• [Critique] The Revenant
     

    Golden Globes meilleur film dramatique 2016
    Golden Globes meilleur réalisateur 2016 pour Alejandro González Iñárritu
    Golden Globes meilleur acteur dans un drame 2016 pour Leonardo Di Caprio
    Directors Guild of America Awards 2016 meilleur réalisateur pour Alejandro González Iñárritu
    Screen Actors Guild Awards 2016 meilleur acteur pour Leonardo Di Caprio
    Producters Guild of America Awards 2016 meilleur film
    Oscar du meilleur réalisateur 2016 pour Alejandro González Iñárritu
    Oscar du meilleur acteur 2016 pour Leonardo Di Caprio
    Nommé Oscar meilleur film 2016
     
    Nommé Oscar meilleur acteur dans un second rôle 2016 pour Tom Hardy

     

    Qui n'a pas encore entendu parlé de The Revenant ? Accompagné par un buzz monstrueux à la fois critique et public, bien aidé par la nomination de Di Caprio à l'Oscar du meilleur acteur (encore !) et croulant littéralement sous les prix, le dernier film du mexicain Alejandro González Iñárritu a déjà pour lui une aura fantastique avant même sa sortie sous nos latitudes. Après son Birdman de l'année dernière, déjà suprêmement couronné, le réalisateur remet le couvert en proposant ce qui semble être un survival sans concession dans l'Amérique sauvage en l'année 1823. Librement adapté du roman éponyme de Michael Punke lui-même inspiré par l'histoire du trappeur Hugh Glass, The Revenant déroule pendant près de 2h36 un récit inattendu et ébouriffant. Seulement voilà, contrairement à ce que les bande-annonces annonçaient, le long-métrage n'est pas un survival conventionnel, loin de là même.

    Cela, le spectateur ne le comprend réellement qu'après la première demi-heure de film, même si l'introduction laissait présager des ambitions d'Iñárritu. Instantanément plongé dans un monde de neige où la nature est toute puissante et où les hommes doivent lutter pour leur survie, le spectateur contemple la première grande séquence du film avec la mâchoire pendante. Depuis le débarquement du Soldat Ryan, aucune autre scène de guerre n'avait autant scotché et marqué au fer rouge. Iñárritu impose sa patte dès les premiers instants, sa caméra virevolte entre les chevaux et les hommes, se colle à eux, se fond en eux, tournoie, tombe, s'élève. La fureur et la peur envahissent l'écran, tout est réglé au millimètre près avec une mise en scène divine, tout simplement. Ce point d'orgue initial ne pourra d'ailleurs guère être atteint à nouveau par la suite tant l'exploit technique s'avère monstrueux. Avec sa caméra et en utilisant la profondeur du champ comme peu en sont capables, Iñárritu n'a pas besoin d'une 3D putassière. Mieux, il prouve que celle-ci est totalement inutile. 

    Pourtant, par la suite, The Revenant dévoile un talon d’Achille : sa trame scénaristique. Tout ou presque est déjà connu du spectateur et l'on ne doute jamais de la tournure des événements. Cette facilité apparente pourrait engloutir le film et le condamner au rôle de survival de luxe dans les décors fantastiques et évocateurs du Canada, des Etats-Unis et de l'Argentine. Sauf qu'en s'attardant sur le spectacle offert et sur les péripéties endurées par Hugh Glass, on se rend compte que le scénario n'a en réalité aucune importance, qu'il s'agit là d'un prétexte pour disserter sur une densité proprement hallucinante d'autres sujets, métaphoriques ou non. Iñárritu embrasse un style Malickien en capturant le spirituel et le naturel. The Revenant est bien un survival, mais un survival quasi-religieux où la mort, le lien père-fils, la violence et le contexte historique se tirent la bourre. Opposant les éléments, le réalisateur mexicain accouche d'images d'une force cinématographique sans commune mesure cette année. Qui est Hugh Glass ? Quelle est son histoire ? Et quel est l'histoire de ce lieu ?

    Avec une intelligence rare, le metteur en scène filme sa version du martyr. Leonardo Di Caprio, quasi-muet pendant tout le film, souffre encore et encore, porte sa croix sur des kilomètres, traverse les épreuves pour émerger de la tombe en Christ ressuscité. Cette image religieuse pourtant ne verse pas tout à fait dans la métaphore catholique. Dans The Revenant, Dieu n'est pas qui l'on croit. Dieu est multiple et un à la fois. A travers l'épopée douloureuse de Glass, on porte le regard sur les éléments, sur les animaux, sur les montagnes et les plaines. Dieu est nature. Iñárritu semble endosser le regard de Malick à l'occasion des séquences oniriques portées par les murmures, ou des plans fixes sur les arbres vibrant dans le vent glacial. Le résultat lui, est beau à mourir. En s’intéressant davantage à la transformation spirituelle du héros qui renaît à travers les forces naturelles, le mexicain fait totalement oublier la trame linéaire du scénario. Il questionne sur la place de l'homme dans le cycle de la vie, le fait renaître dans une carcasse de cheval qui ressemble à s'y méprendre à l'utérus maternel. Cette force évocatrice imprègne chaque élément du film, un film bien plus taciturne qu'attendu où le héros le plus loquace s'avère aussi le plus nuisible, comme si la parole était mauvaise, par trop humaine. Tom Hardy assure d'ailleurs ici une prestation impeccable qui mérite autant de louanges que celle de Di Caprio.

    S'interrogeant sur la nature de Dieu, Iñárritu tente d'y replacer le contexte historique. En rêve ou dans le réel, Glass croise les peuples autochtones : les indiens Pawnee et Aris. Le mexicain montre frontalement les massacres de l'homme blanc, accuse et foudroie l'envahisseur qui mutile, tue et viole. Qu'il soit français ou anglais, aucun blanc ne trouve la grâce. Ils se terrent dans leur trou à ivrognes et accumulent de vaines richesses, souillant un continent vierge et fier. Aucun honneur, aucun respect, aucune dimension divine en eux, juste un tréfonds d'horreur et de violence. Pourtant, de façon assez énigmatique, on sent que les Indiens restent des hommes, qu'ils sont eux aussi sujet à la violence. Serait-ce un phénomène naturel ? Ou un simple mécanisme de défense comme l'attaque d'une ourse pour protéger ses oursons ? Iñárritu revient sans cesse à sa vision métaphorique grandiose, multiplie les allusions au passé de Glass à travers des hallucinations sublimes où l'on croise un Christ en déliquescence dans une Eglise à l'abandon, où un tertre de crânes s'élève pendant que les blancs massacrent, où un père étreint son fils mort pour découvrir un arbre à sa place. Où est Dieu ? Où est la mansuétude divine ? A qui appartient le pouvoir de châtier ? Leonardo Di Caprio impressionne dans son rôle de martyr. Il doit composer avec un script silencieux et faire passer l'émotion par sa gestuelle plutôt que par ses paroles. Même si ce n'est pas son meilleur rôle, on sent que l'acteur a toutes les cartes en mains pour empocher la statuette dorée cette année. Saluons également la prestation franchement convaincante du jeune Domhnall Gleeson, méconnaissable pour l'occasion.

    Pourquoi la note maximale pour un film à la trajectoire simpliste et prévisible ? Simplement parce qu'Alejandro González Iñárritu transcende totalement les limites de son sujet, il les tord à sa volonté et magne sa caméra avec une telle habilité que le métrage devient une véritable leçon de mise en scène. En magnifiant le travail de ses acteurs irréprochables par une densité de propos proche de l'apoplexie où le rapport à Dieu occupe la place centrale, le réalisateur mexicain livre un film d'une profondeur épatante. The Revenant s'impose comme le chef d'oeuvre d'Alejandro González Iñárritu à ce jour.
    Rien que ça.

    Note : 10/10

    Meilleure scène : L'attaque du camp de trappeur / Les songes

     

     

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  • [Critique] Zootopie

    Meilleur film d'animation Oscars 2017

    Depuis quelques temps, Disney revient sur le devant de la scène. Après l'énorme succès de la Reine des Neiges et l'excellent Les Mondes de Ralph, le géant américain a confié les rênes de son prochain métrage à deux réalisateurs en vue : Rich Moore, déjà à l'origine des Mondes de Ralph (justement !), et Byron Howard responsable du sympathique Raiponce. Mettant en scène des animaux anthropomorphes dans un univers coloré et bourré de détails délicieux, Zootopie tente également de lorgner vers les productions Pixar pour placer un message plus adulte derrière sa façade enfantine. Que donne au final le cru 2016 de la firme aux grandes oreilles ?

