• [Critique] Nocturama

    [Critique] Nocturama

     

    Ils sont sept jeunes français, de toute origine, de tout horizon. 
    Rien ne devrait les réunir. Du moins rien en apparence. Ces sept jeunes vont pourtant commettre un attentat au cœur de Paris en combinant leurs efforts. Un coup de semonce contre la société capitaliste qui les a oublié et qu'ils ne supportent plus. 
    Minutes après minutes, les choses se mettent en place, l'inéluctable s'annonce avec force. Pour échapper au châtiment policier, ils s'enferment alors dans un grand centre commercial au cœur de la capitale. Et là...les choses changent, les révolutionnaires tombent le masque. 

    Bertrand Bonello s'était déjà fait fortement remarqué avec L'Apollonide et, davantage encore, avec Saint-Laurent. Acclamé pour sa mise en scène, le réalisateur français s'attaque cette fois à tout autre chose. Un sujet brûlant et délicat. Il choisit en effet de filmer des attentats au cœur de Paris, sombre réminiscence du Bataclan pour nombre de spectateurs. Inspiré très librement par le Glamorama de Brest Eastin Ellis, Nocturama nous entraîne dans notre monde au travers des yeux de plusieurs jeunes désenchantés. La violence de son sujet ne doit pourtant pas faire perdre de vue que Bonello ne se résume pas à un cinéma d'apparat. Pas de vide dans Nocturama mais une densité narrative qui sait gérer le silence et mettre en exergue les contradictions.

    Le métrage se divise en deux. 
    D'abord, on suit les actions de plusieurs jeunes au cœur de Paris que rien ne semble lier de prime abord. Dans le plus grand silence, avec quelques lignes de dialogues discrètes au possible, Bonello filme la préparation d'un attentat. Dans des lieux à la banalité surprenante, dans un métro, dans un hôtel, dans la rue en fait. Sa caméra colle ses personnages, abuse du plan-séquence et des travellings pour figurer un labyrinthe urbain où le spectateur finit par se perdre. Dans ce monde très froid, le réalisateur met en scène un ballet mortel, un ballet où les humains deviennent des bombes en puissance, des tueurs de sang-froid, des êtres prêts à tout pour faire basculer le monde autour d'eux.

    Dans cette première partie, Bonello ne dissémine que peu de sous-texte politique. C'est à peine s'il montre quelques coupures de presses sur la suppression d'emplois ou les ravages du capitalisme moderne. A peine s'il explique pourquoi ces jeunes ont décidé de tout faire péter. Et il a raison. La seule séquence du déjeuner aurait même pu suffire, quand deux jeunes de Sciences-Po expliquent une dissertation sur les régimes totalitaires et dressent, sans le dire, le plan du film dans son entièreté. Bonello est malin, il n'a pas besoin d'assommantes lignes de dialogues pour démontrer son théorème. Il postule qu'au fond, le spectateur sait. 
    Et oui, le spectateur sait.

    Tout comme saura aussi cette étrange inconnue sur une place déserte qui dit à David que "ça devait arriver, c'était obligé". Cela semble inévitable, évident même, et pas besoin de l'expliciter pendant des heures. Le premier tour de force de Bonello, c'est de faire montrer cette évidence révolutionnaire, cette nécessité de révolte. Du coup, on pourrait croire que Nocturama serait un autre film incitant à la révolution. Sauf qu'il change du tout au tout dans sa seconde partie filmée en huit-clos dans un centre-commercial. A ce moment-là, Bertrand Bonello nous fait pénétrer dans l'intimité de ces personnages-fantômes qu'il nous a fait suivre auparavant. On pourrait alors s'attendre à de grands discours, à des envolées révolutionnaires.

    Mais non.
    Tout ce beau monde, qui semblait vouloir tant et pouvoir tant, ne fait rien. Nos jeunes révolutionnaires redeviennent des gosses ne se préoccupant en réalité que de jeux vidéos, de karting, de vêtements et d'autres choses triviales. Pire, ils deviennent dans cette partie tout ce qu'ils détestent : des consommateurs. Nocturama prend des allures de film désabusé, non seulement sur la société capitaliste qui broie l'humain, mais aussi et surtout sur l'inanité des révolutions. A quoi sert-il de se rebeller si ce n'est pour être que...ça. Cependant, soyons justes, Bonello ne nous dresse pas un portrait au vitriol de ses personnages, il ne cherche pas à les avilir. Il cherche à nous faire voir en quoi ils se révèlent d'une banalité tragique. Alors qu'au dehors on parle d'ennemis d'état, de terroristes sanguinaires...le spectateur voit des gamins. De simples gamins à la médiocrité banale, qui tentent de se rebeller, de s'affirmer mais ne poussent pas la chose comme il faut, qui sont piégés dans une société de consommation qu'ils haïssent pourtant. Le contraste entre intérieur/extérieur s'avère d'ailleurs saisissant. Dans le magasin, on pourrait presque croire que la vie quotidienne continue, le silence règne. A l'extérieur, Paris est une ville-morte arpentée par les sirènes, sorte de fresque apocalyptique en noir et blanc. 

    Reste alors la fin, brutale et sans concession, qui apporte encore davantage de questions au sujet exploré par Bonello. Y-a-t-il vraiment une issue ? Quand on tue des gamins sans se poser de questions ? Quand, justement, on ne se pose plus de questions. Nocturama laisse un goût de cendres, le cinéaste français ne transigeant pas avec son matériel politique et nous refilant une bombe à méditer. Un film d'autant plus atypique qu'il fait entrer en collision la fougue de la jeunesse et le regard désabusé des vieux de la vieille qui ont vu tant de révolutions échouées dans la médiocrité de ses instigateurs. 
    Nocturama mérite franchement toute votre attention.

    Note : 9/10

    Meilleure scène : La discussion du café - L'assaut vu par les caméras

    Meilleure réplique : C'est facebook qu'on aurait du faire péter.

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