• [Critique] Silence

    [Critique] Silence

     On ne présente plus Martin Scorsese, réalisateur américain incontournable à la carrière jalonnée de grands films inoubliables. Trois ans après Le Loup de Wall Street, Scorsese revient à un genre plus sage, celui du récit historique. Avec Silence, projet de longue date du cinéaste, il adapte le roman éponyme de Shusaku Endo se déroulant dans le Japon du XVIIème siècle en proie aux persécutions de la minorité chrétienne. Emmené par Andrew Garfield - décidément très en vogue ces derniers temps puisqu'il était également à l'affiche du Hacksaw Ridge de Mel Gibson - et Liam Neeson, Silence se penche sur la question de la foi. Superbement ignoré à la prochaine cérémonie des oscars, le long-métrage n'a pourtant pas à rougir de la concurrence. Sur près de 2h40, Martin Scorsese nous transporte dans le temps pour revivre le chemin de croix du père Sebastião Rodrigues.

    Silence n'a cependant rien d'un film facile, à l'image des souffrances endurées par les chrétiens de cette sombre période. Immédiatement, Scorsese affirme sa maîtrise absolu sur le plan formel par une introduction dans les brumes de toute beauté. La voix-off, omniprésente de bout en bout, nous fait pénétrer dans l'esprit torturé des différents prêtres qui traversent le film. C'est avec le père Ferreira que l'on commence Silence mais c'est rapidement avec le père Rodrigues que l'on continue à explorer ce Japon effrayant. Bien décidé à éradiquer la religion chrétienne de leur île, les autorités japonaises, menées par l'impitoyable inquisiteur Inoue, vont torturer les croyants mais également les prêtes. Leur but est simple : l'apostasie. Réduire au néant le culte chrétien et restaurer la tradition. Au milieu de ce carnage abominable, Les pères Rodrigues et Garupe débarquent du Portugal pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, dont on dit qu'il a apostasié et qu'il vit désormais comme un authentique japonais. Confronté à l'immense souffrance des chrétiens de l'île, Rodrigues et Garupe vont durement éprouvés leur propre foi.

    ...Et le spectateur aussi. Silence n'est pas le Loup de Wall Street. Il n'est pas un film facile d'accès ou même divertissant. Silence est une épopée introspective dans la tête du père Rodrigues. Scorsese livre un métrage à la fois bavard - par l'intermédiaire des voix-off - et taiseux - par l'absence de dialogues entre les personnages à l'écran une bonne partie du temps. Il raconte le chemin de croix à la fois d'une figure christique et d'un avatar de Pierre (qui renia le Christ justement). Le père Rodrigues (et par extension le père Ferreira) synthétise en eux une bonne part de ces deux personnages bibliques et incarnent à eux seuls la souffrance des chrétiens de l'époque mais également le dilemme théologique qu'est celui de renier sa propre foi. Sur près de 2h40, Silence prend donc un temps fou (certainement trop long par ailleurs) pour raconter, en somme, la souffrance morale et physique. 

    Pour se faire, c'est Andrew Garfield qui va tenir le film sur ses épaules. Tout le long-métrage s'intéressant au calvaire enduré par le père Rodrigues, la prestation de Garfield devient dès lors essentiel. Peut-être un peu trop jeune encore pour ce rôle (qu'on aurait en fait bien plus imaginé pour son partenaire sous-exploité à l'écran, l'excellent Adam Driver), l'américain s'en tire plutôt bien parvenant même parfois à susciter de vrais instants d'émotions (on pense à la séquence de la plage ou aux Adieux à Mokichi).A l'instar de ce héros, le film de Scorsese fait souffrir le spectateur. Il est lent, répète sans cesse la torture et la souffrance, et ne semble jamais vouloir dévier de cet axe de réflexion. Pour cause d'ailleurs, puisque tout l'histoire elle-même parle de résilience, de courage et de lutte spirituelle.

    Il faut donc immédiatement avouer que si le sujet ne vous passionne guère de base, Silence sera certainement une épreuve pour vous. Cependant la mise en scène toujours aussi épatante de Scorsese ainsi que sa reconstitution minutieuse du Japon de l'époque forcent le respect. Silence nous embarque dans un autre temps, plus noir, plus désespéré mais aussi, et certainement, plus courageux à bien des égards. Authentique leçon de bravoure et d'abnégation, l'histoire de Silence interroge sur la capacité à croire envers et contre tout, sur la persécution des minorités religieuses dans le monde et sur l'universalité des croyances. Il le fait en exposant des choses horribles mais d'où peut jaillir des éclairs de beauté insoupçonnés, comme ces communautés qui n'ont rien mais qui vivent par leur foi ardente, ou ce père qui va tout sacrifier pour sauver les siens. Silence apporte un message fascinant sur la confrontation à Dieu, sur la recherche de sa voix et la solitude de l'homme. 

    Mais il échoue aussi d'une certaine façon, non seulement dans sa façon abrupte de présenter son sujet - peu nombreux seront les spectateurs à pénétrer l'histoire - mais aussi avec sa profusion de voix-off. Cette dernière reste assez surprenante chez Martin Scorsese qui devrait pourtant être capable de faire passer les émotions de ses personnages ainsi que leurs sentiments sans cette lourdeur didactique parfois lassante. Silence aurait également mérité de franches coupes, ne serait-ce que pour éviter la répétition dont il est victime. Certes le film est à l'image du chemin de croix de son héros mais on l'aurait bien compris au bout de deux heures derrière l'écran. C'est d'autant plus dommage que le long-métrage présente une véritable ambition narrative qui fait du bien, bien davantage en tout cas que le mou et consensuel Sully de Clint Eastwood. 

    Film clivant mais fascinant, Silence permet d'aborder une autre facette de Martin Scorsese tout en réaffirmant le talent de mise en scène extraordinaire de l'américain. Certainement difficile pour le spectateur lambda, le long-métrage n'en reste pas moins une formidable plongée sur les croyances et la capacité à se battre pour sa foi et les siens. Un chemin de croix qui en vaut la peine. 

     

    Note : 8/10

    Meilleure scène :  L'adieu à Mokichi sous la pluie

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