    La petite Judy Hopps n'a qu'un rêve : devenir une vraie policière. Malheureusement pour elle, tout semble contrarier cet avenir, à commencer par ses parents qui veulent la voir reprendre la ferme familiale et par ses petits camarades qui n'imaginent pas un instant que Judy puisse endosser l'uniforme bleu. Après tout, Judy est une lapine et personne n'a jamais vu un lapin devenir flic. Envers et contre tout, la jeune effrontée va franchir les obstacles et décrocher un poste dans le prestigieux commissariat de la légendaire Zootopie, la ville où tous les animaux cohabitent et où l'on change de climat en fonction du secteur où l'on se trouve. Seulement voilà, Judy se retrouve assignée au contrôle du stationnement et découvre que la vie à Zootopie n'est pas aussi passionnante qu'elle l'imaginait. D'autant plus que ses collègues travaillent sur une mystérieuse affaire de disparitions et qu'un renard lui file entre les doigts dès le premier jour. Judy va devoir prouver sa détermination pour réussir dans ce monde de prédateurs !

    Zootopie démarre de façon fort conventionnelle en installant une jeune héroïne mignonne comme tout et en lui fixant, comme dans beaucoup de Disney, un rêve à accomplir. Judy est un peu l’archétype de l'héroïne du studio aux grandes oreilles : forte, combative mais attendrissante et fragile dans le fond. On s'attache très vite à elle, cela surtout dû au décalage entre sa naïveté et son environnement. Mais au-delà de ce qui sera, on s'en doute dès le départ, un récit initiatique, Zootopie a heureusement d'autres arguments à faire valoir. A commencer par le soin apporté dans son univers peuplé d'animaux anthropomorphes et divisé entre prédateurs et proies. C'est à ce niveau que l'on sent toute l'influence de Rich Moore puisque l'on pense furieusement aux Mondes de Ralph dès l'arrivée de Judy dans la grande ville de Zootopie.

    L'idée géniale du long-métrage, c'est de faire cohabiter plusieurs environnements dans une même ville et de l'exploiter au fur et à mesure. Même si la chose ne semble pas encore assez poussée, on retrouve l'éclectisme des niveaux de Ralph tout en permettant au spectateur d'en prendre plein les yeux, notamment lors de la découverte de la ville en train, juste magnifique. De même, la variété des animaux, la myriade de trouvailles drôles et bien vues en arrière-plan ou au cours de l'intrigue, la somme de ces idées permet au film de se trouver un véritable caractère. Le jeu avec les tailles, les clin d’œils anthropomorphiques multiples, et les diverses blagues à propos des comportements animaux (l'attitude de Nick quand il rencontre un mouton pour la première fois par exemple...) sont autant d'éléments appréciables. Certes on peut reprocher au film de ne pas encore fouiller assez (cela n'atteint jamais le niveau des Mondes de Ralph) ou d'insérer de façon insidieuse des codes Disneyiens dans des comparaisons savoureuses au départ (notamment l'emploi de Gazelle/Shakira qui finit par agacer), Zootopie réussit avec un certain bonheur à naviguer entre le niveau de lecture enfantin et celui, plus complexe, de l'adulte.

    De même, sous couvert d'une intrigue policière un poil prévisible, Zootopie glisse des messages à caractère plus politique et adulte en arrière-plan. Le film parle de tolérance et de différence en offrant une réflexion sur la généralisation à l'emporte-pièce, mais surtout il parvient à toucher du doigt une notion encore jamais illustrée dans un film pour enfants : comment contrôler les masses par la peur. Si la chose ne va pas non plus chercher bien loin vu le public principal visé, il faut rendre hommage à cette volonté d’élever un tantinet la réflexion dans un film made in Disney. Le vrai motif de déception de Zootopie, c'est justement qu'il montre les limites d'un Disney puisque les tics agaçants de la firme tendent un peu trop souvent à reprendre le dessus, notamment cette idée vraiment lassante de mettre une chanson en fin de métrage pour faire danser tout le monde. Autre anicroche, Zootopie compte peut-être deux réalisateurs dans ses gènes, seul l'un des deux semble s'imposer et reproduire un peu trop facilement des schémas connus comme on l'a vu plus haut. C'est assez dommage puisque l'on sent à plusieurs reprises que Rich Moore a le talent nécessaire pour aller plus loin dans son délire visuel et thématique. 

    Film d'animation magnifique visuellement, Zootopie jouit de personnages attachants et d'un univers véritablement travaillé. Si l'on peut regretter que certains tics de Disney viennent parasiter l'entreprise finale, nul doute que la tentative de construire un message un peu plus conséquent que d'habitude en arrière-plan séduira plus d'un spectateur, qu'il soit petit ou grand. Un bon cru donc, peut-être moins savoureux qu'attendu, mais qu'on prend plaisir à déguster malgré tout.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : L'arrivée à Zootopie /Les loups qui se mettent à hurler / la ville des souris

    Meilleure réplique : « Tu crois que pour s'endormir elle se compte elle-même ?" 
     

     

     

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  • [Critique] Spotlight

    Screen Actors Guild Awards 2016 de la meilleur distribution d'acteurs
    Oscar du Meilleur Film 2016
    Nommé catégorie meilleur réalisateur pour Tom McCarthy Oscars 2016

    Nommé catégorie meilleur acteur dans un second rôle pour Mark Ruffalo Oscars 2016

    Nommé catégorie meilleur scénario Oscars 2016

    En retrait ces dernières années, le réalisateur américain Tom McCarthy nous revient en force avec son dernier long-métrage : Spotlight. Devenu l’un des grands favoris pour les oscars, le métrage joue dans une catégorie dont raffole l’académie, celle du film à charge. Inspiré d’une histoire vraie, Spotlight réunit un casting des plus alléchants avec Michael Keaton (de nouveau en vogue après Birdman), Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Liev Shreiber et John Slattery. Succès inespéré outre-Atlantique, c’est évidemment le sujet du film, à savoir les liens entre la pédophilie et l’Eglise, qui a fait grand bruit aux Etats-Unis. Très bien accueilli par la critique et lors de la saison des prix pré-oscars, Spotlight a des arguments solides à faire valoir pour décrocher la fameuse statuette.

    Comme nombre de films ces derniers temps, Spotlight mise sur un sujet inspiré d’une histoire vraie, celle de la rédaction de Spotlight appartenant au fameux Boston Globe qui a mis en lumière un vaste scandale en rapport avec la protection accordée par l’Eglise aux prêtres ayant abusés sexuellement d’un grand nombre d’enfants. Alarmé au départ par une affaire isolée de prêtre pédophile, et bien aidé par l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef - Marty Baron-, l’équipe de Spotlight mène une enquête sans précédent sur les liens entre l’Eglise, le barreau et les prêtres pédophiles qui ont sévi à Boston et, rapidement bien au-delà. Le récit raconte comment des journalistes vont tomber sur l’un des plus grands scandales de l’histoire moderne et démasquer l’influence pernicieuse de l’Eglise pour étouffer l’affaire. Mais ce n’est pas tout puisque Spotlight s’interroge aussi sur le poids des responsabilités, ce qui en fait par la même occasion un film moralement très intéressant.

    Bâti de façon tout à fait classique et mis en scène de manière sobre, Spotlight compte principalement sur son sujet et ses acteurs pour le hisser au-dessus de la masse. Choix dangereux puisque c’est justement par son côté banal sur le plan stylistique que le film pêche principalement. Son cheminement linéaire jonglant entre récit d’investigation et drame manque en effet un tantinet d’audace. Le récit suit une trame classique où le vent de scandale et d’indignation monte crescendo pour le spectateur et où la tension oscille, n’atteignant de vrais paroxysmes que lors des quelques moments de bravoures accordés à certains acteurs.
    De ce fait, on ne peut pas dire que le long-métrage a réellement de quoi laisser sur le carreau sur le plan de la mise en scène pure, Tom McCarthy assurant son job avec sérieux mais sans réel génie. La force de Spotlight se cherche ailleurs.

