• [Critique] Paprika

    [Critique] Paprika

    Dans un futur plus ou moins proche, un nouveau type de traitement psycho-thérapeutique a été  inventé. Pour guérir les patients de leurs névroses et traumatismes, des personnes spécialement entraînées pénètrent dans les rêves de leurs clients pour exposer leurs peurs et les résoudre. Pour se faire, ils ont recours à une technologie révolutionnaire, la DC Mini, inventée par deux scientifiques : le Dr Kosaku Tokita, un génie obèse aux tendances enfantines, et le Dr Atsuko Chiba, plus réservée et bien plus mature. Encore en phase de test, la DC Mini est utilisée par Chiba pour pénétrer l'inconscient du commissaire Toshimi Konakawa, un ami de Toratarō Shima qui dirige l'équipe testant cette technologie onirique. Tout se passe pour le mieux jusqu'à ce que plusieurs prototypes de DC Mini soient volés et que les choses dérapent. Capable de pénétrer dans les rêves des autres, le voleur s'en prend à l'équipe scientifique et les pousse vers la folie. Bien vite, la réalité et le monde des rêves s'entrelacent, risquant de tuer les patients voir de détruire complètement le monde réel. Le temps est compté pour Atsuko Chiba qui va tenter de reprendre les choses en main grâce à son alter-ego facétieux évoluant dans la dimension onirique : Paprika.

    Si tous les amateurs d'anime connaissent le nom de Satoshi Kon, il n'en est pas de même du commun des mortels vivant en Occident. Considéré comme un des plus grands génies de l'anime japonais, Satoshi Kon arrive rapidement au poste convoité de réalisateur après avoir travaillé sur quelques OAVs mineurs. Son premier film, Perfect Blue connaît immédiatement un fort succès et décroche même quelques récompenses. Fort de cette réussite, Satoshi Kon désire adapter le roman Paprika de Yasutaka Tsutsui. Seulement voilà, faute d'obtenir les fonds nécessaires et suite à la faillite de l'entreprise de production, Paprika est mis au placard. Il faut attendre 9 ans pour que le réalisateur japonais puisse disposer des moyens nécessaires pour accomplir son rêve. Après Millenium Actress et Tokyo Godfathers, Satoshi Kon adapte enfin Paprika sous la forme d'un anime d'une heure trente. Énorme succès critique, le long-métrage parvient même à concourir pour le fameux Lion d'Or de la Mostra de Venise (qu'il n'obtient évidemment pas). Malheureusement, Satoshi Kon décède en 2010 des suites d'un cancer du pancréas, fauché en pleine gloire. Pourtant, son film-somme, Paprika, a attiré le respect d'un grand nombre de réalisateurs, allant jusqu'à très largement inspirer le fameux Inception de Christopher Nolan. Revenons donc quelques instants sur ce petit bijou encore trop méconnu.

    Sans préavis, Satoshi Kon lance le spectateur en plein milieu de son univers psychédélique. L'entrée en matière de Paprika nous jette dans l'inconscient de l'inspecteur Konakawa, délivrant immédiatement des images fabuleuses et folles sans aucune explication. Première évidence, Paprika possède un style et un aspect graphique époustouflants. Véritable joyaux d'animation magnifié à la fois par les folies visuelles de Satoshi Kon mais également par la tendance manifeste du film à abuser des couleurs criardes, le métrage s'avère rapidement un pur délice pour les yeux. Rares sont les films d'animation occidentaux à atteindre une telle qualité. Ce n'est d'ailleurs pas le seul aspect de Paprika qui écrase la production occidentale. Avec une maturité exemplaire, Paprika s'aventure sur un terrain que l'on pourrait croire miné : celui des rêves et de la perception.

    Loin d'être un film pour enfants, Paprika tisse un scénario aussi retors que machiavélique. Si l'on se perd même en chemin à plusieurs reprises, c'est un réel bonheur d'arpenter l'esprit labyrinthique du réalisateur. Construit entièrement sur la manipulation des rêves, Paprika va bien plus loin qu'Inception le fera par la suite. Ici, les événements ont réellement un côté aléatoire et complètement fou. Les choses les plus improbables se passent devant nos yeux : parade de frigos et poupées géantes, explosion de corps en milliers de papillons, transformation en sirène ou en chimère...bref nous sommes bel et bien dans le monde du rêve avec toute l'absurdité et le non-sens que cela peut suggérer. Enfin, presque. Au-delà de ces apparences délirantes, Paprika cherche constamment à faire passer des messages, à orienter son intrigue grâce aux étrangetés qui défilent à l'écran. Satoshi Kon ne laisse rien au hasard, bien au contraire, tout est calculé pour se fondre dans l'intrigue globale. 

    Et quelle intrigue ! Paprika adopte d'abord la forme d'un film policier (l'enquête sur le vol du DC Mini) pour totalement exploser les limites de ce genre par la suite et les confondre avec la science-fiction ou le fantastique. L'énigme principale passe au second plan au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête pour une réflexion extrêmement poussée et stimulante centrée sur la perception de la réalité. Qu'est-ce que la réalité en définitif ? Qu'est-ce qui définit le monde réel ? Les alter-ego imaginaires des protagonistes viennent brouiller les cartes, Paprika devenant presque plus réel que Chiba au gré des péripéties du récit. La dichotomie réel/rêve s'évapore dès que Satoshi Kon abat le filtre poreux entre les deux dimensions. Dès lors, Paprika devient un film tortueux et dingue. Difficile de dire si l'on est dans le réel ou le rêve. Entre les traumatismes du commissaire Konakawa (extrêmement bien pensés et mis en scène) et les non-dits entre Atsuko et Kosaku, le film se fait labyrinthe. Malgré son apparente froideur, Paprika recèle des trésors d'imagination et, parfois, d'émotions. Il suffit de voir cette séquence poignante où Atsuko avoue ses sentiments. "Elle rêve" nous dit Paprika. Et le spectateur avec elle.

    Cette tendance de Paprika à brouiller les pistes et à entretenir le doute jusqu'au bout ne sera pas sans rappeler au spectateur occidental la fameuse toupie d'Inception. Un film qui perd beaucoup de sa superbe après avoir visionné le joyaux de Satoshi Kon. Tout ce qui avait fait l'originalité d'Inception se trouve déjà là et de façon bien plus débridée et convaincante. De surcroît, Paprika hante longtemps son spectateur. Questionnant notre rapport aux apparences, le long-métrage paraît bien plus pertinent que le film de Nolan, cela sans avoir recours à de grandes explications. Evidemment, on pourrait arguer que le manque d'informations - au début notamment - rend le film un poil hermétique. Seulement voilà, un rêve n'est jamais très clair, il faut creuser, chercher, taquiner son inconscient. Au fond, Paprika ne fait que retranscrire la réalité dans toute son irrationalité. N'est-ce pas plus authentique de cette façon ?

    Véritable pépite de l'animation japonaise, à ranger quelque part entre Ghost In The Shell et Akira, Paprika questionne, passionne, agace et fascine. Le dernier film de Satoshi Kon fait partie de ces OVNIs salutaires où le psychédélisme attaque le rationnel et où l'imagination ne connaît aucune barrière.
    Indispensable tout simplement. 

     

    Note : 9.5/10

    Meilleure scène : Chiba/Paprika soutenant le robot de Tokita

     

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