• [Critique] La Rage au ventre


    Antoine Fuqua est un réalisateur paradoxal. S'il n'est jamais entré dans le cercle des grands, il a tout de même réussi à livrer quelques films hautement sympathiques comme Training Day, L'élite de Brooklyn ou La Chute de la Maison Blanche. Seulement voilà, le reste de sa filmographie est pour le moins décevante. On se souvient encore de son Roi Arthur raté ou de son pathétique Les Larmes du Soleil. Revenant une fois de plus sur le devant de la scène avec La Rage au ventre (Southpaw en version originale), il pénètre dans le monde de la boxe pour nous parler d'une histoire de revanche qui sent, déjà, le déjà-vu. Heureusement, il peut compter sur un solide casting avec la présence de Jake Gyllenhaal et Forest Whitaker. On est un peu plus perplexe devant la participation d'un certain 50 Cent... mais pourquoi pas. La véritable question, c'est de savoir si Fuqua peut apporter du neuf à un postulat qui semble tellement vu et revu.

    Parce qu'il faut bien l'avouer, La Rage au ventre ne part pas gagnant. Fuqua nous raconte l'histoire de Billy Hope, champion du monde de boxe au sommet de sa gloire. Coulant le parfait amour avec sa femme Maureen et voyant grandir avec douceur sa petite fille Leila, Billy peut également compter sur l'aide de son manager Jordan Mains. Provoqué en duel par un autre boxeur, Billy finit par perdre le contrôle. Sonné par le drame qui s'ensuit, Billy connaît une longue descente aux enfers. Pourtant, bien décidé à retrouver sa fille, l'ancien boxeur va tout faire pour remonter la pente avec l'aide d'un vieil entraîneur aux méthodes strictes, Titus Willis. Il faut avouer que tout cela n'a rien de bien excitant tant on pense à un pseudo-Rocky croisé avec Million Dollar Baby. Le problème, c'est que le film ne sort jamais de ce carcan.

    Difficile en effet de trouver une quelconque utilité à l'existence de La Rage au ventre. Evidemment, Fuqua assure une réalisation soignée et Gyllenhaal livre une prestation correcte. Non le problème n'est pas là, mais bien dans l'histoire qui est proposée au spectateur. Tout est tellement cliché que cela en devient pénible. Billy est un champion du monde de boxe bling-bling qui achète des rolex à ses potes (Nicolas Sarkozy a fait des émules). Il a tout de même réussi à devenir champion en ne sachant pas se défendre sur le ring (ce qui est un sacré exploit quand même) et fait confiance à un manager qu'on devine pourri dès qu'on l'a aperçu (et pas seulement parce qu'il s'agit de 50 Cent). Puis arrive le drame qui élimine Rachel McAdams de l'équation et engonce le film dans un simili-revenge movie toujours plus insipide.

    De là, l'histoire déraille totalement. Fuqua n'en a plus rien à faire de la cohérence de son récit (Billy qui roulait sur l'or et semblait plus riche que l'Oncle Picsou un mois auparavant se retrouve à la rue, évidemment) et va finalement jouer la carte bien connue du mec bien qui veut remonter la pente. Ainsi, Billy trouve un vieil entraîneur très bien mais incompris (non, ce n'est pas Frankie Dunn mais Forest Whitaker borgne, parce que ça fait classe) qui va établir une relation qui pourrait être fortement attachante si, justement, elle n'avait pas déjà été vu dix fois ailleurs. Alors forcément, il y aura un combat retour. Une victoire aussi. Bref, si vous êtes surpris par la conclusion du film, il va falloir revoir sérieusement votre culture cinématographique. On pourra tout de même saluer le match qui clôture le long-métrage qui arrive à être prenant malgré son issue obligée. Cela dit, si c'est pour voir un match de boxe palpitant, autant en regarder un vrai.

    C'est vrai que La Rage au ventre n'a rien d'un film honteux. Il se regardera même avec un certain plaisir coupable dans une soirée entre potes avec moult pizzas et bières. Mais ce qui pose problème, c'est qu'il s'agit d'un film vide, totalement inutile et tellement inférieur à ce qui s'est fait par le passé. On ne comprend simplement pas la démarche d'Antoine Fuqua en réalisant ce long-métrage. Il s'agit de l'exemple typique du film à peine vu déjà oublié. D'autant plus que le message sous-jacent, apprendre à être un homme bien comme il faut, raisonnable et maître de lui-même (et d'éviter de traîner avec des noirs qui ne savent pas utiliser un flingue), a tout de la morale bas de gamme qu'aurait pu nous vendre un des innombrables téléfilms de l'après-midi sur M6. On se demande vraiment ce qu'il y a à sauver à l'arrivée.

    Film inutile, grossier et déjà vu mille fois ailleurs, La Rage au ventre d'Antoine Fuqua ne peut jamais dépasser son postulat de départ et va même toujours plus loin dans le cliché et l'incohérence. Que sont venus faire Whitaker et Gyllenhaal dans ce naufrage ? En tout cas, revoyez plutôt Rocky ou Million Dollar Baby !
     

    Note : 3/10

    Meilleure scène : Le match final


    Cette critique est dédiée à Amandine, si elle me lit, qui a quitté notre aventure et à qui je pense à chaque film que je vois. Merci infiniment pour toute l'aide que tu m'as donné pour ce site et ton soutien indéfectible dans mon exercice critique. Tu fus inestimable et ta magie emplie encore mes mots. 

     


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  • [Critique] Southern Bastards, Tome 1 : Ici repose un homme

    Difficile dans le monde du comics américain de passer à côté du petit génie Jason Aaron. Responsable de l'incontournable série Scalped (éditée également intégralement chez Urban Comics) dans la prestigieuse collection Vertigo ou de poids lourds chez Marvel comme son  fameux run sur Wolverine, l'américain quitte cette fois les deux grandes maisons mères du comic book US pour aller faire un tour chez Image. Rejoint par Jason Latour côté dessin, il nous offre la série Southern Bastards, un récit brut de décoffrage prenant place dans l'Alabama. Edité pour la première fois en France par Urban, le premier volume (intitulé Ici repose un Homme) ne fait pas dans la demi-mesure.

    Earl Tubb est de retour dans le village de Craw County dans le fin fond de l'Alabama. Il se donne deux jours pour déménager les affaires de l'ancienne maison de son père et foutre le camp de cette satané ville. Seulement voilà, les vieux démons ne sont jamais loin, surtout lorsque ce sont les pires ordures du coin qui ont repris les choses en main dans la région. Une seule confrontation qui tourne mal dans le restau' local et c'est l'escalade. Et Earl n'est plus le genre d'homme à fuir. Mené par la poigne de fer du belliqueux Euless Boss, le coach de l'équipe de football locale, les rats montrent les dents. Réveillant de vieilles haines et de profonds traumatismes, Earl Tubb n'a plus qu'une solution : reprendre le gourdin de son vieux.

