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[Critique TV] The Leftovers, Saison 2
Recommencer de nouveau. Difficile de trouver une phrase d'accroche plus adéquate pour cette seconde saison de The Leftovers. Très bien accueillie aux USA mais restée un tantinet confidentiel en France, la série HBO de Damon Lindelof et Tom Perrotta avait su surprendre son monde en évitant à peu près tous les écueils de son sujet principal : la disparition inexpliquée de 2% de la population mondiale. Avec une nouvelle fournée de dix épisodes pour cette seconde saison, The Leftovers était attendue au tournant, d'autant plus qu'elle devait s'éloigner cette fois du roman de base. C'est donc l'heure de tous les dangers pour nos héros mais également pour le showrunner Damon Lindelof.
Comment faire mieux ?
En changeant tout ou presque. Une des choses qui mine les séries actuelles, c'est le manque quasi-total de prise de risques d'une saison à l'autre. The Leftovers choisit le contre-pied de cette facilité et plaque tout pour installer son action dans une petite ville semblant avoir été épargnée par la catastrophe : Jarden. Surnommée Miracle (en fait le nom de la forêt qui l'entoure), la bourgade est devenue une gigantesque attraction pour touristes où les curieux et les pèlerins font la queue. C'est dans ce lieu que prend place l'intrigue de la saison 2 et que nos héros vont finir par se retrouver. Cependant, même si l'on retrouve les principaux personnages de la saison précédente, The Leftovers tente d'abord un coup de bluff bienvenu : faire table rase du passé. Franchement, les premières minutes de l'épisode 1 sont totalement déstabilisantes, retournant rien de moins qu'à l'âge de pierre (!!). Mais immédiatement, on retrouve à la fois le goût du mystère de la saison une ainsi que la beauté qui habite la série depuis ses origines. Le reste de cet épisode est à l'avenant, présentant une sorte de clone déformé de Mapleton. Un écho inversé.
A Miracle, la communauté est majoritairement noire, la principale famille présentée l'est également. Pas de secte à Miracle mais une Eglise renforcée et confortée dans son pouvoir, pas de disparu, pas de peine, les bonimenteurs sont sévèrement corrigés et les secrets...bien gardés. Lorsque Kevin et Nora débarquent en ville, c'est un peu comme si la première saison qu'on avait laissée dans les cendres de Mapleton surgissait de façon dérangeante pour troubler la quiétude de Jarden. Puis, un incident a lieu, de nouvelles disparitions. Et les choses en sont relancées. C'est à ce moment précis que The Leftovers prend une décision encore plus audacieuse mais pas forcément payante en fin de compte. Si la première saison refusait d'explorer le mystère, la seconde accepte de résoudre l'énigme de la disparition des trois adolescentes. De même, dans une tentative à la Lost, Damon Lindelof revient sur la folie de Kevin (qui ne s'est guère arrangée entre temps) et en fait l'autre pilier de cette saison. Un choix qui va en repousser bon nombre (les spectateurs allergiques aux délires de Lindelof peuvent quitter la salle) et en attirer d'autres (les fans de Lost peuvent revenir...). C'est pour ces choix justement que cette seconde saison de The Leftovers est à la fois plus faible et plus brillante que la première.
Plus encore que pour la saison passée, The Leftovers fonctionne par des moments de fulgurances intenses entre deux situations plus contestables. En réalité, lorsque la série revient sur sa famille-star, à savoir celle recomposée de toutes pièces de Nora et Kévin, les choses deviennent rapidement captivantes et sublimes. En parlant de la difficulté de rebâtir, Lindelof a tout bon, que ce soit pour Kévin, Matt ou les Murphy. Il touche du doigt la sensibilité poignante de la précédente saison. Le problème, c'est que cette seconde saison met un temps fou à décoller, n'ayant pas cette fois le total mystère de la première. Si les deux premiers épisodes se complètent à merveille et se répondent en un sens, il faut attendre le quatrième épisode pour retrouver une intrigue qui fait du surplace. Disons-le clairement, pour élucider la disparition des filles, il faut attendre le dernier épisode (ou presque), du coup, dès que l'intrigue se met à ronronner autour de la question des disparues...on s’ennuie ferme.
