• [Critique] Masaan

    [Critique] Masaan

    Parmi la sélection toujours très éclectique de la section Un Certain Regard de Cannes, nous avons eu droit cette année encore à quelques belles choses. Outre le Cimetery of Splendour d'Apichatpong Weerasethakul ou Vers l'autre rive de Kiyoshi Kurosawa, c'est le jeune réalisateur indien Neeraj Ghaywan qui fut le candidat indien à la Caméra d'Or avec son second long-métrage : Masaan. Depuis quelques temps, on peut découvrir d'excellents films venus d'Inde dans les salles de cinéma. On se souvient par exemple du joli The Lunchbox ou du sublime documentaire Kumbh Mela. Drame et film social tout à la fois, Masaan prouve une nouvelle fois que le cinéma indien a encore beaucoup de choses à offrir.

    L'action de Masaan prend place à Bénarès au bord du Gange. Devi a pris une grande décision, celle de faire l'amour pour la première fois avec un jeune homme qu'elle a rencontré récemment. Pour que les choses se fassent discrètement, les deux amoureux se donnent rendez-vous à un petit hôtel. Malheureusement, la police débarque sans crier gare et menace de les humilier publiquement en révélant la relation à leurs parents respectifs. Désespéré, le jeune amant de Devi se suicide et l'inspecteur Mishra rencontre le père de Devi, Pathak. Il menace alors de tout dévoiler publiquement si Pathak ne lui paye pas une somme colossale, surtout par rapport au modeste emploi de vendeur sur les ghâts. Dans le même temps, Deepak tombe éperdument amoureux de Gupta, une fille appartenant malheureusement à une caste supérieure. Dans la cité sainte, les destins se croisent au milieu des bûchers funéraires et des célébrations entraînant Deepak, Pathak et Devi dans un tourbillon de drames et de joies. 

    Masaan pourrait facilement être qualifié de film-choral. Il expose en effet trois destins différents. Chaque fil narratif de Neeraj Ghaywan convoque une préoccupation moderne sur la société indienne. Dans le segment consacré au drame vécu par Dévi, Neeraj montre un visage sombre de son pays. Flics corrompus, poids des rumeurs et de la réputation, place de la femme dans la société, le réalisateur dépeint quelques-uns des problèmes majeurs accablant l'Inde et qui semblent, pour certains, presque anachroniques. Il décrit avec force et justesse le poids écrasant de l'honneur pour la famille indienne et comment, en quelques minutes, tout peut basculer dans le drame. Au-delà de cette peinture sociale au vitriol, Ghaywan fournit un aperçu convaincant des traditions indiennes et de l'organisation de ses classes.

    C'est d'ailleurs là l'élément majeur du second arc narratif, celui de Deepak, où le cinéaste construit une très belle histoire d'amour pour mieux pointer du doigt les difficultés qu'engendrent le principe des castes dans la société indienne moderne. Concept plus archaïque mais finalement très proche des classes sociétales occidentales, le système de castes semble enfermer les individus dans des cases où un plafond de verre les maintient prisonniers. L'histoire entre Deepak et Gupta prouve que rien n'est cependant immuable. Enfin, le cinéaste aborde une des caractéristiques les plus tristes et étonnantes de l'Inde, à savoir la pléthore d'orphelins livrés à eux-mêmes et qui, pour survivre, assument tous les menus travaux qu'ils peuvent trouver. La subtile relation qui se noue entre Pathak et son petit travailleur représente à ce sujet une belle réussite.

    Plus qu'une simple critique sociale, Masaan est un film-portrait. Un cliché instantané d'une heure quarante sur l'Inde d'aujourd'hui tiraillée entre modernisme et tradition, entre amour et haine. Le long-métrage impressionne à la fois par sa mise en scène flirtant parfois avec la plus belle des poésie (les ballons s'envolant un soir de fête) mais également par son casting impeccable où le plus vieux protagoniste, Sanjay Mishra, tire encore mieux son épingle du jeu que les autres, surement grâce à un rôle plus nuancé et plus profond. La force du long-métrage réside donc dans ce réalisme capturant l'âme indienne dans son ensemble avec ses bûchers funéraires, ses ghâts, ses castes, ses innombrables dieux et traditions... Sur ce point précis, plus encore que sur les autres, Masaan est une grande réussite. Cela malgré la prévisibilité d'une fin qui ne sonne nullement comme un twist mais comme une nouvelle chance redonnant espoir au spectateur comme aux protagonistes du récit. 

    Neeraj Ghaywan signe avec Masaan un film beau et touchant, où les personnages marquent et où les drames ne parviennent pas à éclipser la beauté d'un pays unique. Tout autant peinture sociale que critique acerbe des maux qui rongent l'Inde moderne, le long-métrage est une réussite.
    Une de plus parmi la nouvelle vague des films venus d'Asie.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Les bûchers funéraires sur les ghâts en pleine nuit.

     

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