    Génie du récit hard-boiled, Aaron retrouve sa plume acérée pour ces quatre premiers numéros de la série Southern Bastards. Après une courte préface des deux auteurs qui nous expriment à la fois leur haine et leur amour du sud des Etats-Unis, les choses vont vite, très vite. Pourtant, Aaron ne précipite rien, il laisse éclater la violence et resurgir avec fracas des éléments du passé de ses personnages. Au cours de ce récit, on suit Earl Tubb, un vieux briscard ayant fait le Viêt nam et qui cache une sacrée rancune envers son paternel, l'ancien shérif de Craw County. Incarnation magnifique mais impitoyable de la justice, Earl n'y va pas avec le dos de la cuillère. Et c'est tant mieux quand l'on voit la cruauté et la bêtise des rednecks d'en face.

    Parce que oui, Southern Bastards nous emmène faire la (dé)plaisante connaissance de ces hommes bas du front et violents qui peuplent l'Amérique profonde. Dépeint sans aucune concession et avec un constant souci de réalisme social par Jason Aaron, Boss et ses hommes sont un ramassis d'ordures qui n'éprouvent aucun remord lorsqu'il s'agit de tabasser à mort un homme, voir pire. L'affrontement entre Earl et les sbires fait peut-être long-feu mais Jason Aaron garde le suspense intact pour l'inévitable rencontre entre Tubb et le Coach, point d'orgue de ce récit brutal. Cependant, il ne faut pas limité Southern Bastards à un comic book d'action, il est en effet bien davantage. Outre le réalisme de l'environnement et des protagonistes, Jason Aaron travaille le passé d'Earl et, grâce au talent de Latour, fusionne passé et présent, expliquant comment les vieilles rancunes se pérennisent.

    Entre les lignes, Southern Bastards devient un récit mélancolique. Bouffé par l'amertume d'une vie douloureuse, Earl Tubb expie ses démons lorsqu'il prend la défense des faibles. Il rejoue à sa façon la partition paternelle et retrouve en un sens, la rédemption qu'il avait attendu toute sa vie. L'emploi de la tombe et de l'arbre ainsi que des pages explosées en myriades de vignettes, tout cela permet au récit d'inclure une dimension temporelle et un message plus profond. Les racines ne sont jamais vraiment coupées et notre passé nous attend au moindre faux pas. En décidant de l'affronter, Tubb risque gros. Futé comme il est, Aaron nous réserve pourtant un autre niveau de filiation...que l'on vous laisse découvrir dans l'épilogue de ce volume. 

    Récit brutal mais plus malin qu'il n'en a l'air, ce premier volume de Southern Bastards happe le lecteur avec une rapidité peu commune. Jason Aaron profite du trait noir et torturé de Jason Latour pour accoucher d'un uppercut qui fait mal, plongeant sans complaisance dans une certaine Amérique. 
    On se jettera sans attendre sur le second volume.

    Note : 8.5/10

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  • [Court-métrage du dimanche] One Minute Time Machine


    Le court-métrage vous a manqué ? Alors réjouissez-vous puisqu'il revient avec ce court de science-fiction aussi drôle qu'intelligent. Imaginez que vous disposiez d'une machine à remonter le temps...d'une minute ! Qu'en feriez-vous ? La réponse en images par Devon Avery !





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  • [Critique] Dheepan
    Palme D'or Festival de Cannes 2015

    Véritable sensation du Festival de Cannes 2015, le dernier film du français Jacques Audiard sort enfin en salles. Non content d'avoir créé un buzz médiatique non négligeable, Dheepan a été couronné par la récompense suprême : la Palme d'Or. Étrangement pourtant, le film est porté par des acteurs rigoureusement inconnus et ne semble pas, de prime abord du moins, pouvoir surpasser le sujet audacieux d'Un Prophète, le meilleur Audiard jusqu'ici. Après un De Rouille et d'Os bon mais loin d'être mémorable, Audiard revient à un cinéma politiquement et socialement engagé dans un contexte finalement très tendu. Nul doute que l'entreprise a de quoi séduire mais comporte, c'est évident, un grand nombre de risque. Heureusement, Jacques Audiard reste l'un des réalisateurs français les plus intéressants et les plus talentueux à l'heure actuelle. Si l'on a peu de doute sur la qualité du film, a-t-il pour autant mérité la Palme si convoitée ?

    De quoi parle donc Dheepan ? Du sujet très sensible - d'autant plus ces derniers temps - de l'immigration clandestine en France. Trois Sri-Lankais tentent de fuir la guerre civile. Pour se faire, des passeurs leur font endosser l'identité d'un homme décédé, le fameux Dheepan, et de sa famille, une femme et une fille. Débarqués en France, Dheepan, Yalini et la petite Illayaal subissent la dure réalité des clandestins pourchassés par la police et vendant à la sauvette des gadgets au cœur de la capitale. Bientôt pris en charge par les services sociaux, ils se retrouvent reloger dans la cité "Les Prés", une banlieue difficile où la drogue fait la loi. Lentement, Dheepan et les siens glissent dans un monde de violence tout en essayant de conserver un équilibre fragile pour maintenir l'illusion "familiale". Evidemment, avec un tel postulat de départ, le long-métrage est attendu au tournant. Et pendant longtemps, Dheepan s'en sort brillamment.

    En effet, Jacques Audiard reste avant tout un metteur en scène de génie. Souci du détail, rendu très cru et réaliste de la situation sociale, atmosphère urbaine à mi-chemin entre le film de gangsters et la plongée en apnée au cœur de la misère, le français manie la caméra avec un talent consommé. Il capture la cité tout autant comme une prison asphyxiante que comme un champ de bataille. L'immersion progressive de Dheepan dans cet environnement se fait avec une douceur surprenante, surtout eu égards aux personnages qu'il rencontre. On s'aperçoit bien vite qu'Audiard n'a pas envie de jouer la carte du misérabilisme ou du cliché bien commode de l'immigrant martyrisé. Le français s'avère bien plus futé que cela. Dheepan et Yalini ne sont pas présentés comme des victimes mais comme des pièces d'un jeu cynique. L'idée de faire de Dheepan un ancien des Tigres Tamouls provoque une ambiguïté bienvenue puisque l'on soupçonne d'emblée que son personnage n'est pas aussi innocent qu'il n'y parait. Tout du long, Audiard joue sur cette dichotomie pour finalement la justifier dans son dernier quart d'heure.

    Mais revenons d'abord à l'installation du récit. Jacques Audiard dissèque avec une patience infinie les rouages de l'intégration...dans une cité. Ce lieu forcément très particulier apporte un message politique très fort au film. A savoir que les immigrants ne sont pas les grands méchants que l'on veut nous vendre. Ils s'avèrent même bien plus courageux et travailleurs que les autres habitants des HLMs. Seulement voilà, les autochtones, eux, étouffent la vie des autres. Vente de drogue, fusillade, violence et dégradations en tout genre, les voyous de la cité pourrissent tout. Audiard démontre comment l'influence néfaste de ceux-ci arrive finalement à entraîner tout le monde dans leur chute. Le système semble tellement surréel que l'on a parfois l'impression d'assister à...du cinéma. Comme Yalini et Dheepan le font judicieusement remarquer lorsqu'ils contemple le ballet des voitures et des réunions clandestines à travers une fenêtre ô combien évocatrice. Ce monde criminel qui se terre dans nos cités a des allures de farce bouffonne, tellement exagérée qu'elle peut prêter à rire. Du moins, si elle ne tuait pas.

    Cette peinture acérée de la banlieue se conjugue avec le portrait nuancé d'une cellule familiale qui n'en est pas une. Le lent processus d'intégration dans la société française va de paire avec l'acceptation du jeu de dupes nécessaire pour tromper les autorités. Seulement voilà, comment vivre avec un mari qui n'est pas le sien, aimer une enfant qui n'est pas le sien ? Est-ce seulement possible ? Ce sujet douloureux au cœur des interactions entre les trois personnages principaux renferme son lot de fulgurances où Audiard prouve une nouvelle fois qu'il sait faire ressortir les sentiments humains avec une habilité sans pareille. On retrouve un peu de la dimension émotionnelle de De Rouille et d'Os dans ces instants alors que la majeure partie du film semble se rapprocher d'Un Prophète. Cette synthèse inattendue des deux derniers films du réalisateur devrait en toute logique accoucher d'un métrage mémorable. Sauf qu'en réalité, Dheepan gâche un peu toutes ses bonnes intentions dans sa dernière partie.

    La chose reste toute relative et bien modeste il est vrai, mais à un moment Dheepan semble quitter le champ de la critique sociale et de la peinture familiale pour se rediriger vers un thriller violent lorgnant vers le vigilante-movie. En soi, il ne s'agit pas d'un lamentable ratage mais plutôt d'une déception. Si la séquence de vengeance de Dheepan reste filmée de façon magistrale et si le choix de faire éclater le côté obscur du personnage dans une fin d'une violence extrême présente une certaine cohérence avec ce que l'on devine de son passé, le film perd indéniablement en puissance. Pourtant, on est encore loin de la fausse note que représente la séquence finale clôturant le film. On ne l'a dévoilera pas bien évidemment, mais celle-ci représente un tel décalage de ton avec le reste du film qu'elle apparaît définitivement à côté de la plaque. Pire, elle conclut Dheepan sur un cliché d'une incroyable bêtise. On reste médusé par cette conclusion que l'on attendait pas du tout, surtout d'un réalisateur de la trempe d'Audiard. Cela ne peut heureusement pas réduire à néant tout le reste mais s'avère fortement décevant. 

    Alors finalement, Dheepan a-t-il mérité la Palme d'Or ? Non. Malgré toute la justesse de sa lecture sociétale ainsi que le jeu impeccable d'Antonythasan Jesuthasan et Kalieaswari Srinivasan, le dernier long-métrage d'Audiard paraît en réalité bien faible comparé à Un Prophète qui reste le pinacle de l'oeuvre du français. De même, la tournure finale du long-métrage l'empêche d'atteindre la qualité requise pour s'arroger une telle récompense. Nous ne sommes bien entendus pas dans la Palme honteuse à La Vie d'Adèle mais un fossé sépare la qualité de Dheepan de celle de Winter's Sleep l'année dernière. On ne peut s'empêcher de penser que le jury rattrape l'erreur monumentale de n'avoir décerné "que" le Grand Prix du Jury à Un Prophète en 2009. On attendra patiemment la sortie en salles des autres films de la sélection pour juger définitivement de la pertinence de ce choix contestable.

    Dheepan, malgré quelques fausses notes encombrantes, reste un film remarquable et marquant. Grâce à la mise en scène crue de Jacques Audiard ainsi qu'à la férocité de sa chronique sociale, le film nous emporte dans un tourbillon d'émotions, de violence et de rêves brisés. Si le long-métrage n'a peut-être pas mérité de remporter la récompense suprême à Cannes cette année, il mérite assurément que vous lui accordiez un moment.
    Surtout à l'heure actuelle !

    Note : 8.5/10




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  • [Critique] Le monde de Charlie
    Meilleur film Independant Spirit Awards 2013

    Sujet épineux s'il en est, le passage de l'adolescence à l'âge adulte a fait l'objet de nombreux films. Difficile cependant de parler de cette période sans se confronter aux poncifs du genre et sans tomber dans la caricature pure et simple. Adapté du livre éponyme, Le Monde de Charlie se risque à cet exercice périlleux. Cas relativement rare dans le monde des adaptations romanesques au cinéma, le long-métrage est l'oeuvre de Stephen Chbosky, lui-même auteur du roman. Il s'agit de son second film après The Four Corners of Nowhere et de sa participation télévisuelle à la défunte série Jericho. Précédé par une réputation flatteuse, Le Monde de Charlie embarque quelques belles têtes d'affiches tels que Logan Lerman (Percy Jackson, Noé, Fury), Ezra Miller (We need to talk about Kevin, Flash) ou encore Emma Watson (Harry Potter, The Bling Ring). Cela peut-il être suffisant pour se démarquer dans un genre des plus balisés ?

    Refusant de faire de son film un simili-Skins ou une énième bleuette pour midinettes, Chbosky base tout son récit sur le personnage passionnant de Charlie. Pour expliquer plus précisément l'importance de celui-ci, il faut se souvenir que Le Monde de Charlie s'intitule en réalité The Perks of being a Wallflower, un titre déjà infiniment plus beau que l'hideuse traduction française mais qui a surtout l'avantage de donner le ton. Charlie représente un peu le cliché du jeune lycéen transparent, invisible. Il longe les murs pour la rentrée des classes, cherche désespérément sa place et survit par son goût pour la musique et la littérature. C'est également un garçon discret et introverti qui va avoir le bonheur de tomber sur deux compères hauts en couleurs : Le truculent Patrick et la sublime Sam. Ensemble, ils vont construire une amitié et des amours souvent difficiles. Le film s'attache à suivre leurs parcours à travers les yeux du jeune Charlie en tentant de capturer ce qui constitue l'essence même de cet âge : la passion.

    Si tout cela semble cliché au possible (et c'est bien le cas par moments), le réalisateur met un point d'honneur à creuser ses personnages, à les rendre éminemment humains et attachants. En premier lieu, il y a bien sûr Charlie. Ce jeune garçon effacé donne au récit toute sa force. Partant d'une grosse caricature, Chbosky en fait un individu passionnant victime de multiples drames qui font de lui une personne sans équivalent. Il faut évidemment rendre justice au jeune Logan Lerman (que l'on retrouve plus tard dans Fury) qui livre une prestation tout à fait remarquable. Il en va d'ailleurs de même pour les deux autres acteurs du trio, à savoir Ezra Miller, bluffant et criant de vérité dans son rôle de gay clownesque, et Emma Watson qui trouve ici son tout premier rôle véritablement profond. Celle-ci arrive enfin à faire oublier les errances de ses premières prestations dans la saga Harry Potter. Cependant, ce qui fonctionne le plus remarquablement dans Le Monde de Charlie, c'est l'alchimie entre ces trois personnages. C'est au final ce trio aussi divers que soudé qui fait tout le charme du récit.


    Seulement voilà, Le Monde de Charlie n'est pas qu'un film de camaraderie. C'est aussi un film sur l'adolescence (et non pour adolescents). Il raconte avec une grande acuité les méandres sentimentaux de cet âge et comment certaines personnes peuvent être aveugles au bonheur qui se trouve juste à côté d'eux. A ce titre la relation Charlie-Sam est formidable de bout en bout, Chbosky capturant cet étrange paradoxe qui veut que l'on se dévalorise pour être avec des personnes vides d’intérêt quand celles qui vous feront le plus de bien se trouvent à côté de vous. Dans ces instants, le film tutoie parfois les sommets comme lors de ces séquences dans la chambre éclairée de milles ampoules de Sam. Ou lors des deux passages du tunnel sur fond de David Bowie. Le Monde de Charlie touche alors à quelque chose d’éminemment sensible, la sensation de redécouvrir le réel, de trouver sa place dans l'univers. Certes le réalisateur se trompe parfois, notamment dans la sous-intrigue concernant Patrick et Brad, tellement déjà vue et revue qu'elle n'a plus aucune saveur. Mais c'est pour mieux surprendre son public avec un dernier axe.

    Charlie cache en effet un secret, et pas forcément celui que l'on croit. Traitant la chose avec une extrême pudeur et disséminant les indices de façon progressive dans le récit, Chbosky aborde un thème totalement tabou et infiniment douloureux. On ne révélera pas sa teneur mais l'habilité de l'américain pour dévoiler petit à petit la chose force le respect, d'autant plus qu'elle sert le récit. N'oublions pas tout de même que Le Monde de Charlie peut compter sur d'autres atouts de taille. La mise en scène de Chbosky d'abord, franchement surprenante par moment et comportant de vraies morceaux de poésie, la bande originale des plus réussies ensuite, mélangeant The Smiths, Dawid Bowie, Sonic Youth ou encore New Order  (sans oublier les partitions discrètes mais superbes de Michael Brook), son humour et enfin ses références littéraires, véritable hommage à la belle littérature où l'on retrouve L'attrape-cœurs de Salinger, Ne tirez pas sur l'Oiseau Moqueur de Harper Lee ou L'étranger d'Albert Camus. Dans le fond, Le Monde de Charlie fait plus que parler de fougue amoureuse et d'amitié, il parle du fait de vieillir ensemble, de découvrir le monde avec ceux que l'on aime et de surpasser le passé, le tout en oubliant jamais le rôle primordial de la culture pour définir qui l'on est.

    Authentique surprise, Le Monde de Charlie s'impose comme un des meilleurs représentants des films consacrés à l'adolescence. Intelligent, mis en scène avec talent et regroupant trois acteurs talentueux, le film de Stephen Chbosky surpasse ses clichés de départ pour imposer quelque chose de touchant et criant de sincérité. Un superbe découverte.

    Note : 8.5/10

    Meilleures scènes : Le premier baiser de Charlie - Les 2 séquences du tunnel - Patrick et Charlie échangeant des légendes urbaines

    Meilleures répliques : 

    - Welcome to the island of misfit toys
    - Why do I and everyone I love pick people who treat us like we're nothing?  We accept the love we think we deserve.
    - You are alive, and you stand up and see the lights on the buildings and everything that makes you wonder. And you're listening to that song and that drive with the people youlove most in this world. And in this moment I swear, we are infinite



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  • [Critique] American Ultra


    Mike Howell habite dans une petite ville paumée.

    Il gère une supérette en dessinant les aventures d'un héros de comics qu'il a imaginé, Apollo Ape. 
    Loin d'être le genre super-héros, Mike fume de l'herbe avec sa petite amie Phoebe qu'il rêve de demander en mariage au cours d'un voyage à Hawaï. Sauf que Mike souffre de crises d'angoisses terribles et qu'il n'arrive pas à sortir de sa propre ville. Malgré tout, Phoebe aime ce garçon que d'aucuns qualifierait de gentil raté. 
    Un jour, alors qu'il attend paisiblement le client à sa supérette, une femme vient lui débiter une série de phrases sans queue ni tête avant de s'en aller visiblement désappointée. Quelques minutes plus tard, deux hommes trafiquent sa voiture sur le parking et tente de l'agresser lorsqu'il sort les interpeller.
    C'est alors que Mike Howell, le fumeur d'herbe effacé et rongé d'angoisses se transforme en machine à tuer en éliminant les deux agresseurs avec une simple...cuillère à soupe. 
    Il semblerait que Mike Howell n'est pas ce qu'il pense être...

    Si le nom de Nima Nourizadeh ne vous dit rien, le titre de son dernier film vous sera forcément plus familier : Projet X. Après ce galop d'essai délirant, le britannique remet le couvert en changeant radicalement de style avec American Ultra. Un peu sorti de nul part, le long-métrage comporte pourtant deux têtes d'affiches remarquables avec Jesse Eisenberg (The Social Network) et Kristen Stewart (Still Alice). Mieux, le réalisateur se paye les services d'une ribambelle de second rôles des plus sympathiques pour l'occasion : Topher Grace, Connie Britton, John Leguizamo, Tony Hale, Walton Goggins et même un revenant en la personne de Bill Pullman. Avec sa bande-annonce punchy et un casting aussi réjouissant, American Ultra pourrait-il créer la surprise dans le joyeux monde des films estivaux ?

    Étrangement, oui. American Ultra commence lentement, paisiblement. Il installe la vie de deux personnages attendrissants, Phoebe et Mike, tout en montrant que leur couple se fissure. Mike Howell apparaît immédiatement comme un loser, mais du genre hautement sympathique, effacé, qu'on a presque envie de serrer très fort dans ses bras. Dans ce rôle, Jesse Eisenberg s'avère remarquable. Cheveux longs, pétards à tour de bras, voix fluette et tremblotante, l'américain est remarquablement à l'aise. En face, Kristen Stewart continue de faire oublier les errances des années Twilight en composant un personnage poignant et regorgeant de mystères. Car American Ultra nous réserve un bon lot de mystères. Nima Nourizadeh bâtit un métrage à la confluence des genres super-héros et agent secret, le résultat faisaint penser à un joyeux mix d'influences comics, de RED à Wanted. Si le héros griffonne quelques strips, ce n'est d'ailleurs pas un hasard.

    Là où Projet X adoptait un style très jeune et tape à l’œil, American Ultra se pose un peu plus, se dote de véritables personnages et d'une histoire trépidante. Cela ne veut pas dire que le britannique abandonne ses vieilles habitudes, juste qu'il les fait évoluer, gagner en maturité. Jonglant entre humour, action et tragique, American Ultra s'avère aussi généreux que foutraque par moment. Une fois la machinerie lancée après le premier affrontement, les événements s'enchaînent, les second rôles défilent à l'écran et l'on est franchement happé par cette histoire de complots certes déjà vue mais délicieusement mise en scène. Nourizadeh garde son goût pour l'outrance et le pied de nez. Il prouve surtout qu'il sait véritablement manié sa caméra en filmant des scènes d'actions de façon totalement jouissive et véritablement lisible. La séquence du commissariat, celle du supermarché ou de la maison de Mike : autant de moments truculents qui font virevolter la caméra de l'anglais, l'éclabousse de sang à la Kick-Ass et tutoie parfois les sommets de jouissance d'un Kingsman.

    Film sous influences, American Ultra fait aussi figure de joyeux melting-pot. Nima Nourizadeh les digère et les restitue sous forme de clins d’œils complices avec ses spectateurs. Terminator, Men In Black, Alerte, Wanted, le film accumule les références sans pourtant ne jamais tomber dans le bête plagiat. Ce qui saute également aux yeux, c'est qu'American Ultra est un film fun. Le britannique prend un malin plaisir à détourner les clichés, du dealer sensible habillé en rose fluo à l'agent de la CIA homosexuel avec une sonnerie chien sur son portable en passant par un héros maladroit et paumé, le récit nous offre du fun, même beaucoup de fun, et engrange un capital sympathie étonnant. Ce qui ne fait pas d'American Ultra un film sans défaut, au contraire. On pourra lui reprocher un background type complot assez facile à percer par exemple, ou de ne pas totalement profiter des possibilités qu'il laisse entrevoir.

    La plus importante parmi celles-ci, c'est un peu les autres agents spéciaux. Nima Nourizadeh commence pourtant plutôt bien avec l'arrivée de Grue et Rieur au poste de police. Ce dernier condense tout ce que l'on aurait voulu trouvé chez les autres. Un miroir déformé mi-ridicule mi-terrifiant de Mike. Walton Goggins livre une excellente prestation et il y a définitivement quelque chose de glaçant dans cette simili-némésis décalée. La courte séquence où Mike et lui se retrouve face à face au supermarché s'avère l'une des meilleures du long-métrage tout entier. Il semble que le réalisateur britannique manque un petit coup de génie en éliminant toute caractérisation plus poussée de ses autres agents, en ne tentant pas d'en faire un cortège de freaks vraiment marquant. C'est extrêmement dommage tant Rieur est réussi. A un certain point, American Ultra manque d'audace, manque d'envie créatrice. Quelque chose qui le ferait franchement se démarquer de ses concurrents, dans la même lignée que la scène de la demande en mariage ou que son générique sous LSD absolument délirant. En l'état, on reste un tantinet sur notre faim. On se contentera d'un divertissement sympathique et plein de bonnes idées, à défaut de plus.

    Confirmation que Nima Nourizadeh sait manier sa caméra et embarquer le spectateur dans un univers atypique, American Ultra est une petite surprise acidulée où l'humour le dispute à l'action. S'il aurait pu viser bien plus haut en étant plus audacieux et en s'aventurant davantage vers une certaine noirceur, le long-métrage remplit son contrat de divertissement fun et efficace. 
    C'est déjà pas mal.

     

    Note : 7.5/10

    Meilleure scène : Le supermarché 


    In our memory, No Fate


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  • [Critique] Le Petit Prince

     

    On ne compte plus les adaptations qu'a connues Le Petit Prince, le chef d'oeuvre d'Antoine de Saint-Exupéry. Ce roman faussement simple s'avère d'une extraordinaire complexité dès qu'il s'agit de le retranscrire à l'écran tout en conservant ses différents sous-textes philosophiques et surtout, sa poésie intemporelle. Nullement impressionné par ce défi, le producteur français Dimitri Rassam a porté son dévolu sur le réalisateur américain Mark Osborne pour porter le projet sur les écrans de cinéma. Responsable du fort sympathique Kung Fu Panda, Osborne a donc la très lourde tâche de retranscrire la magie de Saint-Exupéry sur pellicule. Attendu comme l’événement de l'été en matière d'animation, Le Petit Prince est-il à la hauteur des espérances ?

    Pas tout à fait. Le principal problème dont il faut prévenir le spectateur avant d'aller voir le film, c'est qu'en réalité, il ne s'agit pas d'une adaptation du roman de Saint-Exupéry. Même si le récit s'ouvre de la même façon que dans le livre, bien vite les choses divergent. Le Petit Prince s'avère en réalité une réflexion autour du conte dans notre époque moderne, ainsi qu'une tentative de suite au légendaire roman. On suit donc une petite fille qui emménage avec sa mère dans un quartier résidentiel flambant neuf... à l'exception de la vieille baraque étrange de leur vieux voisin. Ce doux-dingue attise vite la curiosité de la petite fille puisque non seulement il possède un biplan décrépit dans son jardin, mais aussi parce qu'il désire partager avec elle une histoire qu'il a écrite à propos d'un mystérieux Petit Prince. Pour la petite fille, c'est l'occasion de s'évader du cadre rigide dressé par sa mère pour assurer son avenir et de connaître l'Amitié avec un grand A.

    Là où Le Petit Prince est extrêmement décevant, c'est qu'il tisse en réalité l'histoire de la petite fille et de son ouverture d'esprit plutôt que, stricto sensu, le récit de Saint-Exupéry. Si d'un côté la chose peut sembler originale, elle perd forcément en intérêt en passant à toute vitesse sur la véritable histoire de Petit Prince. On assiste, frustré, à des séquences bien trop courtes où Osborne tenait pourtant quelque chose de superbe. Pour mettre en images les écrits de Saint-Exupéry, l'américain emploie le stop-motion, une idée grandiose, d'autant plus d'ailleurs que la conception artistique de ces passages est fabuleuse. Il faut voir le Renard surgir de derrière un arbre tel une douce flamme pour le comprendre totalement. Cependant, puisqu'il n'est pas question de faire un film suivant pas à pas le roman, Osborne passe avec une vitesse désolante sur les plus beaux moments du livre, enlevant la saveur si particulière des rencontres et l'émotion inhérente à celles-ci. On a la sensation que l'équipe créatrice fait le mauvais choix, loupant de peu un petit chef-d'oeuvre de poésie.

    Du reste pourtant, on ne peut vraiment nier certains sommets de beauté au film. Simplement, il ne s'agit pas de l'histoire du Petit Prince. Osborne imagine plutôt l'aventure d'une petite fille qui redécouvre le terne monde moderne grâce à une magie d'antan cachée juste à côté de chez elle. Le résultat final n'est pas désagréable, il en est même touchant, mais il faut alors considérer le Petit Prince comme une oeuvre nouvelle et non une réelle adaptation. La relation douce et poétique entre le vieil homme et la petite fille finit par toucher, réellement. La beauté de la redécouverte du monde par le prisme d'une personne encore indemne de la grisaille moderne apporte son lot d'émotions. Puis, dans sa seconde partie, le long-métrage finit par s'éloigner de cette douce poésie pour tenter quelque chose d'audacieux mais de forcément voué à l'échec : imaginer une suite du Petit Prince dans notre société moderne.

