• [Critique] Gotham Central, Tome 1

    [Critique] Gotham Central, Tome 1

    Volume regroupant Dans l'Exercice de ses fonctions - Le Mobile - Pour Moitié (Numéro 1-10)

    Lorsque l'on dit Gotham, naturellement on pense Batman. Pourtant, on oublie certains acteurs primordiaux de chaque histoire ou presque, très souvent cantonnés à de la figuration ou des rôles subalternes : les flics de Gotham City. Parce que c'est bien beau d'avoir un super-héros dans la ville, il faut tout de même boucler les méchants et se charger des autres enquêtes du quotidien. Le Batman ne peut pas être partout tout le temps. C'est ce que ce sont dit Greg Rucka (Daredevil, Elektra, Wonder Woman) et Ed Brubaker (Criminal, The Authority, Sleepers), deux spécialistes du polar, chacun à leur façon. Après le monstrueux event No Man's Land, c'est donc sur les forces de police que DC se penche. Publié une première fois en France par les défuntes éditions Semic, c'est grâce à l'excellent éditeur Urban Comics que nous avons droit à une mouture en 4 volumes dont ce premier tome a la lourde charge d'hameçonner le public pour la suite. Les flics peuvent-ils être à la hauteur de la chauve-souris ?

    La réponse est oui, trois fois oui. Non seulement ce que nous ont concocté Rucka et Brubaker est une petite douceur pleine de saveurs inconnues, mais en plus ils font équipe avec Michael Lark qui avait déjà bossé avec Brubaker sur Daredevil. Son trait, rude et rapeux, s'adapte parfaitement à ce polar hard-boiled servi bien noir par les deux scénaristes américains. Mais revenons-en à nos histoires. On en compte trois dans ce premier volume, chacun  mettant en scène un super-vilain différent. La première (et aussi la plus courte) sert d'introduction en centrant l'intrigue sur une affaire de routine qui tourne mal. Pour l'occasion, Rucka et Brubaker écrivent à 4 mains un récit qui pose les bases, et qui déjà, s'interroge : Dans une ville où sévit le Batman, quelle place pour de "petits" inspecteurs ? Malgré son nom de Brigade des Crimes Majeurs, l'unité qui intervient ici vit en fait dans l'ombre du justicier masqué. Celui-ci passera d'ailleurs de temps à autre devant nos héros ordinaires, mais sans jamais prendre une part prépondérante à l'intrigue, définitivement dévolue à l'inspecteur Driver et ses collègues. 


    La réflexion primordiale qui sous-tend presque tout le recueil, c'est donc la relation qu'entretiennent les simples policiers avec le Batman. Une relation d'amour-haine en fait, rendue d'autant plus délicate par cette espèce de minuterie qui s'écoule inlassablement jusqu'à la tombée de la nuit et la venue obligatoire de celui qui résoudra à coup sûr l'affaire en cours. Dès lors, les flics aiment autant celui qui représente à leurs yeux la quintessence de la justice et de son implacabilité qu'il le déteste lorsqu'il se compare à lui et sa scandaleuse supériorité. Dans un sens, Rucka et Brubaker explorent l'impact qu'a eu le Batman sur les autres "justiciers" de Gotham. C'est non seulement très malin mais aussi très efficace. Dans la seconde histoire - Le Mobile -, c'est Ed Brubaker qui prend le relai en solo. Celui-ci s'axe encore davantage sur l'intimité des inspecteurs de police tout en livrant une histoire à la fois simple mais extrêmement efficace, une spécialité du bonhomme. Son enquête passionnante a la bonne idée de réemployer un méchant de troisième zone - Firebug - tout en jouant avec certains clichés et faux-semblants. Il n'oublie pas de poursuivre la réflexion amorcée dans le premier arc avec un final aussi court que brillant confrontant un Batman distant à un Driver revanchard. 

    Enfin, Pour Moitié, c'est un peu le gros morceau de ce premier volume. Et aussi la plus grosse réussite. Greg Rucka revient aux commandes en solo et offre une plongée formidable dans la vie intime et professionnelle de l'inspecteur Renée Montoya. Ne négligeant ni son enquête - réellement passionnante - ni ses personnages - tous très travaillés -, Rucka se paye le luxe de lier son récit à celui de No Man's Land grâce à son super-vilain (qu'on ne dévoilera volontairement pas) vraiment bien employé. Surtout, l'américain livre une réflexion incisive et militante sur l'homosexualité féminine en lui donnant du panache, de la beauté et surtout du réalisme. Très certainement le plus important en nombre de pages, ce dernier arc l'est également du point de vue de l'intelligence. Rucka honore autant les flics de Gotham que le droit de s'aimer librement, en profite pour tordre le coup aux préjugés et y ajoute une bonne dose d'émotions que l'on applaudit bien fort. Une prise de position qu'on l'on admire d'autant plus après la lecture de sa brillante post-face. En fait, la seule petite chose à reprocher à ce premier volume, c'est le manque de relief de Mr Freeze, peu creusé puisque présent dans l'arc le plus court, malheureusement. 

    Ce premier tome de Gotham Central réussit un exploit similaire au Joker d'Azzarello : offrir un récit passionnant et intelligent sans recourir en premier lieu au Batman. En misant sur l'originalité de découvrir le milieu policier tout en exploitant le plus judicieusement possible les possibilités offertes par cette démarche, Greg Rucka et Ed Brubaker inaugurent en grande pompe une série qui s'annonce d'ors et déjà indispensable.

    Note : 9/10

    Meilleur arc : Pour Moitié


    CITRIQ


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