    Passé ces reproches, il faut louer la qualité du scénario proposé qui expose de façon raisonnée et intelligente la lente prise de conscience de l’énormité de l’affaire entre les mains de l’équipe de journalistes. Authentique film à charges, Spotlight descend dans les tréfonds de l’horreur en disséquant le phénomène aujourd’hui bien connu et insidieux de la pédophilie dans la prêtrise. En confrontant le spectateur à la fois aux témoignages des survivants mais aussi (un peu trop rapidement) aux criminels, Spotlight touche une corde sensible. Avec la pudeur nécessaire mais sans jamais perdre son mordant, le film révèle de nouveau l’intolérable s’appuyant sur ce fait simple et essentiel : il ne faut pas laisser faire. L’impunité est au centre du récit, celle de l’Eglise qui se croit toute puissante et celle, plus retorse, d’un certain nombre d’avocats prêts à vendre leurs âmes pour conclure des arrangements juteux. Mais là où Spotlight frappe le plus fort c’est en questionnant la responsabilité de la presse elle-même et en se demandant comment des affaires pédophiles aussi nombreuses ont pu être relégués à la case « fait divers ». Le regard dur et sans concession porté sur ses propres « héros » compense en grande partie le manque d’audace stylistique.

    Outre sa façon assez commune de suivre une enquête passionnante, Spotlight s’attarde sur ses personnages et donne une vision nuancée et humaine de ces inspecteurs de circonstances. Michael Keaton s'avère irréprochable dans le rôle de Walter Robinson mais se fait voler la vedette par le décidément formidable Mark Ruffalo, dont le mélange de calme et de froide colère permet au personnage de Michael Rezendes de briller tout particulièrement. De même, Liev Schreiber qu’on est peu habitué à voir jouer des rôles effacés impressionne au même titre que le trop rare Stanley Tucci. Le casting de Spotlight, même s’il n’a que de rare moments de bravoure (la colère de Mark Ruffalo, les séquences de Stanley Tucci), sait apporter la touche d’authenticité et de sobriété nécessaire à une telle entreprise. Derrière ces prestations, Tom McCarthy dresse des portraits humains qui permettent au spectateur de profiter d’une empathie bienvenue sur un sujet aussi noir et délicat. La volonté du film d’aller au bout de sa dénonciation et de publier en toute fin une liste exhaustive des scandales de pédophilies liés à l’Eglise dans le monde fait particulièrement froid dans le dos en même tant qu’elle réjouit.

    Malgré une forme quelconque et peu inspirée, Spotlight se rattrape sur le fond et sur son casting en béton armé. Dénonçant avec virulence l’impunité religieuse, la complicité passive des médias et du grand public ainsi que la nécessité du regard étranger sur un milieu sclérosé, le long-métrage de Tom McCarthy révolte et rend honneur à tous ces survivants qui demandent encore justice. Lorsque l’on voit que le Vatican estime encore que ses évêques n’ont pas à dénoncer les affaires de pédophilies à la police (Article de Février 2016 du journal L’Express), Spotlight apparaît comme un film d’une extrême nécessité pour démonter une hiérarchie rien de moins que criminelle.

    Note : 8.5/10

    Meilleure scène : Mark Ruffalo qui explose de colère dans le bureau de Spotlight / Le diner entre Stanley Tucci et Mark Ruffalo / L’aveu de Walter Robinson

    Meilleure réplique : « Où étais-tu pendant tout ce temps, Walter ?


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  •  [Critique] Carol

    Prix d'interprétation féminine Cannes 2015 pour Rooney Mara
    Nommé catégorie meilleure actrice dans un premier rôle pour Cate Blanchett Oscars 2016
    Nommé catégorie meilleure actrice dans un second rôle pour Rooney Mara Oscars 2016

    Nommé catégorie meilleur scénario adapté Oscars 2016

     Dans la course aux oscars cette année, on retrouve plusieurs films engagés avec Spotlight, The Danish Girl...et Carol. Réalisé par Todd Haynes que l'on avait pas vu sur grand écran depuis I'm Not There en 2006 et que l'on pensait tombé dans les griffes télévisuelles d'HBO depuis sa collaboration avec la chaîne câblée sur la mini-série Mildred Pierce, Carol adapte le roman de Patricia Highsmith - The Price of Salt - publié en 1952 au Royaume-Uni. Traitant d'une relation lesbienne, le roman avait fait grand bruit à sa sortie tout en étant salué par la communauté lesbienne pour sa vision dénuée des préjugés de l'époque. Ainsi, Todd Haynes décide d'adapter cette histoire située dans l'Amérique des années 50 à la fois pour témoigner de la discrimination subie par les homosexuels mais aussi pour dépeindre une belle histoire d'amour entre deux excellentes actrices : Rooney Mara et Cate Blanchett. Après avoir fait forte impression au Festival de Cannes en 2015 (et donnant au passage son premier Prix d'Interprétation Féminine à Rooney Mara), le long-métrage est en lice pour les oscars d'une façon un peu incongrue puisqu'il n'est nommé que dans la catégorie meilleure actrice dans un premier rôle pour...Cate Blanchett. Si son absence des autres catégories reines n'est guère surprenante (nous y reviendrons), l'oubli de Mara semble tout à fait scandaleux et sa relégation en second rôle totalement injuste. Qu'à cela ne tienne, Carol débarque dans les salles françaises et permet enfin de juger sur pièce du travail de Todd Haynes.

    New-York, 1952. Vendeuse de jouets dans un magasin pour enfants en attendant que sa carrière de photographe décolle, Therese Belivet s'ennuie dans un monde terne où sa relation avec Richard, son petit-ami, stagne encore et toujours. A l'approche de Noël, elle fait la rencontre impromptue de Carol Aird, une femme sensuelle et intelligente qui vient acquérir un présent pour sa fille. Immédiatement charmé par l'aura magnétique de Carol, Therese se met en tête de la retrouver pour comprendre l'étrange sensation qui la saisit peu à peu en compagnie de celle-ci. Si bientôt les deux femmes éprouvent une attirance mutuelle, Carol va devoir affronter la dure réalité et se battre pour obtenir la garde de sa fille que son ex-mari, Harge Aird, n'entend pas lui laisser si facilement. Un combat difficile s'engage alors où Carol devra lutter à la fois pour sa fille et l'amour de Therese. 


    Film d'époque, Carol déploie instantanément une mise en scène fabuleuse et raffinée. Avec un sens du détail presque maladif, Todd Haynes reproduit le New-York des années 50 avec une authenticité stupéfiante. Mieux encore, il capte les mœurs de l'époque avec une acuité certaine et arrive à rendre compte des rapports sociaux (et amoureux) avec un grande habilité. Sur un plan purement scénaristique, Carol s'avère un film lent où l'intrigue se pose doucement et où les enjeux amoureux éclosent avec douceur et pudeur sur un fond d'intolérance que l'on devine très rapidement. Haynes profite de ses sublimes décors et de sa mise en scène millimétrée pour installer dans un premier temps un discours sur la femme où Therese et Carol ne sont que deux faces d'une même pièce, l'une s'ennuyant silencieusement de sa condition sociale étriquée, l'autre refusant de se laisser enfermer dans la case habituelle de l'épouse résignée. S'il part sur un postulat plutôt féministe en racontant en filigrane le besoin d'émancipation de la femme par le travail ou par l'affectif, Carol devient rapidement une histoire d'amour où la cause lesbienne s'avère traitée avec pudeur. 

    Finissant par plonger dans l'intense relation que vont connaître Carol et Therese, le long-métrage se fait certainement un peu plus timoré dans son message et, surtout, manque d'audace. Si l'on louera la façon d'Haynes d'aborder la relation sans jamais virer au vulgaire, il faut bien avouer qu'il n'invente pas grand chose, pour ne pas dire rien. C'est justement là que s'effrite le long-métrage. Malgré les prestations remarquables livrées par Cate Blanchett et Rooney Mara (celle-ci prend d'ailleurs largement le pas sur son illustre aînée), Carol n'arrive jamais à insuffler la chaleur et l'émotion nécessaire à une telle oeuvre. Tout se passe comme si Todd Haynes était tellement préoccupé par la perfection esthétique de sa mise en scène qu'il en oublie les émotions. Du coup, le film devient froid et suscite un ennui poli tant la trame semble cousue de fil blanc et que seule une fin bien maigre semble vouloir rattraper. 