C'est d'autant plus dommage que les loners marchent toujours aussi bien. On pense notamment à l'épisode 3 "Off Ramp" qui revient avec bonheur sur le parcours de deux âmes brisées : Laurie et Tom. Damon Lindelof montre à nouveau qu'il a tout compris aux mécanismes des sectes et explore le besoin absolu d'un pouvoir supérieur chez l'être humain. En se penchant sur la nécessité de la foi, sur la faiblesse intrinsèque des individus, Lindelof approche quelque chose de très fort qu'il n'exploite malheureusement pas assez. Il faut attendre l'épisode 9, autre loner sur le personnage de Liv Tyler, pour reprendre cette idée. Entre deux, le scénariste a du mal à caser le personnage de Matt et finit par lui attribuer son loner dans l'épisode 5 "No Room at the Inn". Celui-ci souffle le chaud et le froid alternant entre l'absolue beauté du parcours de martyr de Matt et l'amour qu'il éprouve pour sa femme, et les multiples incohérences et facilités scénaristiques agaçantes qui en résultent. Il en va de même pour un grand nombre d'éléments de la saison de toute façon. On pense à la lenteur de l'épisode 4 qui finit pourtant sur une séquence magnifique bercée par la reprise de Lo-Fang du tube You're The One That I Want. Comme d'habitude, côté bande originale, The Lefovers assure méchamment (et peut remercier Maxence Cyrin).Pourtant en quittant la pure dimension du deuil, The Leftovers se diversifie. Il offre une plongée sans concession et très étrange sur la folie avec le personnage de Kévin, toujours aussi impérial et interprété à la perfection par un Justin Theroux bluffant. Cet axe qui fera débat parmi les fans même de la série apporte pourtant ce qui semble être la plus grosse prise de risque de la saison ainsi que la réussite la plus improbable dans le magistral épisode 8 "International Assassin". Piégé dans un hôtel-purgatoire, Kévin expie ses démons face à la remarquable Ann Dowd, toujours aussi impressionnante. Totalement tirée par les cheveux et absurde au possible, la fin de saison retrouve à la fois la dimension symbolique si chère à la série mais aussi son intense versant émotionnel. Car au milieu de cette saison 2, il y a la relation de Kévin avec Nora, celle-ci étant devenue au fil du temps le personnage le plus réussi et le plus poignant de l'univers de The Leftovers. Il faut saluer le jeu de Carrie Coon, remarquable de bout en bout à nouveau, et qui arrive encore un peu plus à magnifier l'arc scénaristique consacré à Nora. Dès que son personnage entre en jeu, elle sauve la scène à elle seule et donne quelques purs instants d'émotions. De même, parmi les petits nouveaux de la saison, on ne peut s'empêcher de relever l'arc d'Erika Murphy interprété par Regina King. Celle-ci déploie une telle énergie dans son jeu et une telle force dans l'explosion de ses sentiments qu'elle devient une sorte de double de Nora par son importance. Dommage qu'elle soit un tantinet abandonnée en fin de saison.
En assumant jusqu'au bout son parti-pris biblique et métaphysique, The Leftovers retrouve ses Guilty Remnants, parfaits opposés d'un Ku Klux Klan jusqu'ici, et qui se radicalisent devant l'insuffisance de la lutte pacifique. Du coup, le rôle de Miracle et sa situation tout à fait particulière en font un enjeu de choix pour tous, même eux. Toujours porté sur différents niveaux de lectures, Lindelof fait de sa nouvelle ville le lieu d'une nouvelle rédemption et d'une nouvelle apocalypse dans le même temps, tout ça pour magnifier le vrai héros de cette seconde saison : Kévin. Plus christique que jamais, il porte sur ses épaules le poids d'un nouveau départ pour tous les êtres qui lui sont chers. Dans un épisode final d'une maestria incontestable et qui gomme tous les défauts précédemment cités, The Leftovers touche du doigt son moment de grâce, nous tord le ventre le temps d'un karaoké totalement imprévu et finit par nous achever avec le retour de sa petite musique lancinante habituelle signée Max Richter. Le résultat global, aussi bancal soit-il, renoue avec l'émotion intense et les montagnes russes émotionnelles de la première saison. Si l'on ne peut s'empêcher de penser que l'on perd du dramatisme en cherchant à résoudre un mystère dont on se fout cordialement, on retrouve avec bonheur les ingrédients magiques qui faisaient le cœur de la série à ses débuts.
Plus audacieuse mais aussi souvent moins pertinente, la seconde saison de The Leftovers confirme tout de même le bien que l'on pensait de la série. Sa force émotionnelle, ses personnages attachants comme pas possible, sa tristesse à nulle autre pareille et son intelligence permettent un nouveau régal pour le spectateur. La dernière née d'HBO aura droit à une troisième et ultime saison, qu'on souhaite aussi audacieuse que la précédente et aussi implacablement géniale qu'à ses débuts tant par son émotion que par son refus d'emprunter des chemins connus.
Le genre de série que l'on regarde pour le meilleur et pour le pire. Monsieur Lindelof, réservez-nous le meilleur !
Note : 8,5/10
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Tags : The Leftovers, Damon Lindelof, Tom Perrotta, HBO, Série TV, Drame, Fantastique, Science-fiction, Justin Theroux, Christopher Eccleston, Liv Tyler
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