• [Critique] Enemy

    [Critique] Enemy

    En l’espace de deux films, le canadien Denis Villeneuve s’est fait un nom. Avec Incendies d’abord, film choc bouleversant et renversant qui doit beaucoup à l’écrivain Wajdi Mouawad, et Prisoners ensuite, plongée rude et noire dans les méandres de la vengeance d’un père esseulé. Cette fois, pour son troisième long-métrage, il choisit d’explorer le drame psychologique avec un acteur qu’il affectionne particulièrement : Jake Gyllenhaal. Basé sur la nouvelle de José Saramago, L’autre comme moi, Enemy tombe pile-poil après la sortie de The Double, autre film sur le thème du double. Cette coïncidence n’empêche pourtant pas le métrage de Villeneuve d’adopter une voix plus singulière et d’emprunter cette fois purement au genre dramatique. Enemy sera-t-il le film de la consécration pour Villeneuve ?

    Adam est un professeur d’université. Plutôt du genre effacé, il mène une vie tout à fait ordinaire avec Mary, sa femme. Tout bascule le jour où il visionne un film et découvre l’existence d’un acteur qui lui ressemble trait pour trait. Troublé dans un premier temps, il se met à rechercher après cet Anthony Saint-Claire. Sans pouvoir l’expliquer lui-même, Adam devient complètement obsédé par Anthony et tente de le rencontrer. Il ne s’imagine pas que sa curiosité va venir mettre en danger son couple et sa petite vie paisible.

    Deux semaines après la sortie en salle de The Double, l’arrivée de Enemy a de quoi étonner. Pourtant, là où l’on aurait pu redouter la redite, Villeneuve se concentre essentiellement sur l’aspect psychologique de cette brutale confrontation à un « autre soi ». A l’instar d’Eisenberg, Jake Gyllenhaal incarne à la fois Adam et Anthony et livre une remarquable prestation. On retrouve encore une fois deux hommes aux personnalités totalement opposées, l’un introverti et effacé, l’autre exubérant et charmeur. Au lieu de jouer sur la peur du remplacement comme l’a fait Ayoade, Villeneuve tente de raconter une autre facette de cette troublante découverte. Celle de la dualité. Tout du long, le réalisateur n’a de cesse de confronter ses deux protagonistes et de montrer la peur irrationnelle que l’un éprouve par rapport à l’autre. Pourtant pas de prise de pouvoir au niveau professionnel mais seulement un trouble profondément enraciné à l’encontre de ce qui apparaît comme un paradoxe, une anomalie. Adam est terrifié de retrouver Anthony et, pendant longtemps, difficile de dire exactement pourquoi. Villeneuve joue avec le spectateur, joue avec son trio d’acteurs – Mélanie Laurent, Jake Gyllenhaal et Sarah Gadon – pour accoucher d’un imbroglio amoureux aussi dangereux que fascinant.

    La caméra de Villeneuve reste toujours aussi acérée, sa mise en scène soignée et sa façon de capturer ses personnages formidable. Malgré des filtres jaunâtres qui deviennent rapidement rédhibitoires, le réalisateur crée une atmosphère pesante et sinistre. Surtout, il installe un symbolisme venimeux grâce à cette figure de la mygale, que ce soit à travers des visions directes de l’araignée ou des cauchemars réellement dérangeants. Le souci, c’est qu’à trop vouloir pénétrer dans le monde du psychisme et de ne donner quasi aucune clé au spectateur, on se trouve rapidement perdu dans le récit qu’il nous livre. En effet, on se doute que les deux couples profitent d’une certaine symétrie et que l’araignée représente la figure féminine mais l’on a un mal fou à comprendre là où veut en venir Villeneuve. Si après coup on pourra comprendre lentement et âprement les choses, on se rend surtout compte que le canadien pêche par excès et tombe dans un certain hermétisme totalement absent de ses précédents films. Pour peu, on tomberait presque dans du Cronenberg style Spider (comme quoi), et sur un sujet assez accessible – le combat entre deux versants d’une même personnalité –, Enemy devient presque élitiste dans son abord.

    Pour autant, Enemy est loin d’être un mauvais film, ses acteurs sont tous géniaux et Villeneuve profite de certaines scènes carrément formidables. De la femme à tête de mygale marchant dans un couloir vide à la rencontre dans la chambre d’hôtel miteuse en passant par l’échange entre Adam et Anthony, il y a vraiment des choses enthousiasmantes. Il faut d’ailleurs insister sur le fait que Sarah Gadon se révèle exceptionnelle dans le long-métrage. Certes Gyllenhaal domine le film, mais le jeu subtil et précis de Gadon, notamment lorsqu’elle se retrouve avec Adam, fait de sacrées merveilles. En somme, on assiste à un show d’acteurs réellement excitant avec une atmosphère envoûtante, mais sur une trame encore plus obscure que celle de The Double (c’est dire !). C’est tellement dommage de compliquer ainsi les choses alors qu’Enemy avait un incroyable potentiel.

    Déception relative, Enemy ne se hisse pas aux niveaux de ses illustres prédécesseurs. Denis Villeneuve complexifie trop son histoire et s’enferme dans un hermétisme qui ne plaira qu’à un public très restreint. Reste un film intriguant et oppressant pour les amateurs du genre casse-tête psychologique.

    Note : 7.5/10

    Meilleure scène : Helen et Adam dans la chambre 
    conjugale


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 12 Septembre 2014 à 09:37

    Vu que j'avais adoré ses précédents films (deux claques !), je vais bien sûr voir ce film en espérant ne pas être déçue...

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