèle que celui-ci fournissait bien des informations aux soviétiques et qu'il doit donc être juger en tant qu'espion communiste. Désigné pour le défendre, James Donovan s'aperçoit rapidement que le procès organisé est une mascarade. Dans le même temps, le pilote Francis Powers se voit confié une mission de reconnaissance au-dessus du sol soviétique à bord d'un avion-espion U2. Malheureusement, il est abattu par des tirs russes et se retrouve prisonnier. Donovan va alors devoir organiser un échange dans un Berlin divisé en deux...


    Le Pont des Espions se présente comme un thriller historique assez classique. Il débute sur un versant "tribunal" dans la lignée d'un Philadelphia puis repasse rapidement du côté thriller pur et simple. Avec Steven Spielberg aux manettes, inutile de dire que la mise en scène est soignée, recherchée et que la reconstitution historique s'avère à la hauteur des espérances. De même, l'arrivée dans un Berlin alors en pleine division a quelque chose de glacialement efficace, entre la construction du mur, l'exode des Berlinois et les décombres de la seconde guerre mondiale. Du côté purement formel, nul doute que le père Spielberg n'a pas perdu la main. On ne pourra cependant pas s'empêcher de voir dans le cheminement emprunté par Le Pont des Espions quelque chose de finalement très académique, très classique et relativement sans surprise. Efficace certes mais peu surprenant.

    Heureusement, le sujet de fond abordé par le film est autrement plus captivant. Spielberg se sert d'un échange de prisonniers pour croquer l'Amérique et ses défauts. Son approche du personnage ambiguë de Rudolf Abel, même si on aurait aimé la voir plus audacieuse encore, reste le meilleur élément du long-métrage. Spielberg tente de montrer comment, en pleine guerre (froide ou non) et en pleine vague de paranoïa, les Etats-Unis toujours si vertueux ne valent à l'arrivée pas mieux que leurs méprisés adversaires. La remise en cause de la justice et de ce côté "nous sommes les gentils" par le réalisateur américain a ceci d'intelligent qu'elle utilise le point de vue d'un avocat qui est contraint de défendre ce qui pourrait facilement être réduit à l'Ennemi. Sauf que la chose n'est pas aussi simple. Spielberg explique patiemment et intelligemment pourquoi l'avocat ne doit se préoccuper que de son client et non de l'opinion populaire. En faisant progressivement changer de paradigme le spectateur, Le Pont des Espions réussit à démontrer que le bien et le mal ne sont que le résultat d'un point de vue.

    Du coup, le long-métrage devient nettement plus intéressant dès que Donovan est confronté à ses propres concitoyens et collègues. On retrouve ici la volonté de Spielberg de toujours faire la part des choses et de ne pas tomber dans un manichéisme historique déplacé, ce qu'il avait déjà réussi à faire dans son excellent Munich. L'excellent jeu de Tom Hanks et, surtout, Mark Rylance, permet au spectateur de s'attacher aux deux personnages principaux sans pour autant nier la réalité de la situation historique. Si l'on aurait aimé davantage encore de jeux politiques, Spielberg se rattrape en ajoutant un troisième parti dans le Berlin des années 60, compliquant la donne et ajoutant une dose de suspense bienvenue au récit. Reste alors l'amitié entre Donovan et Abel, émouvante et juste, ainsi que - et pour poursuivre sa critique de la culture américaine et son hyper-patriotisme - le regard posé sur le destin du jeune Powers qui a quelque chose de très puissant. D'autant plus d'ailleurs qu'il n'est qu'effleuré et laissé à notre imagination. 

    Sans arriver à la cheville de ses meilleurs films, Le Pont des Espions arrive à compter parmi les bons Spielbergs. Porté par deux acteurs excellents et jouissant d'une mise en scène impeccable, le long-métrage peut surtout compter sur une critique maligne et roublarde de l'histoire américaine durant la Guerre Froide, posant un regard critique sur un passé moins manichéen qu'on voudrait nous le faire croire.
    Un très bon moment. 

    Note : 8/10

    Meilleure scène : James Donovan regardant la façon de mettre Rudolf Abel dans la voiture des soviétiques

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