• [Critique] Ma Loute

    [Critique] Ma Loute

    "Mais qu'est-ce que c'est que ce film ? " vont certainement s'exclamer un grand nombre de spectateurs en allant voir le dernier long-métrage de Bruno Dumont (le huitième déjà depuis La Vie de Jesus en 1997).
    Avec son casting de grosses stars françaises - Luchini, Binoche et Bruni-Tedeschi - largement (et forcément) mis en avant sur l'affiche, Ma Loute replonge dans ce qui avait fait le succès de la série P'tit Quinquin du même Bruno Dumont : la comédie policière grotesque ancrée dans le Nord de la France. Passionné par cette région où il a vu le jour, le cinéaste n'a donc toujours pas fini de lui rendre hommage...à sa manière du moins. Parce que Bruno Dumont reste Bruno Dumont. Ceux qui ont vu des films aussi radicaux qu'Hors Satan ou Camille Claudel le savent déjà, le réalisateur n'est pas un des tâcherons habituels du cinéma français. C'est même tout le contraire. Du coup, quand on va voir Ma Loute, ce n'est certainement pas à une comédie lambda et médiocre comme Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? qu'il faut s'attendre. Accrochez-vous à votre siège (des fois que vous prendriez la tangente par les airs) et bienvenue en 1910 sur une côte d'Opale où le disparitions s'accumulent...

    Pour y mettre un terme, les forces de l'ordre ont sorti l'artillerie lourde avec l'inspecteur Alfred Machin, bedonnant policier aux intuitions pour le moins étonnantes. Tandis que les cueilleurs d’huîtres - et plus particulièrement la famille Brufort - vaquent à leurs occupations, la famille Van Peteghem prend ses quartiers d'été dans leur luxueuse demeure de style égyptien. Parmi eux, Billy, la fille d'Aude Van Peteghem tombe nez à nez avec Ma Loute, l'aîné de la famille Brufort. Devant son charme...animal (au moins), une histoire d'amour débute dans les dunes. Des dunes de moins en moins sûres à mesure que les mystérieuses disparitions s'accumulent ! Voici peu ou prou le postulat de départ de Ma Loute, comédie loufoque et haute en couleur née de l'esprit pas tout à fait sain, mais carrément génial, de Bruno Dumont. Autant vous dire que si vous n'avez que de la haine et du mépris pour son P'tit Quinquin...Ma Loute ne va rien arranger. 

    En lieu et place de l'humour grassouillet et franchouillard bas de gamme habituel, Dumont saute à pied joint dans le grotesque, au sens noble et premier du terme. Les acteurs surjouent avec bonheur, les gags se multiplient sans aucun contrôle, l'intrigue explose toutes les limites communément admises par la comédie classique à la française, et la région du Pas-De-Calais (y'en a pas que pour le Nord non plus !) s'apprécie à l'aune de traits caricaturaux comme pas possibles. Pourquoi faire un film qui viendrait méthodiquement briser les à priori sur la région (et passant aussi à côté des tares de la dites région) quand on peut prendre le slogan Consanguins, chômeurs, alcooliques au pied de la lettre et, mieux encore, aller beaucoup plus loin ? Non seulement les habitants du Nord sont des consanguins, des imbéciles et des alcooliques notoires dans Ma Loute mais en plus ils sont cannibales ! Rien que ça. Dumont ne recule devant aucun cliché, se les réapproprie dans son jeu burlesque délicieux, les magnifie et les incruste dans son intrigue absurde au possible. Le résultat, pour qui comprend un tantinet le but du réalisateur et son second degré, s'avère à mourir de rire. De surcroît dès que les acteurs ouvrent la bouche.

    On espère pour les autres régions que Ma Loute sera sous-titré...parce que comprendre les Nordistes qui parlent le ch'ti en l'écrasant bien comme il faut n'est pas une mince affaire. C'est aussi (et surtout) atrocement drôle. Ma Loute serait-il donc juste une parodie de la région et, par la même occasion, d'une enquête policière (dont on a la solution après vingt minutes de toute façon !) ? Absolument pas. Non seulement Ma Loute est superbement réalisé grâce au talent incroyable de Dumont pour croquer sa région, les dunes et tout ce qui fait le charme étrange de ce coin de la France, mais aussi parce que derrière son vernis de débilités se terre un film dense et intelligent au possible. On retrouve deux clans dans Ma Loute : les pauvres de la famille Brufort, bruyants, écœurants et, pour tout dire, moches comme pas permis, et la famille Van Peteghem, riche, parlant avec une emphase ridicule, à cheval sur les convenances et imbu d'elle-même. Le petit peuple du Nord d'un côté, et sa bourgeoisie de l'autre. Entre ces deux groupes, le trait d'union Ma Loute/Billy qui vacille forcément montrant l'impossible réunion des deux mondes. Dumont va plus loin d'ailleurs en mettant tous les acteurs connus du côté des bourgeois et les inconnus de l'autre. Directeur d'acteurs brillant, il métamorphose Luchini pour notre plus grand plaisir et nous livre en pâture une Binoche plus maniériste que jamais. Chaque détail a son importance dans Ma Loute.

    La pauvreté, la force du surnaturel et du deus ex machina, la romance tragique, la débilité policière et même l'ascendant générationnel, tout concourt à faire de Ma Loute une comédie à part. Le genre d'objet indescriptible et fou qui prend toutes les libertés et emmerde à peu près tout le monde pour faire ce qu'il veut avec une grosse dose de talent par dessus. La puissance du cinéma de Dumont se niche là-dedans, dans cette capacité à faire croire au public qu'il va se plier au Diktat de l'industrie grand public en engageant des acteurs émérites pour livrer en fait quelque chose de dingue. De salvateur en somme pour les neurones et pour l'amour du beau cinéma. Reste juste à comprendre que cette peinture mi-comique mi-réaliste de sa propre région permet autant à Dumont de déclarer une nouvelle fois sa flamme au Nord (et de façon tellement plus inventive que des navets comme Bienvenue chez les Ch'tis) tout en restant lucide sur le clampin de base, franchement pas finaud. De toute façon, il faut des deux au long-métrage pour pleinement s'épanouir. 

    Brillante réussite, délirante et grotesque, intelligente et loufoque, Ma Loute démontre que Dumont peut plier la comédie à sa volonté. Il ne s'agira certainement pas du film qui réconciliera le grand public avec le cinéaste, mais au fond, est-ce vraiment l'important ? Le cinéma, lui, le remercie. 
    A consommer sans modération (et avec autodérision pour les Nordistes)

    Note : 9/10

    Meilleure scène : Le premier repas de la famille Brufort

    Meilleure réplique : 

    "Votre beau-frère, c'est aussi votre cousin ?"
    "Oui, c'est moderne, c'est capitaliste !"
     

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  • Commentaires

    1
    DixMoinsNeuf
    Lundi 6 Juin 2016 à 23:39

    Un film ni loufoque (en ce cas, pauvre Pierre DAC), ni surréaliste (en ce cas pauvre André BRETON),

    mais une lourdeur épaisse qui suinte. Tout trait qui se voudrait humoristique est gaspillé par une méchanceté style "DesChiens".

    A éviter absolument (car particulièrement long en plus).

    2
    captain destroy
    Vendredi 4 Novembre 2016 à 17:03

    TRES CERTAINEMENT LE FILM LE PLUS CON DE L' ANNEE

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