• [Critique] Le Secret de Kanwar

    [Critique] Le Secret de Kanwar


    Inconnu en France, Anup Singh signe avec Qissa, the tale of a Lonely Ghost (stupidement traduit par Le Secret de Kanwar...) son second film. Le réalisateur indien porte son dévolu sur une question cruciale et extrêmement sensible dans la société Indienne : la place de la femme. Il confie son rôle principal à Irrfan Khan, l’excellent acteur de The Lunchbox ou L’odyssée de Pi, qui donne ici la réplique à la jeune actrice Tilotama Shome. Véritable portrait de l’Inde post-partition, Qissa est également une histoire profonde entre un père et sa fille. Sorti un peu en catimini en France, le long-métrage mérite pourtant une bien meilleure visibilité que nombre de films actuellement à l’affiche...

    Nous sommes en 1947 et les Indes se scindent en deux parties distinctes : Le Pakistan, musulman, et l’Inde, Hindouïste. Alors que de terribles nettoyages ethniques ont lieu dans le Penjab, Umber Singh, un sikh, décide d’abandonner sa maison et de passer dans les territoires Indiens pour mettre sa famille à l’abri. Sa femme vient d’accoucher de son troisième enfant... une troisième fille. Alors que la vie reprend petit à petit son cours dans la nouvelle demeure familiale, une nouvelle naissance approche. Umber décide alors de faire une chose aussi extrême que folle : nier le sexe de son dernier enfant, encore une fois une fille, et de l’appeler Kanwar. Cachant au monde sa nature féminine et l’élevant comme un garçon, Umber se voit contraint à de nouvelles extrémités lorsque Kanwar arrive à l’adolescence et que l’inévitable mariage approche avec Nelli, une gitane.

    Pour aborder un sujet aussi épineux, Anup Singh décide d’ajouter une touche de fantastique à son film. Le métrage s’ouvre sur les cent pas effectués par le fantôme d’Umber Singh, ressassant inlassablement sa faute passée. La suite reste plus classique et revient en arrière, lors de la fuite de Singh à travers le Penjab. Disons-le clairement, Qissa n’est pas du tout le récit des massacres ethniques de cette période, ils ne sont qu’entrevus et servent de point de départ à l’histoire du patriarche et de sa famille. Tout se concentre en réalité sur la décision incroyable d’élever le quatrième enfant comme un garçon alors qu’il s’agit en réalité d’une fille. Avec une précision et une justesse absolues, Anup Singh amène cette réalité toute indienne devant les yeux occidentaux de ses spectateurs. Dès lors, le récit ne parle plus que de la relation père-fille contrariée et de la douleur de Kanwar, qui comprend, petit à petit, l’horreur de la supercherie. Cette plongée en apnée dans une société qui confine la femme à un rôle dégradant dénonce une réalité terrible et poignante.

    Non seulement Kanwar se retrouve étranger dans son propre corps qu’il ne peut pas accepter décemment – son père et sa famille l’ont toujours traité en garçon – mais en plus, il doit supporter une impossibilité de développer une relation mère-fille convenable. Hantée par le poids de la culpabilité – outre Umber Singh, elle seule connaît le secret de Kanwar – elle évite sa fille et se retrouve incapable de s’opposer à la folie de son mari. C’est la stupeur qui règne dans le long-métrage, la stupeur du spectateur devant les extrémités auxquelles se plient Umber, des petits mensonges aux véritables outrages, rien n’est épargné à l’identité profonde de Kanwar. De ce fait, la relation avec son père, ombre écrasante et étouffante, a quelque chose d’extrêmement dérangeante, tant Kanwar veut rendre fier ce dernier qui nous apparaît pourtant comme un monstre. Anup Singh dénonce une société qui non seulement condamne les femmes à un rôle de « fardeau » – elles ne sont qu’un poids pour une famille, puisqu’il faudra épargner pour la fameuse dote – mais qui en plus, arrive à gommer l’aspect humain du mariage, simple tractation entre familles qui décide quasiment de l’avenir des époux et de leurs parents. Le constat est terrible, le bilan de ce mode de pensée proprement horrifiant.

    Pour porter ces deux rôles complexes et délicats, Irrfan Khan et Tilotama Shoma, respectivement Umber et Kanwar, déploient un génie incontestable. Leur interaction apparaît sincère dès les premières minutes. Mais Rasika Dugal, Nelli, ne démérite pas non plus. La seconde partie du film fait toute la lumière sur le mal-être de Kanwar et développe un nouvel axe, celui d’un amour impossible entre des époux qui ont été dupés. C’est ici que le métrage prend son tournant le plus tragique et que la question de l’identité éclate au grand jour. Le personnage de Kanwar se déteste, n’arrive pas à accepter sa nature. Hanté par son père, il finira totalement absorbé par le mode de pensée qui l’a vu grandir... le détruisant définitivement. C’est à ce niveau, en toute fin du film, que le fantastique revient doucement. La séquence dans la mare ne laisse pourtant aucun doute sur la seule voie qui s’ouvre devant Kanwar, désormais écho funeste de son propre père.

    Qissa, A Tale of a Lonely Ghost, a tout du grand film. D’une justesse surprenante, brillamment interprété et surtout troublant portrait d’une Inde où la femme n’existe pas, le métrage captive en plus par son questionnement sur l’amour paternel et l’identité sexuelle.
    A découvrir absolument si le sujet vous intéresse un tant soit peu !

    Note : 8.5/10

    Meilleure séquence : Nelli qui tente de faire ressortir la féminité de Kanwar en l’habillant comme une femme, pour la première fois de sa vie.


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