• [Critique] The Revenant

    [Critique] The Revenant
     

    Golden Globes meilleur film dramatique 2016
    Golden Globes meilleur réalisateur 2016 pour Alejandro González Iñárritu
    Golden Globes meilleur acteur dans un drame 2016 pour Leonardo Di Caprio
    Directors Guild of America Awards 2016 meilleur réalisateur pour Alejandro González Iñárritu
    Screen Actors Guild Awards 2016 meilleur acteur pour Leonardo Di Caprio
    Producters Guild of America Awards 2016 meilleur film
    Oscar du meilleur réalisateur 2016 pour Alejandro González Iñárritu
    Oscar du meilleur acteur 2016 pour Leonardo Di Caprio
    Nommé Oscar meilleur film 2016
     
    Nommé Oscar meilleur acteur dans un second rôle 2016 pour Tom Hardy

     

    Qui n'a pas encore entendu parlé de The Revenant ? Accompagné par un buzz monstrueux à la fois critique et public, bien aidé par la nomination de Di Caprio à l'Oscar du meilleur acteur (encore !) et croulant littéralement sous les prix, le dernier film du mexicain Alejandro González Iñárritu a déjà pour lui une aura fantastique avant même sa sortie sous nos latitudes. Après son Birdman de l'année dernière, déjà suprêmement couronné, le réalisateur remet le couvert en proposant ce qui semble être un survival sans concession dans l'Amérique sauvage en l'année 1823. Librement adapté du roman éponyme de Michael Punke lui-même inspiré par l'histoire du trappeur Hugh Glass, The Revenant déroule pendant près de 2h36 un récit inattendu et ébouriffant. Seulement voilà, contrairement à ce que les bande-annonces annonçaient, le long-métrage n'est pas un survival conventionnel, loin de là même.

    Cela, le spectateur ne le comprend réellement qu'après la première demi-heure de film, même si l'introduction laissait présager des ambitions d'Iñárritu. Instantanément plongé dans un monde de neige où la nature est toute puissante et où les hommes doivent lutter pour leur survie, le spectateur contemple la première grande séquence du film avec la mâchoire pendante. Depuis le débarquement du Soldat Ryan, aucune autre scène de guerre n'avait autant scotché et marqué au fer rouge. Iñárritu impose sa patte dès les premiers instants, sa caméra virevolte entre les chevaux et les hommes, se colle à eux, se fond en eux, tournoie, tombe, s'élève. La fureur et la peur envahissent l'écran, tout est réglé au millimètre près avec une mise en scène divine, tout simplement. Ce point d'orgue initial ne pourra d'ailleurs guère être atteint à nouveau par la suite tant l'exploit technique s'avère monstrueux. Avec sa caméra et en utilisant la profondeur du champ comme peu en sont capables, Iñárritu n'a pas besoin d'une 3D putassière. Mieux, il prouve que celle-ci est totalement inutile. 

    Pourtant, par la suite, The Revenant dévoile un talon d’Achille : sa trame scénaristique. Tout ou presque est déjà connu du spectateur et l'on ne doute jamais de la tournure des événements. Cette facilité apparente pourrait engloutir le film et le condamner au rôle de survival de luxe dans les décors fantastiques et évocateurs du Canada, des Etats-Unis et de l'Argentine. Sauf qu'en s'attardant sur le spectacle offert et sur les péripéties endurées par Hugh Glass, on se rend compte que le scénario n'a en réalité aucune importance, qu'il s'agit là d'un prétexte pour disserter sur une densité proprement hallucinante d'autres sujets, métaphoriques ou non. Iñárritu embrasse un style Malickien en capturant le spirituel et le naturel. The Revenant est bien un survival, mais un survival quasi-religieux où la mort, le lien père-fils, la violence et le contexte historique se tirent la bourre. Opposant les éléments, le réalisateur mexicain accouche d'images d'une force cinématographique sans commune mesure cette année. Qui est Hugh Glass ? Quelle est son histoire ? Et quel est l'histoire de ce lieu ?