    Le constat est d'autant plus amer que l'histoire décrite par Carol reste tout à fait intéressante dans le fond et témoigne avec une grande justesse des épreuves subies par la communauté lesbienne de l'époque, peut-être encore plus ostracisée dans la société américaine que son pendant masculin. A plusieurs reprises même, le talent des deux actrices semble assez fort pour passer outre la froideur de la mise en scène mais l'intrigue finit par retomber dans le combat attendu et annoncé de Carol pour garder sa fille auprès d'elle. Dès lors, les événements ne surprennent plus et la phase d'exposition, déjà bien longue, ne connaît jamais de véritable envolée. Le fait que Carol soit absente des catégories dites "reines" de la grande messe des Oscars n'a donc au final rien de surprenant, mais on peut logiquement se poser la question de la pertinence des nominations respectives de Mara et Blanchett. La première assume tellement le premier rôle de l'histoire et porte tant l'intrigue sur ses épaules qu'il est véritablement injuste de la voir reléguée en seconde rôle alors que Cate Blanchett correspond tout à fait à ce qualificatif (ce qui n'enlève rien à son talent dans le film au demeurant). Une autre polémique pour une cérémonie qui n'en manquait déjà pas. 


    A l'arrivée, Carol apparaît comme une belle occasion manquée. Trop accaparé par sa mise en scène et sa reconstitution d'époque impressionnantes, le film loupe son aspect émotionnel et se prive de ce qui aurait du être, en toute logique, sa plus grande force. Si l'on s'ennuie poliment devant une intrigue trop balisée, force est de constater que le duo Cate Blanchett-Rooney Mara fonctionne parfaitement et constitue de fait le véritable intérêt du film de Todd Haynes
     

    Note : 7/10

    Meilleure scène :
     Cate Blanchett confrontée à son ex-mari pour la garde de sa fille

     

     

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  • [Critique] Le Garçon et la Bête

     Bien que le grand Hayao Miyazaki ait pris sa retraite, d'autres auteurs continuent à entretenir la réputation d'excellence du Japon en matière d'anime. Parmi eux figure Mamoru Hosoda qui nous avait offert en 2012 l'excellent Les Enfants loups, Ame et Yuki. Fort d'un beau succès public et critique en France, le réalisateur a de nouveau l'honneur d'une sortie en salles pour son dernier long-métrage : Le Garçon et la Bête. Renouant avec une certaine dimension fantastique où hommes et bêtes se côtoient, le film s'intéresse au deuil au moyen d'une aventure initiatique haute en couleurs.

    Dans l'univers du Garçon et la Bête, le monde se scinde en deux : le monde des hommes tel que nous le connaissons et le monde des Bêtes qui existe quelque part derrière un enchevêtrement de ruelles obscures. Seul et abandonné de tous, le jeune Ren fait la rencontre improbable de Kumatetsu, une Bête braillarde et toujours prête à se battre dont l'unique rêve semble être d'accéder au trône de Jutengaï, le monde des Bêtes. En suivant Kumatetsu, Ren prend le nom de Kyuta pour devenir son disciple et accéder au rang de maître des arts martiaux...tout en corrigeant sans le savoir les défauts qui hantent le cœur de Kumatetsu. Malheureusement, pour l'un et pour l'autre, l'aventure s'annonce difficile tant tout semble les opposer. Pourront-ils vaincre leurs démons respectifs et Kumatetsu pourra-t-il surpasser Iôzen pour devenir le nouveau seigneur de Jutengaï ?

    Au départ, Le Garçon et la Bête rappelle les Enfants loups. Tout comme dans ce dernier, le film commence sur une note très dure, à savoir la mort de la mère de Ren. Seul et perdu, en colère de surcroît, Ren cherche le réconfort dans les rues avant de tomber sur un petit animal fantastique qui deviendra un peu son compagnon de route. La tendresse et la dureté. Ce sont là les deux maîtres-mots du Garçon et la Bête. Avec sa volonté de s'inscrire dans le légendaire, le long-métrage dévoile un monde onirique et surprenant, celui des Bêtes où les hommes sont vus comme un danger. Comme si l'animalité n'était pas en soi le pire dans l'être humain mais sa propension à être rongé par une noirceur cachée. Avec Ren, on fait la rencontre de Kumatetsu, une Bête atypique parmi ses pairs, lourde et gueularde, qui n'a rigoureusement aucune discipline et aucun tact. C'est de cette rencontre que naît le principal intérêt du Garçon et la Bête.

    En explorant le lien d'amitié puis d'amour qui va unir les deux personnages, Hosoda explore le lien filial, le sentiment d'appartenance et, plus simplement, la nécessité d'un parent. Plus qu'un simple maître turbulent et agaçant, Kamatetsu devient une ombre tutélaire pour Kyuta, lui apporte l'amour d'un père d'une façon singulière mais salvatrice. Sous des dehors de rustre, le maître va devenir un père de substitution et jouer le rôle qui manquait à la vie de Kyuta finissant par devenir une part de lui, ceci dans tous les sens du terme. Le foisonnement de l'univers, la beauté de cette relation inattendue et l'humour qui s'en dégage n'en font pas oublier l'originalité du monde visité. L'esthétisme de Jutengaï rappelle les beautés inattendus d'un Miyazaki sans en atteindre toutefois les plus hauts sommets. On regrette certains choix d'emblée, comme ce voyage initiatique beaucoup trop court et qui frustre plus qu'il ne régale le spectateur, ou comme ce brusque retour dans la réalité des hommes pour une histoire parallèle qui manque cruellement de charme. Le bête apprentissage des lettres et des chiffres semblent bien fade par rapport aux folies proposées dans l'univers des Bêtes.

    Reste que dans son abord de la comparaison Hommes/Bêtes ainsi que dans sa façon de présenter le néant qui ronge le cœur de tous ces enfants qui n'ont pas connu leurs racines ou trop peu, Le Garçon et la Bête renoue avec la beauté fragile des Enfants loups, en moins poétique et en moins touchant certes, mais en y ajoutant un sens fantastique plutôt bien pensé. Si le Moby Dick que chasse Kyuta semble s'incarner en son double Ichirôhiko, c'est pour mieux le confronter à lui-même et à ce qui le ronge, à cette masse informe qui le tenaille depuis la perte de ses repères suite à la mort de sa mère. Toute la beauté de l'entreprise est surement là pour Mamoru Hosoda, vaincre son passé et regarder vers l'avenir grâce à l'amour porté par un autre rencontré un peu au hasard. Sans oublier que la nouvelle relation marche dans les deux sens et que c'est le fait même de prendre quelqu'un sous son aile qui donne à Kumatetsu une maturité et une confiance en soi qui lui faisaient cruellement défaut auparavant. Le Garçon et la Bête tire à la ligne, développe une pseudo-quête du retour au monde des hommes peu passionnante mais rattrape en grande partie ses faiblesses par le reste de ce qu'il raconte dans le monde des Bêtes, ce qui est déjà franchement pas mal tout bien considérer.

    Plus inégal et forcément moins fort que son prédécesseur, Le Garçon et la Bête reste tout de même un anime de qualité qui sait ébaucher un duo improbable et attachant en diable tout en développant avec brio la thématique du père et du besoin d'origines. Ajoutez-y la fantaisie de Jutengaï et vous obtenez un bon moment de cinéma dont les défauts ne peuvent occulter les (nombreuses) qualités. 

     

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Kyuta imitant les gestes de Kumatetsu

     

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  • [Critique] Steve Jobs


    Homme devenu légende, Steve Jobs, le fondateur d’Apple, est décédé en 2011 d’un cancer du pancréas. Celui à qui l’on doit des révolutions technologiques comme l’IPod ou l’Iphone n’a toujours pas cessé de hanter l’imaginaire collectif, même 5 ans après sa disparition. En 2013, Joshua Michael Stern proposait un premier biopic où seul surnageait la bonne prestation d’un Asthon Kutcher méconnaissable. Terne, fade et dénué de toute vision artistique véritable, Jobs passait à côté de son sujet. Deux ans plus tard, c’est au tour de l’anglais Danny Boyle de tenter sa chance sur le même sujet mais, cette fois, avec un allié de poids : Aaron Sorkin. Ce nom ne vous dit peut-être rien mais il s’agit de l’homme derrière le scénario du génial The Social Network ou encore de l’excellent Moneyball. Du coup, le projet s’avère bien plus excitant et enflamme rapidement la critique US. Juste à temps pour les oscars, le long-métrage sort dans les salles françaises accompagné d’un buzz des plus positifs. Casting quatre étoiles, réalisateur réputé et scénariste chevronné, il n’en faut pas plus pour attirer l’attention !

    On ne reviendra pas sur l’histoire de Steve Jobs. On dira tout au plus que le film tente de peindre le portrait d’un génie du marketing qui a imposé sa marque dans le monde de l’informatique. Sorkin et Boyle prennent le contrepied des biopic habituels et tentent quelque chose d’une immense audace : raconter Steve Jobs sur trois séquences de 40 minutes, toutes les trois se situant dans les coulisses quelques instants avant la présentation d’un nouveau produit. Théâtral de bout en bout – le fait que Sorkin soit issu de ce monde-là étonne peu sur le produit final qui nous est livré – Steve Jobs arrive à se départir de l’ombre tutélaire de son encombrant grand frère, le chef d’œuvre The Social Network de David Fincher, pour trouver une voix propre et se recentrer tout entier sur son personnage principal en abandonnant la piste transgénérationnelle. Une bonne idée ? Pas totalement en fait puisque le film perd forcément en puissance intellectuelle et en impact. Heureusement, Sorkin n’abandonne cet aspect que pour se tourner vers autre chose et tenter, comme Jobs, de penser différent.

    Le spectateur est pris de cours par le film qu'il vient voir. Steve Jobs ne va pas de l’origine à la toute fin comme pourrait le faire n’importe quel autre biopic. Il ne cherche pas non plus à lisser une image ou à magnifier son sujet, mais bien à tenter de coller au plus près de ce qu’était Jobs en mélangeant presque à parts égales le côté homme du monde et l'aspect intime. Autre surprise, le film se concentre sur trois lancements, et pas les plus célèbres, bien au contraire. Sauf qu’ils semblent rapidement être les plus pertinents possibles. Boyle s’efface derrière Sorkin, gomme ses tics habituels (et devient bien moins agaçant !) pour aboutir à une œuvre à la densité apoplexiante. Ouragan de dialogues et de Walk and Talk, Steve Jobs transmet tout à travers ses dialogues et son casting, comme un théâtre gigantesque. Il ramène en ce sens furieusement à l’excellent Birdman d’Inarritu mais sans la volonté métaphysique évidente. Ici, les coulisses servent de révélateurs et présentent Jobs dans son impériale et détestable gloire. Le versant théâtral partagé en trois actes reproduit les mêmes motifs, comme autant d’échos évolutifs qui mènent, finalement, à une peinture somptueuse de cette personnalité formidablement complexe qu’était Jobs.

    On ne peut s’empêcher de penser aux fantômes des Noëls passé, présent et futur dans Steve Jobs tant la trame renvoie à Dickens, tant les constantes joutes verbales successives entre Jobs et ses démons de chair et d’os parviennent à briser le cadre. Sorkin comprend qu’il est inutile de retracer la vie de Jobs et se success-story, que pour approcher de son sujet, il faut surtout capturer l’homme et non son histoire exhaustive. Cette volonté amène à ces trois séquences qui brassent à peu près tout ce qu’il faut savoir sur Jobs et cela sans jamais tenter de le faire reluire, bien au contraire. Monstrueusement mégalomaniaque avec une pointe de paranoïa, condescendant comme pas possible et pour tout dire, souvent détestable, Jobs possède l’aura d’un génie mais n’en est pas un au sens strict du terme. Il est un voleur magnifique et un manipulateur exemplaire, mais jamais il n’est un homme bien. Même dans une fin qui pourrait hâtivement sembler rédemptrice, il n’est juste question que d’une harmonie retrouvée au moins de façon temporaire entre le caractère fondamentalement écœurant du fondateur d’Apple et sa volonté profonde de changer le monde. Pendant près d'une heure cinquante-cinq, Sorkin casse la légende pour mieux la reconstruire avec lucidité. Oui, Jobs était un connard, oui, Jobs n’était pas le génie que l’on connaît, mais surtout oui, Jobs a su monter ses plans et utiliser les talents des autres comme personne. C’est certes bien moins flatteur et reluisant que la fausse-légende qui lui colle à la peau, mais c’est bien plus humain et appréciable. Sorkin tape dans le mille. Encore.

    Et cela, il le doit aussi, et surtout, à son casting remarquable. Un casting qui ressemble cette fois bien peu à la réalité mais pourtant lorsque Michael Fassbender parle, vocifère, enrage, éructe, murmure, il est Steve Jobs comme aucun autre et peu importe à quoi il ressemble. Formidable de la première à la dernière seconde, Fassbender s’efface et n’en finit plus de prouver qu’il est l’un des meilleurs acteurs en activité. Autour de lui gravite une cour tout à fait remarquable également. De la sublime et impériale Kate Winslet à l’inattendu Seth Rogen, tous les seconds rôles apportent quelque chose en terme qualitatif et émotionnel. C’est la conjonction et l’alchimie parfois rêche de cette troupe qui donnent le résultat impeccable sur lequel Boyle bâtît son film. Si le cinéaste est d’habitude agaçant comme pas possible et clippeur à l’extrême, il se calme gentiment pour l’occasion et met ses tics en sourdine, ne les intercalant qu’avec bonheur sans faire foirer l’entreprise. En arrière, la musique discrète mais entêtante de Pemberton vient harmoniser le tout.

    Contrairement à The Social Network qui visait d’emblée une métaphore générationnelle totale, Steve Jobs met l’accent sur l’individu et sur les racines familiales. Sorkin s’avère moins habile à ce niveau mais reste d’une grande efficacité. En montrant Lisa comme le fil rouge de la vie de Jobs, il arrive à capturer les contradictions d’un homme qui veut un système fermé et semble même l’appliquer à sa propre vie. Qui refuse que l’on intervienne dans la sienne et qui doit tout contrôler. Malheureusement, il en oublie que le monde n’a pas forcément ses défauts à lui et encore moins sa propre fille. Blessé dans son orgueil et rongé par son adoption, Jobs ne sait pas gérer, tout simplement. Il sait décoder les envies et le marketing mais est incapable de comprendre la tristesse d’une fillette de 5 ans. La seule scène où Lisa le serre dans ses bras en lui demandant d’habiter avec lui résume tout le paradoxe de vouloir la perfection. Ce perfectionniste insupportable passe à côté de certaines choses essentielles dans l’esprit humain, à commencer par l’amour filial et l’amitié, ce qui le rend à la fois totalement détestable et bourré d’humanité. Steve Jobs révèle avec justesse qu’au fond le fondateur d’Apple n’était bien qu’un homme.

    On attendait fébrilement ce Steve Jobs et force est de constater que l’on est pas déçu du résultat. Evidemment, il ne s’agit pas d’un biopic conventionnel, c’est même tout le contraire. Son verbiage incessant épuise autant qu’il impressionne mais c’est finalement l’audace du projet, son insolente énergie et sa force impressionnante qui remportent le combat. Steve Jobs est le premier grand film de 2016, un très (très) grand moment de cinéma.


    Note : 9.5/10

    Meilleure scène : Jobs confronté à Wozniak avant le lancement de l'IMac

     

     

     

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  • [Bilan] Liste et critiques cinéma en 2015

     

    Liste classée des Films de 2015 :

    MacBeth de Justin Kurzel : 10/10

    Crosswinds de Martti Helde : 10/10
    Foxcatcher de Benett Miller : 9.5/10
    Mad Max : Fury Road de George Miller : 9.5/10
    Vice-Versa de Pete Docter : 9.5/10
    The Look of Silence de Joshua Oppenheimer : 9.5/10
    Birdman d'Alejandro Gonzalez Inarritu : 9.5/10
    Sicario de Denis Villeneuve : 9/10
    Loin des Hommes de David Oelhoffen : 9/10
    Inherent Vice de Paul Thomas Anderson : 9/10
    Papa ou Maman de Martin Bourboulon : 9/10
    Virunga d'Orlando von Einsiedel : 9/10 [NETFLIX]
    The Voices de Marjane Satrapi : 9/10
    It Follows de David Robert Mitchell : 9/10
    Les Nouveaux Sauvages de Damian Szifron : 9/10
    Le Fils de Saul de Lazslo Nemes : 9/10
    Goodnight Mommy de Veronika Franz et Severin Fiala : 9/10 [DTV]
    Youth de Paolo Sorrentino : 8.5/10
    Notre Petite Soeur d'Hirokazu Koreeda : 8.5/10
    The Lobster de Yorgos Lanthimos : 8.5/10
    Mon Roi de Maïwenn : 8.5/10
    Star Wars Episode VII : The Force Awakens de J.J Abramns : 8.5/10
    My Skinny Sister de Sanna Lenken : 8.5/10
    Les Mille et une nuit - 1 L'inquiet de Miguel Gomes : 8.5/10
    Ex Machina d'Alex Garland : 8.5/10
    L'ennemi de la classe de Rok Bicek : 8.5/10
    Le Président de Mohsen Makhmalbaf :8.5/10
    Une Belle Fin d'Urberto Pasolini : 8.5/10
    Avengers : Age of Ultron de Jess Whedon : 8.5/10
    Sea Fog de Sung Bo Shim : 8.5/10
    Dheepan de Jacques Audiard : 8.5/10
    Beast of No Nations de Cary Fukunaga : 8.5/10 [NETFLIX]
    Taxi Teheran de Jafar Panahi : 8.5/10
    Les Mille et Une Nuit de Miguel Gomes 2 - Le Désolé : 8.5/10
    Au-Delà des Montagnes de Zhang-ke Jia : 8.5/10
    Une Merveilleuse histoire du temps de James Marsh : 8/10
    Joy de David O.Russell : 8/10 
    Hard Day de Kim Seong-hun : 8/10
    Le Voyage d'Arlo de Peter Sohn : 8/10
    Souvenirs de Marnie de Hiromasa Yonebayashi : 8/10
    Dear White People de Justin Simien : 8/10
    Masaan de Neeraj Ghaywan : 8/10
    Tale of Tales de Matteo Garrone : 8/10
    Le Prodige d'Edward Zwick : 8/10
    Difret de Zeresenay Mehari : 8/10
    Mission Impossible : Rogue Nation de Christopher McQuarrie : 8/10
    Shaun le mouton de Richard Starzak : 8/10
    Umrika de Prashant Nair : 8/10
    Summer de Alanté Kavaité : 8/10
    Le Pont des espions de Steven Spielberg : 8/10
    Mustang de Deniz Gurman Ergoyen : 8/10
    Life d'Anton Corbjin : 8/10
    La loi du marché de Stéphane Brizé : 8/10
    Kingsman, Services Secrets de Matthew Vaughn : 7.5/10
    Imitation Game de Morten Tyldum : 7.5/10
    Chelli d'Asaf Korman : 7.5/10
    Une seconde mère d'Anna Muylaert : 7.5/10
    Phoenix de Christian Petzold : 7.5/10
    Captives d'Atom Egoyan : 7.5/10
    Une seconde mère d'Anna Muylaert : 7.5/10
    Still Alice de Richard Glatzer : 7.5/10
    Je suis mort mais j'ai des amis de Guillaume et Stéphane Malandrin : 7.5/10
    Hyena de Gerard Johnson : 7.5/10
    A la poursuite de demain de Brad Bird : 7.5/10
    Seul sur Mars de Ridley Scott : 7.5/10
    American Ultra de Nima nourizadeh : 7.5/10
    Vers l'autre rive de Kiyoshi Kurosawa : 7.5/10
    Agents très spéciaux - Code UNCLE de Guy Ritchie : 7.5/10
    Frank de Lenny Abrahamson : 7/10
    Les Jardins du roi d'Alan Rickman : 7/10
    Les Nouveaux Héros de Don Hall et Chris Williams : 7/10
    Le Petit Prince de Mark Osborne : 7/10
    Renaissances de Tarseem Singh : 7/10
    Les Suffragettes de Sarah Gavron : 7/10
    Wild de Jean-Marc Vallée : 7/10
    Love & Mercy de Bill Pohlad: 7/10
    Loin de la foule déchaînée de Thomas Vinterberg : 7/10
    Ant-Man de Peyton Reed : 7/10
    Miss Hokusai de Keiichi Hara : 7/10
    Le Labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli : 7/10
    Dark Places de Gilles Paquet Brenner : 6.5/10
    Hotel Transylvanie 2 de Genndy Tartakovsky : 6.5/10
    Régression d'alejandro amenabar : 6.5/10
    007 Spectre de Sam Mendes : 6.5/10
    Strictly Criminal de Scott Cooper : 6.5/10
    Spy de Paul Feig : 6.5/10
    Les Minions de Pierre Coffin et Kyle Balda: 6.5/10
    Broadway Therapy de Peter Bogdanovich : 6.5/10
    Everest de Baltasar Kormákur : 6.5/10
    Ixcanul de Jayro Bustamante : 6.5/10
    Victoria de Sebastian Schipper : 6.5/10
    Un Pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence de Roy Andersson : 6/10
    La Tête haute d'Emmanuelle Bercot : 6/10
    Les Mille et Une Nuit de Miguel Gomes 3 - l'Enchanté : 6/10
    Cemetery of Splendour d'Apichatpong Weerasethakul : 6/10
    Valley of Love de Guillaume Nicloux : 6/10
    Queen and Country de John Boorman : 6/10
    La Peur de Damien Odoul : 5.5/10
    Lost River de Ryan Gosling : 5/10
    Ted 2 de Seth McFarlane : 5/10
    Mia Madre de Nanni Moretti : 5/10
    Absolutely Anything de Terry Jones : 5/10
    Parole de Kamikaze de Masa Sawada : 5/10
    Snow Therapy de Ruben Östlund : 4.5/10
    Crimson Peak de Guillermo Del Toro : 4.5/10
    Chappie de Neill Blompkamp: 4.5/10
    American Sniper de Clint Eastwood : 4/10
    Les 4 Fantastiques de Josh Trank : 4/10
    Jurassic World de Colin Trevorrow : 4/10
    Maggie d'Henry Hobson : 3.5/10
    La Rage au ventre d'Antoine Fuqua : 3/10
    Jupiter's Ascending des frères Wachowski: 3/10
    Les Merveilles d'Alice Rohrwacher : 2/10
    The Visit de Night Shyamalan : 0/10

     

    Par pays :

    Américain +++++++++++++++++++++++++++++++++++++ = 37
    Anglais ++++++++++++ = 12
    Français ++++++++++ = 10
    Italien ++++++ = 6
    Japonais +++++ = 5
    Indien +++ = 3
    Portuguais +++ = 3
    Suédois +++ = 3
    Allemand ++ = 2
    Iranien ++ = 2
    Coréen du Sud ++ = 2
    Mexicain ++ = 2
    Mexicain ++ = 2
    Canadien ++ = 2
    Turque ++ = 2
    Argentin + = 1
    Australien + = 1
    Autrichien + = 1
    Belge + = 1
    Brésil + = 1
    Chinois + = 1
    Danemark + = 1
    Espagne + = 1
    Estonien + = 1
    Ethiopien + = 1
    Georgien + = 1
    Grec + = 1
    Guatemala + = 1
    Hongrois + = 1
    Irlande + = 1
    Islande + = 1
    Israélien + = 1
    Lituanie + = 1
    Norvégien + = 1
    Pays-Bas + = 1
    Slovène + = 1
    Thaïlandais + = 1


    Plan de l'année :

    [Bilan] Liste et critiques cinéma en 2015



    Bande annonce de l'année 2015 :

     

     

    Bande-originale de l'année 2015 :



    Chanson de l'année 2015 :




    Et le bonus, Filmography 2015 :



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  • [Critique] Au-delà des montagnes

    Réalisateur prolifique, Jia Zhang-ke n'a pourtant vraiment été mis en avant qu'en 2013 avec son film à sketchs A Touch of Sin. Véritable peinture de la société chinoise, il mettait en lumière les inégalités et les contradictions du système de la République Populaire. De nouveau invité au Festival de Cannes en 2015, le réalisateur chinois est venu y présenter un long-métrage plus conventionnel mais pas moins intelligent intitulé Mountains May Depart (traduit chez nous par Au-delà des montagnes). Largement salué par la critique, le film s'est depuis avéré, à son échelle, un petit succès public en France. Axant son histoire une nouvelle fois sur l'histoire de son pays ainsi que son évolution récente (et future), Zhang-ke livre un ode à la Chine traditionnelle et analyse le difficile passage de flambeau à une génération en mal de liberté.