    Pourquoi voué à l'échec ? Simplement parce qu'il est impossible à Osborne de ne serait-ce qu'approcher le génie littéraire de Saint-Exupéry, l'américain va forcément échouer à égaler le chef-d'oeuvre littéraire et se heurter à quelques éléments en totale contradiction avec l'esprit du Petit Prince. On avait déjà remarqué subtilement la dague que place la petite fille dans la main de la figurine du Petit Prince en début de métrage, un contre-sens total pour l'oeuvre la plus pacifiste du monde, mais la partie dystopique du film achève de convaincre qu'Osborne se méprend. Soyons bons joueurs, il ne livre pas quelque chose d'immonde, la dystopie elle-même s'avère d'ailleurs d'une intelligence salutaire en montrant avec lucidité que ce sont les personnages les plus hideux, et donc les plus grandes craintes de Saint-Exupéry, qui dominent le monde moderne. Il y a quelque chose de terriblement véridique dans cette partie mais également une dimension artistique qui sonne faux. Osborne s'éloigne du conte de Saint-Exupéry pour s'inspirer d'autres sources dont il n'a nullement besoin. Mr Prince ne renvoit-il pas à un Peter Pan qui aurait grandi ? Peut-on réellement faire grandir le Petit Prince sans trahir l'esprit même du roman ? 

    La réponse se situe certainement quelque part entre les deux. On avait déjà remarqué la propension d'Osborne à mêler d'autres contes - le passage très Alice au Pays des Merveilles où la petite fille rampe à travers les haies avant de tomber sur un monde enchanteur par exemple - mais il passe en réalité à côté de quelque chose de fondamental. Il n'est pas tout à fait saugrenu de vouloir montrer que Le Petit Prince était précurseur et visionnaire, en ce sens, toute la seconde partie du film se regarde très bien avec une pointe de désespoir latent. Seulement, comment l'américain peut-il autant modifier une histoire qui aurait du être celle de la rencontre entre un aviateur et un petit garçon. Quelle nécessité de transposer cela comme il le fait ? Evidemment la relation petite fille - vieil homme est un écho du roman, mais fondamentalement, quelle est la nécessité d'un écho, aussi réussi soit-il ? Pourquoi cette volonté étrange de toujours vouloir modifier une oeuvre déjà fondamentalement parfaite ?

    La question reste posée. En l'état, le Petit Prince ne peut se voir dénier une certaine qualité. Il y a de l'intelligence dans le scénario, dans sa dénonciation du pouvoir de l'argent, du business. Il y a de la beauté et de la poésie dans certaines séquences (le lever de soleil de la Rose, la séquence à l’Hôpital...). Et surtout, on sent un vrai amour pour l'oeuvre de Saint-Exupéry derrière tout ça. C'est certainement à cause de ces éléments que l'on s'abstiendra de démolir le long-métrage, tant il est objectivement agréable et magnifique par moments. Il est également certainement trop long et gâche un peu sa puissance évocatrice avec la sous-intrigue mère-fille lassante et caricaturale. Mais finalement, rien de vraiment grave. Nous obtenons à l'arrivée quelque chose d'honnête, d’attachant même, mais qui n'arrive jamais à remplir le contrat présupposé par son titre. Rajoutons également que pour le plus grand malheur des spectateurs français, il sera rare de trouver une copie VO du film et qu'il faudra supporter un doublage inégal. Si les voix de Cassel ou Dussollier ne posent aucun problème, celle de Florence Foresti a tendance à faire tâche quand la mère s’énerve... mais surtout, Andrea Santamaria, qui double le Petit Prince lui-même, se révèle un choix catastrophique, se contentant de déclamer des lignes de dialogues et enlevant toute l'émotion dégagée par ce personnage crucial. Un point fort dommageable.

    Grosse déception pour ceux qui s'attendait à voir une adaptation stylistiquement inspirée et scénaristiquement fidèle du Petit Prince cet été. En lieu et place, Mark Obsorne nous offre un long-métrage avec pour toile de fond l'histoire mythique de Saint-Exupéry. Le résultat s'avère tout à fait correct, voir même bien davantage par moments, mais il ne cache pas le gâchis d'un véritable parti-pris artistique en stop-motion qui aurait pu accoucher d'une merveille.
    On se contentera malheureusement de l'entrevoir de-ci de-là au gré d'une histoire finalement frustrante.

    Note : 7/10

    En tant qu'adaptation : 3/10

    Meilleure scène : Le Renard et Le Petit Prince en stop-motion / Le lever de soleil de la Rose

    In our Memory, No Fate.

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  • [Critique] Summer
    Prix de la mise en scène Sundance 2015

    Palme d'or en 2013, La Vie d'Adèle tentait de dépeindre l'éveil à la sexualité d'une jeune fille un peu perdue. Le film fut surtout remarqué pour sa romance lesbienne qui lui valu, en grande partie, la récompense suprême. Pourtant, le long-métrage de Kechiche était très loin de valoir les louanges qu'il a reçu. Boursouflée, prétentieuse, aguicheuse et surtout clichée au possible, l'histoire entre Adèle et Emma finissait dans un marasme complet à tous les points de vues. Pourquoi parler de La Vie d'Adèle pour introduire Summer ? Tout simplement parce que le second long-métrage de la lituanienne Alanté Kavaïté partage d'immenses similitudes dans le déroulé de son intrigue avec le film de Kechiche. Récompensé à Sundance cette année pour la qualité de sa mise en scène, Summer incarne en réalité à peu près tout ce que La vie d'Adèle n'était pas. 

    Alanté Kavaïté nous parle de l'éveil à la sexualité de la jeune Sangaïlé. Dans le cadre étrange de la Lituanie moderne, pris entre friches industrielles et paysages champêtres, Sangaïlé s'ébahit devant les spectacles aériens de l'aérodrome tout proche. Mal dans sa peau, effacée et timide, la jeune fille tombe par hasard sur Auste, une artiste extravagante qui n'a aucun des complexes de Sangaïlé. Toutes deux vont connaître l'amour l'espace d'un été. Grâce à Auste, Sangaïlé va grandir et vaincre les démons qui la rongent, elle va trouver en elle la force d'être. On se rend compte que le duo de personnages, les conditions de départ (Sangaïlé couche d'abord avec un garçon, s'interroge sur son désir naissant etc...) sont très semblables au film de Kechiche. Pourtant, quasi-instantanément, on sent qu'Alanté Kavaïté est d'une autre trempe.

