• [Critique] The Plague Dogs

    [Critique] The Plague Dogs

    En 1981, Disney sort un long-métrage avec un renard et un chien, la fameux Rox et Rouky. Il s'agit du dernier film sur lequel travaille un certain Don Bluth avant de partir à son compte pour réaliser le superbe Brisby et Le Secret de Nimh (dont on a déjà dit beaucoup de bien ici) en 1982. Pourquoi parler de Rox et Rouky ou Brisby ? Parce qu'alors que ces deux dessins-animés prennent des animaux pour parler de sujets plus ou moins graves (Brisby notamment, Rox et Rouky restant anecdotique), un troisième long-métrage a vu le jour en 1982 dans lequel deux chiens occupent les rôles principaux. Pourtant, vous n'avez jamais entendu parler de ce dernier. Interdit pendant près de 30 ans en France du fait de sa noirceur et de sa violence psychologique, The Plague Dogs du cinéaste américain Martin Rosen n'est projeté dans nos contrées qu'en 2012 (!!!). Comment une telle chose a pu se produire ? Tout simplement parce que le dessin-animé fait figure d'OFNI total à réserver à un public chevronné. Il est certainement l'un des seuls exemples de l'ère pré-Pixar où l'animation occidentale rivalise avec le ton adulte de l'animation japonaise. Comme les premières oeuvres d'un certain Don Bluth.
    Prenez une grande inspiration.

    Car il est probable que vous manquiez d'air à la vision de The Plague Dogs. Adapté du roman éponyme du britannique Richard Adams, le film explore le monde de l'expérimentation animale par le biais de deux chiens : Rowf, un labrador qui a perdu toute foi en l'homme, et Snitter, un fox-terrier qui vit dans l'espoir de retrouver un maître. La première scène du film donne le ton. On se retrouve dans une pièce froide, anguleuse, où trône un bassin conséquent. Dedans, Rowf se débat, nage inlassablement tandis que deux hommes chronomètrent. Inévitablement, Rowf se noie, épuisé. Il est alors repêché et réanimé par les scientifiques qui se congratulent de cette nouvelle bonne performance. Glaciale. Terrifiante. Ce sont les premiers mots qui viennent à l'esprit pour décrire cette introduction. Bien vite, Rosen nous entraîne dans le laboratoire où les cages se succèdent, renfermant des rats, des lapins, des singes et des chiens. Tous sont morts de peur, désespérés. Tous vivent dans l'horreur la plus absolue. Une erreur d'un gardien, un verrou mal fermé, et Rowf et Snitter s'échappent. Commence alors une épopée dans une lande anglaise désertique qui n'en finira pas de disséquer la cruauté humaine.

    The Plague Dogs est un calvaire moral. Jamais vous ne verrez un dessin-animé plus noir. Martin Rosen donne naissance à un monstre, un vrai. Il ne rechigne devant aucune horreur, montrant frontalement l'empilement des cages, les bêtes traitées comme des marchandises ou la détresse infinie des animaux piégés dans ce véritable camp de concentration animalier. Il faut voir ces instants où Rosen s'attarde sur un singe enfermé dans une cage de métal et qui se blottit désespérément contre la paroi glaciale pour comprendre que The Plague Dogs va nous donner la nausée. Plaidoyer d'une extrême virulence à l'encontre de l'expérimentation animale, le film accumule les parallèles entre les camps d'expérimentations nazis et ce qu'il se passe dans les laboratoires. On retrouve la même cruauté froide, la même déshumanisation et ce goût de cendres lorsque les deux chiens s'échappent par...un incinérateur. Il ne s'agit là que des vingt premières minutes du film, et, déjà, on assiste à quelque chose de magistral.

    La suite n'est cependant pas en reste. Relâchés dans le monde des hommes, les chiens s'interrogent. Pourquoi cette cruauté ? Comment survivre dans ce monde fait d'horreurs ? Une dichotomie intéressante se crée entre Snitter et Rowf, créant deux facettes d'un même désespoir. Rosen arrive à humaniser d'une façon extrêmement intense ses deux héros. Mieux, il ose bâtir son dessin-animé sur un unique trio, aucun autre personnage ne vient interférer hormis la voix-off des militaires et autres journalistes. Grâce à une animation fait de plans fixes crayonnés, The Plague Dogs renforce la noirceur de son sujet. Perdus au cœur de la lande anglaise, pourchassés par les hommes, les chiens retournent à l'état sauvage, bien aidés en cela par Futé, le renard. Incarnation de la survie animale mais aussi d'un certain cynisme désarmant, le renard complète à merveille le récit. Nos compagnons tentent alors de survivre. Après certaines désillusions et la peur panique de se retrouver piéger à nouveau, ils se résolvent à s'entraider pour tuer des moutons. Cela attirant inévitablement la foudre des hommes.

    Pendant ce temps, Martin Rosen décortique ces deux personnages. Rowf devient de plus en plus catégorique à l'égard des hommes, des monstres cruels qui ne leur veulent que du mal, tandis que Snitter s'affirme comme le héros le plus tragique du métrage. Victime d'une expérience sinistre au cerveau, le chien confond progressivement le réel et ses fantasmes. La superposition d'un foyer douillet et de la froideur de son aventure crée une tension émotionnelle supplémentaire. D'autant plus que Rosen le fait disserter sur ses espoirs et ses chimères, véritable crève-cœur au milieu d'une aventure sans aucun espoir. Reste alors les humains. The Plague Dogs ne les montre jamais. Du moins jamais leurs visages. Dans le film, les hommes sont des Dieux cruels et sanguinaires. Ils parlent hors-champ, complotent, condamnent, mentent et surtout tuent. Plus qu'un réquisitoire contre l'humanité, le film abat la figure humaine. Elle dépouille tous les artifices pour ne laisser que la bête immonde. Ici, l'animal n'est plus celui que l'on croit. La violence du film n'est donc pas tant graphique (même très peu) mais bien psychologique. Et elle s'avère quasiment insoutenable.

    Martin Rosen trimbale ensuite les chiens dans des grottes et sur des plaines gelées et enneigées. Il s'achemine, petit à petit, vers une fin terrible que l'on sait inévitable. Acculés, les deux chiens perdent tout sens rationnel, Rowf se raccrochant à la folie de plus en plus évidente de Snitter. La dernière scène, rigoureusement atroce d'un point de vue psychologique, achève ce conte cruel et horrifiant. Dans l'univers créé par Martin Rosen, où tout n'est que métaphore autour du caractère inhumain de l'homme, reste un espoir. Une île prise dans la brume. Sauf que voilà, on le devine, on le pressent, l'île n'est qu'un mirage, l'espoir n'est qu'un mirage. Il n'y a pas d'espoir dans The Plague Dogs. Juste une inlassable fuite pour échapper au monstre humain. Dès lors, Snitter et Rowf prennent une toute autre apparence. Plus universelle, plus terrible. Peut-être qu'au final l'homme a chassé sa propre humanité depuis longtemps. 

    Un chef d'oeuvre. Voilà ce qu'est The Plague Dogs de Martin Rosen.
    Pour autant, le film est à fortement déconseiller aux enfants tant la violence psychologique et la noirceur implacable de l'oeuvre risque de les heurter profondément. Charge magistrale contre l'expérimentation animale et contre la cruauté humaine, The Plague Dogs laisse K.O.

    Note : 10/10

    Meilleures scènes : La traversée - L'hallucination dans la remise

     

     

    Suivre l'actualité du site :

    Abonnez-vous à la page Facebook  
     

    Littérature

     Suivez sur Twitter :

    Cinéma


    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :