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[Critique] Birdman
Meilleur Film Oscars 2015
Meilleur Réalisateur pour Alejandro Gonzalez Inarritu Oscars 2015
Meilleur scénario original Oscars 2015
Meilleur acteur dans une comédie pour Michael Keaton Golden Globes 2015
Meilleur Film Independant Spirit Awards 2015
Meilleur Acteur Independant Spirit Awards 2015
Meilleur réalisateur Directors Guild of America Awards 2015
Meilleur ensemble d'acteurs Screen Actors Guild Awards 2015
Meilleur film Producers Guild of America Awards 2015Non, Guillermo Del Toro n'est pas le seul mexicain à avoir réussi à percer aux USA. La dernière cérémonie des Oscars l'a d'ailleurs prouvé de façon tout à fait éclatante. Alejandro Gonzalez Inarritu peut désormais se targuer d'avoir empoché le précieux sésame au nez et à la barbe de Benett Miller ou de Clint Eastwood. Si ce nom ne vous dit rien, c'est peut-être parce que le bonhomme n'avait pas encore la publicité dont il a bénéficié grâce à l’irrésistible ascension de son dernier film, Birdman. Après le magnifique 21 grammes, Inarritu avait connu une baisse de régime avec Biutiful, beaucoup moins bien accueilli par la critique. Pour son dernier film, le mexicain s’est entouré d'une remarquable brochette d'acteurs, tout en se payant le luxe de ressusciter un Michael Keaton qu'on n'espérait plus. Véritable triomphe pendant la saison des Oscars, Birdman a donc logiquement consacré Inarritu en tant que meilleur réalisateur. Un titre mérité ?
Mondialement connu pour son rôle de super-héros dans le film Birdman, Riggan Thomson est devenu ce que l'on peut appeler un has been. Il vivote de petits rôles en petits rôles, jusqu'au jour où il décide de monter sa propre pièce à Broadway. Malheureusement, son étiquette de super-héros lui colle à la peau et la critique comme ses collègues ont du mal à voir en lui le véritable artiste qu'il est. Pour tâter le terrain, il organise des séances de répétitions générales ouvertes au public pour tester le potentiel de sa pièce. Entre acteurs névrosés et vieux démons, Thomson doit aussi gérer sa propre vie privée et notamment sa fille Sam. Peut-il vraiment redorer le blason qui fut le sien ou devra-t-il éternellement vivre dans l'ombre de son alter-ego héroïque ?
Pour mettre en scène Birdman, Inarritu opère un choix audacieux. Il filme en effet tout en un seul plan-séquence. Comprenez qu'il n'y a jamais de coupure dans son montage et que la caméra glisse sur les personnages pour suivre l'action. Cet exercice de style aussi casse-gueule que réjouissant parvient à immerger le spectateur au plus près des acteurs qu'il va côtoyer pendant plus de deux heures. Mais cette forme maîtrisée de bout en bout ne doit pas faire oublier que le petit jeu du mexicain a un but précis. Nous y reviendrons plus tard. Il faut d'abord parler de la mise en abîme sur laquelle joue Inarritu en recrutant Keaton pour interpréter son premier rôle. Cet immense acteur a en effet disparu des écrans depuis son rôle de Batman chez Burton. Depuis, il n'a cessé de vivre dans l'ombre et n'a jamais, jusqu'ici, retrouvé l'occasion de prouver son talent. Forcément, incarner Riggan Thomson, un acteur piégé par son rôle mythique du super-héros Birdman, n'a rien d'innocent. Le Mexicain s'amuse à infiltrer le réel dans la fiction et le résultat, pour peu que l'on connaisse un peu l'histoire de Keaton, est brillante. Cette première pierre permet de poser l'édifice critique du système que livre Inarritu dans Birdman.