    Avec une intelligence rare, le metteur en scène filme sa version du martyr. Leonardo Di Caprio, quasi-muet pendant tout le film, souffre encore et encore, porte sa croix sur des kilomètres, traverse les épreuves pour émerger de la tombe en Christ ressuscité. Cette image religieuse pourtant ne verse pas tout à fait dans la métaphore catholique. Dans The Revenant, Dieu n'est pas qui l'on croit. Dieu est multiple et un à la fois. A travers l'épopée douloureuse de Glass, on porte le regard sur les éléments, sur les animaux, sur les montagnes et les plaines. Dieu est nature. Iñárritu semble endosser le regard de Malick à l'occasion des séquences oniriques portées par les murmures, ou des plans fixes sur les arbres vibrant dans le vent glacial. Le résultat lui, est beau à mourir. En s’intéressant davantage à la transformation spirituelle du héros qui renaît à travers les forces naturelles, le mexicain fait totalement oublier la trame linéaire du scénario. Il questionne sur la place de l'homme dans le cycle de la vie, le fait renaître dans une carcasse de cheval qui ressemble à s'y méprendre à l'utérus maternel. Cette force évocatrice imprègne chaque élément du film, un film bien plus taciturne qu'attendu où le héros le plus loquace s'avère aussi le plus nuisible, comme si la parole était mauvaise, par trop humaine. Tom Hardy assure d'ailleurs ici une prestation impeccable qui mérite autant de louanges que celle de Di Caprio.

    S'interrogeant sur la nature de Dieu, Iñárritu tente d'y replacer le contexte historique. En rêve ou dans le réel, Glass croise les peuples autochtones : les indiens Pawnee et Aris. Le mexicain montre frontalement les massacres de l'homme blanc, accuse et foudroie l'envahisseur qui mutile, tue et viole. Qu'il soit français ou anglais, aucun blanc ne trouve la grâce. Ils se terrent dans leur trou à ivrognes et accumulent de vaines richesses, souillant un continent vierge et fier. Aucun honneur, aucun respect, aucune dimension divine en eux, juste un tréfonds d'horreur et de violence. Pourtant, de façon assez énigmatique, on sent que les Indiens restent des hommes, qu'ils sont eux aussi sujet à la violence. Serait-ce un phénomène naturel ? Ou un simple mécanisme de défense comme l'attaque d'une ourse pour protéger ses oursons ? Iñárritu revient sans cesse à sa vision métaphorique grandiose, multiplie les allusions au passé de Glass à travers des hallucinations sublimes où l'on croise un Christ en déliquescence dans une Eglise à l'abandon, où un tertre de crânes s'élève pendant que les blancs massacrent, où un père étreint son fils mort pour découvrir un arbre à sa place. Où est Dieu ? Où est la mansuétude divine ? A qui appartient le pouvoir de châtier ? Leonardo Di Caprio impressionne dans son rôle de martyr. Il doit composer avec un script silencieux et faire passer l'émotion par sa gestuelle plutôt que par ses paroles. Même si ce n'est pas son meilleur rôle, on sent que l'acteur a toutes les cartes en mains pour empocher la statuette dorée cette année. Saluons également la prestation franchement convaincante du jeune Domhnall Gleeson, méconnaissable pour l'occasion.

    Pourquoi la note maximale pour un film à la trajectoire simpliste et prévisible ? Simplement parce qu'Alejandro González Iñárritu transcende totalement les limites de son sujet, il les tord à sa volonté et magne sa caméra avec une telle habilité que le métrage devient une véritable leçon de mise en scène. En magnifiant le travail de ses acteurs irréprochables par une densité de propos proche de l'apoplexie où le rapport à Dieu occupe la place centrale, le réalisateur mexicain livre un film d'une profondeur épatante. The Revenant s'impose comme le chef d'oeuvre d'Alejandro González Iñárritu à ce jour.
    Rien que ça.

    Note : 10/10

    Meilleure scène : L'attaque du camp de trappeur / Les songes

     

     

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  • Commentaires

    1
    pivac
    Mardi 8 Mars 2016 à 13:48

    Bonjour, merci pour votre article, en complément je vous invite à lire mon article sur ce même film dans la revue Narthex sur ce lien http://www.narthex.fr/blogs/le-cinema-a-t-il-une-ame/tant-que-tu-respires-tu-te-bats. Bonne lecture ! P. Vaccaro auteur du webzine www.sacrecinema.com

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