    L'histoire s'ouvre sur une longue séquence de ballet aérien, la caméra virevoltant entre l'avion et le visage ébahi de Sangaïlé. Kavaïté capture avec une grâce infinie les paysages et les mouvements, reproduit avec une fluidité étonnante à l'écran les sentiments intérieurs. Au fur et à mesure de l'avancée du récit, la mise en scène se fond autour des deux amoureux, les absorbe, les fait sien. La Lituanienne nous trimballe au bord d'un lac ou le long de pilônes à hautes tensions. Elle fait entrer en collision la décrépitude moderne de la Lituanie avec la splendeur des paysages naturels du pays. Dans Summer, tout semble entrer en collision au ralenti. On assiste à la rencontre de deux personnalités aux antipodes l'une de l'autre, qui se mélangent avec douceur et beauté. D'un côté l'extravagance artistique d'Auste, de l'autre la souffrance intérieure mutilante de Sangaïlé. Là où Kechiche immisçait un grotesque sous-texte social, Kavaïté parle de renaissance et de thérapie. Là où Kechiche exposait l'acte sexuel dans une complaisance pornographique presque dérangeante, Kavaïté soigne ses plans, donne à l'acte une évanescence inattendue.

    Tout comme elle le fait avec ses décors, la réalisatrice explore méticuleusement la beauté de son histoire d'amour. Elle dévoile l'acte sexuel dans la brume du coucher de soleil, en plein milieu d'un champ, à peine éclairé par le clignotement des robes artisanales d'Auste. Au lieu de tout montrer crûment, elle laisse une place à la suggestion, à l'imagination. Le spectateur contemple les visages en pleine extase, ne pouvant que tenter d'imaginer les lèvres et les mains s’effleurant, s'enfouissant, se consumant. Summer tente de sublimer la passion par la qualité se sa mise en scène, simplement bluffante de poésie et d'épure. De même, le récit ne fait pas l'erreur de s’appesantir des heures sur les affres de l'amour entre les deux jeunes femmes et repositionne sa caméra sur les méandres psychologiques de Sangaïlé, tente d'expliquer. La place du vide dans Summer n'est pas anodine. Le vertige de Sangaïlé renvoie à son vide intérieur, sa sensation d'incomplétude et de rejet. Dès lors, la comparaison avec l'aviation semble aller de soi. 

    Outre sa réalisation sublime de bout en bout et son refus d'un certain voyeurisme racoleur, le métrage d'Alanté Kavaïté peut compter sur la prestation admirable de son duo d'actrices. Rigoureusement inconnues, Julija Steponaityte et Aistė Diržiūtė donnent une âme à cette relation passionnée et passionnante. Elles donnent une sincérité et une authenticité loin des clichés habituels, composant avec les failles de leurs personnages pour les rendre plus humains, plus beaux et finalement plus touchants. C'est au cours de la scène finale, lors de l'envol de Sangaïlé sous les yeux embués de larmes d'une Auste déchirée que l'on se rend compte que, définitivement, Summer méritait dix fois plus une palme d'Or que l'indigeste Vie d'Adèle.

    Petit film indépendant venu droit de la Baltique, Summer offre enfin un portrait amoureux poétique de deux femmes qui se découvrent. Envoûtant, aérien, poétique et intelligent dans sa construction psychologique, le second long-métrage d'Alanté Kavaïté mérite toute votre attention.

    Note : 8/10

    Meilleure scène : Auste et Sangaïlé faisant l'amour au milieu des champs

     

     

     

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  • [Critique] La Peur
    Prix Jean Vigo 2015

    A la fois réalisateur, poète et documentariste, le français Damien Odoul reste cependant une figure assez discrète. On trouve pourtant à son actif pas moins de six long-métrages, quatre documentaires et une dizaine de courts. Une carrière déjà bien remplie donc. Ce mois-ci sort La Peur, septième film d'Odoul et plongée sans concession dans la grande guerre. Inspiré par le roman de Gabriel Chevallier, le récit se concentre sur l'histoire d'un jeune homme, Gabriel, appelé à servir dans l'armée de terre française en 1914 alors qu'il n'a que dix-neuf ans. Loin d'avoir les moyens d'un Joyeux Noël, La Peur tente de livrer un témoignage cru de l'enfer de la guerre à travers les yeux d'un jeune homme rencontrant brutalement la boue des tranchées.

    Gabriel et ses amis s'en vont en guerre comme l'on s'en va à la foire, morveux comme des gosses, fiers comme des coqs. Immédiatement pourtant, Odoul montre qu'il y a quelque chose qui grippe dans cet élan patriotique. Dès la première scène au ralenti, les mots se décomposent et se désolidarisent des lèvres. On tabasse un supposé espion qui a eu le tort de ne pas croire à la guerre et ces premiers instants marquent le long chemin de croix de Gabriel vers la pleine connaissance de l'horreur humaine. Malheureusement, Damien Odoul semble avoir bien du mal à diriger ses acteurs, des illustres inconnus qui déclament plus qu'ils ne jouent. La Peur n'arrive que rarement à se défaire de cette image de théâtre amateur, dans les tirades enflammées mais si peu naturelles du sergent Nègre ou dans les longues séquences de disputes entre les hommes où les acteurs peinent à faire passer une véritable émotion. Reste alors la voix-off de Gabriel, interprété par un Nino Rocher des plus correctes, heureusement, et qui semble un peu sauver la chose. 

    Ce talon d'Achille que l'on ressent d'emblée ne peut cependant pas dépouiller le long-métrage de sa réalisation. Damien Odoul impressionne quand à la gestion de son espace, à la malignité de ses plans et de ses cadres, ne faisant que peu ressentir finalement le manque de budget. Si nous n'avons pas de décors aussi "grandioses" que ceux d'un Joyeux Noël, La peur offre une atmosphère et un tableau plus authentique. Le film finit par prendre aux tripes, littéralement, lorsque Gabriel arrive en première ligne, jeté contre un ennemi que l'on ne voit pas. Odoul laisse sa caméra à hauteur d'homme, submergée par la tranchée, embourbée avec les cadavres innombrables. Il dessine un enfer noir, étouffant, anxiogène. Inhumain. La principale réussite de La peur se trouve là, dans les instants où Gabriel survit sur le front, sans esquiver les horreurs les plus répugnantes. Certes, il y a de beaux moments à l'hôpital de campagne où des infirmières rêvent à coucher avec des héros sans savoir qu'ils n'ont jamais exister, mais rien ne semble pouvoir égaler le pouvoir absolu du noir de la première ligne noyée sous les chocs répétitifs et traumatisants de l'artillerie. La Peur réussit le pari osé de la reconstitution crasse, sans concession et qui sait saisir toute l'absurdité et la folie de cette guerre incompréhensible. 