Avant d'être un film comique, Birdman est avant toute chose une grinçante satire du monde du cinéma et du théâtre. On y croise un acteur tellement fan de la méthode actor's studio qu'il en devient incapable d'être lui-même - génialissime Edward Norton -, un agent qui ne pense qu'à faire du chiffre et du sensationnel avec un Galifianakis inattendu mais savoureux, ou encore une critique professionnelle tellement certaine qu'elle va détester une oeuvre à l'avance qu'elle promet de la fusiller sans même l'avoir vue. Caricature en plusieurs actes du tout Hollywood, Inarritu flingue la performance d'acteur pour mettre au centre un individu plus effacé mais tellement plus poignant en la personne de Riggan Thomson. Michael Keaton, extraordinaire de bout en bout, fera taire toutes les mauvaises langues et touche au plus juste. Sa prestation aurait dû d'ailleurs en toute logique lui valoir l'Oscar. Il est donc confronté à diverses personnalités aussi étranges que pathétiques qu'Inarritu tourne en dérision avec un plaisir non dissimulé. Il aime également à fusiller l'intelligentsia établie qui ne supporte pas qu'une oeuvre puisse être bonne, avoir du succès et être produite par quelqu'un qui n'est pas de leur bord. Sur ce point, Birdman assure.
Lorsque le film se met à aborder le problème existentiel de l'identité, il passe à la vitesse supérieure. La schizophrénie du héros principal ne fait, dès le départ, aucun doute. Inarritu n'épargne donc pas non plus son principal personnage. Faut-il être un peu fou pour devenir acteur ? Certainement, semble répondre le réalisateur. Après tout, difficile de ne pas l'être en passant son existence entière dans la peau d'un autre. Où s'arrête la comédie et où commence l'identité, le soi ? C'est une des problématiques abordées avec succès par Birdman qui va au fond des choses au cours d'une fabuleuse séquence où le fameux Birdman prend vie. Inarritu continue dans le même temps sa critique en règle du cinéma moderne et va jusqu'à viser le spectateur lui-même, drogué au blockbuster, incapable d'apprécier une vraie réflexion et un vrai fond sans un tas d'explosions ou de surenchère pyrotechnique. Et si les coupables de la déchéance de Riggan/Keaton, c'était nous ? Bien évidemment, le film prend plaisir à tancer gentiment la nouvelle mode du super-héros en rappelant que ceux qui ont auparavant tenté l'entreprise dans les années 80 étaient les vrais pionniers. Ceux qui prenaient tous les risques à une époque où le super-héros était kitsch.
Enfin, là où Birdman achève de convaincre de son statut de petite pépite, c'est lorsqu'il intrique l'émotionnel d'un Keaton condamné à se brûler les ailes et la lecture mythologique du film. Revenons-en donc comme promis à ce procédé du plan-séquence où la caméra glisse sur les murs, se tourne et se retourne, happant les acteurs au passage. Pourquoi un tel choix au final ? Pas du tout pour le côté clinquant de la chose - ou pas que du moins - mais pour donner la sensation de se perdre dans les couloirs de ce théâtre asphyxiant, entre les murs sans vie et les loges culs-de-sac. Le cheminement de la caméra donne une allure de labyrinthe au récit, où Riggan se retrouverait piégé, incapable de dépasser sa propre condition d'acteur has been. Evidemment, Innaritu ne s'arrête pas là et l'on comprend rapidement que Riggan n'est pas simplement un double de Keaton mais également un Icare en puissance, prêt à se brûler les ailes pour connaître la gloire. Ce n'est pas rien si le final se place en dehors du théâtre, laissant entendre qu'il a appris à voler, s'extirpant du labyrinthe de Dédale comme le héros de la mythologie grecque. Roublard, Inarritu ne nous dira pas s'il finit de la même manière, laissant le sourire de la malicieuse Emma Stone nous donner une indication précieuse. C'est donc bien un petit tour de force pétri d'intelligence que nous livre le réalisateur mexicain.
Avec sa triple mise en abîme réalité/fiction/mythologie, Birdman jouit de l'intelligence d'écriture fantastique d'Alejandro Gonzalez Inarritu. En y ajoutant une pléiade d'acteurs truculents, un humour caustique au service d'une critique acerbe du cinéma moderne ainsi qu'une maestria indéniable dans sa mise en scène, le long-métrage s'impose naturellement comme le vainqueur logique des Oscars. Birdman constitue certainement le film le plus intéressant dans le fond et dans la forme de ce début d'année, aux côtés du grandiose Foxcatcher.Note : 9.5/10
Meilleure scène : L'altercation avec la critique - Birdman devenant un blockbuster
Meilleure réplique : "Let's make a comeback"
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Tags : Birdman, Michael Keaton, Oscars 2015, Cinéma, Fantastique, Alejandro Gonzalez Inarritu, Drame
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