• [Critique] Les nouveaux sauvages

    [Critique] Les nouveaux sauvages

    GOYA Meilleur film étranger en langue espagnole 2015
    Nommé Catégorie Meilleur Film en langue étrangère Oscar 2015

    Festival de Cannes 2014


    Sous le patronage de Pedro Almodovar, l'argentin Damien Szifron a créé la surprise dans le petit monde du cinéma. Présenté sur la Croisette cette année, son premier long-métrage intitulé Relatos salvajes (Les nouveaux sauvages en français) n'a pourtant rien de l'académisme recherché par les festivaliers. Comédie à sketchs grinçante, l'oeuvre de Szifron se divise en six segments de durées inégales portant chacun sur des personnages et une histoire différente. Mais contrairement à un film comme Infidèles, chaque récit est façonné par le même réalisateur. En découle forcément une plus grande homogénéité de propos d'une part, et de mise en scène d'autre part. Le métrage fut un tel succès critique qu'il a même reçu une petite consécration, celle de se retrouver nommé dans la catégorie meilleur film étranger des Oscars 2015 aux côtés de Timbuktu, Léviathan, Tangerines ou Ida.  Ce petit délice sauvage pourra-t-il vraiment plaire à tout le monde ?


    Les nouveaux sauvages s'ouvre sur le plus petit des segments de l'ensemble, à savoir Pasternak. Dans celui-ci, Szifron immerge directement le spectateur dans son univers caustique. Il arrive à faire virer avec une grande dextérité une discussion anodine mais sérieuse dans un grand n'importe quoi hilarant, mais surtout jouissif. Le ton est donné et tout ira crescendo par la suite. Le pari de l'argentin est simple : dresser en six tableaux un portrait de notre société moderne et au milieu, des hommes étouffés par une sauvagerie refoulée n'attendant qu'un simple déclencheur pour émerger. Pourtant, au lieu de choisir une voie traditionnelle pour ce genre de choses, c'est-à-dire le drame, le réalisateur se lance dans 6 courts/moyens-métrages comiques mais avant toute chose, méchamment impertinents. Au-delà des gros éclats de rire que suscitent les situations successives, Szifron transgresse et démasque. Si Pasternak procure un gros frisson de jouissance initial (et inattendu), il reste cependant tout à fait anecdotique.

    La suite elle, devient nettement plus excitante. A partir de son second segment, Las Ratas, où une serveuse tombe par hasard sur l'homme qui a pourri sa vie, Szifron tend à affirmer son message social. La vengeance, déjà entraperçue auparavant, occupe une grande place dans Les nouveaux sauvages. Un acte de faible la vengeance ? Pas pour Szifron. Un acte de courage, un acte de rébellion. Comme cette cuisinière qui va faire tomber les barrières morales pour punir le puissant qui se croit intouchable. Le résultat, drôle au possible, renferme aussi sa part de subtilité. Bien entendu, à ce stade, on ne va pas chercher très loin, mais l'argentin continue à hausser le niveau avec El mas Fuerte qui délaisse ce message de vendetta pour transformer deux chauffards ordinaires, aussi médiocres que détestables, en véritables bêtes assoiffées de sang. La surenchère dans la violence n'est pourtant pas gratuite. L'argentin continue à explorer la bestialité qui se terre en chacun, même le plus costard-cravate de ses compatriotes. La fin de ce segment, juste géniale, n'oublie jamais l'énorme dose d'ironie nécessaire pour faire passer les choses en "douceur". 

    Après ces trois premiers récits, on tombe davantage dans le moyen-métrage. Le quatrième segment, Bombita, revient sur la vengeance et la désobéissance en centrant son récit sur un expert en démolition, à l'existence des plus banales, qui se retrouve piégé dans un vrai dédale administratif digne de Kafka. Mais au lieu de la résignation, l'homme va finir par exploser et canaliser sa sauvagerie pour faire tomber l'establishment. Sous des allures comiques, Szifron charge notre passivité et appelle à la révolte. Bien sûr, c'est drôle, mais c'est avant tout grinçant et jouissif. Jouissif dans le sens que cet homme ordinaire devient en quelque sorte extraordinaire et que l'on rêve tous de l'incarner, puisqu'on a tous été piégé un jour par ce genre de situation où les lois, l'administration et l'autorité se liguent en dépit de tout bon sens. Au fond, la grande victoire de ce segment, c'est bien de nous titiller comme il faut, car malgré sa prévisibilité, Bombita joue surtout sur notre irrépressible envie de rébellion dans un monde insensé.

    C'est alors qu'arrive La Propuesta, le segment le plus réussi de ces nouveaux sauvages. Szifron renverse la vapeur et nous positionne du côté des méchants, des vrais. Il nous raconte la monstrueuse supercherie d'un homme riche pour sauver son fils qui vient de renverser une femme enceinte. Le récit est rageant, bien noir et avec cette dose d'ironie géniale qui le fait s’élever au-dessus de tous les autres. Le réalisateur argentin diminue le nombre d'éclats de rire dans la salle mais accentue drastiquement sa critique de la société moderne. Pouvoir de l'argent, corruption, inhumanité, tout y est. Au-delà d'une simple critique de la société moderne, le réalisateur livre ici une vision d'absolue noirceur de l'homme, prêt à vendre son âme à condition d'y mettre le prix. Si la réaction du patriarche acculé par un tas de requins plus retors les uns que les autres prête à sourire, on rit jaune au final devant cette cruelle réalité. Heureusement, Les nouveaux sauvages s'achève sur un récit un peu moins grave et bien plus délirant avec Haste que la muerte nos separe où la mariée découvre que son mari l'a trompée... le jour de son mariage. Le réalisateur prend alors un malin plaisir à déconstruire un des fondements de la culture moderne, tout en synthétisant les thèmes qu'il a mis en place tout du long : la vengeance, la bestialité et la transgression des normes. Un feu d'artifice en guise d'apothéose.

    Au final, Les nouveaux sauvages se révèle tout aussi brillant sur le plan de la mise en scène pure et simple que sur celui de sa construction scénaristique. Drôle, impertinent, méchant, cynique et bourré d'excellentes idées, le film de Damien Szifron s'affirme comme une vraie réussite. On l'imagine difficilement remporter les Oscars, tant il semble décalé par rapport aux goûts très traditionnels de l'académie, mais il reste le meilleur challenger au Léviathan d'Andrey Zvyagintsev pour le moment.
    Si vous souhaitez rire sans laisser votre cerveau à l'entrée de la salle, Les nouveaux sauvages est fait pour vous.

    Note : 8.5/10

    Meilleur segment : La Propuesta


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