    Contrairement à A Touch of Sin, Au-delà des montagnes n'est pas un film à sketchs. Enfin pas vraiment. Il s'agirait plutôt d'une fresque temporelle en plusieurs tableaux commençant en 1999, à la veille de XXIème siècle, alors que la Chine semble bouffée par la crise minière qui érode ses exploitations de charbon. On y fait la connaissance d'une belle jeune femme, Tao, qui devient l'enjeu d'un triangle amoureux où s'affronte Liangzi et Zang, le premier est un ambitieux responsable de station service, le second est un simple ouvrier vivant du charbon. Le choix de la jeune femme va sceller son destin et nous projeter quinze ans plus tard dans un pays en plein bouleversement sociologique et économique où elle sera confronter au regard de son fils, Dollar. C'est finalement ce dernier qui conclura cette histoire chinoise dans une Australie du futur où la technologie n'arrive pas à effacer le besoin de racines.

    Le récit part mal. Parce que l'on croit dans un premier temps que Zhang-ke s'est laissé aller à nous monter un trio amoureux et les tergiversations attenantes à une telle situation. On se rend heureusement compte rapidement qu'il pose les bases de toute sa réflexion sur la Chine et sur ses habitants, sur le passage du temps et le changement social. Ainsi, les deux prétendants ne sont pas choisis au hasard. D'un côté Liangzi représente l'humble et pauvre travailleur, le milieu ouvrier par excellence, quand Zang synthétise l'ambition dévorante et le capitalisme naissant dans une Chine encore largement communiste. Dès lors, le choix de Tao semble fort se superposer à celui du régime, celui d'un capitalisme timoré mais clinquant qui ne fera pas long feu. Avec malice, le réalisateur chinois filme le passé proche de son pays en y plantant les graines du changement, lors d'une séquence en boîte de nuit ou lors d'un concert traditionnel, il montre le basculement dans le nouveau millénaire d'un pays en mal de nouveautés. Si l'on croise encore de jeunes garçons portant avec fierté le guandao, si les déguisements festifs en dragons éclairent encore le nouvel an chinois, les choses changent petit  à petit.

    Avec ingéniosité, Zhang-ke permute ses personnages principaux et les fait pour ainsi dire traverser les âges. Il montre alors les choix malheureux fait par notre trio, et comment, à leur image, le pays a perdu peu à peu son identité et sa personnalité. Le phénomène semble toujours s’accélérer, l'ancienne et la nouvelle génération ne semblent plus capables de se comprendre et les plus antiques traditions se fanent pour le petit Dollar (Dao Le en fait), quintessence de la vanité chinoise, paternelle et étatique. Le réalisateur capte avec justesse la tristesse de cette césure. Quasiment étranger à sa propre mère comme peuvent l'être nombre de chinois vis-à-vis de leur propre pays qu'ils ne reconnaissent plus, l'enfant n'aspire pourtant en rien à oublier. La touchante prestation de l'actrice Zhao Tao dans le rôle de Tao souligne ce glissement malheureux et ce fossé générationnel qu'elle tente de combler avec tout l'amour dont une mère est capable. C'est dans ce segment certainement que Zhang-ke touche au plus juste, là où il pointe du doigt l'effacement progressif de racines qui feront cruellement défaut par la suite.

    Puis, de façon inattendue, Au-delà des montagnes devient un film de science-fiction dans son dernier quart. Comme une sorte de promesse d'avenir, terre promise perdue en plein Océan Pacifique, l'Australie devient toile de fond, confirmant que la Chine a fini par s'effacer, les espoirs de tout un peuple envolé. Mais Dollar a grandi, sa génération, entre la douleur de l'absence d'une culture millénaire et une irrépressible envie de liberté, doit composer avec la technologie. Le réalisateur chinois arrive à l'inévitable confrontation père-fils, rejouant un drame que l'on savait couru d'avance, celui d'un fossé infranchissable où la barrière de la langue et de la culture deviennent infranchissables, où même la liberté devient une chimère. Sous des airs de fresque familiale, Au-delà des montagnes dresse le bilan évolutif de la Chine, capturant traditions et modernité. Son constat amer, celui de l'emprise de l'argent au dépend de l'amour et de la transmission culturel, pourrait tout aussi bien s'appliquer à notre échelle et donne, en un sens, une portée universelle au film. Si l'on regrette un ultime segment trop long et poussif dans sa tentative Œdipienne presque malvenue, on saluera la majesté de l'entreprise et sa réussite impressionnante.

    Confirmant de façon brillante son talent de cinéaste, Jia Zhang-ke livre un film passionnant mariant l'intime à l'histoire avec un grand H. Outre une mise en scène remarquable, il profite du talent de la belle Zhao Tao pour parler de la Chine avec une acuité peu commune. Au-delà des montagnes dépasse les espérances et nous emmène dans un voyage riche en sagesse. Une bien belle façon de conclure l'année cinéma 2015.

    Note : 8,5/10

    Meilleure scène : Tao donnant les clés de sa maison à Dollar

     

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  • [Critique] Mistress America

    Habitué du genre, Noah Baumbach récidive après While We're Young et Frances Ha en ce début d'année 2016. Sans bouleverser ses marottes habituels, le réalisateur américain continue dans la comédie indé gentiment turbulente. Mieux encore, il retrouve son actrice fétiche, Greta Gerwig, qui, pour l'occasion, co-scénarise son nouveau long-métrage en plus d'en assurer le principal rôle secondaire. Baumbach pose une nouvelle fois sa caméra à New-York, dans les milieux des jeunes artistes qu'il affectionne tant, pour près d'une heure trente d'un récit vivifiant. Mistress America fait la part belle à une certaine conception de le jeunesse et de l'émancipation intellectuelle, ceci par le regard tantôt naïf tantôt désabusé de sa jeune héroïne, Tracy, incarnée par la rafraîchissante Lola Kirke. Après la petite déception Frances Ha, Noah Baumbach arrive-t-il enfin à trouver l'équilibre suffisant entre influences indé et cinéma d'auteur ?

    Tracy vient d'intégrer l'université. Écrivaine en herbe, elle souhaite intégrer le plus prestigieux des clubs de lecture du campus, le fameux Moebius. Avec son ami Tony, dont elle tombe rapidement amoureuse, Tracy va découvrir peu à peu que la vie étudiante est loin d'être aussi excitante et libératrice qu'elle se l'imaginait. Sur un coup de tête, elle décide d'appeler Brooke, la fille de son futur beau-père. Véritable feu-follet new-yorkais, Brooke n'a pas sa langue dans sa poche et accumule les projets excitants. Sous le charme puissant de cet électron libre, Tracy se met à écrire une nouvelle inspirée de l'histoire de celle qu'elle admire tant. On reconnaît immédiatement, dans sa façon d'utiliser la voix-off, de filmer ou de bâtir des personnalités jeunes et bouillonnantes, la patte de Noah Baumbach. La petite vie de Tracy, sa rencontre avec la fantasque Brooke qui incarne tout ce qu'elle voudrait être et les dialogues fusant à deux cent à l'heure, aucun doute, Mistress America renoue avec l'enthousiasme communicatif de l'oeuvre de Baumbach.

    Heureusement, et contrairement à Frances Ha, Mistress America ne tombe jamais dans l'auteurisation. Pas de noir et blanc incongru ici, juste de magnifiques vues d'un New-York plus charmeur que jamais. Bien aidé par une bande-originale aux petits oignons, Noah Baumbach nous balade entre les illusions étudiantes et les fantasmes de Tracy. L'alchimie entre elle et Brooke fonctionne quasi-immédiatement, procurant un saisissant contraste entre les deux amies. Greta Gerwig trouve un rôle taillé sur mesure où son exubérance naturelle et son débit de parole ajoutent un véritable cachet d'authenticité au personnage farfelue et attendrissant qu'est Brooke. Naoh Baumbach filme avec bonheur et tendresse les entreprises follement rafraîchissantes des deux amies, passant des soirées huppées aux aventures délurées des new-yorkaises. Grâce à des dialogues travaillés et rythmés à la perfection, l'américain ferre son public et l'attire dans un aspect théâtral savoureux. 

    Dans son univers coloré plein d'espoirs, on croise des voyants et des voisins conciliants, on achète mille sorte de pâtes et l'on s'embarque à quatre pour renouer le contact avec une vieille ennemie. Mistress America est l'expression d'une jeunesse pleine de charme, à la fois agaçante et débrouillarde, qui se cherche et se mésestime. Le versant théâtral du film ne fera d'ailleurs que s'accentuer jusqu'à cette longue séquence chez Mamie-Claire où les répliques et les personnages semblent jouer une pièce pleine de quiproquos et de retournements de situation. Les acteurs, tous délicieux, jouissent de leur petit instant de gloire, vivent réellement sous la caméra malicieuse de Baumbach. Puis l'américain revient finalement au thème principal de Mistress America, apprendre à être soi-même, à s'accomplir par soi et non par les attentes des autres, arriver à s'aimer avant de vouloir aimer les autres. Du coup, la relation Tracy-Brooke s'inverse, prend un tout autre sens et sur la musique Souvenir, on se prend à rêver nous aussi, à se considérer autrement. 

