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[Critique] Le Fils de Saul

[Critique] Le Fils de Saul
Grand Prix Festival Cannes 2015
Prix FIPRESCI 2015

Cette année à Cannes, la compétition a vu l'émergence d'un nouveau cinéaste en la personne du hongrois Laszlo Nemes. Enfin nouveau...l'homme a déjà gagné un certain nombre de distinctions pour ses court-métrages et a eu l'insigne honneur d'être l'assistant d'un certain Bela Tarr. Pour débuter sa carrière catégorie long-métrage, Laszlo Nemes a choisi un sujet archi-connu et déjà largement traité au cinéma par plusieurs grands réalisateurs : la Shoah. Steven Spielberg, Roman Polanski, Costa-Gavras... autant de noms prestigieux qui ont plongé dans l'enfer des camps et de l'ultime horreur humaine. Du coup, le challenge d'apporter un élément supplémentaire s'avère relevé pour le hongrois. Pourtant, Le Fils de Saul a été unanimement salué à Cannes jusqu'à se voir décerner le Grand Prix du festival. La raison ? Sa mise en scène radicale qui embrigade le spectateur aux côtés d'un Sonderkommando d'Auschwitz-Birkenau, Saul Ausländer (L'Étranger en français). Cela peut-il suffire à faire du premier long-métrage de Laszlo Nemes un grand moment de cinéma ?

La caméra fixe un champ vide. Tout est flou. Lentement, venant de l'horizon, des hommes approchent. L'un d'eux arrive en face de la caméra qui parvient enfin à nous le rendre parfaitement net. L'arrière-plan, lui, garde cet aspect flou énigmatique. 
Autour de ce champ visuel déjà restreint, le cadre adopte le format 4:3, le même format resserré qu'un Mommy de Xavier Dolan. Sauf qu'ici le but n'est pas, du tout, le même. 
Dans un prélude intense et sans concession, Laszlo Nemes nous jette dans l'horreur. Sa caméra se fixe sur Saul, le suit par derrière, tourne autour de lui. Il n'est pas question cette fois de capturer un large panorama des camps ou même de sentir l'immensité du carnage. En une dizaine de minutes, Le Fils de Saul étouffe. Il installe quasi-instantanément une sensation anxiogène rarement égalée ailleurs, tout cela grâce à la conjonction de la mise en scène mais aussi par l’austérité absolue de son cheminement. Là où Spielberg jouait la carte de l'émotion et où Polanski affrontait l'horreur de façon frontale, Nemes élude, floute mais va loin, très loin. La prodigieuse séquence d'introduction voit Saul accompagner un groupe de juifs aux fameuses douches. On entend les instructions, on sait ce qu'il va se passer puis Saul s'aligne avec les autres Sonderkommandos contre le mur. On entend les cris, les coups désespérés... un crescendo infernal qui vrille les oreilles. 
Auschwitz-Birkenau, camp d'extermination nazi, 1944.

Pourtant, les choses ne s'arrêtent pas là. Le réalisateur hongrois filme en plans-séquence, poursuit Saul dans les galeries du complexe, dans la cour, sur les rives d'une rivière, dans le camp de fortune des Sonderkommandos, dans la salle de dissection. Toujours en plan serré, toujours à côté de Saul. On ne sort pas de ce que voit Saul, on respire avec lui, on suffoque avec lui, on tremble avec lui. Mais étrangement, on ne pleure pas avec Saul. Le Fils de Saul n'est pas un film tire-larmes comme peut l'être La Liste de Schindler. Il est rude, âpre, noir, intense. Dans le monde de Saul, tout est désespoir, violence et folie. Laszlo Nemes synthétise dans son métrage l'ensemble de ce que l'on sait des camps : les douches, les fours, les travaux forcés, les fosses communes, les kapos, l'humiliation, la déshumanisation. C'est d'ailleurs cette dernière caractéristique qui décrit le mieux le film. Le procédé de mise en scène employé, au-delà de ses impressionnantes qualités intrinsèques, déshumanise l'ensemble. On ne voit qu'à demi les corps sans vie traînés des douches vers les fours, on ne comprend pas tout à fait ce qu'il se passe autour de Saul. Des choses nous échappent...et d'autres nous sautent au visage. Jamais un réalisateur n'a aussi bien capturé ce qui faisait des camps l'ultime abomination créée par les hommes : celui de transformer l'humain en rien, en pièces détachées.


Laszlo Nemes filme avec une froideur clinique le désastre constant qui entoure Saul. Au milieu de cette folie, Saul assiste à l'assassinat d'un enfant. Pour une raison incertaine, il décide alors de l'enterrer et de lui rendre les derniers sacrements. L'attitude obsessionnelle qu'il adopte et qui va sous-tendre tout le film peut paraître absurde de prime abord. Puis, peu à peu, plus on vit la tête enfoncée dans l'horreur, mieux on arrive à comprendre Saul. Dans un monde dénué de tout sens, rendre la dignité à un enfant dénote d'une ultime trace d'humanité. Une sorte de poids, de vœu impossible qui, pourtant, apparaît comme la chose la plus noble qui soit en fin de compte. Dans cette quête forcément vouée à l'échec, Laszlo Nemes brasse un peu de tout, visite tout le catalogue de la Shoah. Sans jamais s'attarder plus que nécessaire, une fuite en avant devant l'abjection. Les plus forts sentiments se voient ainsi émoussés, voir oblitérés. Un simple effleurement de la main devient un rayon de soleil brûlant, insupportable. La lumière n'a plus sa place ici. 

On la craint même. Comme lors du rassemblement aux fosses communes, quand les nazis n'ont plus les moyens ni le temps de faire tourner leur machinerie infernale. On exécute alors à la va-vite, on incinère au lance-flamme et le réalisateur hongrois livre alors une peinture hallucinante, terrifiante. Durant quelques instants, il capture l'enfer, le vrai. Un enfer en miniature où le sauvetage d'un homme, même par erreur, même pour une raison absurde, apparaît comme une bouffée d'air désespérée avant d'étouffer. Laszlo Nemes ne tente jamais de nous donner une quelconque empathie pour son "héros". Inutile puisque comme le montre son visage fermé, il est déjà mort. Le poète Geza Rohrig qui interprète Saul devient un Candide malheureux, dénué de tout espoir face à la folie. Seul son sourire à l'issue de ce cauchemar semble apporter une infime touche d'espoir. Avant les détonations. Laszlo Nemes refuse pourtant jusqu'au bout de montrer, il s'en tient à son schéma narratif, à son procédé de mise en scène. Rares sont les œuvres aussi jusqu'au-boutistes.

Véritable chef d'oeuvre de mise en scène, Le Fils de Saul reste un film rude et aride. Sans aucun compromis ou presque, le hongrois Laszlo Nemes ne s'attarde pas sur ce que l'on connaît déjà mais tente de le montrer à hauteur d'homme, nous faisant vivre l'enfer avec Saul. Au milieu de ce chemin de croix où la folie fait sens devant l'horreur, le long-métrage impressionne par sa réalisation et sa radicalité. Il s'agit bien d'un grand moment de cinéma mais éprouvant en diable. Forcément.


Note : 9/10

Meilleure scène : Les fosses communes - L'introduction

 

 

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