• [Critique] Bande de Filles

    [Critique] Bande de Filles



    Céline Sciamma
    aime les sujets difficiles. Après Naissance des Pieuvres et plus récemment Tomboy (qui avait fait pousser de hauts cris aux décérébrés de la Manif pour Tous), la française s'attaque à une autre problématique épineuse : la place des filles de banlieue dans la société moderne. Ainsi Bande de filles réunit un casting de jeunes inconnues pour plonger le spectateur dans un univers replié sur lui-même et passablement asphyxiant. Que peut cependant bien nous réserver Céline Sciamma ? Peut-elle vraiment éviter la vision caricaturale de gauche tout comme de droite ? 


    Marieme est une jeune fille des cités qui habite avec sa mère, son grand-frère et ses deux sœurs. Plutôt effacée, elle se voit refuser l'entrée en classe de seconde générale du fait de ses médiocres résultats scolaires. Démoralisée, elle claque la porte du collège et fait la connaissance de trois autres filles : Lady, Adiatou et Fily. Rapidement, elle se laisse emporter par les autres et intègre complètement cette bande de filles qui fait les quatre cent coups sur Paris. Marieme devient petit à petit une délinquante à la fois pour suivre ses amies mais aussi pour séduire Ismaël, un jeune garçon de sa cité. Elle va vite s'apercevoir que son choix n'était pas forcément le meilleur...

    Céline Sciamma partait d'assez loin avec Bande de filles. Les bande-annonces donnaient carrément froid dans le dos et le sujet, extrêmement casse-gueule, avait de quoi laisser dubitatif. Heureusement, Bande de filles a quelques arguments pour convaincre. Tout d'abord, la mise en scène de la française qui sait capturer la banlieue et l'environnement urbain des cités avec une grande justesse. La caméra de Sciamma rend parfaitement ce sentiment d’asphyxie qui semble écraser les jeunes filles du métrage, mais sait également se faire plus légère et plus aérienne le temps d'une chanson de Rihanna. Ensuite, son (jeune) casting, véritablement brillant, où domine naturellement la jeune Karidja Touré en Marieme, qui passe d'un registre discret à celui de la parfaite petite zoneuse effrontée avec une facilité étonnante. C'est elle qui donne en réalité une grande partie de la sympathie qu'éprouve le spectateur pour le film. De même, l'alchimie entre les quatre jeunes filles est immédiate à l'écran, ce qui était forcément un point crucial pour que Bande de filles s'avère crédible. Enfin, Bande de filles est un film politique. C'est certainement de ce côté que les choses se gâtent pour le métrage de Sciamma. Mais pas totalement. La vision qu'elle offre d'une banlieue machiste en diable où seul le mâle règne en maître file des frissons. Ici, la femme (et la féminité en générale) est un handicap qui doit se masquer. Sciamma le démontre d'emblée avec une des premières séquences où le groupe de filles se tait en entrant dans la cité, passant sous les ombres des garçons encapuchonnés.

    Malheureusement, au-delà de cette véritable charge contre la domination masculine et la réduction à l'état d'objet de la femme, Sciamma tombe dans le piège d'une vision angélique très gauchisante. On s'aperçoit que le film fonctionne d'autant mieux quand seule Marieme apparaît à l'écran, la réalisatrice prenant plus de soin pour la décrire et, même si elle n'évite pas le cliché habituel du "C'est pas ma faute, je suis une victime", elle aborde avec une grande humanité le destin de cette gamine paumée et qui ne semble faire que les mauvais choix (en sont-ils encore d'ailleurs arrivé à un certain point de l'histoire ?). Dès que l'histoire se recentre sur la bande de zoneuses, on se retrouve avec une vision totalement bancale des choses. Certes, l'alchimie et la tendresse des unes pour les autres s'avèrent aussi réussies qu'étonnantes mais Sciamma passe sous silence toutes les conséquences de leurs actes. Le meilleur exemple : cette scène ridicule et honteuse où une vendeuse colle Marieme de près par peur que celle-ci vole dans le magasin. Tout est filmé pour montrer que la vendeuse bien blanche est une raciste avec un tas de préjugés sur les jeunes filles noires qui parcourent son magasin et que, de ce fait, quand elle se fait agresser verbalement par les amies de Marieme, c'est un peu bien fait pour elle. Sauf que la bande de filles vole dans les magasins et ça, jamais Sciamma ne montre que c'est mal. Tout sera vu par ce prisme déformé. Les filles mettent à fond la musique dans le métro... cool. Mais les autres usagers, on s'en fout. Les filles agressent et volent un sac... cool. Mais on ne montre pas la victime ou le négatif de cet acte. Les filles s'invectivent dans le métro... cool. Mais le monde autour, on s'en fout. Sciamma biaise la vision des faits et anéantit la crédibilité de son propos. 

    C'est d'autant plus dommage que le long-métrage a pourtant de vraies choses à dire. A commencer par cette descente aux enfers de Marieme, qui se retrouve progressivement dans une impasse terrible. Seulement voilà, encore une fois, Sciamma n'évite pas les gros clichés comme cette scène où Marieme apporte de la drogue dans une soirée uniquement composée de blancs très riches. Forcément... On regrette aussi que la réalisatrice ne montre aucune nuance dans l'abord de la cité. On ne croise personne arrivant à s'en sortir par des moyens honnêtes. Personne. Comme si tous les habitants du quartier étaient voués à la délinquance. Reste le personnage de Marieme, qui ferme le film avec force et courage, aveuglée par les larmes mais résolument décidée à s'en sortir.

    Bande de filles n'est pas aussi mauvais qu'on aurait pu le croire de prime abord. Bien interprété, parfois vraiment touchant, le dernier film de Céline Sciamma s'avère pourtant cruellement inégal sur le versant politico-social, alternant le très bon (la vision machiste) et le très mauvais (les filles traitées de façon idyllique). On a pourtant hâte de savoir ce que nous réserve la française pour la suite.

    Note : 6/10

    Meilleure scène : Marieme qui rencontre les filles pour la dernière fois

    Meilleure réplique : "Il est où le rêve là putain ?"


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