• [Critique] Summer

    [Critique] Summer
    Prix de la mise en scène Sundance 2015

    Palme d'or en 2013, La Vie d'Adèle tentait de dépeindre l'éveil à la sexualité d'une jeune fille un peu perdue. Le film fut surtout remarqué pour sa romance lesbienne qui lui valu, en grande partie, la récompense suprême. Pourtant, le long-métrage de Kechiche était très loin de valoir les louanges qu'il a reçu. Boursouflée, prétentieuse, aguicheuse et surtout clichée au possible, l'histoire entre Adèle et Emma finissait dans un marasme complet à tous les points de vues. Pourquoi parler de La Vie d'Adèle pour introduire Summer ? Tout simplement parce que le second long-métrage de la lituanienne Alanté Kavaïté partage d'immenses similitudes dans le déroulé de son intrigue avec le film de Kechiche. Récompensé à Sundance cette année pour la qualité de sa mise en scène, Summer incarne en réalité à peu près tout ce que La vie d'Adèle n'était pas. 

    Alanté Kavaïté nous parle de l'éveil à la sexualité de la jeune Sangaïlé. Dans le cadre étrange de la Lituanie moderne, pris entre friches industrielles et paysages champêtres, Sangaïlé s'ébahit devant les spectacles aériens de l'aérodrome tout proche. Mal dans sa peau, effacée et timide, la jeune fille tombe par hasard sur Auste, une artiste extravagante qui n'a aucun des complexes de Sangaïlé. Toutes deux vont connaître l'amour l'espace d'un été. Grâce à Auste, Sangaïlé va grandir et vaincre les démons qui la rongent, elle va trouver en elle la force d'être. On se rend compte que le duo de personnages, les conditions de départ (Sangaïlé couche d'abord avec un garçon, s'interroge sur son désir naissant etc...) sont très semblables au film de Kechiche. Pourtant, quasi-instantanément, on sent qu'Alanté Kavaïté est d'une autre trempe.

    L'histoire s'ouvre sur une longue séquence de ballet aérien, la caméra virevoltant entre l'avion et le visage ébahi de Sangaïlé. Kavaïté capture avec une grâce infinie les paysages et les mouvements, reproduit avec une fluidité étonnante à l'écran les sentiments intérieurs. Au fur et à mesure de l'avancée du récit, la mise en scène se fond autour des deux amoureux, les absorbe, les fait sien. La Lituanienne nous trimballe au bord d'un lac ou le long de pilônes à hautes tensions. Elle fait entrer en collision la décrépitude moderne de la Lituanie avec la splendeur des paysages naturels du pays. Dans Summer, tout semble entrer en collision au ralenti. On assiste à la rencontre de deux personnalités aux antipodes l'une de l'autre, qui se mélangent avec douceur et beauté. D'un côté l'extravagance artistique d'Auste, de l'autre la souffrance intérieure mutilante de Sangaïlé. Là où Kechiche immisçait un grotesque sous-texte social, Kavaïté parle de renaissance et de thérapie. Là où Kechiche exposait l'acte sexuel dans une complaisance pornographique presque dérangeante, Kavaïté soigne ses plans, donne à l'acte une évanescence inattendue.

    Tout comme elle le fait avec ses décors, la réalisatrice explore méticuleusement la beauté de son histoire d'amour. Elle dévoile l'acte sexuel dans la brume du coucher de soleil, en plein milieu d'un champ, à peine éclairé par le clignotement des robes artisanales d'Auste. Au lieu de tout montrer crûment, elle laisse une place à la suggestion, à l'imagination. Le spectateur contemple les visages en pleine extase, ne pouvant que tenter d'imaginer les lèvres et les mains s’effleurant, s'enfouissant, se consumant. Summer tente de sublimer la passion par la qualité se sa mise en scène, simplement bluffante de poésie et d'épure. De même, le récit ne fait pas l'erreur de s’appesantir des heures sur les affres de l'amour entre les deux jeunes femmes et repositionne sa caméra sur les méandres psychologiques de Sangaïlé, tente d'expliquer. La place du vide dans Summer n'est pas anodine. Le vertige de Sangaïlé renvoie à son vide intérieur, sa sensation d'incomplétude et de rejet. Dès lors, la comparaison avec l'aviation semble aller de soi. 

    Outre sa réalisation sublime de bout en bout et son refus d'un certain voyeurisme racoleur, le métrage d'Alanté Kavaïté peut compter sur la prestation admirable de son duo d'actrices. Rigoureusement inconnues, Julija Steponaityte et Aistė Diržiūtė donnent une âme à cette relation passionnée et passionnante. Elles donnent une sincérité et une authenticité loin des clichés habituels, composant avec les failles de leurs personnages pour les rendre plus humains, plus beaux et finalement plus touchants. C'est au cours de la scène finale, lors de l'envol de Sangaïlé sous les yeux embués de larmes d'une Auste déchirée que l'on se rend compte que, définitivement, Summer méritait dix fois plus une palme d'Or que l'indigeste Vie d'Adèle.

    Petit film indépendant venu droit de la Baltique, Summer offre enfin un portrait amoureux poétique de deux femmes qui se découvrent. Envoûtant, aérien, poétique et intelligent dans sa construction psychologique, le second long-métrage d'Alanté Kavaïté mérite toute votre attention.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Auste et Sangaïlé faisant l'amour au milieu des champs

     

     

     

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