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[Critique] Spartacus
Oscar 1961 du meilleur second rôle pour Peter Ustinov
En 1960, Stanley Kubrick entre à Hollywood par la grande porte. Son dernier film, Les Sentiers de la gloire, lui a permis d'attirer l'attention des majors et de gagner à sa cause un certain Kirk Douglas. Véritable pilier de l'industrie Hollywoodienne à cette époque, Kirk Douglas se met en tête d'adapter le roman d'Howard Fast sur grand écran. Narrant la fameuse rébellion de Spartacus à l'époque de l'empire romain, l'histoire présente un énorme potentiel commercial et artistique, d'autant plus que le péplum est alors un genre en vogue. Seulement voilà, Douglas doit d'abord composer avec la commission des activités anti-américaines qui a blacklisté Howard Fast mais également le génial Dalton Trumbo, soupçonnés tous deux d'être des agents communistes. Trumbo va tout de même finir par être crédité avec l'appui acharné de Kirk Douglas. Autre problème, peut-être encore plus important, le réalisateur de Spartacus ne convient pas à Kirk Douglas. David Lean ayant refusé, c'est Anthony Mann qui prend le relais mais celui-ci est viré au bout de 2 semaines de tournage pour être remplacé par Stanley Kubrick lui-même. Un pari risqué, à la fois pour l'acteur Hollywoodien et pour le réalisateur alors en pleine ascension.
Souvent décrit par Kubrick comme son film le plus impersonnel, Spartacus n'en reste pas moins un énorme blockbuster à l'ambition dévorante ainsi que le témoin de toute une époque. Il faut tout de suite clarifier les choses quand à la parenté du métrage. Stanley Kubrick garde ici son sens de la mise en scène (les scènes de bataille et l'icônisation des personnages) et donne une authentique patte visuelle au film. Le problème, c'est qu'en effet, Spartacus n'a presque rien de Kubrickien. Si l'on excepte une ambiance de fin du monde lorsque l'on sait Spartacus voué à la défaite et la description particulièrement sanglante (pour l'époque) qui en est fait, les thèmes récurrents du réalisateur américain n'apparaissent simplement pas. La raison en est assez simple : Spartacus est un film de Kirk Douglas et Dalton Trumbo avant toute chose. Se faisant, le résultat peut laisser perplexe dans la filmographie du cinéaste qui semble ici perdre l'âme de son cinéma pour mettre son talent de metteur en scène au service d'un divertissement de haute volée. Voilà pourquoi Spartacus apparaît à la fois comme une mauvaise et une bonne chose dans le parcours de Kubrick.
Spartacus raconte l'histoire archi-connue de l'esclave du même nom qui se révolta contre l'Empire Romain. Histoire aussi héroïque que tragique, la légende de Spartacus devient une fresque impressionnante entre les mains de Kubrick, Douglas et Trumbo. Le film profite d'une distribution royale, d'un budget colossal qui se ressent constamment à l'écran (notamment la dernière scène de bataille hallucinante par son ampleur) et de fils narratifs ambitieux, même si imparfaits. On retrouve dans Spartacus tout ce qu'affectionne le grand Hollywood : un héros magnifique, une histoire d'amour passionnée et tragique, un combat pour la liberté et des sous-intrigues politiques passionnantes pleines de coups bas. A première vue, Spartacus est l'archétype du film Hollywoodien. Sauf que.
Sauf que derrière cette histoire se trouve un certain Dalton Trumbo et qu'en y regardant de plus près, il transforme l'histoire de Spartacus (avec entorses historiques et anachronismes tout du long) en une charge anti-américaine et, plus généralement, anti-capitaliste, incroyablement audacieuse. Si l'on prend le film au premier degré, on se retrouve devant un homme se battant pour la liberté et la libération du joug d'un empire tyrannique, célébrant ainsi certaines valeurs américaines traditionnelles. Mais si l'on creuse et qu'on regarde de plus près, le message s'inverse. Spartacus incarne en réalité l'homme pré-communiste et devient en cours de route le porte-étendard d'une conception communiste de la société où l'esclave (le prolétaire) se libère des chaînes de l'exploitation d'un empire où le riche écrase le pauvre et où la corruption gangrène tout (l'Empire Romain/Américain). En assumant de ce fait que l'Empire Romain soit une métaphore de l'Empire américain, et Spartacus le porte-étendard de la révolution des pauvres et des exploités, le sénat présenté dans le film se divise entre Démocrates (Gracchus) et Républicains (Crassus). Là où Trumbo va encore plus loin c'est lorsqu'il présente la mort de Spartacus, héros communiste naturellement adulé par le public, comme un écho du Christ sur la croix. En somme, le peuple américain, aveuglé par ses dirigeants, crucifie son propre sauveur. Trumbo accomplit là un tour de force scénaristique incroyable, parfaitement retranscrit par le jeu d'un Kirk Douglas toujours impeccable et qui porte littéralement le film sur ses épaules. On pourra même s'amuser (dans la version longue) à débusquer la scène aux connotations homosexuelles insérée par Trumbo entre Antoninus et Crassus.
Derrière ce scénario d'une redoutable intelligence, on trouve également un divertissement de haute volée qui préfigure largement des films comme Gladiator de Ridley Scott bien des décennies plus tard. L'intrication des fils politiques, historiques et amoureux forcent le respect et permet de capter l'attention du spectateur sur la colossale durée de 3h17 (!!). Ne reniant pas quelques doses d'humour bien senties grâce au truculent personnage de Peter Uslinov, aka Batiatus, Spartacus n'ennuie jamais. Au contraire, il passionne et offre tout ce que l'on recherche dans un blockbuster d'honnête facture, voir même bien plus en y regardant à deux fois. Ne reste alors qu'à déplorer un certain manque d'ambition visuelle. Loin des travellings des Sentiers de la Gloire, Spartacus semble rendre Kubrick plus sage, plus prévisible. On reconnait encore de-ci de-là l'élégance du réalisateur, mais rien de comparable à ce qu'il donnera par la suite.
Ce détour Hollywoodien laissera un gout amer dans la bouche de Stanley Kubrick qui reprend de ce fait les chemins d'un cinéma plus personnel et moins clinquant. Spartacus restera cependant un classique intemporel qui continue de fasciner à l'heure actuelle. Certainement l'un des péplums les importants de l'histoire du cinéma.Note : 8.5/10
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Tags : Peplum, Cinema, Kirk Douglas, Dalton Trumbo, Laurence Olivier, Peter Ustinov, Jean Simmons, Tony Curtis, Spartacus, Stanley Kubrick
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