• [Critique] L'ennemi de la classe

    [Critique] L'ennemi de la classe



    Le mois de mars s'est avéré riche en petits films indépendants de qualité. Nous avons eu droit à Crosswind de l'estonien Martti Helde puis à Chelli d'Asaf Korman. Cette fois, c'est un film slovène, L'ennemi de la classe, qui sort discrètement sur nos écrans. Premier film de Rok Bicek, le long-métrage n'affiche là encore aucune tête d'affiche connu. Peu importe puisque le sujet se révèle assez intéressant et casse-gueule pour que l'on s'intéresse à cette histoire. Précédé par un buzz plutôt positif au gré des festivals indépendants qu'il a traversés, L'ennemi de la classe choisit de porter un regard dur et sans compromis sur l'éducation, à travers un fait divers tragique mais banal. Comment Rok Bicek peut-il arriver à étoffer son postulat de départ sans tomber dans le populisme éhonté ? La réponse en 112 minutes.


    Des lycéens tout ce qu'il y a de plus ordinaire doivent s'adapter au départ de leur professeur principal. Celle-ci, enceinte, se voit contrainte de céder sa place à Robert, un homme bien plus rigide et intransigeant. Forcément, le passage entre les deux modes d'éducation ne se fait pas sans heurt. Les choses en restent pourtant au traditionnel motif d'amour/haine entre élèves et enseignant... jusqu'au jour où l'une de leurs camarades se suicide. Profondément atteints, les jeunes se trouvent alors une nouvelle lutte commune : faire plier Robert, tout en le forçant à expier sa part de responsabilité dans le drame qui les touche. Plus qu'une simple fronde, la classe se retrouve déchirée par une véritable guerre de tranchées entre deux positions qui semblent inconciliables. Jusqu'où iront les lycéens pour chasser leur nouveau professeur ?

    Film sans prétention sur le plan de la mise en scène, L'ennemi de la classe se consacre tout entier à son sujet. Rok Bicek installe avec une aisance surprenante ses protagonistes - dont les nombreux lycéens que l'on suivra - et nous introduit dans un monde un peu bisounours par certains abords, où la prof est plus proche d'une copine que d'une véritable enseignante, où les élèves offrent un cadeau de départ et déplorent l'absence future de celle qu'ils semblent tous adorer... Bref, on nage en pleine utopie. L'arrivée de Robert, certainement aussi surpris de cette ambiance hippie que l'est le spectateur, va totalement changer la donne. D'un naturel plus dur et par certains côtés plus réaliste, le nouveau venu adopte également des règles strictes qui vont faire grincer des dents les lycéens, habitués à une éducation scolaire permissive. L'ennemi de la classe bascule après le suicide d'une des élèves, laissant planer le doute sur la responsabilité morale du nouveau professeur. Cet événement tragique mais apparemment sans lien avec les événement antérieurs va mettre le feu aux poudres et lancer Bicek sur une profonde réflexion autour de l'éducation, de la révolte et de la responsabilité.

    Bien que l'on adopte rapidement le point de vue plus mature et sensé de Robert, Bicek ne fait pas l'erreur de recourir au manichéisme le plus basique. Au contraire. Robert, magnifiquement interprété par Igor Samobor, ne représente pas l'archétype du prof compétent et aimable. Condescendant, imbu de lui-même et certainement par trop psycho-rigide, il va parfois trop loin dans sa façon d'aborder les règles sociales. Pour autant, il reste le personnage le plus sensé du film puisque les lycéens vont rapidement se diviser puis affronter avec une mauvaise foi toujours croissante le professeur honni. En un seul temps, le réalisateur slovène nous présente un cas typique de bouc émissaire mais également l'aboutissement de cette société bien-pensante moderne qui place le mot fascisme sur le devant de la scène dès que des règles sont imposées. L'ennemi de la classe se fait rapidement un réquisitoire contre l'escalade improbable de jeunes qui pensent tout savoir et qui, aidés par l'air du temps, vont accuser des pires horreurs leur professeur d'allemand. Cette sorte de tourbillon regroupe un certain nombre de tendances actuelles, de l'adolescent raciste et démagogue à la jeune fille rebelle qui n'a que le mot "nazi" à la bouche pour qualifier toute forme d'ordre sociétal. Cette synthèse morbide mais improbable se justifie par le bouc émissaire qui, au-delà des clivages de pensées, regroupe. Une démonstration simple mais efficace. 

    Là où L'ennemi de la classe se fait remarquable, c'est lorsqu'il cherche à mélanger rage et dérision. Le spectateur passe d'une frustration qui va crescendo devant le déchaînement d'absurdités enchaînées par les adolescents, encore accentué par la réponse maladroite du professeur, à l'humour contenu dans de savoureux passages comiques. Pour mémoire, et parce qu'elle est certainement la plus fameuse du film, on citera la scène où les parents se réunissent pour faire le point. Bicek prend un malin plaisir à transposer les manières de chaque élève dans les adultes présents à l'assemblée. On peut ainsi deviner sans qu'ils ne le disent qui est le père ou la mère de quel lycéen. C'est à la fois très drôle et parfaitement bien senti puisqu'au fond, les enfants ne sont que le produit de leur éducation parentale. Une éducation qui reste de bout en bout le point primordial du film sans que le réalisateur ne nous donne une réponse claire et définitive, nous laissant le choix des armes entre Robert et ses frondeurs. Reste que dans cette course à la bêtise et au dialogue de sourds, en définitive, personne ne ressort gagnant.

    L'ennemi de la classe ne mise pas sur sa réalisation ou son jeu d'acteurs - de très bonne tenue tous les deux au demeurant - mais bien sur son sujet de fond aussi captivant que véritablement bien traité. Rok Bicek nous offre un film intéressant qui suscitera certainement moult débats.  
    Certainement la marque d'un long-métrage posant des questions morales et sociétales pertinentes. 


    Note : 8.5/10

    Meilleures séquences : Le plaidoyer de fin de Robert - L'assemblée des parents - la lettre de la meilleure amie

    Meilleure réplique : 
    "Avant ils avaient peur de nous, maintenant nous avons peur d'eux, c'est comme ça que ça marche Robert"

     

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