    Bien plus convaincant et authentique que son Frances Ha, Mistress America incarne certainement un cinéma indépendant doux-amer et rêveur qui s'octroie le droit de ne pas choisir entre grand écran et scène de théâtre, brisant les codes pour mieux se les réapproprier. Comme inspiré par sa muse, la géniale Greta Gerwig, Noah Baumbach rassure et offre au spectateur une petite sucrerie douce-amer entre humour et tendresse.

    Note : 7.5/10

    Meilleure scène : La visite chez Mamie-Claire

     

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  • Le voici enfin, le huitième film (Kill Bill ne comptant en fait que pour un…) de Quentin Tarantino, l’enfant terrible du cinéma US. Inutile de représenter une énième fois le monsieur, alors passons à la suite immédiatement. Après Django Unchained, un western esclavagiste jubilatoire mais handicapé par une dernière partie accessoire, Tarantino reste dans un univers pas si éloigné avec Les Huit Salopards, un huis clos horrifique où huit acteurs renommés jouent à Dix Petit Nègres. L’action se situe cette fois après la Guerre de Sécession, dans une Amérique qui panse ses plaies et fait la part belle aux chasseurs de primes. C’est l’occasion de rencontrer un certain John « Hangman » Ruth qui fait route vers la ville de Red Rock pour livrer une fameuse prisonnière, Daisy Domergue. Sur le chemin, il rencontre un noir ancien major de cavalerie devenu chasseur de primes, Marquis Warren, et le futur shérif de Red Rock, le beau-parleur Chris Mannix. Une fois arrivés à la Mercerie de Minnie, un relais de diligence perdu dans la neige, les choses se gâtent puisque ni Minnie ni son Sweet Dave ne sont présents… à la place quatre inconnus aux motivations bien floues. John Ruth en est certain, l’un d’eux est le complice de sa prisonnière et va tenter de la délivrer durant le blizzard qui s’abat sur le refuge. Le petit jeu de massacre de Tarantino peut réellement commencer.

    Découpé en plusieurs actes, Les Huit Salopards renvoie instantanément aux autres films de Tarantino. On pense à Django pour le personnage principal noir et l’époque, à Reservoir Dogs pour le côté huis clos avec une tripotée de salauds, à Inglourious Basterds pour l’équipe éclectique qui s’assemble dans la diligence, ou encore à Kill Bill pour le découpage. Le film ressemble étrangement à un joyeux melting pot de l’œuvre de Tarantino, cela pour le meilleur…comme pour le pire. Filmés en format cinémascope, les paysages se révèlent impressionnants et infinis dans la première partie, avant de donner une impression de fausse immensité dans le refuge devenu piège à loups où se déroulent les trois quarts de l’action du récit. En prouvant une nouvelle fois sa maîtrise incontestée et incontestable de la mise en scène, Tarantino déroule. Tout est splendidement capturé et magnifié, les anti-héros croqués dans toute leur insolente gloire.

    Pourtant, Quentin prend son temps. Il installe ses personnages au fur et à mesure et tente, avec plus ou moins de bonheur, de leur donner une épaisseur, particulièrement à John Ruth, au major Warren, au shérif Mannix et au vieux général Sandy Smithers. Les acteurs sont impériaux, comme d’habitude chez Tarantino, excellent directeur d’acteurs qui n’a plus grand chose à prouver dans ce domaine. On tire un coup de chapeau au petit nouveau, Walton Goggins, toujours entre cabotinage et grandiloquence inquiétante, et au génial Samuel Lee Jackson, encore une fois parfait dans son rôle. Les choses avancent… avancent… enfin avancent… arrivant à l’auberge de Minnie. Sauf qu’il y a déjà bien trois quarts d’heure de passés et que, dès l’arrivée au refuge, on sent que ce n’est là que le « véritable début ». Voici donc le sujet qui fâche : Les Huit Salopards s’avère abominablement long !

    Comme tous les Tarantino, diront les mauvaises langues. Excepté que cette fois, le réalisateur n’use d’aucun artifice pour nous divertir et qu’il étire des monologues sans vraies raisons sur des longueurs indécentes. La discussion entre Mannix, Warren et Ruth en est le premier exemple. Un lieu exiguë (la diligence), trois personnages qui parlent… parlent… parlent et parlent encore, sans jamais apporter de dynamisme ou de réel intérêt au récit; excepté celui de présenter les personnages. On est très loin de l’extravagance d’un Kill Bill ou de l’efficacité d’un Reservoir Dogs. Sachez-le, ce qui vient sera semblable. Seules surnagent quelques séquences excellentes et made in Tarantino, comme l’histoire de la torture revue et corrigée par Samuel Lee Jackson. L’énorme problème, c’est que pour la première fois, Tarantino boit la tasse. Pour le dire tout net, Les Huit Salopards emmerde son public avec son verbiage et son didactisme. Jamais un film de l’américain n’a été si didactique. Le summum étant atteint dans le flashback d’une bonne demi-heure, rigoureusement inutile, ou dans les négociations finales, tellement mais tellement lourdes… Quelque part en chemin, à vouloir trop en faire, Tarantino se tire une balle dans le pied.

    La chose est d’autant plus rageante qu’il y avait matière à livrer quelque chose de génial avec un tel casting (et malgré l’étrange envie de Tim Roth de singer Christoph Waltz…) et une telle réalisation. Les Huit Salopards comporte bien un message politique fort, celui d’une vision acerbe de l’Amérique Post-Guerre de Sécession, où rien n’a vraiment changé et où le nègre, même libre, reste libre et doit devenir un monstre pour survivre. Le cinéaste découpe le refuge en états, symbolise les forces du pays par chaque rôle interprété par les personnages, pose la femme en punching-ball (une de ses meilleurs idées grâce, notamment, à la géniale Jennifer Jason Leigh) et finit par condamner la violence et le voyeurisme (n’est-ce pas délicieux pour un Tarantino ?) dans un final qui glisse malheureusement vers le Grand-Guignol dénué de ce fun jubilatoire des précédentes œuvres du réalisateur. Il ne reste à l’arrivée qu’un sous-texte peinant à rattraper une bavasserie interminable qui ne peut se sauver par les gimmicks habituels de Tarantino.

    Véritable hommage à l’immense The Thing de Carpenter (un huis-clos dans le blizzard avec une cahute reliée par un fil, un intrus à débusquer et des morts en cascade…), les Huit Salopards a tendance à oublier qu’il doit tenir la distance et tout le talent de ses acteurs n’y fera rien, pas plus que la mise en scène parfaite ou la bande-originale concoctée par Ennio Morricone. Il semble que Tarantino, à force de se regarder filmer et de s’écouter déblatérer, soit passé à côté de ce qui faisait la force d’un Reservoir Dogs, à savoir l’opposition avec l’extérieur, la rapidité de l’action et son enchaînement palpitant, mais aussi ses personnages saisis au vol. Il loupe la force évocatrice de son lieu de jeu, la puissance que pourrait contenir son sous-texte en un temps plus ramassé. Toute la métaphore sur la lettre de Lincoln reste brillante de bout en bout, comme un mirage porté par l’homme noir pour se prémunir d’un homme blanc crédule et superficiel. Une grande idée certes, mais Tarantino foire le reste. Du coup, Les Huit Salopards devient l’un de ses films les moins convaincants.

    Fresque beaucoup trop ambitieuse, d’une interminable longueur et d’une lourdeur qui ne trouve aucune échappatoire dans ce minuscule lieu d’action, pas même la folle inventivité habituelle de Quentin Tarantino, Les Huit Salopards se vautre, littéralement. Son casting, soit formidable, soit sous-exploité (Madsen, Roth…) ne peut rien à cela, ni même cette superbe mise en scène qui rappelle que Tarantino n’a plus rien à prouver.
    Peut-être est-ce justement dans cette assertion que se trouve tout le problème du film…
    Une (énorme) déception.

    Note : 6/10

    Meilleure scène : Le major Warren racontant au général Smithers le destin de son fils.

     

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