    On croise aussi de beaux personnages dans la Peur. Nègre et Gabriel se complètent, le naïf et le blasé. L'interaction de ces deux-là, la gouaille du sergent confrontée à la candeur déplacée de Gabriel, donne de très beaux instants, gâchés il est vrai par ce problème de jeu d'acteurs décidément bien embarrassant. On fait la connaissance d'un fou au milieu d'un cratère, on assiste à la lente déchéance de Théophile, un poète transformé en excrément (Un personnage au passage hautement attachant et symbolique mais qui écope du plus mauvais acteur de tout le long-métrage...) ou l'on regarde médusé ces officiers lancés des jeunes vers le grand hachoir à viande du Chemin des Dames. Oui, malgré ses handicaps et quelques moment longuets, On ne peut enlever à La Peur une sincérité et une authenticité à rendre malade. Une authenticité d'autant plus désoeuvrante devant le tableau noir d'une espèce humaine définitivement perdue, qui, en quelque sorte, ne s'en remettra pas.

    La Peur est plombé par une troupe d'acteurs amateurs vraiment peu convaincants, les dialogues et tirades tendant plus vers la déclamation sans conviction que vers le véritable feu d'artifice émotionnel que l'on aurait été en droit d'attendre dans le contexte. Heureusement, Damien Odoul s'avère un réalisateur excellent, capable d'arracher à la moindre parcelle de tranchée une atmosphère de fin du monde. On regardera donc plutôt le film pour son aspect de témoignage cru que pour le reste, finalement peu convaincant.

    Note : 5.5/10

    Meilleure scène : L'arrivée dans les tranchées.

     

     

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  • [Critique] Jug Face

    Au rang des nombreux films inédits ou sortis discrètement en DVD en France, Jug Face fait un peu figure d'arlésienne. Présenté en 2013 (!!) au Slamdance Film Festival, le premier long-métrage de l'américain Chad Crawford Kinkle a connu une sortie nationale aux USA en juillet de la même année. Bien accueilli par la critique, le film se classe autant en horreur qu'en fantastique et n'est pas sans rappelé le We Are What We Are de Jim Mickle sorti à la même période. Partageant tous deux ce goût prononcé pour l'horreur sourde et dans lequel un village retiré cache en son sein de multiples surprises, ils partagent également le même destin calamiteux concernant leur sortie internationale, notamment en France. Sans star bankable au casting et pas forcément grand public, Jug Face a pourtant bien des atouts à faire valoir.

    Dès le générique tout en crayonné qui sert autant à poser l'ambiance que les bases de l'histoire (une excellente idée donc), Jug Face nous entraîne dans les bois. Une étrange petite communauté vit au cœur de la forêt. Les seuls contacts entre ses membres et la ville toute proche ne se font que lorsqu'il faut commercer pour obtenir des denrées vitales. Ada est la fille de Sustin, le plus respecté des patriarches de la communauté. Seulement voilà, alors qu'Ada doit être donnée en fiançailles à un garçon, elle découvre qu'elle est enceinte, mettant en péril la relation secrète qu'elle entretient. Pire encore, elle trouve chez Dawai, le potier du village, une poterie d'argile avec la forme de son visage dessus. En effet, cette micro-société dans les bois s'organise autour d'un culte étrange et terrifiant. Ses adeptes vénèrent un puits au milieu de la forêt qui est sensé les guérir de toutes les maladies en échange de sacrifices rituels qu'il désire, transmettant ses volontés par le biais d'hallucinations au potier. Celui dont la face se retrouve sculptée par le potier en transe...devra mourir. Ada tente alors de fuir, bravant la colère de ses parents et celle du puits. 

    Évacuons les évidences immédiatement. D'abord, Jug Face reste un petit film avec des moyens limités. Pour y remédier Chad Crawford Kinkle pose sa caméra au milieu d'un bois pittoresque mais ô combien évocateur. Car sans moyen ne signifie pas sans esthétique. Profitant de la remarquable patte artistique de l'américain, Jug Face fleure bon l'archaïque et le redneck. Au milieu de ces bois défraîchis, la communauté habite dans des bicoques proches de l'insalubrité, vivant dans un style XIXème siècle qui n'est pas sans rappeler celui de la famille de Massacre à la tronçonneuse sous un certain angle. En tirant profit de l'atmosphère du cadre, Kinkle nous fait pénétrer dans un tout autre monde, celui des adorateurs du puits. Ensuite, seconde évidence, Jug Face n'est pas tant un film d'horreur que cela. On aura bien évidemment quelques scènes violentes avec les moyens du bord (et donc souvent en hors-champ) mais le long-métrage ne repose pas sur des gerbes de sang ou des sursauts faciles.

    En réalité, l'horreur de Jug Face se terre dans son atmosphère psychologique et dans la peinture de cette communauté retirée vivant selon une morale douteuse. Mélangeant allègrement rites païens et pudibonderie chrétienne, les codes de cette société se découvrent très progressivement. Chad Crawford Kinkle prend son temps pour dévoiler son jeu et pose ainsi tranquillement ses personnages. Même si celui d'Ada occupe forcément une place centrale (excellemment interprété par la jeune Lauren Ashley Carter), c'est véritablement Dawai qui tire son épingle du jeu. Étrange, attardé mais constamment bienveillant, il reste pourtant l'un des principaux responsables des sacrifices, bien qu'involontairement il est vrai. Il illustre aussi une des autres particularités malsaines de cette communauté, à savoir la consanguinité. Retirés de tout, les habitants vivent dans un système clos, la chose est donc inévitable. Tous ces éléments mis bout à bout donnent un cachet très particulier au récit. Sorte de critique larvée des sectes mais aussi de certaines racines ultra-conservatrices américaines, Jug Face ne va cependant jamais souligner les choses.

    Reste alors la partie véritablement fantastique du métrage. Même si encore une fois le manque de moyens force le réalisateur à recourir à des artifices un tantinet ridicules (les flashs, les effets grossiers de flous pour les hallucinations...), la mythologie autour du Puits et de ceux qui arpentent les bois arrive tout de même à faire mouche. Crawford Kinkle ose aller au bout des choses et confronte les éléments surnaturels de son histoire aux protagonistes humains. Si la question de la pertinence de ce choix peut se poser, le résultat reste assez convaincant pour ne pas desservir le film. Ce qui étonne par contre, c'est le chemin que prend l'intrigue de l'américain, expliquant certainement son insuccès auprès du grand public. Loin de se conclure par une happy-end ou avec une moralité nettement définie, Jug Face reste sur ses positions, balayant la rébellion et donnant en fait raison à la communauté. En quelque sorte, le long-métrage distille une sensation dérangeante qui semble véhiculer un message des plus pessimistes : L'homme est un animal superstitieux et la superstition reprend toujours le dessus. La dernière image, malgré son apparence anodine, a de quoi glacer le sang.

    Film fantastique au budget limité mais à l'esthétique léchée, Jug Face profite autant du jeu impeccable de ses acteurs principaux que de l'intelligence du scénario imaginé par l'américain Chad Crawford Kinkle. Grâce au puissant pouvoir malsain et amoral dégagé par cette petite communauté, le film arrive aisément à surpasser ses lacunes pour donner quelque chose d'unique. 
    Un petit film hautement recommandable. 


    Note : 7.5/10

    Meilleure scène : Le générique de début - Dawai et Ada ligotés à l'arbre 

     

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