• [Critique] Loin des hommes

    [Critique] Loin des hommes

    Daru enseigne dans la plus grande quiétude au cœur d'une vallée isolée de l'Atlas Algérien. Chaque jour, les enfants affluent à sa petite école pour apprendre et grandir ensemble.Malheureusement, l'arrivée du gendarme Balducci va rompre la paisible routine de Daru. Le bedonnant représentant de l'ordre amène avec lui un prisonnier, Mohammed. Accusé de meurtre, celui-ci doit être remis aux autorités françaises compétentes pour être juger. Dans l'incapacité de mener à bien cette mission faute de temps, Balducci confie Mohammed à Daru, officier de réserve. Malgré sa répugnance, la venue des habitants du village de Mohammed pour le punir va précipiter les choses et projeter les deux hommes sur une route dangereuse. Nous sommes en 1954, et le massacre de Sétif a mis le feu aux poudres. Daru et Mohammed vont traverser malgré eux une guerre entre algériens et français. D'une façon ou d'une autre, le destin des deux compagnons d'infortune se jouera sous le soleil d'une Algérie sur le point de s'embrasser.

    Le français David Oelhoffen livre avec Loin des hommes son second long-métrage après Nos Retrouvailles en 2006. Délaissant la cadre contemporain pour les années 50, le réalisateur s'aventure sur un sujet épineux, d'autant plus à l'heure actuelle. La guerre d'Algérie reste, malgré le nombre d'années écoulées, un thème difficile à explorer. Pourtant, Loin des hommes cache certains atouts dans sa manche pour arriver à se hisser hors de la masse. Outre ses deux excellents acteurs - Reda Kateb et Viggo Mortensen - le long-métrage peut aussi compter sur la singulière beauté des paysages algériens et la force peu commune d'Oelhoffen pour dépeindre une relation d'amitié inattendue dans un climat électrique. Loin des hommes pourrait-il être une bonne surprise ?

    On pensait que Loin des hommes serait un énième film centré sur la guerre d'Algérie. Cependant, David Oelhoffen prend le contrepied de cette attente. La grande force du long-métrage est de ne pas répondre à ce postulat qui voudrait qu'un film se situant dans les années 50 en Algérie devrait faire de la guerre d'indépendance du pays son point de mire. Au lieu de ça, le français décide de porter sa caméra sur deux hommes, Mohammed et Daru, deux personnages bien plus proches qu'on ne pourrait le penser de prime abord. Ceux-ci peuvent compter sur l'excellente prestation des deux acteurs retenus pour les incarner. D'abord, Viggo Mortensen dont le talent n'est plus depuis longtemps sujet à caution et qui le démontre une fois de plus en affichant de surcroît une impressionnante maîtrise de la langue française. Ensuite, Reda Kateb, un des acteurs français les plus discrets mais qui monte de films en films. Il constituait déjà un des points forts d'Hippocrate, mais il confirme dans Loin des hommes tout le bien que l'on pouvait penser de lui en composant un personnage fragile et humain au possible. L'alchimie entre les deux acteurs opère immédiatement, si bien qu'ils s'effacent derrière leurs personnages.

    Ces deux portraits d'hommes brisés, l'un par la guerre l'autre par la violence, permet de donner une autre dimension à Loin des hommes. Même si Mohammed et Daru rencontrent les indépendantistes et l'armée française à un moment, ils ne font que traverser la guerre. Oelhoffen donne ici l'impression que deux hommes sains d'esprits évoluent dans un monde peuplé de fous. Il renvoie dos à dos les deux camps, entre les français qui tirent sur des prisonniers de guerre parce qu'ils en ont reçu l'ordre et les algériens prêts à tuer une personne qu'il considérait il y a encore peu comme un frère. La guerre transforme les hommes en bêtes et Oelhoffen le montre brillamment mais n'en fait pas son thème majeur, conscient que d'autres bien plus talentueux sont passés par là avant lui. Il poursuit tout du long une quête de sens pour Mohammed et Daru, chacun piégé dans une destinée qui semble sans issue.

    La cruauté des événements et le poids des traditions jouent pour beaucoup dans le destin des principaux protagonistes du métrage. Oelhoffen sait ménager ses effets et parler sobrement de cette inéluctabilité du destin qui culmine avec deux scènes d'adieux, aussi réussies l'une que l'autre. Celles-ci prenne une envergure d'autant plus importante que le réalisateur prend soin de garder une certaine pudeur, notamment lors de la seconde, laissant des non-dits toucher bien plus que de longs discours. L'humanité des personnage finit en réalité par rejaillir sur le film tout entier et apporte une mince lueur d'espoir à ceux qui, aujourd'hui, désespèrent de voir le monde autour d'eux devenir fou. Loin des hommes semblent dire que de tout temps, il reste des oasis de valeurs humaines qui dépassent les conflits, les traditions et les intérêts. Par ce message, Loin des hommes marque durablement le spectateur. On aimerait voir plus d’œuvres de ce calibre, de ce genre de films qui savent replacer l'humain et l'intime au premier plan, même dans la plus grande folie, tout en oubliant pas la mélancolie des temps plus cléments.

    Le long-métrage de David Oelhoffen prouve qu'il reste encore et toujours des voix captivantes et talentueuses dans le cinéma français même si elles tendent à se faire écraser par une masse alarmante de films grand public insipides. Grâce aux prestations d'une grande justesse de Reda Kateb et de Viggo Mortensen mais aussi à la sobriété et à l'intelligence de son récit, Loin des hommes apporte une bouffée d'air frais. Un très beau film.

    Note : 8.5/10

    Meilleures scènes : Les deux adieux / La conversation dans la grotte sur les femmes

    Meilleure réplique : "Je t'aime comme un frère mais si demain je dois te tuer, je le ferai sans hésiter"


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 6 Février 2015 à 16:47
    Vert

    Beaucoup aimé aussi ce film. Et j'ai beaucoup aimé la façon dont on apprend petit à petit le passé des personnages (qu'on aurait pas forcément deviné au début d'ailleurs).

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    2
    Vendredi 6 Février 2015 à 23:20

    Oui, notamment autour de Daru, un très très beau personnage.
    On  m'a aussi fait remarqué que c'est adapté d'un texte de Camus, donc ceci explique aussi peut-être cela.

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